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Politique Publié le jeudi 30 décembre 2010 | Nord-Sud

Dix ans de négociations pour sortir de la crise - Et si Gbagbo était le problème ?

La République de Côte d'Ivoire connaît depuis une décennie, une crise, sociopolitique dont elle essaie de sortir avec l'aide de la communauté internationale, notamment l'Organisation des Nations Unies. Malgré tous les efforts de résolution pacifique de cette crise, l'option militaire est de plus en plus envisagée pour déloger Laurent Gbagbo, qui refuse de céder le pouvoir au président nouvellement élu, Alassane Ouattara.

L'élection présidentielle ivoirienne de 2010 était considérée par tous comme l'issue de la crise ivoirienne. Contre toute attente, cette crise s'est amplifiée après le second tour, le 28 novembre 2010. Avec à sa tête un président de la République, Alassane Ouattara, proclamé par la Commission électorale indépendante et reconnu comme tel par le monde entier et un président sortant, Laurent Gbagbo, annoncé également président de la République par le Conseil constitutionnel, la Côte d'Ivoire se trouve dans une impasse. Et depuis lors, les tractations ont lieu pour un transfert pacifique du pouvoir entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Mais, le président sortant ne l'entend pas de cette oreille. Il se dit victime d'un complot et donc fera tout pour faire respecter la souveraineté et les institutions de son pays. Ni les interventions du médiateur de l'Union africaine, Thabo M'beki, ancien président de l'Afrique du Sud et celle de Jean Ping, président en exercice de la dite organisation, ni les appels des pays-frères, ni même les sanctions de l'Union européenne, des Etats-Unis et de la Cedeao n'ont réussi à faire fléchir Laurent Gbagbo et son camp. Mardi, une délégation de trois chefs d'Etat de la Cedeao est venue à Abidjan pour tenter une médiation dite “de la dernière chance''. Yayi Boni, Pedro Pires et Ernest Koroma, respectivement présidents de la République du Bénin, du Cap vert et de la Sierra Leone sont venus convaincre M. Gbagbo de céder le pouvoir. Au risque de subir la "force légitime" envisagée par la communauté ouest africaine. Mais, résistant, Laurent Gbagbo met en garde contre un risque de "guerre civile" en cas d'intervention armée tandis que ses proches relèvent la présence de millions d'immigrés ouest-africains sur le sol ivoirien, qui pourraient être pris à partie.

Dénonciations et suspicions
Voilà bientôt 11 ans, depuis 2000, que les organisations mondiales, régionales et sous-régionales tentent de sortir le pays du guêpier d'une crise sociopolitique qui semble se perpétuer dans le temps. Après une vingtaine de résolutions de l'Onu et la signature d'une dizaine d'accords, le pays de Félix Houphouet-Boigny a battu le record en nombre de résolutions et d'accords. Sans pour autant avoir retrouvé sa stabilité d'antan. A la vérité, entre les nombreux accords signés et les résolutions onusiennes, le processus de paix en Côte d'Ivoire n'a connu que des blocages, notamment de la part de Laurent Gbagbo.
Les conditions qu'il qualifie lui-même de “calamiteuses'', dans lesquelles M. Gbagbo accède au pouvoir en 2000 accentuent la crise identitaire dans laquelle est plongée la Côte d'Ivoire. Avec le maintien du concept d'ivoirité caractérisé par le rejet de la candidature d'Alassane Ouattara, taxé d'étranger. En effet, les peuples originaires du Nord de la Côte d'Ivoire qui se reconnaissent en lui, se sentiront lésés, marginalisés, et en ayant le sentiment de ne pas être considérés comme des Ivoiriens, du fait de leur appartenance ethnique. Même le forum de réconciliation nationale organisé entre octobre et mars 2001, sur insistance de la communauté internationale n'y fera rien. Alors que dans ses conclusions adressées au président de la République, Laurent Gbagbo, le forum a retenu : « Au nom de la Nation, au vu des documents qui lui ont été présentés, le directoire du forum recommande aux autorités judiciaires compétentes de délivrer à monsieur Ouattara un certificat de nationalité conformément aux lois et règlements en vigueur. (…) La fracture politique et sociale dont souffre aujourd'hui la Côte d'Ivoire trouve fondamentalement sa cause dans les controverses sur la nationalité d'Alassane Ouattara [et] la persistance de cette fracture est de nature à compromettre l'unité nationale, le développement économique et social, et l'avenir de la nation ». Que sont devenues ses principales recommandations ? Jetées aux oubliettes.
C'est dans ce contexte que le 19 septembre 2002, soit moins d'un an après le forum de réconciliation nationale, le pays est victime d'une tentative de coup d'Etat qui se mue en rébellion. Le pays se retrouve coupé en deux, le Sud d'une part et le Centre, le Nord et l'Ouest, dits zone Cno, de l'autre, aux mains de la rébellion, dirigée par Guillaume Soro, un ancien secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (Fesci). Le gouvernement ivoirien de l'époque y voit plutôt des manœuvres obscures du Burkina Faso, de la France et d'Alassane Ouattara, pour tomber Laurent Gbagbo, présenté comme le bâtisseur de l'indépendance économique de l'Afrique et le grand résistant au néo-colonialisme français. Pour le gouvernement ivoirien, toutes les revendications des rebelles ne sont que des prétextes. Ceux-ci exigent, en effet, le départ de Laurent Gbagbo, l'obtention de la nationalité ivoirienne à tous les habitants du pays, le droit de vote et leur représentation à Abidjan. Le concept d'ivoirité et tout ce qui en découle est directement mis en cause. Des voix vont s'élever du monde entier pour condamner cette tentative de coup d'Etat, tout en préconisant la résolution de la crise par le dialogue. C'est ainsi qu'aux premières heures de la crise, l'ancien secrétaire général du Pdci, Laurent Dona Fologo, se rend au Togo pour discuter avec les hommes de Bouaké, sur initiative du président Gnassinbgé Eyadema, alors président en exercice de la Cedeao.

