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Art et Culture Publié le mardi 10 août 2010 | L’intelligent d’Abidjan

Entretien / Sidiki Bakaba à propos de sa démission: "Le Président Gbagbo ne me laisse pas partir"

© L’intelligent d’Abidjan Par Nathan Koné
Cinquantenaire / colloque international pluridisciplinaire : les travaux, à la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix
Mardi 3 août 2010. Yamoussoukro, Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix. Photo: Sidiki Bakaba, Directeur général du palais de la Culture, et son épouse
Il avait, tambour battant, annoncé récemment son départ du Palais de la Culture d’Abidjan. Mais l’homme continue de demeurer à son poste de Directeur général. Rencontré lors du colloque international pluridisciplinaire sur l’indépendance et ses perspectives en Afrique subsaharienne, déroulé du 1er au 5 août à Yamoussoukro, le cinéaste ivoirien-le plus coopté du monde-s’est encore une fois ouvert à l’IA. Dans cet entretien, Sidiki Bakaba parle des 50 ans du cinéma ivoirien et dit pourquoi il continue de demeurer à son poste de Directeur général du Palais de la Culture, après avoir annoncé sa démission.
50 ans après les indépendances, quel bilan pouvez-vous faire du cinéma ivoirien ?
Le cinéma est au même niveau que beaucoup de choses que nous connaissons en Afrique. C’est-à-dire qu’on avance et on recule. La Côte d’Ivoire a été un pays phare dans les années 60-63, mais aujourd’hui son cinéma est inexistant. Il n’y a pas de cinéma en Côte d’Ivoire. Depuis 10 ans, aucun film de cinéma n’a été tourné en Côte d’Ivoire. On se congratule à regarder des romans photos qui ne sont que des histoires de fesses et qu’on croit être du cinéma. C’en n’est pas un. Je viens du Maroc à l’instant (NDLR : Festival de Khoungba) où on a fait les états généraux des cinémas du continent africain. Mais hélas, mon pays qui était le premier, avec Timité Bassori, Désiré Ecaré ; aujourd’hui depuis 10 ans, n’a pas produit un seul film. On prend des vidéos, on fait n’importe quoi et on appelle ça cinéma. C’est pareil pour beaucoup de choses. Donc ce que je peux dire, c’est qu’une révolution culturelle est à faire à la base. Sans celle-là, toute souveraineté est un leurre. Pendant 50 ans, nous n’avons pas pris en compte cela. On a pensé que la culture, c’était juste la danse, les tambours et les chants. Non, c’est une autre forme d’expression. Et il faut un travail à ce niveau.

Certains disent que la léthargie du cinéma ivoirien provient du boycott, juste après le déclenchement de la crise armée de 2002, du Festival panafricain des films et du cinéma de Ouagadougou (Fespaco). Est-ce aussi votre avis ?
C’est faux ! La Côte d’Ivoire n’a déjà qu’à produire des films. Le royaume du Maroc produit 15 longs métrages par an et 50 films. Il n’y a pas de volonté politique pour le cinéma ivoirien pour l’instant. Ça n’a rien à voir avec le Fespaco. Tout dépend de nous. C’est à nous de savoir quel doit être le rôle de la culture. Le jour qu’on comprendra fondamentalement cela, l’on n’aura plus besoin de dire que le cinéma ivoirien est en léthargie. Non ! Les grands cinéastes de Côte d’Ivoire, comme Mbala Roger et Fadiga Kramo, sont là. Ils ne tournent pas, non pas parce qu’ils n’ont plus d’idées, mais parce qu’il n’y a pas de volonté politique, surtout pour produire des films de cinéma, qui ne se font pas avec ses maigres moyens. Je vous parle de 15 longs métrages par an que le Maroc produit et finance. Il ne suffit pas de dire du bout des lèvres que le cinéma ivoirien est avancé. Non ! Le paradoxe, c’est que ce cinéma ivoirien est plus ancien que le cinéma marocain qui aujourd’hui est en train de prendre des ailes. Le Burkina n’avait pas fait un seul film quand nous, on faisait déjà du cinéma. Aujourd’hui, le Burkina Faso est à la tête. Pourquoi ? Parce qu’ils savent ce qu’on peut faire avec le cinéma. On peut dominer à travers le cinéma, à travers les images. Si l’Amérique domine le monde, c’est grâce au cinéma. Sa force militaire, sa force économique parlent du cinéma et de l’image. Nous n’avons pas encore compris cela. Nous sommes consommateurs, mais nous ne sommes pas encore producteurs. Et pourtant, nous avons les capacités de produire 10 films par an, si on le veut. Je connais les capacités de la Côte d’Ivoire. Ce pays est très riche. On peut produire des films. Il suffit simplement d’une volonté politique. Peut être que l’homme qui est aujourd’hui à la tête (NDLR : Laurent Gbagbo) est un peu trop préoccupé par des problèmes, mais autour de lui, on n’a pas encore compris.

