Au moment où la Côte d’Ivoire se prépare à vivre le deuxième tour de l’élection présidentielle la plus disputée de son histoire, de graves périls menacent gravement la stabilité et l’unité de la Nation. C’est pourquoi, en ma qualité de membre de la société civile, j’ai décidé de ne pas me taire, afin d’éviter d’être complice par omission ou par inaction de tous les dérapages éventuels.
Compte tenu de la gravité de la situation, j’ai choisi de reprendre le célèbre titre « J’accuse… », que l’écrivain Emile ZOLA publia dans le journal l’Aurore du 13 janvier 1898, sous la forme d’une lettre ouverte au Président de la République, dans le cadre de l’affaire DREYFUS.
Les ancrages tribaux de nos principaux partis politiques (1) constituent le terreau favorable aux dérives tribales de la campagne (2) qu’il faut faire cesser si nous voulons préserver la Nation d’un Rwanda bis (3).
1. Ancrages ethniques des partis et démocratie tribale
Pendant longtemps, le Président Houphouët-Boigny s’était montré particulièrement hostile au multipartisme en Côte d’Ivoire. Il considérait que nos nations étaient encore trop fragiles et que le multipartisme donnerait lieu à des regroupements tribaux, porteurs de menaces pour l’unité nationale.
Les intellectuels de l’époque avaient condamné vigoureusement cette position du « Sage de Yamoussoukro », considérée comme rétrograde et contraire aux principes et valeurs démocratiques.
Pourtant une analyse lucide de la réalité de l’évolution démocratique des pays africains depuis ces vingt (20) dernières années, nous conduit à penser que c’est le Président Houphouët-Boigny qui avait raison. C’était un visionnaire, peut-être même un « dictateur éclairé ».
Aujourd’hui, après 20 ans d’expérience « multipartisane », peut-on soutenir que nos compatriotes ont intégré les rudiments de la démocratie ? Combien parmi nous connaissent la définition d’un parti politique ? Comment se font les adhésions au sein de nos principaux partis politiques ? Combien de militants connaissent la différence entre les idéologies socialistes, libérales ou les principes de la social démocratie ?
La réalité qu’il n’est plus possible de dissimuler, c’est que nos principaux partis politiques ont des ancrages tribaux liés à l’origine ethnique de leurs leaders.
Qui peut nier aujourd’hui que les militants du PDCI se recrutent essentiellement dans le centre baoulé et accessoirement en pays akan , que ceux du RDR sont majoritairement originaires du Nord et que ceux du FPI sont ressortissants du groupe krou et des enclaves abbey et attié ?
Peut-on encore parler de multipartisme lorsque le principal critère d’adhésion au parti est lié aux affinités tribales ou ethniques? Nous vivons manifestement dans une démocratie tribale qui est la négation de la démocratie, d’autant qu’elle entraîne des dérives tribales.
2. Dérives tribales de la campagne
La précampagne pour le deuxième tour de l’élection présidentielle donne lieu à des échanges qui nous éloignent des programmes politiques et des idéaux démocratiques. L’ethnie est devenue l’élément de référence et de convergence de tous les débats politiques.
Comme nos trois principaux partis sont essentiellement tribaux, l’on part du postulat que ce sont les baoulé qui ont voté pour le Président Bédié. Ainsi la chasse aux voix du PDCI équivaut à la conquête de l’électorat baoulé.
Il s’ensuit que pour les deux candidats, il faut absolument séduire les baoulé ! Ce débat est-il digne d’un Etat démocratique ?
Pourtant, tous les acteurs politiques ont salué unanimement le vote de la loi n° 2008-222 du 4 août 2008 renforçant les sanctions liées au racisme, à la xénophobie, au tribalisme, aux discriminations raciales et religieuses.
A toutes fins utiles, il est nécessaire de rappeler à nos leaders politiques, que cette loi définit le tribalisme comme « toute manifestation d’hostilité ou de haine à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, fondée exclusivement sur l’origine ethnique ou tribale, toutes faveurs accordées à une personne ou à un groupe de personnes sur la base de considérations exclusivement tribales ou ethniques ».
La loi précitée punit d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de 500 000 à 5 000 000 FCFA quiconque se rend coupable de racisme, de xénophobie, de tribalisme ou de discrimination raciale ou religieuse.
Cette loi est-elle en vigueur en Côte d’Ivoire ? Il est permis d’en douter, tant le silence des hommes politiques, des acteurs de la société civile et de celui des autorités judiciaires est assourdissant.
