Diabagaté Ousmane, le plus ancien des ambulanciers du Service d‘Aide Médicale Urgente (Samu) s’est confié à Nord-Sud quotidien. Pour lui, ne conduit pas une ambulance qui veut.
Quand avez-vous commencé à conduire les ambulances ?
Je voudrais d’abord vous signaler que j’ai eu mon permis de conduire le 1er septembre 1967. J’avais 19 ans. J’ai été engagé au ministère des Travaux publics où j’ai exercé pendant 17 ans comme chauffeur. Ensuite, je suis venu au ministère des Affaires sociales où j’ai conduit le ministre Yaya Ouattara pendant 10 ans. Je suis arrivé au Samu en 1992.
Bien que n’ayant pas fait de longues études, vous avez choisi d’être toujours chauffeur de l’Etat au lieu de faire le transport en commun comme beaucoup de gens de votre promotion. Pourquoi ?
J’évite les ennuis. Il est mieux d’entrer à la Fonction publique pour être sûr que, chaque fin du mois, tu auras ton salaire. Aussi insignifiant que soit-il. Au niveau du transport privé, il y a beaucoup d’argent, mais l’emploi est précaire. Je n’ai jamais eu de problème à la Fonction publique jusqu’à la retraite.
Comment êtes-vous arrivé au Samu ?
J’étais au ministère des Affaires sociales et le Premier ministre de cette époque, Alassane Ouattara, a fermé ce ministère. On nous a donc tous affectés. Moi, j’ai été envoyé au Samu. Il y a longtemps que je rêvais de travailler dans ce service. J’aime sauver des vies. Quand je suis arrivé, j’étais le seul fonctionnaire-chauffeur. Les responsables m’ont fait savoir qu’il n’y avait pas de poste disponible. Le Pr Bonderant m’a mis au service de la banque de sang dont il était le directeur.
Connaissiez-vous le Samu avant d’y être ?
Oui. Je voyais régulièrement ses ambulances dans la circulation.
Comment avez-vous débuté votre carrière d’ambulancier ?
J’avoue que le premier jour n’a pas été facile. J’étais de garde et à 23 heures, il y a eu un accident sur l’autoroute du nord. Quand nous sommes arrivés et que j’ai vu mes semblables couchés, les pieds coupés, les têtes fracassées, j’étais vraiment déboussolé. J’étais tétanisé pendant plusieurs minutes. Le médecin avec lequel j’étais m’a demandé de commencer à travailler en rassemblant les pieds, les têtes et autres organes déchiquetés. Et je devais mettre les blessés d’un côté, les morts de l’autre. J’ai donc commencé à faire ce qu’il m’a dit. Mais l’habitude est venue avec le temps. Aujourd’hui quand quelqu’un lutte contre la mort à côté de moi, je sais ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire.
Comment vos parents ont-ils accueilli votre nouveau métier ?
Ils ne m’ont rien dit. Ils m’ont soutenu. Quand j’entrais au Samu, ma première épouse était déjà décédée, donc il n’y a pas eu de problème à ce niveau. J’ai épousé la deuxième pendant que j’étais déjà ambulancier, donc elle savait plus ou moins ce qui l’attendait. Je n’ai jamais eu de problème avec elle, même quand je suis de garde. Vous savez, il faut faire toujours comprendre à la femme les exigences du travail qu’on choisit. Il faut toujours dire la vérité pour éviter à la longue des problèmes.
Avec l’ambulance, il faut aller vite. A quelle vitesse roulez-vous ?
Ça dépend des malades. Avec certains, il faut rouler vite pour arriver rapidement à destination. Par contre, il faut rouler doucement quand on conduit d’autres malades. Par exemple, ceux qui ont des problèmes de cœur. Et quand c’est le cas, le médecin te dit d’aller doucement. Lorsqu’on va chercher un malade, on va plus vite. Mais, il faut faire très attention. Nous sommes confrontés à de nombreux problèmes sur la route. Même avec les sirènes, certains automobilistes ne nous cèdent pas le passage. Mais, c’est aussi la faute aux ambulanciers qui utilisent abusivement la sirène. Je leur demande d’arrêter cela. Aussi, l’ambulancier doit-il être prudent pour ne pas faire d’accident. Moi, je n’en ai jamais connu.
Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans la circulation ?
Quand nous mettons la sirène, certains automobilistes sont gentils et nous cèdent le passage. D’autres s’en foutent. Ils te disent de les ‘’enjamber’’ pour arriver vite à destination. Ils savent bien que nous allons pour sauver des vies humaines, mais cela ne leur dit rien.
Arrivez-vous à rester concentré sur la conduite tout en sachant qu’à l’arrière de la voiture, un homme ou une femme souffre et peut mourir à tout moment?
Il faut se mettre toujours à la place du malade lorsqu’on conduit l’ambulance. Il faut rester très prudent. En conduisant, tu penses à la vie de celui qui est à l’arrière. Mais tu penses aussi à la destination. C’est pourquoi il faut faire très attention.
Quel est le fait qui vous a le plus marqué ?
J’ai quitté Abidjan avec un malade pour Séguéla. C’était un malade qu’on ramenait parce qu’il était presque à la fin de sa vie. Lorsque nous sommes arrivés vers N’Zianouan (sur l’autoroute du Nord), il y avait un accident grave. Mon médecin et moi, avons décidé de marquer un arrêt pour apporter des soins aux blessés, en attendant l’arrivée des sapeurs-pompiers. Quand ceux-ci sont arrivés, le malade que nous transportions était déjà décédé. Nous sommes donc revenus avec le corps pour l’envoyer à la morgue. Selon la loi, lorsque tu conduis un malade et qu’il décède, tu n’as plus le droit de le conduire. Tu dois le ramener pour le mettre à la morgue. Cette histoire m’a marqué parce qu’on avait tout donné pour sauver ce malade, mais nous n’avons pas réussi. Je suis surtout déçu parce que nous n’avons pas pu le ramener chez lui pour qu’il y vive ses derniers instants.
Quels sont vos rapports avec les autres ambulanciers ?
Je suis en contact avec certains qui ont servi ici (ndlr : au Samu) et qui sont actuellement dans d’autres structures.
Nous avons travaillé avec des équipes et nous avons constaté que les chauffeurs aident les médecins dans leur tâche.
Après toutes ces années, qu’est-ce que vous avez appris à faire en matière de soin médical?
Je sais faire beaucoup de choses. Mais je m’abstiens. Ce n’est pas mon travail. Je suis l’ambulancier, mon rôle est de conduire la voiture.
A votre âge (il a plus de 60 ans), avez-vous encore la force de transporter un malade sur un brancard ?
Il y a beaucoup de malades qui pèsent lourd, mais il y a une technique pour soulever le brancard. Si tu la maîtrises, tu peux le faire tout seul. Ce n’est pas facile. Quelquefois, les médecins nous aident.
Jusqu’à quand comptez-vous exercer ce travail ?
J’ai déjà dépassé l’âge de la retraite. Je voulais aller me reposer, mais le patron ne l’a pas voulu. Il m’a demandé de rester pour former les jeunes qui arrivent. Je leur apprends tout ce que je sais. Je mets l’accent sur la prudence. Quand il y a une urgence, je conduis toujours.
Ne consommez-vous pas de stimulant ?
Je ne prends rien. Pas de café, ni de cola. Je suis né ainsi.
Avez-vous des enfants ?
J’ai 6 enfants. 3 garçons et 3 filles.
Que pensent-ils de votre métier ?
Ils respectent mon travail. Vous savez, les enfants d’aujourd’hui visent loin. L’un d’entre eux a le permis de conduire. J’aurais bien voulu qu’il fasse le même métier que moi, mais il ne peut pas le faire.
Il ne veut pas ou il ne peut pas ?
Il ne peut pas. Le métier est difficile. Il y a de nombreux jeunes qui arrivent ici et qui abandonnent quelques jours après. En plus de la conduite, il faut nettoyer les matelas est l’ambulance et très souvent, il y a du sang partout.
Jouez-vous la musique quand vous conduisez un malade ?
Non, je n’aime pas ça. La musique embrouille le malade. Quand je suis seul, j’écoute la radio. Même si le malade aime la musique, ce n’est pas le moment pour lui de l’écouter.
