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Politique Publié le lundi 13 décembre 2010 | Nord-Sud

La symphonie inachevée de l’Apo : Comment Gbagbo a perdu Soro

Après trois années d’une collaboration qui a mené le pays à l’élection présidentielle, Guillaume Soro et Laurent Gbagbo ne regardent plus dans la même direction. Voici pourquoi.

Jusqu’au premier tour de la présidentielle, aucun nuage ne planait sur les relations entre le chef de l’Etat sortant et son Premier ministre. Laurent Gbagbo et Guillaume Soro avaient rendez-vous avec l’un des grands succès de l’accord de paix qu’ils ont signé, trois ans plus tôt, sous la facilitation du président du Burkina Faso, Blaise Compaoré.

Le deuxième tour qui oppose Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara va en décider autrement. Aujourd’hui, les deux hommes ont choisi des voies différentes. Laurent Gbagbo s’est fait investir par le Conseil constitutionnel et a nommé un autre Premier ministre. Guillaume Soro s’est rangé du côté du président élu, Alassane Ouattara, qui l’a reconduit dans ses fonctions. Derrière le bras de fer, se cachent de grosses déceptions. Des plaies qui ne se refermeront pas de sitôt. Les désaccords entre Guillaume Soro et Laurent Gbagbo ont, véritablement, pris corps après les résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Le climat de confiance entre les deux hommes a laissé la place à une méfiance soudaine. Le Premier ministre avait, de plus en plus, le sentiment d’être écarté et mis devant le fait accompli par un président, qui semblait être dans une nouvelle dynamique. Gbagbo se retranchait désormais derrière les faucons tels que Géraldine Odéhouri et Alcide Djédjé. Ce dernier se positionnant comme le nouveau chef de file de cette ligne dure. Plusieurs raisons expliquent le fossé actuel entre les deux signataires de l’Apo.

1er désaccord : campagne du second tour

Alors qu’il avait tenté de vendre aux électeurs le thème de l’ouverture, pendant la campagne du premier tour, Laurent Gbagbo va donner une vigoureuse barre à droite à son discours, au second tour. Lui et ses partisans de La majorité présidentielle se focalisent désormais sur la guerre et ses méfaits. Guillaume Soro perçoit mal ce retour au thème de la guerre et du coup d’Etat. Il craint surtout que cela ne fragilise le tissu social, pour la reconstruction duquel il a consacré beaucoup d’efforts, depuis mars 2007. Par des canaux informels, il attire l’attention du candidat Gbagbo sur les risques liés à ses thèmes de campagne. Ce dernier avait certes prévenu : « Je vais re-aborder la thématique de la rébellion au second tour, mais ce n’est pas contre toi ». La pratique sera tout autre. Les Forces nouvelles seront brocardées tout au long de la campagne. Des films de propagande contre la rébellion sont présentés et projetés.
Et, le Premier ministre le ressent comme un coup d’épée contre l’objectif de paix que tout le monde recherchait.

2ème désaccord : la gestion du couvre-feu

Lors du face-à-face télévisé avec Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo lâche tout de go qu’il va instaurer un couvre-feu. L’on sait aujourd’hui que la veille de cette annonce, au cours d’un entretien avec Guillaume Soro, il avait juste effleuré le sujet. Alors qu’il attendait de poursuivre la discussion, le Premier ministre est surpris de voir Laurent Gbagbo aborder la question, en direct à la télévision. Par ailleurs, pour Guillaume Soro, le président était à la télévision en tant que candidat, donc il y avait un vice de forme. Plus que tout, le Premier ministre craignait que le couvre-feu ne crée une atmosphère d’épouvante qui pourrait nuire à la sincérité du scrutin. L’entourage de Soro a le sentiment que le candidat Gbagbo est sans doute lancé dans une dérive autocratique. Le Premier ministre demande et obtient un rendez-vous le vendredi au soir. Au lieu d’un tête-à-tête habituel, il se retrouvera encerclé par la garde prétorienne (Mme Odéhouri, Alcide Djédjé, etc) et toute la hiérarchie militaire. Il y avait maldonne. Seul contre tous, Soro est d’accord pour des mesures sécuritaires, mais pas à n’importe quel prix. Il campe sur sa position qui est qu’aucune urgence ne nécessite le couvre-feu et qu’aucun renseignement crédible ne le justifie. Il réussit à rallier à sa cause une partie de la hiérarchie militaire. Gbagbo promet finalement de prendre une décision le lendemain, à 13 heures.

Samedi, pendant qu’il est en audience avec le président du Faso, arrivé le même jour à Abidjan, le Premier ministre apprend la signature du décret. Comme si Gbagbo voulait couper l’herbe sous les pieds de tout le monde. Un véritable coup de poignard dans le dos. Malgré tout, la question est encore abordée lors des rencontres, à trois avec le Facilitateur et à quatre, avec Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo promet de rapporter le décret litigieux.

