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Politique Publié le mercredi 22 décembre 2010 | Nord-Sud

Jacques Franquin (Représentant du Hcr) : “Le nombre de réfugiés ivoiriens continue d’augmenter”

Depuis la proclamation des résultats du scrutin présidentiel, l’insécurité, notamment à l’Ouest, fait fuir les Ivoiriens. Le responsable du Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (Hcr) en donne les raisons.

Quand le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (Hcr) a-t-il repéré des réfugiés ivoiriens ?
Dès qu’il y a eu des mouvements de population à la frontière. Au lendemain du second tour de l’élection présidentielle, c’est-à-dire le 29 novembre, nous avons identifié une centaine de personnes qui ont passé la frontière. Depuis lors, il y a environ 150 à 200 personnes par jour, et aujourd’hui nous en sommes à 3500 réfugiés au Libéria et à 500 en Guinée. Nous travaillons à toutes les frontières: le Libéria, la Guinée, le Mali, le Burkina et le Ghana. Chaque représentant a des contacts avec les autorités d’immigration et de douane de ces pays pour identifier rapidement les réfugiés.

Il y a donc eu une évolution après le point de l’Afp…
Evidemment. Comme vous le savez, d’après les informations que nous avons, c’est dans la zone de Touleupleu que tout s’est détérioré. Il y a également eu de nombreux incidents à Danané entre les partisans de chaque camp. Et, c’est à partir de là que les populations ont commencé à fuir la ville. Une partie est allée vers le Libéria en passant par Touleupleu et une autre, semble-t-il, s’est dirigée vers Abidjan. A l’heure actuelle, nous n’avons pas le nom­bre exact de personnes arrivées sur Abidjan parce qu’elles ne viennent pas nous voir. Ce sont probablement des personnes qui ont les moyens de se prendre en charge.

Avez-vous déjà eu des cas de décès parmi les réfugiés ivoiriens?
Non, pas à ma connaissance.

Quels sont leurs besoins après avoir franchi la frontière ?
Les gens ont traversé les frontières, plus de manière préventive qu’autre chose. Ce qui veut dire qu’ils ne sont pas venus, agressés ou dépouillés de tous leurs biens. Il s’agit très souvent de personnes qui ont des parents ou des connaissances de l’autre côté de la frontière. Donc, nous n’avons pas créé de camps, ils sont là pour le moment pour juste être hébergés. Mais cela peut engendrer des problèmes d’ici-là. Nous moniterons cela de très près car notre objectif n’est pas de créer des camps parce que ce n’est pas la bonne solution. Il est mieux que les réfugiés soient hébergés par les populations locales et qu’ils s’intègrent peu à peu. C’est d’ailleurs ce qui se passe avec les réfugiés libériens qui se trouvent en Côte d’Ivoire.

S’il n’y a pas de camp, c’est parce que le nombre de réfugiés n’est pas important.
C’est exact. Si le nombre devient important et difficile à gérer, alors on fera des camps de refugiés.

Est-ce que le Hcr suit ces réfugiés ?
Bien sûr, nous les enregistrons d’abord puis nous identifions leurs besoins. Nous avons apporté le matériel humanitaire habituel, notamment les bâches et seaux en plastique, les couvertures, les nattes, etc. pour les distribuer à ceux qui en ont besoin.

Quelle est la classe d’âge de ces personnes ?
Je n’ai pas de chiffres mais je crois que c’est à peu près deux tiers de femmes et d’enfants pour un tiers d’hommes, et probablement 40% d’enfants.

Comment ont-ils traversé les frontières?
Pour la plupart à pied ou en taxis. Il faut noter que ce n’est pas encore un mouvement de panique. Les gens ne fuient pas par désespoir. C’est surtout à titre préventif comme je l’ai dit, alors nous ne savons pas d’ailleurs s’ils vont rester ou pas. Cela dépendra de ce qui va se passer dans leur ville d’origine. A cause de la situation à Danané, nous avons ramené tous nos moniteurs à Guiglo et à Abidjan pour ne pas mettre leur vie en danger.

Il y avait déjà des refugiés ivoiriens dans les pays frontaliers. Etaient-ils tous déjà revenus avant les récents mouvements ?
Non. Nous avons encore 13.000 refugiés à l’étranger. Je crois qu’il y en a 6.000 en Guinée qui vivaient dans des camps, 4000 au Libéria, et environ 3000 au Mali.

Que deviennent-ils ?
Ils attendent. Nous sommes aussi intéressés de les voir rentrer un jour.

Organiserez-vous leur retour ?
Oui. En tout cas, nous le prévoyons. Le retour se fait volontairement, lorsque les réfugiés estimeront que leurs conditions de réintégration est possible, ils vont rentrer. On ne peut pas les ramener de force. Nous pensons que lorsque la situation va se stabiliser, ils pourront revenir. C’est un plan que nous avons pour l’année 2011 et, j’espère que nous pourrons le mettre à exécution.