Interview réalisée par Cissé Sindou
Quand avez-vous commencé à conduire les ambulances ?
Je voudrais d’abord vous signaler que j’ai eu mon permis de conduire le 1er septembre 1967. J’avais 19 ans. J’ai été engagé au ministère des Travaux publics où j’ai exercé pendant 17 ans comme chauffeur. Ensuite, je suis venu au ministère des Affaires sociales où j’ai conduit le ministre Yaya Ouattara pendant 10 ans. Je suis arrivé au Samu en 1992.
Bien que n’ayant pas fait de longues études, vous avez choisi d’être toujours chauffeur de l’Etat au lieu de faire le transport en commun comme beaucoup de gens de votre promotion. Pourquoi ?
J’évite les ennuis. Il est mieux d’entrer à la Fonction publique pour être sûr que, chaque fin du mois, tu auras ton salaire. Aussi insignifiant que soit-il. Au niveau du transport privé, il y a beaucoup d’argent, mais l’emploi est précaire. Je n’ai jamais eu de problème à la Fonction publique jusqu’à la retraite.
Comment êtes-vous arrivé au Samu ?
J’étais au ministère des Affaires sociales et le Premier ministre de cette époque, Alassane Ouattara, a fermé ce ministère. On nous a donc tous affectés. Moi, j’ai été envoyé au Samu. Il y a longtemps que je rêvais de travailler dans ce service. J’aime sauver des vies. Quand je suis arrivé, j’étais le seul fonctionnaire-chauffeur. Les responsables m’ont fait savoir qu’il n’y avait pas de poste disponible. Le Pr Bonderant m’a mis au service de la banque de sang dont il était le directeur.
Connaissiez-vous le Samu avant d’y être ?
Oui. Je voyais régulièrement ses ambulances dans la circulation.
Comment avez-vous débuté votre carrière d’ambulancier ?
J’avoue que le premier jour n’a pas été facile. J’étais de garde et à 23 heures, il y a eu un accident sur l’autoroute du nord. Quand nous sommes arrivés et que j’ai vu mes semblables couchés, les pieds coupés, les têtes fracassées, j’étais vraiment déboussolé. J’étais tétanisé pendant plusieurs minutes. Le médecin avec lequel j’étais m’a demandé de commencer à travailler en rassemblant les pieds, les têtes et autres organes déchiquetés. Et je devais mettre les blessés d’un côté, les morts de l’autre. J’ai donc commencé à faire ce qu’il m’a dit. Mais l’habitude est venue avec le temps. Aujourd’hui quand quelqu’un lutte contre la mort à côté de moi, je sais ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire.
Comment vos parents ont-ils accueilli votre nouveau métier ?
Ils ne m’ont rien dit. Ils m’ont soutenu. Quand j’entrais au Samu, ma première épouse était déjà décédée, donc il n’y a pas eu de problème à ce niveau. J’ai épousé la deuxième pendant que j’étais déjà ambulancier, donc elle savait plus ou moins ce qui l’attendait. Je n’ai jamais eu de problème avec elle, même quand je suis de garde. Vous savez, il faut faire toujours comprendre à la femme les exigences du travail qu’on choisit. Il faut toujours dire la vérité pour éviter à la longue des problèmes.
Avec l’ambulance, il faut aller vite. A quelle vitesse roulez-vous ?
Ça dépend des malades. Avec certains, il faut rouler vite pour arriver rapidement à destination. Par contre, il faut rouler doucement quand on conduit d’autres malades. Par exemple, ceux qui ont des problèmes de cœur. Et quand c’est le cas, le médecin te dit d’aller doucement. Lorsqu’on va chercher un malade, on va plus vite. Mais, il faut faire très attention. Nous sommes confrontés à de nombreux problèmes sur la route. Même avec les sirènes, certains automobilistes ne nous cèdent pas le passage. Mais, c’est aussi la faute aux ambulanciers qui utilisent abusivement la sirène. Je leur demande d’arrêter cela. Aussi, l’ambulancier doit-il être prudent pour ne pas faire d’accident. Moi, je n’en ai jamais connu.
Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans la circulation ?
Quand nous mettons la sirène, certains automobilistes sont gentils et nous cèdent le passage. D’autres s’en foutent. Ils te disent de les ‘’enjamber’’ pour arriver vite à destination. Ils savent bien que nous allons pour sauver des vies humaines, mais cela ne leur dit rien.
Arrivez-vous à rester concentré sur la conduite tout en sachant qu’à l’arrière de la voiture, un homme ou une femme souffre et peut mourir à tout moment?
Il faut se mettre toujours à la place du malade lorsqu’on conduit l’ambulance. Il faut rester très prudent. En conduisant, tu penses à la vie de celui qui est à l’arrière. Mais tu penses aussi à la destination. C’est pourquoi il faut faire très attention.
Quel est le fait qui vous a le plus marqué ?
J’ai quitté Abidjan avec un malade pour Séguéla. C’était un malade qu’on ramenait parce qu’il était presque à la fin de sa vie. Lorsque nous sommes arrivés vers N’Zianouan (sur l’autoroute du Nord), il y avait un accident grave. Mon médecin et moi, avons décidé de marquer un arrêt pour apporter des soins aux blessés, en attendant l’arrivée des sapeurs-pompiers. Quand ceux-ci sont arrivés, le malade que nous transportions était déjà décédé. Nous sommes donc revenus avec le corps pour l’envoyer à la morgue. Selon la loi, lorsque tu conduis un malade et qu’il décède, tu n’as plus le droit de le conduire. Tu dois le ramener pour le mettre à la morgue. Cette histoire m’a marqué parce qu’on avait tout donné pour sauver ce malade, mais nous n’avons pas réussi. Je suis surtout déçu parce que nous n’avons pas pu le ramener chez lui pour qu’il y vive ses derniers instants.
Quels sont vos rapports avec les autres ambulanciers ?
Je suis en contact avec certains qui ont servi ici (ndlr : au Samu) et qui sont actuellement dans d’autres structures.
Nous avons travaillé avec des équipes et nous avons constaté que les chauffeurs aident les médecins dans leur tâche.
Après toutes ces années, qu’est-ce que vous avez appris à faire en matière de soin médical?
Je sais faire beaucoup de choses. Mais je m’abstiens. Ce n’est pas mon travail. Je suis l’ambulancier, mon rôle est de conduire la voiture.
A votre âge (il a plus de 60 ans), avez-vous encore la force de transporter un malade sur un brancard ?
Il y a beaucoup de malades qui pèsent lourd, mais il y a une technique pour soulever le brancard. Si tu la maîtrises, tu peux le faire tout seul. Ce n’est pas facile. Quelquefois, les médecins nous aident.
Jusqu’à quand comptez-vous exercer ce travail ?
J’ai déjà dépassé l’âge de la retraite. Je voulais aller me reposer, mais le patron ne l’a pas voulu. Il m’a demandé de rester pour former les jeunes qui arrivent. Je leur apprends tout ce que je sais. Je mets l’accent sur la prudence. Quand il y a une urgence, je conduis toujours.
Ne consommez-vous pas de stimulant ?
Je ne prends rien. Pas de café, ni de cola. Je suis né ainsi.
Avez-vous des enfants ?
J’ai 6 enfants. 3 garçons et 3 filles.
Que pensent-ils de votre métier ?
Ils respectent mon travail. Vous savez, les enfants d’aujourd’hui visent loin. L’un d’entre eux a le permis de conduire. J’aurais bien voulu qu’il fasse le même métier que moi, mais il ne peut pas le faire.
Il ne veut pas ou il ne peut pas ?
Il ne peut pas. Le métier est difficile. Il y a de nombreux jeunes qui arrivent ici et qui abandonnent quelques jours après. En plus de la conduite, il faut nettoyer les matelas est l’ambulance et très souvent, il y a du sang partout.
Jouez-vous la musique quand vous conduisez un malade ?
Non, je n’aime pas ça. La musique embrouille le malade. Quand je suis seul, j’écoute la radio. Même si le malade aime la musique, ce n’est pas le moment pour lui de l’écouter.
Interview réalisée par Cissé Sindou