Le facilitateur du dialogue direct inter-ivoirien retourne donc à Ouagadougou, rassuré. « Nous avons échangé avec le président Laurent Gbagbo, qui a une très forte disponibilité pour envisager des mesures dans ce sens-là (ndlr, levée du couvre-feu). Donc, je pense que sur la question, des dispositions seront prises pour permettre que des conditions idéales soient données à la Cei, pour mieux organiser ce 2e tour», rassure-t-il avant son départ.
Dimanche, point de levée du couvre-feu. Lundi, coup de fil entre le président burkinabé et le candidat Gbagbo. Nouvelle promesse du second au premier. Mais, Gbagbo ne bougera pas. Entre-temps, les tendances lourdes du scrutin tombent. Elles ne sont pas favorables au président sortant. Préméditation ou hasard ? La mesure ralentit effectivement le travail de la Commission électorale indépendante (Cei). Il devient de plus en plus évident que la commission ne pourrait pas donner les résultats provisoires avant mercredi à minuit. Comme s’il s’agissait d’empêcher la Cei de travailler pour permettre au Conseil Constitutionnel d’entrer en scène, des superviseurs de la Cei, proches de La majorité présidentielle, acheminent leurs procès-verbaux, à pas de tortue, jusque tard dans la nuit de mercredi.

Et, les téléspectateurs assistent, ébahis, à la scène rocambolesque où des commissaires Lmp empêchent le porte-parole de la Cei de livrer une partie des résultats.

3ème désaccord : le cas Compaoré

Après tous ces coups inélégants donnés par Gbagbo, Soro nourrissait, c’est sûr, des ressentiments à l’égard du président sortant. Leurs rapports avaient pris un sérieux coup. Mais, la grande souffrance morale du Premier ministre venait du sort réservé à Blaise Compaoré, pour qui il voue un amour quasi-filial. En promettant, deux fois, au facilitateur de lever le couvre-feu, sans tenir parole, Gbagbo a poussé le bouchon trop loin. Pour le Premier ministre, il a tout simplement sabordé l’Accord politique de Ouagadougou (Apo).

4ème désaccord : l’Apo pour quoi ?

La rupture au final entre les deux signataires de l’Apo laisse entrevoir une divergence de base sur les objectifs de cet accord, signé le 4 mars 2007. Pour le secrétaire général des Forces nouvelles, l’accord devait permettre d’aboutir effectivement à des élections justes, ouvertes, transparentes et pacifiques. C’était la condition première pour réconcilier le pays. Guillaume Soro se contentait donc de son rôle d’arbitre, tant de fois réaffirmé. Il était normal qu’en cas de défaite, Laurent Gbagbo se retire le plus naturellement du monde. Lorsque les résultats donnent ce schéma, il ne varie pas de vision. Il dépêche 3 à 4 émissaires vers Gbagbo, pour lui annoncer sa défaite et lui demander d’organiser son retrait. Mercredi, vers 21 heures, lui-même l’informe de sa défaite quasi-certaine. Jeudi et vendredi, Soro continue à demander à Gbagbo de passer la main au président élu, Alassane Ouattara. Des amis communs sont mis à contribution. Même à la veille de l’investiture du président sortant, le Premier ministre positionne des émissaires, avec le même message. Mais, Gbagbo n’est plus disponible. Sans doute, était-il engagé dans un tunnel à sens unique.

Du côté de Gbagbo, il est désormais établi que l’Apo devait servir de strapontin pour la renaissance. Le ton de la campagne du second tour indique que l’accord visait tout simplement à re-légitimer Laurent Gbagbo par les urnes, et à mettre au banc de la société tous ceux qui ont eu un lien avec la guerre. Dans cette stratégie, le président sortant voulait que le Premier ministre l’accompagne jusqu’au bout, même en cas de sanction par les urnes. C’est ainsi qu’il lui envoie des émissaires pour l’inviter à sa cérémonie d’investiture, le 4 décembre. Soro refuse formellement. Comme pour dire que la messe est désormais dite entre les deux hommes. Et, aujourd’hui, à part quelques émissaires informels agissant dans le cadre de la tentative de dialogue voulu par le président sortant, l’on peut considérer que le téléphone est coupé entre les deux signataires de l’Apo de même que toutes les messes basses. Au milieu des souvenirs de trois années de fructueuse collaboration, chacun rumine les coups reçus au final.

Le Premier ministre se sent floué par rapport aux objectifs et principes qu’il poursuivait dans le cadre de l’accord de paix. Laurent Gbagbo aussi se sent trahi. Il est désormais sur la même ligne que ses proches qui lui affirmaient, depuis le début, que Soro était toujours l’homme de Ouattara, et qu’il le conduisait à des élections à l’issue incertaine.

Il existe désormais, entre les deux hommes, autant de distance qu’entre une forte aspiration pour un système démocratique fort et la volonté farouche de confiscation du pouvoir par tous les moyens. « Ils ne se retrouveront plus », lâche un proche du Premier ministre.

Kesy B. Jacob
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