L’Union Africaine (UA) a vu le jour en juillet 2002 à Durban (Afrique du Sud) et essaie, depuis lors, de proposer une approche plus pragmatique et dynamique du panafricanisme. Il est encore trop tôt pour dresser un bilan exhaustif de l’action de l’UA, mais l’on peut déjà s’interroger, huit ans après sa création : l’UA porte-t-elle toujours l’espoir de l’unité africaine ? Trois domaines en sont les clés : la maîtrise des questions politiques, la problématique de la paix et de la sécurité, et la question du développement.
Les questions politiques
• De la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme
L’absence d’un environnement démocratique constitua un des principaux obstacles au progrès du panafricanisme pendant près de trois décennies. Cependant, la fin de la guerre froide qui avait encouragé les régimes autoritaires, les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) et le discours de la Baule vont contraindre les Africains à accepter l’instauration de la démocratie, afin de donner une impulsion nouvelle au développement du continent. C’est dans cette optique que l’OUA décida à Alger en 1999, de ne plus accepter, en son sein, les régimes qui accèdent au pouvoir par des “moyens anticonstitutionnels”. Quand l’Union africaine fut mise sur pied, elle reprit à son compte cette disposition afin de promouvoir la bonne gouvernance, la démocratie et l’unité africaine.
Huit ans après, le bilan de l’application de cette disposition, censée favoriser la démocratie, est plus que mitigé. Les régimes anticonstitutionnels sont certes exclus temporairement des sommets de l’UA, des missions sont même envoyées sur place pour “évaluer” la situation et discuter avec le nouveau régime des moyens du retour à la légalité constitutionnelle. Quelquefois, ils sont condamnés et menacés de sanctions. Cependant, cette disposition n’a pas constitué un obstacle infranchissable dans la mesure où elle ne visait que le classique coup d’Etat militaire.
Or depuis 2002, l’UA a découvert qu’il existait une gamme variée de procédés anticonstitutionnels permettant l’accès au pouvoir. Ce sont, sans que cela soit exhaustif, le classique coup d’Etat militaire, les élections truquées de manière flagrante, l’insurrection armée, le coup d’Etat suivi d’élections gagnées d’avance, le coup d’Etat civilo-militaire précédé de manifestations de rue (Madagascar), les modifications constitutionnelles avalisées par des référendums tout aussi douteux, la dissolution des organes constitutionnels ou le vote de lois permettant d’éliminer des candidats. Faute d’avoir défini clairement ce qu’elle entendait par “moyens anticonstitutionnels” (en fait, elle ne pensait qu’au coup d’Etat classique), l’UA éprouve beaucoup de difficultés à être conséquente avec elle-même. C’est ainsi qu’elle est impuissante à condamner ces modifications anticonstitutionnelles permettant à des présidents en fin de mandat de briguer à nouveau la magistrature suprême (Algérie, Burkina Faso, Gabon, Guinée, Niger, Tunisie, Tchad, etc.). Les présidents réélus dans les conditions antidémocratiques décrites plus haut continuent pourtant de siéger à l’UA. Quant aux élections, l’UA n’a pas vraiment de prise sur elles. Certes, elle envoie régulièrement des observateurs et fait des “recommandations” ; mais en règle générale, elle prend “acte” du résultat et ne prendra jamais le risque de ne pas reconnaitre un régime qui se serait imposé par des moyens frauduleux.
Concernant donc la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance, le bilan de l’UA est mi-figue mi-raisin. Les membres de l’UA ne marchent pas au même rythme. Alors que certains déploient des efforts pour promouvoir de véritables démocraties (Afrique du sud, Botswana, Benin, Ghana, Ile Maurice, Mali, Nigeria, Sénégal, Tanzanie, etc.) d’autres pays (Cameroun, Djibouti, Egypte, Libye, Tunisie, Tchad, Niger, etc.) font le contraire.
De même, la question des droits de l’homme sur le continent reste préoccupante. Les graves crimes commis au Darfour, en Somalie, en Guinée, en République Démocratique du Congo (RDC), l’assassinat du président Vieira en Guinée-Bissau, les graves violences de Madagascar, l’incapacité à juger les anciens chefs de guerre (Hissène Habré, Charles Taylor) ayant commis de graves crimes indiquent que dans le domaine du respect des droits de l’homme, une des priorités de l’UA, il y a encore du chemin à faire.
