En partageant le pouvoir avec Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara réalise un coup politique. Sur le plan de l'arithmétique électorale, il est incontestatblement gagnant puisque les deux alliés totalisent 58% des voix au premier tour. Mais l'élection présidentielle ivoirienne, inspirée du modèle français de la Cinquième République, met en action d'autres ressorts que les raisonnements purement mathématiques.
Une symbolique lourde. En mettant sous l'éteignoir le RDR, jugé trop clivant, et en se plaçant sous la bannière du RHDP, Alassane Ouattara a pour objectif de rallier mécaniquement au deuxième tour l'électorat du PDCI, qui peut lui assurer la victoire. Mais il en fait trop en plaçant l'ancien président Bédié en position de "guide suprême" et en s'installant physiquement dans le QG de l'ancien parti unique. Pour prendre une comparaison française, c'est comme si François Mitterrand, arrivé en tête de la gauche en 1981, était allé s'installer place du colonel Fabien dans le siège de son allié communiste pour livrer la bataille du second tour; ou comme si Jacques Chirac, en 1995, était parti mener campagne au QG des Balladuriens, l'un plaçant Marchais, l'autre Balladur, en position de "grand mamamouchi". En choisissant cette stratégie, le candidat du RDR risque de brouiller son image, de déstabiliser une partie de son électorat et de celui du PDCI, et de ne pas profiter entièrement de la dynamique de sa bonne campage de premier tour. Si voter pour l'un de ces deux partis, c'est "bonnet blanc et blanc bonnet", les électeurs peuvent aussi se demander pourquoi cette alliance-fusion n'a pas été mise en oeuvre avant le premier tour et pourquoi on leur demande d'aller voter au second puisque leurs états-majors politiques leur disent que les jeux seraient déjà faits sur le plan comptable. Une logique purement partisane. Pour revenir au mécanisme de cette élection présidentielle à la française, il faut rappeler que la constitution de 1958 a été élaborée pour sortir la France, en pleine guerre de décolonisation algérienne, de l'instabilité dans laquelle l'avait plongé la toute-puissance des partis. La situation ivoirienne présente quelques similitudes: le pays sort d'une crise militaro-politique de huit ans, son gouvernement est paralysé depuis plus de sept ans par les accords de Marcoussis qui ont dépouillé le président de la République d'une partie de ses prérogatives en associant non seulement au processus de pacification des mouvements rebelles fantômes (ceux de l'Ouest) mais aussi en attribuant automatiquement des postes de ministre à des partis politiques "ectoplasmiques" et sans légitimité électorale. On voit aujourd'hui que certains d'entre eux ne pèsent que quelques milliers de voix et ne représentent rien. Allassane Ouattara, en privilégiant cette alliance électoraliste avec le PDCI, mais aussi l'UDPCI et le MFA, n'a pas pris la mesure du discrédit dont souffrent ces partis dans l'opinion publique. Ils sont souvent considérés (toutes tendances confondues) comme des organismes prédateurs à l'origine de la mal-gouvernance dont souffre le pays. Il n'est pas sûr que les afficher sur le devant de sa vitrine de campagne, soit d'un fort bénéfice électoral. L'alliance du feu et de l'eau. La comparaison est certes osée mais elle supporte bien la confrontation avec les réalités politiques: le RDR est un parti jeune et dynamique qui a mené beaucoup de combats ces dernières années. Au contraire du PDCI, qui s'est souvent confiné dans un rôle de spectateur figé, à l'image de son chef Henri Konan Bédié. L'ex parti unique, constitué de baronnies septuagénaires, n'a pas su se renouveler dans un pays où les deux tiers de la population ont moins de trente ans et n'ont pas connu Félix Houphouët -Boigny (dont le portrait a failli se décrocher lors de la cérémonie d'investiture d'Alassane Ouattara). Au final, le PDCI risque d'être un boulet lourd à traîner dans l'hypothèse où le champion du RDR serait élu. La rencontre d'un homme et d'un peuple. L'élection présidentielle, ce n'est pas additionner des partis (en Côte d'Ivoire, souvent sans base vraiment militante) autour d'un projet, mais faire adhérer la majorité d'un peuple à la vision d'un homme. Dans cette optique, on rassemble son camp au premier tour et au second, on profite de la dynamique ainsi créée. La mission a été jusqu'à maintenant remplie par les deux finalistes mais les stratégies divergent désormais. Depuis plusieurs mois, Laurent Gbagbo a choisi de mettre sous éteignoir le FPI au profit d'un concept de "majorité présidentielle" aux contours assez flous. On n'entend plus les ténors de la galaxie "patriotique". Comme De Gaulle ou Mitterrand en leur temps, il mène un combat solitaire avec des thèmes de campagne forts, voulant se plaçer au dessus des partis dans une posture de rassembleur. Une chose est certaine, une campagne présidentielle ne se gagne pas en promettant seulement des emplois, des usines et des milliards (tous les candidats le font) mais en réussissant aussi à créer un lien affectif avec les électeurs. On verra au soir du 28 novembre quelle était la stratégie victorieuse.
