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Société Publié le lundi 2 août 2010 | Nord-Sud

Transport urbain (Gbaka, wôrô-wôrô, taxi-compteur) : Dans la galère des chauffeurs

Gangréné par le racket des forces de l'ordre et des syndicats, affaibli par les conflits d'intérêt, le milieu du transport urbain cherche aujourd'hui ses lettres de noblesse. Les premiers à subir les conséquences de ce climat de dégénérescence, ce sont les chauffeurs.


20 ans ! Cela fait 20 années que Diakité Mamadou est chauffeur de wôrô-wôrô (véhicule de transport en commun) à Abobo. Précisément sur la ligne ''Abobo gare''-''Abobo avocatier''. Pour un salarié ordinaire, c'est plus que la moitié du temps de service. On pense déjà aux économies mises de côté pour assurer la retraite. Mais pour ce chauffeur, âgé de 41 ans, l'avenir est aussi sombre qu'une nuit sans étoiles. Il n'a pas de compte bancaire, pas d'économie à la maison, aucune assurance maladie, encore moins une déclaration à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps). Mais ses peines ne s'arrêtent pas là. C'est un homme soucieux qui va travailler très tôt ce mardi. En quittant sa maison qu'il loue à 15 000 Fcfa, à Abobo Pk18, il s'inquiète pour son fils de huit ans, le dernier de ses quatre enfants. Il souffre d'un palu, ou peut-être d'une fièvre jaune. Bref, il n'en sait rien. Il pense également à sa télévision qui traîne une grosse panne pour laquelle il doit trouver 10 000. Sa femme est enceinte de son cinquième enfant... Avec un salaire mensuel de 35. 000 Fcfa, il est incapable de faire face à ses charges. Hier, après lui avoir rappelé cruellement qu'il en avait assez de lui venir en aide, son patron lui a tendu un billet de 5.000 Fcfa. Il a utilisé une partie de cet argent pour acheter du paracétamol chez des vendeuses de médicaments de la rue. Le petit souffre peut-être d'un palu. L'autre partie de l'argent est partie dans les charges domestiques. Ce matin, il espère pouvoir faire plus que sa recette quotidienne (23.000 Fcfa). Le surplus pourrait l'aider à régler quelque problèmes. Il compte aussi sur l'aide de ses amis. Quoique la plupart d'entre eux sont dans la même situation que lui. Toute sa vie est ainsi faite. Emprunts, demandes d'aide. Côté investissement familial, ce n'est pas gagné. Son premier fils, Chaka, 15 ans, est apprenti menuisier. Il a arrêté l'école en classe de CM2. Le père a jugé qu'il ne pouvait pas assumer la scolarité de l'enfant parce qu'elle lui revenait cher (même s'il raconte aussi que c'est parce qu'il n'a plus confiance en l'éducation scolaire). Son second fils, 10 ans, a arrêté l'école en classe de CE2. Il fréquente actuellement une médersa (école confessionnelle) à Abobo-BC, moins couteuse. Le troisième enfant est au CE1, il a 8 ans. Le quatrième fait le CP1. Il a 5 ans. Le chauffeur de wôrô-wôrô espère leur éviter le même sort que leurs aînés. Quand on fait le bilan, on ne peut pas vraiment dire que Diakité Mamadou a réussi dans le métier. En 20 ans de service pour divers propriétaires de véhicules, il est toujours au point zéro. Mais ce n'est pas un problème inhérent à sa personne. « Les chauffeurs de wôrô-wôrô qui arrivent à s'en sortir, on peut les compter sur le bout des doigts, confie-t-il. Ce n'est pas un métier que nous faisons. Nous survivons. Et nous n'avons pas le choix parce qu'il n'y a pas d'emploi».