• La question des clivages
L’UA a hérité de la tradition des clivages qui existaient autrefois à l’OUA. D’idéologiques, ils sont devenus régionaux, linguistiques ou même religieux avec pour principal résultat de gêner l’action de l’UA sur certains dossiers. Certes, ces clivages ne sont pas institutionnels mais leur fréquence affaiblit l’UA à propos de l’examen de grands dossiers. Pour l’heure, deux sont plus particulièrement visibles.
Le premier clivage date de l’époque de l’OUA. Il s’agit de l’opposition entre deux groupes de pays sur la question du Sahara Occidental. Depuis 1984, deux groupes de pays, dirigés respectivement par l’Algérie (elle soutient la République arabe sahraoui démocratique (RASD) et le Maroc qui revendique ce territoire, s’affrontent régulièrement pour ou contre son admission dans l’organisation panafricaine. Cette situation empêche l’UA, comme au temps de l’OUA, d’adopter une position commune et de peser sur le règlement de cette question. Le dossier a été confié au Nations Unies.
Le second clivage qui apparaît de manière récurrente est celui qui oppose assez souvent un groupe de pays arabes soutenus par la Ligue arabe (Algérie, Djibouti, Egypte, Erythrée, Libye, Soudan) à des pays francophones (Burkina-Faso, Cameroun, Gabon, République du Congo) et anglophones (Botswana, Ghana, Nigéria, Ouganda, auxquels se joint le Sénégal) à propos de la question du Darfour, des relations Tchad-Soudan, du déploiement des casques bleus. Les priorités sont divergentes. Alors que les pays arabes privilégient la médiation de Tripoli et sont réticents au déploiement des casques bleus, les francophones s’inquiètent de l’extension de l’influence soudanaise en Afrique centrale. Ils appuient le Tchad et l’action de l’ONU. Les anglophones sont pour une prise en charge multilatérale de ces questions à travers l’Union Africaine ou l’ONU. A y regarder de près, on a l’impression d’assister à une opposition entre Arabes et Africains.
• L’ingérence des grandes puissances
Un des principaux facteurs bloquant la construction du panafricanisme fut l’ingérence des grandes puissances dans les affaires du continent africain. A la fin de la guerre froide, cette ingérence a fortement diminué avec la montée en puissance d’une nouvelle génération de chefs d’Etat africains plus critiques sur les relations avec l’Occident. Des pôles régionaux comme l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Nigeria, l’Ethiopie, l’Ouganda et le Rwanda veulent peser de plus en plus sur les grands dossiers africains en proposant des solutions africaines à la communauté internationale, …au risque de heurter la sensibilité de certaines puissances encore trop attachées aux pratiques anciennes de diktat de leur politique aux Etats africains. Certaines d’entre elles, notamment la France de Jacques Chirac, exercent encore leur influence sur certains de leurs alliés africains comme le Burkina-Faso, le Congo-Brazzaville, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Nigéria, le Sénégal et le Togo. Membres éminents de l’Union africaine et de la CEDEAO, ces pays ont “conditionné” ces deux organisations en leur inspirant des décisions “concoctées” par l’Elysée sur la crise ivoirienne.
Paix et sécurité
Tout comme la démocratie, la paix et la sécurité ont été identifiées par la Charte constitutive de l’UA comme une de ses priorités. Ce choix n’était pas fortuit pour trois raisons majeures. La première tenait au fait que pendant près de trente ans, le continent africain avait connu un grand nombre de conflits armés - vingt-huit guerres civiles et une dizaine de conflits interétatiques avec leur lot d’atrocités, de morts, de blessés et d’handicapés.
En deuxième lieu, l’évolution de l’environnement international (chute du mur de Berlin, implosion de l’URSS, fin de la guerre froide et de l’apartheid), fait réviser la politique des grandes puissances envers l’Afrique : elles ne l’abandonnent pas, mais décident de ne plus se mêler de conflits aux logiques ethnique et tribale ne menaçant pas leurs intérêts stratégiques sur le continent. L’Afrique se trouve donc placée devant ses propres responsabilités : de trouver elle-même des solutions à ses propres conflits. Avec le lancement du processus démocratique qui augmente les risques de déstabilisation des Etats dans un contexte économique difficile, l’UA prend conscience des défis à relever.