Pendant ce temps, bénéficient-ils toujours de l’assistance des moniteurs ?
Oui, ils sont toujours assistés par le Hcr et le Programme alimentaire mondial. Cependant, le programme alimentaire mondial considère que ces personnes sont là depuis suffisamment de temps pour être autosuffisantes. Donc l’assistance a baissé.

Nous avons également appris qu’il y a eu des déplacements vers le Ghana. Avez-vous suivi cela ?
Ma collègue du Ghana est formelle : il n’y a eu aucun réfugié là-bas.

On parle de plus de 400 personnes…
Je ne crois pas. Du moins, nous n’avons eu aucune confirmation de cela. Il est possible qu’il s’agisse de Ghanéens qui travaillent à la frontière qui sont rentrés pour se mettre à l’abri de la crise.

Et concernant le nord du pays, il y aurait eu d’autres Ivoiriens qui ont traversé les frontières…
C’est toujours un peu difficile d’être formel. Vous savez, nous avons des contacts avec les gardes-frontières, les services d’immigration dans les pays. Mes collègues à Accra me disent qu’ils n’ont reçu aucun rapport, et pourtant ils passent régulièrement des coups de fils pour vérifier, puisque tout le monde est en état d’alerte minimum. Donc de ce côté non plus nous n’avons pas connaissance de réfugiés ivoiriens.

Votre projet de rapatriement concerne-t-il aussi ceux qui sont au Togo ?
A ma connaissance, il n’y a pas d’Ivoiriens réfugiés au Togo. Il y a peut-être quelques individuels, tout comme au Cameroun, au Bénin, etc.

N’ont-ils pas le statut de réfugiés ?
Ça dépend. Il y en a qui avaient ce statut à l’époque et qui l’ont con­servé. Dans ce cas aussi, nous mettons tout en œuvre pour qu’ils décident de rentrer. Mais comme je le disais tantôt, le retour étant volontaire, nous aurons ces résultats lors­que que la situation sera stabilisée et c’est notre souhait.

Peut-on qualifier certains réfugiés que vous avez recensés de déplacés internes ?
Apparemment, il s’agit de ceux qui peuvent trouver plus facilement des moyens de déplacement pour venir sur Abidjan.

Pourrait-on les qualifier de déplacés internes ?
C’est possible.

Et sont-ils suivis ?
Non, puisqu’ils ne viennent pas nous voir. Si les gens ne viennent pas par les canaux habituels, c’est-à-dire le ministère des victimes de guerre, ou auprès d’une organisation comme la nôtre ou des autres organisations humanitaires, nous n’avons quasiment pas de possibilités de les suivre. Pour le moment, nous n’avons pas de rapport concernant un déplacement important de personnes à l’intérieur du pays suite aux récents évènements.

Qu’en est-il du rapatriement des refugiés en Côte d’Ivoire qui a débuté il y a quelques années ?
Ce rapatriement est officiellement terminé depuis 2007. Depuis lors, il nous reste environ 24.000 à 25.000 réfugiés. Les 96% sont des Libériens. Ils sont installés dans la ’’zone d’accueil pour les réfugiés’’ située entre Tabou et Guiglo. Ils ne vivent pas dans des camps. Nous les assistons de manière sporadique c’est-à-dire pas de façon permanente. Nous leur apportons des aides à l’intégration, des micro-finances, etc. L’assistance se fait beaucoup plus au niveau médical, éducatif. Nous avons néanmoins cet ancien camp qu’on appelle ‘‘camp de Zaglo ou Nikla’’ qui abrite 3000 personnes. Nous essayons de normaliser leur situation.

Peut-on dire en ce qui les concerne, la page est tournée ?
La page est tournée. Vous savez, ce n’est pas le Hcr qui décide de réinstaller les gens. Nous proposons un certain nombre de ces personnes pour la réinstallation, mais je ne peux pas imposer à qui que ce soit de prendre tel ou tel refugié dans son pays. Nous avons demandé à tous les pays d’accueil, principalement aux Etats-unis et au Canada, qui prennent des réfugiés de venir étudier leurs dossiers. Chaque cas est donc étudié et c’est à eux de décider des personnes qu’ils choisissent.

Combien en ont-ils pris ?
Je pense que plus de 11.000 personnes ont été prises en réinstallation, une grande partie a été rapatriée. Nous avons considéré que pour certains, la réinstallation n’était pas la solution et qu’il fallait plutôt les rapatrier.


Interview réalisée par Cissé Sindou et Raphaël Tanoh
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