Un parcours du combattant
Aucun accord n'en sortira. Sur invitation du président français de l'époque, Jacques Chirac, toutes les parties vont se réunir à Linas-Marcoussis, en France, autour d'une table ronde, du 15 au 23 janvier 2003. Après des tractations, un accord sera signé le 24 et dont les principales recommandations seront, entre autres, la formation d'un gouvernement d'union nationale, la suppression de la carte de séjour, l'organisation d'élection présidentielle libre, juste et transparente, le désarmement, la démobilisation et le regroupement, la révision des conditions d'éligibilité du président de la République : « … Le président doit être exclusivement de père ou de mère ivoirien d'origine ». Toutes ces mesures devaient être initiées par le gouvernement de réconciliation nationale. A peine de retour en terre ivoirienne que Laurent Gbagbo dénonce ce qu'il a lui-même signé, alors que grâce à l'opposition du président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire, Henri Konan Bédié, la suppression de la Constitution ivoirienne, tant réclamée par les mouvements rebelles n'est pas obtenue, ni la remise du pouvoir exécutif aux mains du Premier ministre de consensus, Seydou Elimane Diarra. La collaboration sera très difficile dès les premiers jours, le nouveau chef de gouvernement étant empêché de fouler le sol ivoirien par les partisans du chef de l'Etat. Les choses se calment quand L.G. demande officiellement aux Ivoiriens “d'essayer ce médicament''. Mais, des difficultés d'application de ce premier accord nécessiteront la signature d'autres accords, cette fois, en terre africaine (Accra II et III). Si chaque fois, les parties en présence affirment leur réelle volonté d'appliquer de façon intégrale et inconditionnelle, les accords, ce n'est pas toujours le cas dans la pratique. Et l'exemple le plus palpable c'est la reprise des hostilités en novembre 2004. Alors même que Accra III, signé en juillet 2004 préconisait le début du processus DDR (désarmement, démobilisation réinsertion) au plus tard le 15 octobre 2004. Du 4 au 9 novembre de cette année-là, en effet, l'opération “Dignité'' est lancée par les Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (Fanci). Elle se solde par un échec militaire, après la destruction d'aéronefs de l'armée ivoirienne, le 6 novembre, par l'armée française. Mais, la présence permanente dans les rues abidjanaises de la jeunesse patriotique, dirigée par Charles Blé Goudé, un autre ancien Sg de la Fesci, montre clairement que c'est elle (la jeunesse patriotique), la vraie armée de Laurent Gbagbo. L'occupation de l'hôtel ivoire entre le 6 et le 9 novembre, pour dit-elle, faire échouer un coup d'Etat que prépare la France finit dans un bain de sang, quand la force française d'interposition “Licorne'', acculée, tire pour se dégager, causant de nombreuses victimes et plusieurs blessés graves. Les circonstances de ces évènements n'ont pas encore été établies. La France, alors accusée à tort ou à raison de vouloir déstabiliser à tout prix le régime Gbagbo, pour préserver ses intérêts d'ex-puissance coloniale, sera de plus en plus diabolisée par les Ivoiriens et la communauté internationale. Laurent Gbagbo sera, lui, plus que jamais, présenté comme le “messie'', le seul pouvant conférer à la Côte d'Ivoire et partant, à toute l'Afrique, son indépendance et sa souveraineté.
Mais, la brève reprise des hostilités a remis en cause les avancées obtenues jusque-là. Les différentes parties se retrouvent alors à Pretoria, sous la médiation du président sud-africain, Thabo M'beki, en avril 2005, puis en juin de la même année. On assiste à une déclaration de fin de guerre de la part des signataires, tout en réaffirmant leur volonté d'organiser les élections en octobre 2005, date à laquelle prend fin le premier mandat de L.G. Des décisions ont également été prises, concernant le Ddr, la Cei, etc. Mais, le processus est toujours bloqué et en octobre 2005, l'Onu prend la résolution 1633 qui reconduit Laurent Gbagbo et les parlementaires dans leurs fonctions respectives pour 12 mois au moins. Un nouveau Premier ministre, en la personne de Charles Konan Banny, est nommé. Mais, 12 mois plus tard, les élections ne sont toujours pas organisées et une nouvelle résolution, la 1721, est prise le 1er novembre 2006 pour reconduire Laurent Gbagbo à la tête de l'Etat « pour la dernière fois ». Entre temps, en septembre, le gouvernement Banny 2 est formé, alors que le pays ne connaît pas de crise majeure.