Enfin, en troisième lieu, l’ancien mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, mis au point par l’OUA en juin 1993 au Caire, n’a pu ni prévenir ni régler les conflits burundais, congolais, bissau-guinéen, somalien et rwandais. L’UA se devait de repenser toute la stratégie du panafricanisme puisqu’il était devenu évident que le développement et l’unité africaine ne pouvaient se concevoir dans l’insécurité et le chaos. C’est pourquoi, l’Union Africaine qui voit le jour le 9 juillet 2002 à Durban en Afrique du sud décide de se doter d’un instrument de maintien de la paix et de sécurité : c’est le Conseil de paix et de sécurité, créé le 28 février 2004. Quelques principes en règlent le mécanisme : le règlement pacifique des différends et des conflits, ainsi que la réaction rapide pour maîtriser les situations de crise avant qu’elles ne se transforment en conflits ouverts.
L’innovation la plus originale reste l’intervention du CPS de l’UA dans un Etat membre dans des circonstances graves comme les crimes de guerre, le génocide, les crimes contre l’humanité. Pour atteindre ses objectifs, le CPS s’est doté de trois principales structures qui sont : l’Organe central du CPS ; le président de la commission qui peut user de ses bons offices pour prévenir ou régler un conflit ; et le groupe des “sages” composé de cinq personnalités africaines hautement respectées et dont le rôle est d’améliorer la diplomatie préventive en venant en appui aux efforts du CPS et à ceux du président de la commission.
Conscient que ses moyens sont limités et qu’il ne peut être efficace en travaillant seul, le CPS a développé une stratégie à deux niveaux. Le premier comporte deux volets : un volet diplomatique d’une part (il s’agit de parvenir à un accord durable qui conviendrait à toutes les parties) et un volet opérationnel d’autre part, avec des missions de terrain (opérations de maintien de la paix, observations et surveillances). C’est sur cette base que le CPS s’est impliqué dans les négociations au Darfour et en Côte d’Ivoire et a déployé une mission africaine au Darfour (AMIS, 6 juillet 2004).
Quant au second niveau, il a trait à la collaboration avec les organisations sous-régionale, régionale, continentale ou à vocation universelle. Pour l’UA, il s’agit de créer les conditions pour la réussite d’une intervention en sollicitant l’expertise et l’expérience des pays membres de l’organisation sous-régionale (cas de la CEDEAO en Côte d’Ivoire), d’en rechercher les financements et l’appui diplomatique nécessaires à la réussite des missions sur le terrain.
L’ensemble de cette stratégie a donné d’assez bons résultats, comme en témoignent ces principaux aspects :
– Multiplication des initiatives de paix au Burundi (MIAB), en Côte d’Ivoire et au Darfour (AMIS).
– Plus grande rapidité dans l’examen des situations conflictuelles.
– Discussions franches, prise de décision rapide.
– Organisation d’activités de soutien à la paix.
– Médiations.
– Mobilisation des ressources.
Cependant, il subsiste encore bien des problèmes à résoudre, comme : l’incapacité à collecter des informations objectives sur le terrain (elles proviennent souvent d’ONG ou de la presse internationale), l’insuffisante préparation des réunions, l’absence de spécialistes des conflits parmi les diplomates chargés plus spécialement de les gérer, l’absence aussi de suivi des décisions, et enfin les faibles capacités d’intervention.
Malgré tout, le CPS a obtenu des résultats significatifs donnant à penser que la paix et la sécurité demeurent des priorités de l’UA.
La question du développement
Le NEPAD2 constitue un cadre de référence pour l’Union africaine et le partenariat international. Il se situe sur un horizon de long terme (10 à 15 ans) et met l’accent sur la contribution du secteur privé en appui aux cinq grandes régions de l’Union africaine. Il privilégie l’appropriation du processus de développement par les Africains et vise à un nouveau partenariat fondé sur la responsabilité partagée et l’intérêt mutuel. Le MAEP (Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs), pierre angulaire du NEPAD et gage de sa crédibilité, a été effectivement mis en place : ce sont les pays africains eux-mêmes, qui identifient, évaluent et financent les projets d’investissement communs. Plusieurs interrogations subsistent toutefois quant à l’avenir du NEPAD :
– L’objectif de croissance fixé à 7% parait excessivement ambitieux comparé aux taux de croissance observés, plus proches de 3 ou 4%. La priorité accordée aux infrastructures requiert non seulement des financements d’investissement onéreux mais suppose également des charges récurrentes dans les budgets courants.