J’accuse les hommes politiques qui jouent avec la nation, en instrumentalisant l’ethnie et la tribu à des fins essentiellement électoralistes !
J’accuse les Chefs de communautés tribales qui se croient obligés de prendre des engagements au nom de leur ethnie, pour le compte de l’un ou l’autre des deux candidats !
J’accuse le représentant des Akan du bas Sassandra qui soutient que « Bédié ne peut pas nous imposer un candidat …Chez nous, n’importe qui ne peut pas prétendre au trône royal », comme si la Côte d’Ivoire était un royaume akan !
J’accuse les représentants de différentes corporations qui s’organisent par affinités tribales pour apporter leur soutien aux candidats !
J’accuse toutes ces personnes anonymes qui se réunissent par affinités tribales pour apporter leur soutien aux candidats !
J’accuse les artistes baoulé qui se mobilisent pour apporter au nom de leur tribu leur soutien au candidat de la LMP !
J’accuse les journalistes qui font état de personnes menacées dans certaines régions en stigmatisant leurs origines ethniques !
J’accuse tous ceux qui font des distinctions entre autochtones et allochtones, s’agissant de citoyens d’un même pays qui sont supposés être partout chez eux sur le sol ivoirien !
J’accuse la Première Dame qui parraine une réunion tribale d’artistes baoulé au profit du candidat de la LMP !
J’accuse le Président du Conseil National des Sages qui rencontre des Chefs baoulé à Yamoussoukro en les invitant à s’engager au nom de leur tribu pour leur candidat !
J’accuse les leaders du RHDP qui organisent une rencontre avec des Chefs baoulé à Yamoussoukro en les invitant à s’engager au nom de leur tribu pour leur candidat !
J’accuse le candidat du RHDP qui reçoit le Chef des baoulé d’Abidjan et se réjouit qu’il prenne des engagements en sa faveur, au nom de sa communauté !
J’accuse le Premier Ministre Affi N’guessan et le Ministre Amani N’guessan qui convoquent par voie médiatique, des cadres et populations baoulé afin de faire passer des consignes de vote et mobiliser leur communauté au profit du candidat de la LMP !
J’accuse les candidats qui laissent le débat politique s’orienter vers des questions tribales au lieu de porter sur le programme des candidats !
J’accuse la Commission Electorale Indépendante (CEI) de rester inactive face aux dérives tribales de la précampagne électorale !
J’accuse le Conseil National de la Communication audiovisuelle (CNCA) et le Conseil National de la presse (CNP) d’observer un mutisme inadmissible face aux dérapages tribaux constatés !
J’accuse le Président de la République, garant de l’unité nationale de laisser faire ses partisans, alors qu’il a toujours condamné le tribalisme !
J’accuse les organisations religieuses et l’Onuci de rester silencieuses, alors que les germes d’un « rwanda bis » prospèrent dangereusement en Côte d’Ivoire et qu’il faut préserver la nation.
3. Préserver la Nation d’un Rwanda bis
Nous devons être capables de tirer les leçons de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, afin d’éviter les erreurs qui ont conduit d’autres peuples à vivre des expériences beaucoup plus dramatiques.
Pendant longtemps, les Ivoiriens ont cru que les coups d’Etat, la guerre étaient des choses qui n’arrivaient qu’aux autres et qu’en tant que « pays béni de Dieu », ils étaient à l’abri de tels dérapages.
Nous avions tout simplement oublié que les mêmes causes produisent partout les mêmes effets. Nous avons joué avec le feu, nous avons été brûlés en 1999 et en 2002.
Evitons de jouer avec la bombe identitaire ou tribale ! Comme finalement, tous les Ivoiriens sont devenus houphouëtistes (les Responsables de la LMP n’ont-ils pas créé l’Union des Houphouëtistes pour le Dialogue), faisons l’effort de cultiver la paix et la cohésion nationale !
Le Président GBAGBO ne disait-il pas que: « jouer avec le tribalisme n’est pas digne des gens qui vivent au 21 ème siècle. Ce n’est pas digne des Etats modernes…méfiez-vous des tribalistes. Ce sont les assassins de la Côte d’Ivoire de demain ».
Ce que le peuple attend des candidats, c’est qu’ils lui présentent leurs programmes et leurs ambitions pour la Côte d’Ivoire. Dans un Etat démocratique, les alliances se nouent et se dénouent avec des forces politiques ou sociales et non avec des regroupements tribaux ou ethniques.
N’oublions jamais les paroles fortes de notre hymne national !
La Côte d’Ivoire est le » pays de l’hospitalité ». « Notre devoir sera d’être un modèle...En forgeant unis dans la foi nouvelle la patrie de la vraie fraternité ».