Il perd son fils, faute de moyen

C'est une triste réalité. Sur les chauffeurs des 22. 000 wôrô-wôrô que compte le district d'Abidjan (selon les chiffres de la Coordination nationale des gares routières de Côte d'Ivoire (Cngrci)), plus des trois quarts vivent dans la misère. Leur situation est à l'image de celle de Diakité Mamadou.
A Adjamé-Liberté, entre le vacarme de bruits de moteurs de véhicules et les cris des commerçants qui vendent à qui mieux-mieux leurs marchandises, Hamed T. charge son wôrô-wôrô de couleur verte, en direction du ''marché Gouro''. Il est pressé parce que gagner sa recette du jour (22 000 Fcfa), n'est pas chose facile. Et c'est encore compliqué de faire un surplus. « Nous n'avons pas de salaire en temps que tel, nous vivons des surplus sur la recette», explique-t-il. Et quel surplus ! Il tourne autour de 2.000 Fcfa. Hamed est payé à 45.000 Fcfa. Quand il enlève le loyer qui est de 25.000 Fcfa, il ne reste plus grand-chose. « J'ai une femme et un enfant et je vis avec mon frère ». C'est lui le « boss » à la maison, sur qui reposent toutes les dépenses. « Nos patrons ne comprennent pas nos problèmes. Ils s'imaginent que nous gagnons beaucoup sur la recette journalière. Or, le racket des forces de l'ordre nous prend tout », explique-t-il. Il espère une augmentation salariale. Mais, même ceux qui sont mieux payés que lui, mordent la poussière. Sanogo Ali, en est une illustration parfaite. Ce chauffeur de wôrô-wôrô sur la ligne Cocody-Angré est payé à 60.000 Fcfa. C'est l'un des meilleurs salaires de la corporation. Lui également est marié, père de deux enfants. Il a fréquenté plus de trois propriétaires de wôrô-wôrô depuis 10 ans qu'il conduit, sans jamais parvenir à améliorer sa condition de vie. « Quand ma femme ou mes enfants sont malades, c'est avec les médicaments de la rue et les médicaments traditionnels que je les soigne », affirme-t-il. Il y a un an, il a perdu son premier fils de 8 ans à la suite d'un palu auquel il n'a pas pu faire face.

C'est presque tout le transport urbain qui est infecté par cette misère collective des chauffeurs. Le district d'Abidjan compte environ 3. 000 gbaka (les chiffres de la Cngrci) avec environ 8.000 chauffeurs (Ils sont généralement quatre chauffeurs par véhicule). Mais 8 chauffeurs sur 10 tirent le diable par la queue.

Fofana Beco est l'un d'entre eux. Il fait la ligne Adjamé-Yopougon Gesco, depuis 16 ans. La précarité de l'emploi qu'il exerce fait qu'il change fréquemment de patron. Mais à chaque fois, il était confronté au même problème de traitement salarial. On ne lui propose jamais au-delà de 35.000 Fcfa. Ce quarantenaire, marié et père de trois enfants, est loin d'être un mauvais gestionnaire. Pourtant, il n'a rien mis de côté en 16 ans. Il n'est fiché sur aucune liste de la Cnps, il n'a pas de couverture médicale. Quand il a un problème, il doit oublier sa dignité et accepter de se faire humilier quelque fois, rien que pour avoir de l'aide.

Un enfer dans l'enfer

Mais il y a pis dans cette corporation. Plusieurs d'entre eux, n'ont pas de salaire. Ils sont obligés de traiter avec d'autres chauffeurs. Ce sont des « contractuels ». Ils sont souvent deux ou trois à solliciter le même véhicule, auprès du « chauffeur titulaire ». Ils roulent généralement les après-midi, les soirs et les jours de repos du chauffeur titulaire. C'est un autre calvaire, un enfer dans l'enfer. Ils sont des milliers de chauffeurs dans ce cas et représentent la grande partie des chauffeurs de gbaka. Le « chauffeur titulaire » loue leur service parce qu'il lui est impossible de travailler tous les jours. Leur paie, c'est le surplus qu'ils gagnent sur la recette. On peut donc facilement deviner la condition sociale dans laquelle se trouve cette catégorie de chauffeurs. Moïse est dans ce cas. Il habite Abobo-avocatier. Son souci quotidien c'est comment obtenir la recette que lui demande le chauffeur titulaire, comment gagner un surplus là-dessus qui va constituer sa paie quotidienne. « Si nous avons trop gagné sur la recette, c'est souvent 5.000 Fcfa. Et les chauffeurs titulaires nous demandent quelquefois de prendre le carburant en charge ». Misère ! Souvent, ils n'ont presque rien. Pour ce célibataire qui doit s'occuper de sa maison de 15.000 Fcfa, c'est de la pure et simple survie. « Nous vivons au jour le jour ». L’enfant qu'il a eu avec une jeune fille, n'a pas pu habiter chez lui faute de moyen. « Quand je tombe malade, c'est Dieu qui me vient en aide ». Ce sont des médicaments que lui donnent des amis qu'il prend quelques fois pour se soigner. Mais, un jour, dit-il, le bon Dieu, pourrait être lassé de lui venir en aide, tout comme ses vieux potes l'on fait. Certains d'entre eux, ne tardent pas à perdre leur emploi. Ils doivent chaque jour chercher quelqu'un qui veut bien leur prêter un véhicule pour une matinée ou un après-midi. Un des endroits où cette catégorie de chauffeurs pullule, c'est Abobo-gare. Ce matin, ils sont des dizaines qui attendent au rond-point, quelques chauffeurs titulaires avec qui ils traitent. De loin, on pourrait les confondre à des voyous. La plupart portent des bermudas, des débardeurs façonnés par la saleté et des ''lèkès'' (chaussures en plastique). Ils rêvent tous de pouvoir travailler un jour comme « chauffeur titulaire ». Mais, drôle de rêve…


Raphaël Tanoh
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