– L’accent est mis sur les exportations comme facteur de croissance. Or, seules une remontée en gamme d’une part, et une diversification des produits exportés d’autre part, peuvent favoriser une croissance durable.
– Les besoins financiers annuels pour assurer les objectifs du NEPAD sont estimés à 60 milliards de dollars, soit plus de deux fois le montant annuel de l’APD et des IDE dont bénéficie l’Afrique.
– Le NEPAD concerne l’ensemble de l’Afrique (et cela fait son originalité) et est en cohérence avec la mise en œuvre de l’Union Africaine. Cependant, on peut douter des relations effectives entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, ainsi qu’entre les grandes puissances africaines que sont plus particulièrement l’Afrique du Sud et le Nigeria, et les “petits” Etats.
– Le NEPAD fait référence aux organisations officielles alors que l’on sait les nombreuses limites qui sont les leurs...
Au delà des proclamations, l’intérêt pour le NEPAD n’est pas aussi évident à cause de la persistance de certaines pratiques propres aux Africains. Le Bureau du NEPAD d’Afrique australe a ainsi dépensé plus de 15 millions de dollars pour financer des ateliers, séminaires et missions. Un des promoteurs du NEPAD, en l’occurrence le président Wade du Sénégal, a dépensé de son côté, 15 milliards de FCFA pour la “statue de la renaissance africaine” inaugurée en grande pompe. Les taux de croissance des économies africaines restent médiocres tandis que la pauvreté s’est aggravée. A l’heure actuelle, le NEPAD, apparaît comme un programme ambitieux au regard des tendances passées et des prévisions. Mais il manque de crédibilité et de légitimité vis-à-vis des différents Etats africains et des agents de la société civile.
•
Au total, l’UA s’est approfondie sur le plan institutionnel (Assemblée, Conseil exécutif, Comité des représentants permanents et Commission), et s’est transformée d’organisation de coordination en institution d’intégration. Le plan d’action adopté le 12 octobre 2004 renforce cette tendance avec l’identification des axes prioritaires.
Mais, malgré ces progrès, l’UA manque de financement et de consensus. En plus des clivages et des antagonismes politiques entre les Etats membres, elle reste impuissante à régler certains conflits (Casamance, Cabinda, RDC, Somalie). Du chemin a certes été parcouru. Il appartient aux Africains de redoubler d’efforts pour concrétiser le rêve de l’unité africaine qui reste un processus long et complexe, impossible à réaliser en huit ans. Il n’y a pas lieu d’être pessimiste.
KOUASSI YAO, Université de Cocody
Si l’on observe en 2010 les caractéristiques démographiques de la population africaine sub-saharienne, l’une des premières remarques que l’on peut faire est la jeunesse de celle-ci. Selon les projections, 63% de cette population a moins de 25 ans tandis que 20,4% couvre la tranche de 15 à 24 ans. Cinq ans avant, c’est-à-dire en 2005, 56% de la population ouest-africaine, avait moins de 20 ans et 65%, soit près des deux tiers, moins de 25 ans. Si l’on repousse l’âge de la jeunesse à 30 ans, comme c’est le cas dans bien des pays africains, on se rend compte que la population africaine est jeune à plus de 70% et qu’elle s’est accrue de manière exponentielle, en plusieurs années, à l’inverse des richesses, des revenus nationaux et des infrastructures de développement. Une telle réalité soulève des interrogations sur la manière dont les jeunes sont pris en compte dans les politiques nationales, et participent au développement des Etats africains.
Les décennies de l’abondance…1960 à 1980
De nombreux pays africains ont connu leur indépendance dans la même décennie des années soixante, marquée par les pères fondateurs. Et pendant deux décennies, la plupart ont connu une situation économique favorable. Les populations étaient moins nombreuses et beaucoup d’acquis de la colonisation existaient encore. L’école, donc la formation, et l’accès à l’emploi n’étaient par conséquent pas un souci pour les personnes actives. Les nombreux postes abandonnés par les colons, le nombre réduit de diplômés ou de personnes qualifiées, de même que la mise en place des administrations ont favorisé la création de nombreux emplois. Toutes les personnes qualifiées ou diplômées, les jeunes en particulier, avaient accès à un emploi. C’est « l’époque de l’administration ou du fonctionnariat » ; les jeunes qualifiés sont recrutés dans leur quasi-totalité au sein des différentes administrations émergentes. Les élèves, surtout les étudiants, bénéficient d’un traitement privilégié : existence de logements, de bourses alimentaires et de formation, excellentes conditions de travail, etc.