Philippe Duval
Journaliste, auteur du livre
"Fantômes d'Ivoire"
et du documentaire télé
""Paroles d'Ivoire"
Une symbolique lourde. En mettant sous l'éteignoir le RDR, jugé trop clivant, et en se plaçant sous la bannière du RHDP, Alassane Ouattara a pour objectif de rallier mécaniquement au deuxième tour l'électorat du PDCI, qui peut lui assurer la victoire. Mais il en fait trop en plaçant l'ancien président Bédié en position de "guide suprême" et en s'installant physiquement dans le QG de l'ancien parti unique. Pour prendre une comparaison française, c'est comme si François Mitterrand, arrivé en tête de la gauche en 1981, était allé s'installer place du colonel Fabien dans le siège de son allié communiste pour livrer la bataille du second tour; ou comme si Jacques Chirac, en 1995, était parti mener campagne au QG des Balladuriens, l'un plaçant Marchais, l'autre Balladur, en position de "grand mamamouchi". En choisissant cette stratégie, le candidat du RDR risque de brouiller son image, de déstabiliser une partie de son électorat et de celui du PDCI, et de ne pas profiter entièrement de la dynamique de sa bonne campage de premier tour. Si voter pour l'un de ces deux partis, c'est "bonnet blanc et blanc bonnet", les électeurs peuvent aussi se demander pourquoi cette alliance-fusion n'a pas été mise en oeuvre avant le premier tour et pourquoi on leur demande d'aller voter au second puisque leurs états-majors politiques leur disent que les jeux seraient déjà faits sur le plan comptable. Une logique purement partisane. Pour revenir au mécanisme de cette élection présidentielle à la française, il faut rappeler que la constitution de 1958 a été élaborée pour sortir la France, en pleine guerre de décolonisation algérienne, de l'instabilité dans laquelle l'avait plongé la toute-puissance des partis. La situation ivoirienne présente quelques similitudes: le pays sort d'une crise militaro-politique de huit ans, son gouvernement est paralysé depuis plus de sept ans par les accords de Marcoussis qui ont dépouillé le président de la République d'une partie de ses prérogatives en associant non seulement au processus de pacification des mouvements rebelles fantômes (ceux de l'Ouest) mais aussi en attribuant automatiquement des postes de ministre à des partis politiques "ectoplasmiques" et sans légitimité électorale. On voit aujourd'hui que certains d'entre eux ne pèsent que quelques milliers de voix et ne représentent rien. Allassane Ouattara, en privilégiant cette alliance électoraliste avec le PDCI, mais aussi l'UDPCI et le MFA, n'a pas pris la mesure du discrédit dont souffrent ces partis dans l'opinion publique. Ils sont souvent considérés (toutes tendances confondues) comme des organismes prédateurs à l'origine de la mal-gouvernance dont souffre le pays. Il n'est pas sûr que les afficher sur le devant de sa vitrine de campagne, soit d'un fort bénéfice électoral. L'alliance du feu et de l'eau. La comparaison est certes osée mais elle supporte bien la confrontation avec les réalités politiques: le RDR est un parti jeune et dynamique qui a mené beaucoup de combats ces dernières années. Au contraire du PDCI, qui s'est souvent confiné dans un rôle de spectateur figé, à l'image de son chef Henri Konan Bédié. L'ex parti unique, constitué de baronnies septuagénaires, n'a pas su se renouveler dans un pays où les deux tiers de la population ont moins de trente ans et n'ont pas connu Félix Houphouët -Boigny (dont le portrait a failli se décrocher lors de la cérémonie d'investiture d'Alassane Ouattara). Au final, le PDCI risque d'être un boulet lourd à traîner dans l'hypothèse où le champion du RDR serait élu. La rencontre d'un homme et d'un peuple. L'élection présidentielle, ce n'est pas additionner des partis (en Côte d'Ivoire, souvent sans base vraiment militante) autour d'un projet, mais faire adhérer la majorité d'un peuple à la vision d'un homme. Dans cette optique, on rassemble son camp au premier tour et au second, on profite de la dynamique ainsi créée. La mission a été jusqu'à maintenant remplie par les deux finalistes mais les stratégies divergent désormais. Depuis plusieurs mois, Laurent Gbagbo a choisi de mettre sous éteignoir le FPI au profit d'un concept de "majorité présidentielle" aux contours assez flous. On n'entend plus les ténors de la galaxie "patriotique". Comme De Gaulle ou Mitterrand en leur temps, il mène un combat solitaire avec des thèmes de campagne forts, voulant se plaçer au dessus des partis dans une posture de rassembleur. Une chose est certaine, une campagne présidentielle ne se gagne pas en promettant seulement des emplois, des usines et des milliards (tous les candidats le font) mais en réussissant aussi à créer un lien affectif avec les électeurs. On verra au soir du 28 novembre quelle était la stratégie victorieuse.
Philippe Duval
Journaliste, auteur du livre
"Fantômes d'Ivoire"
et du documentaire télé
""Paroles d'Ivoire"