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Politique Publié le mardi 23 novembre 2010 | Le Patriote

Contribution/Voter Laurent Gbagbo, c’est voter contre la démocratie, pour l’exclusion, le chaos économique et le KO diplomatique

© Le Patriote Par DR
Lancement de la campagne du candidat LMP : Laurent Gbagbo à Agboville
Dimanche 21 novembre 2010. Agboville, Place de la Paix. Meeting du candidat Laurent Gbagbo
A l’occasion de la présidentielle 2010, après dix années passées au pouvoir, Gbagbo ne recueille que 1.756.504 voix contre 2.646.623 voix pour ses deux principaux concurrents (Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara), tous deux leaders du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et pour la paix (RHDP). En 1990, Gbagbo était dans l’opposition ; en 2000, il était parvenu, avec Robert Gueï, à écarter de la présidentielle les deux poids lourds politiques, Bédié et Ouattara ; en 2010, il est au pouvoir. Il n’est pas nécessaire d’être un analyste chevronné pour constater que Gbagbo n’a pas d’électorat et que son accession au pouvoir, en 2000, est le résultat d’un accident de l’Histoire.

Un accident tellement dramatique qu’il est mis en ballottage pour la présidentielle 2010 alors qu’il est le candidat sortant et qu’il a été le maître du calendrier électoral.

C’est que, non seulement, Gbagbo n’a pas d’ancrage idéologique ni politique en Côte d’Ivoire ; mais, plus encore, qu’après dix années au pouvoir, il n’a pas de bilan. Faut-il s’en étonner ? Alors qu’il voulait être Léopold Sédar Senghor (« être instruit et être président »), Gbagbo va se consacrer, en France, au « gauchisme » prochinois avant de choisir la voie « du socialisme et de la démocratie » au début des années 1980 quand Moscou et Pékin ne sont plus, depuis longtemps déjà, des raisons d’espérer. Quand le mur de Berlin va s’écrouler, à l’instar de beaucoup de pays d’Afrique noire francophone, il ne va cesser de réclamer l’instauration du multipartisme. Jusqu’à ce que l’opportunité lui soit offerte, en 2000, de se comporter en maître d’un pays soumis à un parti unique, ayant empêché, lors de cette confrontation électorale, la participation des partis historiques de la Côte d’Ivoire. Stalinien un jour, stalinien toujours ? Ce n’est pas sûr. Gbagbo n’évoque plus ni Marx ni Lénine, moins encore Staline et Mao Tsé Toung, mais Dieu. Sa femme, Simone Gbagbo, écrivait le mercredi 6 décembre 2006, qu’il « œuvrait uniquement pour amener à l’existence une vision que Dieu à inscrite derrière ses paupières ». Nous ne sommes plus dans le domaine du politique ; nous sommes dans le domaine du mystique. « Le peuple aime qu’on l’aime, qu’on l’écoute, qu’on aille vers lui, qu’on s’offre à lui », dit-il (Jeune Afrique du 17 octobre 2010). Nous sommes dans le règne du mysticisme-populiste !

Le refus de la réalité. C’était déjà la caractéristique de Gbagbo quand il avait choisi d’être « mao » alors que les Chinois n’étaient pas encore en Afrique (et encore moins en France). Et quand François Soudan lui demandait récemment (Jeune Afrique du 17 octobre 2010) si « Dieu vote Laurent Gbagbo », Gbagbo a répondu : « Je prie beaucoup, mais nul sauf son fils, Jésus, n’a jamais vu Dieu ». On peut penser que tout cela est anecdotique, ou relève du dialogue de l’individu avec lui-même. Certes, sauf que la Côte d’Ivoire est une république laïque et multiconfessionnelle et que cette suite incohérente d’engagements personnels de Gbagbo est l’expression des contradictions dans lesquelles il ne cesse de se débattre.

Gbagbo n’était pas prêt en 2000 a assumer un pouvoir pour lequel il n’avait ni programme (autre qu’une certaine vision du monde), ni « personnel politique » (si ce n’est des militants du FPI qui n’étaient que cela et rien d’autre), ni expérience nationale ou internationale. Il avait été professeur et leader d’une organisation politique minoritaire. Son échec vient de là.

Elu par la force des choses sur la base de l’exclusion des autres, il va entreprendre de gouverner en excluant. Dès lors, la liste est longue des dérives qui vont marquer son mandat : charnier de Yopougon, « escadrons de la mort », assassinats politiques, mise au pas des médias, liquidation de journalistes (avec, notamment, la mort de deux journalistes français), spoliation des populations dites « étrangères », corruption, clientélisme économique, connexions mafieuses (qui conduiront au drame de la pollution mortelle due aux déchets transportés par le Probo Koala), isolement diplomatique en Afrique et dans le monde…

Elu dans des conditions détestables et contestables pour cinq ans, il va s’accrocher au pouvoir par tous les moyens. Il y est depuis dix ans. On aurait pu penser que cette décennie passée à la tête de l’Etat lui aurait apporté l’expérience et la réflexion nécessaires à l’inflexion de son action. Il n’en est rien. « J’y suis, j’y reste », a-t-il affirmé à Jeune Afrique (17 octobre 2010), ajoutant : « un jour, je transmettrai le flambeau à quelqu’un de plus jeune que moi ». Ce ne saurait être le discours d’un « démocrate », encore moins d’un « socialiste ». « L’important, pour lui, a-t-il déclaré au Journal du Dimanche du 31 octobre 2010, est qu’au final je remporte cette élection ». Il ajoutera, dans ce même hebdomadaire français : « nous payons (la rébellion) pour avoir la paix, la tranquillité, et que l’on puisse aller aux élections ». Une fois élu, que fera-t-il ? « Faites vos bagages et foutez le camp ! » dira-t-il à ceux du « Nord »

Félix Houphouët-Boigny se voulait l’homme du dialogue. Gbagbo veut être celui de l’exclusion. Parce qu’il est socialement et politiquement minoritaire dans le pays et que pour perdurer au pouvoir, il est obligé d’exclure tous ceux qui s’opposent à sa politique. La meilleure preuve en est qu’il y avait 3,5 millions d’électeurs en 1985 et 4,4 millions en 1990 (soit + 900.000 en l’espace de cinq ans). En 2010, ils ne sont que 5,7 millions, c’est-à-dire que la progression n’a été que de 1,3 million d’électeurs en l’espace de vingt ans!

La Côte d’Ivoire n’est pas la Guinée ou le Togo. Ce pays occupe au sein de l’ensemble ouest-africain une position économique et sociale dominante. Son président a non seulement une responsabilité nationale mais, aussi, une responsabilité sous-régionale. Son pays est « l’usine » de l’Afrique de l’Ouest. Personne ne le nie. Depuis dix ans, l’usine est en panne. Et ce n’est pas Gbagbo qui l’a rendue obsolète qui pourra la moderniser. Le drame de la Côte d’Ivoire c’est que la détérioration de la situation politique, économique et sociale de ce pays a ouvert la porte du pouvoir à un homme qui n’avait pas l’envergure pour assumer une tâche historique qui le dépasse. Il en est réduit à l’invective. Et à rien d’autre.

Kouakou Yao Narcisse
Banquier
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