Les questions politiques
• De la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme
L’absence d’un environnement démocratique constitua un des principaux obstacles au progrès du panafricanisme pendant près de trois décennies. Cependant, la fin de la guerre froide qui avait encouragé les régimes autoritaires, les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) et le discours de la Baule vont contraindre les Africains à accepter l’instauration de la démocratie, afin de donner une impulsion nouvelle au développement du continent. C’est dans cette optique que l’OUA décida à Alger en 1999, de ne plus accepter, en son sein, les régimes qui accèdent au pouvoir par des “moyens anticonstitutionnels”. Quand l’Union africaine fut mise sur pied, elle reprit à son compte cette disposition afin de promouvoir la bonne gouvernance, la démocratie et l’unité africaine.
Huit ans après, le bilan de l’application de cette disposition, censée favoriser la démocratie, est plus que mitigé. Les régimes anticonstitutionnels sont certes exclus temporairement des sommets de l’UA, des missions sont même envoyées sur place pour “évaluer” la situation et discuter avec le nouveau régime des moyens du retour à la légalité constitutionnelle. Quelquefois, ils sont condamnés et menacés de sanctions. Cependant, cette disposition n’a pas constitué un obstacle infranchissable dans la mesure où elle ne visait que le classique coup d’Etat militaire.
Or depuis 2002, l’UA a découvert qu’il existait une gamme variée de procédés anticonstitutionnels permettant l’accès au pouvoir. Ce sont, sans que cela soit exhaustif, le classique coup d’Etat militaire, les élections truquées de manière flagrante, l’insurrection armée, le coup d’Etat suivi d’élections gagnées d’avance, le coup d’Etat civilo-militaire précédé de manifestations de rue (Madagascar), les modifications constitutionnelles avalisées par des référendums tout aussi douteux, la dissolution des organes constitutionnels ou le vote de lois permettant d’éliminer des candidats. Faute d’avoir défini clairement ce qu’elle entendait par “moyens anticonstitutionnels” (en fait, elle ne pensait qu’au coup d’Etat classique), l’UA éprouve beaucoup de difficultés à être conséquente avec elle-même. C’est ainsi qu’elle est impuissante à condamner ces modifications anticonstitutionnelles permettant à des présidents en fin de mandat de briguer à nouveau la magistrature suprême (Algérie, Burkina Faso, Gabon, Guinée, Niger, Tunisie, Tchad, etc.). Les présidents réélus dans les conditions antidémocratiques décrites plus haut continuent pourtant de siéger à l’UA. Quant aux élections, l’UA n’a pas vraiment de prise sur elles. Certes, elle envoie régulièrement des observateurs et fait des “recommandations” ; mais en règle générale, elle prend “acte” du résultat et ne prendra jamais le risque de ne pas reconnaitre un régime qui se serait imposé par des moyens frauduleux.
Concernant donc la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance, le bilan de l’UA est mi-figue mi-raisin. Les membres de l’UA ne marchent pas au même rythme. Alors que certains déploient des efforts pour promouvoir de véritables démocraties (Afrique du sud, Botswana, Benin, Ghana, Ile Maurice, Mali, Nigeria, Sénégal, Tanzanie, etc.) d’autres pays (Cameroun, Djibouti, Egypte, Libye, Tunisie, Tchad, Niger, etc.) font le contraire.
De même, la question des droits de l’homme sur le continent reste préoccupante. Les graves crimes commis au Darfour, en Somalie, en Guinée, en République Démocratique du Congo (RDC), l’assassinat du président Vieira en Guinée-Bissau, les graves violences de Madagascar, l’incapacité à juger les anciens chefs de guerre (Hissène Habré, Charles Taylor) ayant commis de graves crimes indiquent que dans le domaine du respect des droits de l’homme, une des priorités de l’UA, il y a encore du chemin à faire.
• La question des clivages
L’UA a hérité de la tradition des clivages qui existaient autrefois à l’OUA. D’idéologiques, ils sont devenus régionaux, linguistiques ou même religieux avec pour principal résultat de gêner l’action de l’UA sur certains dossiers. Certes, ces clivages ne sont pas institutionnels mais leur fréquence affaiblit l’UA à propos de l’examen de grands dossiers. Pour l’heure, deux sont plus particulièrement visibles.