En tant que cinéaste ivoirien, qu’est-ce que cela vous fait de constater la prolifération des Telenovelas sur les antennes de la RTI?
C’est un poison. C’est une autre forme de domination. Avec les images et la vision des autres, on est en train de pourrir les Ivoiriens. Ils diffusent toujours des histoires de couple, des histoires de femme et de fesses, mais jamais un film qui nous fait avancer sur notre problème. Vous savez, notre histoire est riche. Nous avons des contes qui sont très riches ; un patrimoine culturel riche, mais pas encore exploité au cinéma. On se contente de dire : « Monsieur a cocufié Madame ; Madame a cocufié Monsieur », et puis les enfants sont là. On copie ce poison qui nous vient du Brésil.

Quelles sont donc vos propositions pour relancer le cinéma ivoirien ?
C’est de prendre les cameras et de tourner. Ma solution, depuis dix (10) ans au Palais de la Culture (NDLR : Palais de la Culture de Treichville), je ne fais que travailler pour que les enfants qui viennent chaque mercredi ou samedi au Palais, aient une autre vision de la culture. Voilà la raison d’être de l’avion du président Houphouët-Boigny, qui est là comme un appât pour attirer les enfants. C’est un symbole. Ils rentrent dans cet avion du premier magistrat de la première République de Côte d’Ivoire. On leur lit des contes pour former des acteurs, des artistes qui, j’espère, bientôt vont sortir la tête et donner une mémoire à cet espace dénommé Palais de la Culture. Allez vous promenez dans les couloirs du Palais, vous verrez des photos ; vous verrez que la Côte d’Ivoire a une histoire culturelle. Et c’est ce que j’essaie de faire à mon humble niveau.

Justement, pourquoi continuez-vous de signer les documents administratifs au Palais de la Culture, alors que vous annonciez récemment votre départ définitif de la direction générale ?
Je suis respectueux de mon pays et de ses lois. J’ai déposé ma démission auprès de celui qui m’a nommé, mais il ne m’a pas encore répondu. Alors je ne peux pas me lever et claquer la porte. Ça ne se fait pas. Quand on est dans un avion dans le ciel et qu’on a décidé de rendre sa démission, on attend que l’avion atterrisse. Mais on ne prend pas son parachute et laisser l’avion aller dans le vide. Je n’ai pas encore fait de passation de services. Tant que je n’ai pas obtenu cela, je dois continuer, par respect pour mon pays et pour les Ivoiriens, à travailler, à signer, à m’occuper du personnel et de la maison. Ce n’est pas un petit voyou qui va se lever et claquer les portes. Mais ma démission est réelle.

Le problème, c’est que d’aucuns vous reprochent de manquer de sérieux, quand vous dites que vous partez sans partir?
C’est moi qui manque de sérieux ou c’est ceux qui doivent me laisser la liberté de partir qui manquent de sérieux. Posez-vous la question. J’ai plusieurs fois demandé au ministre de la culture de me présenter quelqu’un à qui je vais donner la relève, mais jamais cela n’a été fait. Evidemment le ministre ne peut pas le faire parce que j’ai été nommé par le président de la République. Or, au niveau du président, silence totale. Allez-y poser la question au président de la République, pourquoi il ne me laisse pas partir. Ce n’est pas parce que je manque de sérieux. Au contraire, je suis très respectueux de mon pays et de l’homme qui m’a nommé. Ce que je peux dire, c’est que les Ivoiriens sont aussi responsables de mon départ. Sur dix (10) créations en 10 ans, je n’ai pas vu d’Ivoiriens. Les salles sont toujours restées vides. Cela même peut motiver un homme à dire : « Vous ne voulez pas de ce que je vous apporte. Je peux m’en aller ». C’est aux Ivoiriens que je pose ma question. Est-ce qu’ils avaient vraiment besoin de Sidika Bakaba ? 10 ans de création, 45 ans de carrière. Ouvrez Google et vous verrez 56 pages de ma carrière. Moi, j’aime mon pays. J’ai donné le meilleur de moi, mais les Ivoiriens ne sont pas venus me soutenir
Réalisé à Yamoussoukro par David Yala
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