Narcisse AKA
Avocat au Barreau de Côte d’Ivoire
aknarcis@yahoo.fr
Compte tenu de la gravité de la situation, j’ai choisi de reprendre le célèbre titre « J’accuse… », que l’écrivain Emile ZOLA publia dans le journal l’Aurore du 13 janvier 1898, sous la forme d’une lettre ouverte au Président de la République, dans le cadre de l’affaire DREYFUS.
Les ancrages tribaux de nos principaux partis politiques (1) constituent le terreau favorable aux dérives tribales de la campagne (2) qu’il faut faire cesser si nous voulons préserver la Nation d’un Rwanda bis (3).
1. Ancrages ethniques des partis et démocratie tribale
Pendant longtemps, le Président Houphouët-Boigny s’était montré particulièrement hostile au multipartisme en Côte d’Ivoire. Il considérait que nos nations étaient encore trop fragiles et que le multipartisme donnerait lieu à des regroupements tribaux, porteurs de menaces pour l’unité nationale.
Les intellectuels de l’époque avaient condamné vigoureusement cette position du « Sage de Yamoussoukro », considérée comme rétrograde et contraire aux principes et valeurs démocratiques.
Pourtant une analyse lucide de la réalité de l’évolution démocratique des pays africains depuis ces vingt (20) dernières années, nous conduit à penser que c’est le Président Houphouët-Boigny qui avait raison. C’était un visionnaire, peut-être même un « dictateur éclairé ».
Aujourd’hui, après 20 ans d’expérience « multipartisane », peut-on soutenir que nos compatriotes ont intégré les rudiments de la démocratie ? Combien parmi nous connaissent la définition d’un parti politique ? Comment se font les adhésions au sein de nos principaux partis politiques ? Combien de militants connaissent la différence entre les idéologies socialistes, libérales ou les principes de la social démocratie ?
La réalité qu’il n’est plus possible de dissimuler, c’est que nos principaux partis politiques ont des ancrages tribaux liés à l’origine ethnique de leurs leaders.
Qui peut nier aujourd’hui que les militants du PDCI se recrutent essentiellement dans le centre baoulé et accessoirement en pays akan , que ceux du RDR sont majoritairement originaires du Nord et que ceux du FPI sont ressortissants du groupe krou et des enclaves abbey et attié ?
Peut-on encore parler de multipartisme lorsque le principal critère d’adhésion au parti est lié aux affinités tribales ou ethniques? Nous vivons manifestement dans une démocratie tribale qui est la négation de la démocratie, d’autant qu’elle entraîne des dérives tribales.
2. Dérives tribales de la campagne
La précampagne pour le deuxième tour de l’élection présidentielle donne lieu à des échanges qui nous éloignent des programmes politiques et des idéaux démocratiques. L’ethnie est devenue l’élément de référence et de convergence de tous les débats politiques.
Comme nos trois principaux partis sont essentiellement tribaux, l’on part du postulat que ce sont les baoulé qui ont voté pour le Président Bédié. Ainsi la chasse aux voix du PDCI équivaut à la conquête de l’électorat baoulé.
Il s’ensuit que pour les deux candidats, il faut absolument séduire les baoulé ! Ce débat est-il digne d’un Etat démocratique ?
Pourtant, tous les acteurs politiques ont salué unanimement le vote de la loi n° 2008-222 du 4 août 2008 renforçant les sanctions liées au racisme, à la xénophobie, au tribalisme, aux discriminations raciales et religieuses.
A toutes fins utiles, il est nécessaire de rappeler à nos leaders politiques, que cette loi définit le tribalisme comme « toute manifestation d’hostilité ou de haine à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, fondée exclusivement sur l’origine ethnique ou tribale, toutes faveurs accordées à une personne ou à un groupe de personnes sur la base de considérations exclusivement tribales ou ethniques ».
La loi précitée punit d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de 500 000 à 5 000 000 FCFA quiconque se rend coupable de racisme, de xénophobie, de tribalisme ou de discrimination raciale ou religieuse.
Cette loi est-elle en vigueur en Côte d’Ivoire ? Il est permis d’en douter, tant le silence des hommes politiques, des acteurs de la société civile et de celui des autorités judiciaires est assourdissant.
J’accuse les hommes politiques qui jouent avec la nation, en instrumentalisant l’ethnie et la tribu à des fins essentiellement électoralistes !
J’accuse les Chefs de communautés tribales qui se croient obligés de prendre des engagements au nom de leur ethnie, pour le compte de l’un ou l’autre des deux candidats !