Le premier clivage date de l’époque de l’OUA. Il s’agit de l’opposition entre deux groupes de pays sur la question du Sahara Occidental. Depuis 1984, deux groupes de pays, dirigés respectivement par l’Algérie (elle soutient la République arabe sahraoui démocratique (RASD) et le Maroc qui revendique ce territoire, s’affrontent régulièrement pour ou contre son admission dans l’organisation panafricaine. Cette situation empêche l’UA, comme au temps de l’OUA, d’adopter une position commune et de peser sur le règlement de cette question. Le dossier a été confié au Nations Unies.
Le second clivage qui apparaît de manière récurrente est celui qui oppose assez souvent un groupe de pays arabes soutenus par la Ligue arabe (Algérie, Djibouti, Egypte, Erythrée, Libye, Soudan) à des pays francophones (Burkina-Faso, Cameroun, Gabon, République du Congo) et anglophones (Botswana, Ghana, Nigéria, Ouganda, auxquels se joint le Sénégal) à propos de la question du Darfour, des relations Tchad-Soudan, du déploiement des casques bleus. Les priorités sont divergentes. Alors que les pays arabes privilégient la médiation de Tripoli et sont réticents au déploiement des casques bleus, les francophones s’inquiètent de l’extension de l’influence soudanaise en Afrique centrale. Ils appuient le Tchad et l’action de l’ONU. Les anglophones sont pour une prise en charge multilatérale de ces questions à travers l’Union Africaine ou l’ONU. A y regarder de près, on a l’impression d’assister à une opposition entre Arabes et Africains.
• L’ingérence des grandes puissances
Un des principaux facteurs bloquant la construction du panafricanisme fut l’ingérence des grandes puissances dans les affaires du continent africain. A la fin de la guerre froide, cette ingérence a fortement diminué avec la montée en puissance d’une nouvelle génération de chefs d’Etat africains plus critiques sur les relations avec l’Occident. Des pôles régionaux comme l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Nigeria, l’Ethiopie, l’Ouganda et le Rwanda veulent peser de plus en plus sur les grands dossiers africains en proposant des solutions africaines à la communauté internationale, …au risque de heurter la sensibilité de certaines puissances encore trop attachées aux pratiques anciennes de diktat de leur politique aux Etats africains. Certaines d’entre elles, notamment la France de Jacques Chirac, exercent encore leur influence sur certains de leurs alliés africains comme le Burkina-Faso, le Congo-Brazzaville, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Nigéria, le Sénégal et le Togo. Membres éminents de l’Union africaine et de la CEDEAO, ces pays ont “conditionné” ces deux organisations en leur inspirant des décisions “concoctées” par l’Elysée sur la crise ivoirienne.
Paix et sécurité
Tout comme la démocratie, la paix et la sécurité ont été identifiées par la Charte constitutive de l’UA comme une de ses priorités. Ce choix n’était pas fortuit pour trois raisons majeures. La première tenait au fait que pendant près de trente ans, le continent africain avait connu un grand nombre de conflits armés - vingt-huit guerres civiles et une dizaine de conflits interétatiques avec leur lot d’atrocités, de morts, de blessés et d’handicapés.
En deuxième lieu, l’évolution de l’environnement international (chute du mur de Berlin, implosion de l’URSS, fin de la guerre froide et de l’apartheid), fait réviser la politique des grandes puissances envers l’Afrique : elles ne l’abandonnent pas, mais décident de ne plus se mêler de conflits aux logiques ethnique et tribale ne menaçant pas leurs intérêts stratégiques sur le continent. L’Afrique se trouve donc placée devant ses propres responsabilités : de trouver elle-même des solutions à ses propres conflits. Avec le lancement du processus démocratique qui augmente les risques de déstabilisation des Etats dans un contexte économique difficile, l’UA prend conscience des défis à relever.