Et survint l'Apo
Depuis le déclenchement de la crise en 2002, les résolutions prises par les Nations Unies pour concilier les différentes parties ne se comptent plus. Entre 2003 et 2007, 26 résolutions sont sorties du Conseil de sécurité de l'Onu, permettant chaque fois à Laurent Gbagbo et aux parlementaires de se maintenir au pouvoir, malgré la fin de mandature depuis octobre 2005.
Après avoir fait tourner la communauté internationale et les Ivoiriens en rond pendant cinq ans, L.G. se débarrasse de tous les accords signés jusque-là et propose un dialogue direct inter-ivoirien. Le 04 mars 2007, l'espoir renaît avec la signature de l'Accord politique de Ouagadougou. Beaucoup y voient le début de la fin de la crise ivoirienne avec la médiation du président burkinabé, Blaise Compaoré. Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles(ex-rébellion), est nommé Premier ministre, chargé de conduire le processus électoral. Il faudra trois ans, 7 mois et quatre accords complémentaires pour voir ce processus tirer à sa fin avec le 1er tour de l'élection présidentielle, le 31 octobre 2010. Non sans avoir rencontré des difficultés, notamment la dissolution du gouvernement et de la Cei par Laurent Gbagbo, début 2010, alors que l'élection présidentielle était prévue, fin février-début mars de l'année en cours. Beugré Mambé, alors président de la Cei est accusé d'avoir tenté d'inscrire frauduleusement sur la liste électorale, 429.000 personnes. Le processus se retrouve bloqué de longues semaines. C'est avec l'Apo que s'est véritablement enclenché le processus électoral, et Laurent Gbagbo ne peut soutenir le contraire, lui qui, plus d'une fois, s'est dit satisfait du travail de son Premier ministre.
Aujourd'hui, il ne peut pas se prévaloir de ratés de l'Apo. Il ne peut rien reprocher à ce processus. Aujourd'hui, Laurent Gbagbo a perdu les élections et refuse de rendre le pouvoir à son successeur. Il compte sur son armée, la jeunesse patriotique pour se maintenir au pouvoir. A cet effet, Charles Blé Goudé, devenu ministre de la jeunesse a convié une fois de plus ses compatriotes et tous les Etrangers vivant en Côte d'Ivoire à une démonstration de la force de la rue, “juste après les fêtes de fin d'année''.
Aujourd'hui, comme par le passé, la Côte d'Ivoire a renoué avec les interventions de la communauté internationale pour une transmission pacifique du pouvoir. Mais, à force de tirer sur la corde, Laurent Gbagbo risque de la casser. A ses dépens, comme son rival Robert Guéï, en 2000.

Anne-Marie Eba

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