J’accuse le représentant des Akan du bas Sassandra qui soutient que « Bédié ne peut pas nous imposer un candidat …Chez nous, n’importe qui ne peut pas prétendre au trône royal », comme si la Côte d’Ivoire était un royaume akan !
J’accuse les représentants de différentes corporations qui s’organisent par affinités tribales pour apporter leur soutien aux candidats !
J’accuse toutes ces personnes anonymes qui se réunissent par affinités tribales pour apporter leur soutien aux candidats !
J’accuse les artistes baoulé qui se mobilisent pour apporter au nom de leur tribu leur soutien au candidat de la LMP !
J’accuse les journalistes qui font état de personnes menacées dans certaines régions en stigmatisant leurs origines ethniques !
J’accuse tous ceux qui font des distinctions entre autochtones et allochtones, s’agissant de citoyens d’un même pays qui sont supposés être partout chez eux sur le sol ivoirien !
J’accuse la Première Dame qui parraine une réunion tribale d’artistes baoulé au profit du candidat de la LMP !
J’accuse le Président du Conseil National des Sages qui rencontre des Chefs baoulé à Yamoussoukro en les invitant à s’engager au nom de leur tribu pour leur candidat !
J’accuse les leaders du RHDP qui organisent une rencontre avec des Chefs baoulé à Yamoussoukro en les invitant à s’engager au nom de leur tribu pour leur candidat !
J’accuse le candidat du RHDP qui reçoit le Chef des baoulé d’Abidjan et se réjouit qu’il prenne des engagements en sa faveur, au nom de sa communauté !
J’accuse le Premier Ministre Affi N’guessan et le Ministre Amani N’guessan qui convoquent par voie médiatique, des cadres et populations baoulé afin de faire passer des consignes de vote et mobiliser leur communauté au profit du candidat de la LMP !
J’accuse les candidats qui laissent le débat politique s’orienter vers des questions tribales au lieu de porter sur le programme des candidats !
J’accuse la Commission Electorale Indépendante (CEI) de rester inactive face aux dérives tribales de la précampagne électorale !
J’accuse le Conseil National de la Communication audiovisuelle (CNCA) et le Conseil National de la presse (CNP) d’observer un mutisme inadmissible face aux dérapages tribaux constatés !
J’accuse le Président de la République, garant de l’unité nationale de laisser faire ses partisans, alors qu’il a toujours condamné le tribalisme !
J’accuse les organisations religieuses et l’Onuci de rester silencieuses, alors que les germes d’un « rwanda bis » prospèrent dangereusement en Côte d’Ivoire et qu’il faut préserver la nation.
3. Préserver la Nation d’un Rwanda bis
Nous devons être capables de tirer les leçons de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, afin d’éviter les erreurs qui ont conduit d’autres peuples à vivre des expériences beaucoup plus dramatiques.
Pendant longtemps, les Ivoiriens ont cru que les coups d’Etat, la guerre étaient des choses qui n’arrivaient qu’aux autres et qu’en tant que « pays béni de Dieu », ils étaient à l’abri de tels dérapages.
Nous avions tout simplement oublié que les mêmes causes produisent partout les mêmes effets. Nous avons joué avec le feu, nous avons été brûlés en 1999 et en 2002.
Evitons de jouer avec la bombe identitaire ou tribale ! Comme finalement, tous les Ivoiriens sont devenus houphouëtistes (les Responsables de la LMP n’ont-ils pas créé l’Union des Houphouëtistes pour le Dialogue), faisons l’effort de cultiver la paix et la cohésion nationale !
Le Président GBAGBO ne disait-il pas que: « jouer avec le tribalisme n’est pas digne des gens qui vivent au 21 ème siècle. Ce n’est pas digne des Etats modernes…méfiez-vous des tribalistes. Ce sont les assassins de la Côte d’Ivoire de demain ».
Ce que le peuple attend des candidats, c’est qu’ils lui présentent leurs programmes et leurs ambitions pour la Côte d’Ivoire. Dans un Etat démocratique, les alliances se nouent et se dénouent avec des forces politiques ou sociales et non avec des regroupements tribaux ou ethniques.
N’oublions jamais les paroles fortes de notre hymne national !
La Côte d’Ivoire est le » pays de l’hospitalité ». « Notre devoir sera d’être un modèle...En forgeant unis dans la foi nouvelle la patrie de la vraie fraternité ».
Narcisse AKA
Avocat au Barreau de Côte d’Ivoire
aknarcis@yahoo.fr