Enfin, en troisième lieu, l’ancien mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, mis au point par l’OUA en juin 1993 au Caire, n’a pu ni prévenir ni régler les conflits burundais, congolais, bissau-guinéen, somalien et rwandais. L’UA se devait de repenser toute la stratégie du panafricanisme puisqu’il était devenu évident que le développement et l’unité africaine ne pouvaient se concevoir dans l’insécurité et le chaos. C’est pourquoi, l’Union Africaine qui voit le jour le 9 juillet 2002 à Durban en Afrique du sud décide de se doter d’un instrument de maintien de la paix et de sécurité : c’est le Conseil de paix et de sécurité, créé le 28 février 2004. Quelques principes en règlent le mécanisme : le règlement pacifique des différends et des conflits, ainsi que la réaction rapide pour maîtriser les situations de crise avant qu’elles ne se transforment en conflits ouverts.
L’innovation la plus originale reste l’intervention du CPS de l’UA dans un Etat membre dans des circonstances graves comme les crimes de guerre, le génocide, les crimes contre l’humanité. Pour atteindre ses objectifs, le CPS s’est doté de trois principales structures qui sont : l’Organe central du CPS ; le président de la commission qui peut user de ses bons offices pour prévenir ou régler un conflit ; et le groupe des “sages” composé de cinq personnalités africaines hautement respectées et dont le rôle est d’améliorer la diplomatie préventive en venant en appui aux efforts du CPS et à ceux du président de la commission.
Conscient que ses moyens sont limités et qu’il ne peut être efficace en travaillant seul, le CPS a développé une stratégie à deux niveaux. Le premier comporte deux volets : un volet diplomatique d’une part (il s’agit de parvenir à un accord durable qui conviendrait à toutes les parties) et un volet opérationnel d’autre part, avec des missions de terrain (opérations de maintien de la paix, observations et surveillances). C’est sur cette base que le CPS s’est impliqué dans les négociations au Darfour et en Côte d’Ivoire et a déployé une mission africaine au Darfour (AMIS, 6 juillet 2004).
Quant au second niveau, il a trait à la collaboration avec les organisations sous-régionale, régionale, continentale ou à vocation universelle. Pour l’UA, il s’agit de créer les conditions pour la réussite d’une intervention en sollicitant l’expertise et l’expérience des pays membres de l’organisation sous-régionale (cas de la CEDEAO en Côte d’Ivoire), d’en rechercher les financements et l’appui diplomatique nécessaires à la réussite des missions sur le terrain.
L’ensemble de cette stratégie a donné d’assez bons résultats, comme en témoignent ces principaux aspects :
– Multiplication des initiatives de paix au Burundi (MIAB), en Côte d’Ivoire et au Darfour (AMIS).
– Plus grande rapidité dans l’examen des situations conflictuelles.
– Discussions franches, prise de décision rapide.
– Organisation d’activités de soutien à la paix.
– Médiations.
– Mobilisation des ressources.
Cependant, il subsiste encore bien des problèmes à résoudre, comme : l’incapacité à collecter des informations objectives sur le terrain (elles proviennent souvent d’ONG ou de la presse internationale), l’insuffisante préparation des réunions, l’absence de spécialistes des conflits parmi les diplomates chargés plus spécialement de les gérer, l’absence aussi de suivi des décisions, et enfin les faibles capacités d’intervention.
Malgré tout, le CPS a obtenu des résultats significatifs donnant à penser que la paix et la sécurité demeurent des priorités de l’UA.
La question du développement
Le NEPAD2 constitue un cadre de référence pour l’Union africaine et le partenariat international. Il se situe sur un horizon de long terme (10 à 15 ans) et met l’accent sur la contribution du secteur privé en appui aux cinq grandes régions de l’Union africaine. Il privilégie l’appropriation du processus de développement par les Africains et vise à un nouveau partenariat fondé sur la responsabilité partagée et l’intérêt mutuel. Le MAEP (Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs), pierre angulaire du NEPAD et gage de sa crédibilité, a été effectivement mis en place : ce sont les pays africains eux-mêmes, qui identifient, évaluent et financent les projets d’investissement communs. Plusieurs interrogations subsistent toutefois quant à l’avenir du NEPAD :
– L’objectif de croissance fixé à 7% parait excessivement ambitieux comparé aux taux de croissance observés, plus proches de 3 ou 4%. La priorité accordée aux infrastructures requiert non seulement des financements d’investissement onéreux mais suppose également des charges récurrentes dans les budgets courants.
– L’accent est mis sur les exportations comme facteur de croissance. Or, seules une remontée en gamme d’une part, et une diversification des produits exportés d’autre part, peuvent favoriser une croissance durable.
– Les besoins financiers annuels pour assurer les objectifs du NEPAD sont estimés à 60 milliards de dollars, soit plus de deux fois le montant annuel de l’APD et des IDE dont bénéficie l’Afrique.
– Le NEPAD concerne l’ensemble de l’Afrique (et cela fait son originalité) et est en cohérence avec la mise en œuvre de l’Union Africaine. Cependant, on peut douter des relations effectives entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, ainsi qu’entre les grandes puissances africaines que sont plus particulièrement l’Afrique du Sud et le Nigeria, et les “petits” Etats.
– Le NEPAD fait référence aux organisations officielles alors que l’on sait les nombreuses limites qui sont les leurs...
Au delà des proclamations, l’intérêt pour le NEPAD n’est pas aussi évident à cause de la persistance de certaines pratiques propres aux Africains. Le Bureau du NEPAD d’Afrique australe a ainsi dépensé plus de 15 millions de dollars pour financer des ateliers, séminaires et missions. Un des promoteurs du NEPAD, en l’occurrence le président Wade du Sénégal, a dépensé de son côté, 15 milliards de FCFA pour la “statue de la renaissance africaine” inaugurée en grande pompe. Les taux de croissance des économies africaines restent médiocres tandis que la pauvreté s’est aggravée. A l’heure actuelle, le NEPAD, apparaît comme un programme ambitieux au regard des tendances passées et des prévisions. Mais il manque de crédibilité et de légitimité vis-à-vis des différents Etats africains et des agents de la société civile.
•
Au total, l’UA s’est approfondie sur le plan institutionnel (Assemblée, Conseil exécutif, Comité des représentants permanents et Commission), et s’est transformée d’organisation de coordination en institution d’intégration. Le plan d’action adopté le 12 octobre 2004 renforce cette tendance avec l’identification des axes prioritaires.
Mais, malgré ces progrès, l’UA manque de financement et de consensus. En plus des clivages et des antagonismes politiques entre les Etats membres, elle reste impuissante à régler certains conflits (Casamance, Cabinda, RDC, Somalie). Du chemin a certes été parcouru. Il appartient aux Africains de redoubler d’efforts pour concrétiser le rêve de l’unité africaine qui reste un processus long et complexe, impossible à réaliser en huit ans. Il n’y a pas lieu d’être pessimiste.
KOUASSI YAO, Université de Cocody
Si l’on observe en 2010 les caractéristiques démographiques de la population africaine sub-saharienne, l’une des premières remarques que l’on peut faire est la jeunesse de celle-ci. Selon les projections, 63% de cette population a moins de 25 ans tandis que 20,4% couvre la tranche de 15 à 24 ans. Cinq ans avant, c’est-à-dire en 2005, 56% de la population ouest-africaine, avait moins de 20 ans et 65%, soit près des deux tiers, moins de 25 ans. Si l’on repousse l’âge de la jeunesse à 30 ans, comme c’est le cas dans bien des pays africains, on se rend compte que la population africaine est jeune à plus de 70% et qu’elle s’est accrue de manière exponentielle, en plusieurs années, à l’inverse des richesses, des revenus nationaux et des infrastructures de développement. Une telle réalité soulève des interrogations sur la manière dont les jeunes sont pris en compte dans les politiques nationales, et participent au développement des Etats africains.
Les décennies de l’abondance…1960 à 1980
De nombreux pays africains ont connu leur indépendance dans la même décennie des années soixante, marquée par les pères fondateurs. Et pendant deux décennies, la plupart ont connu une situation économique favorable. Les populations étaient moins nombreuses et beaucoup d’acquis de la colonisation existaient encore. L’école, donc la formation, et l’accès à l’emploi n’étaient par conséquent pas un souci pour les personnes actives. Les nombreux postes abandonnés par les colons, le nombre réduit de diplômés ou de personnes qualifiées, de même que la mise en place des administrations ont favorisé la création de nombreux emplois. Toutes les personnes qualifiées ou diplômées, les jeunes en particulier, avaient accès à un emploi. C’est « l’époque de l’administration ou du fonctionnariat » ; les jeunes qualifiés sont recrutés dans leur quasi-totalité au sein des différentes administrations émergentes. Les élèves, surtout les étudiants, bénéficient d’un traitement privilégié : existence de logements, de bourses alimentaires et de formation, excellentes conditions de travail, etc.