S’il est un pays africain qui ne s’embarrasse pas de fioriture et d’entourloupettes diplomatiques pour soutenir la Côte d’Ivoire, c’est bien le pays du Président Eduardo Dos Santos. Pour comprendre le sens de l’engagement de l’Angola aux côtés de la Côte d’Ivoire, nous vous invitons à lire attentivement cette autre partie de la magnifique interview d’Alexandre de Marenches, patron du contre espionnage français de 1970 à 1981. Vous y trouverez des choses incroyables et des mots de tendresse à l’endroit d’un sanguinaire à vous couper le souffle. Vous comprendrez pourquoi comme Guillaume Soro aujourd’hui, Jonas Savimbi narguait le pouvoir de Luanda. La France dévoile ses propres secrets et crimes sur le continent africain et nous nous ferons le devoir de vous les faire lire car à la suite de Marenches, vous aurez Foccart… Document
O. — En Angola, avez-vous maintenu le contact ou même l’assistance à Savimbi malgré les consignes de l’Elysée?
M. — Cette période a été difficile. Le Président Giscard d’Estaing m’a dit: «Êtes-vous sûr que Savimbi ait des chances? Peut-on compter sur lui? Croyez-vous qu’il ait un avenir ?» Je lui ai expliqué qu’il avait avec lui, contre les métis qui tenaient la capitale, Luanda, l’ensemble de la population noire angolaise authentiquement africaine. Savimbi est un vrai Noir et un véritable Africain, alors que la bourgeoisie communiste de Luanda est composée en général de métis. C’est un élément important à connaître pour aujourd’hui et pour le futur.
Comme en Afghanistan, si les Soviétiques et leurs comparses tiennent les villes, une bonne partie du reste du pays est libre. Il appartient à Savimbi. Aucun Cubain, aucun Allemand de l’Est, ni leurs patrons soviétiques ne s’y risquent, sans des colonnes puissamment armées.
Un jour, le Président m’a dit: «Ah! Mais l’Angola, c’est loin.» Et je lui ai dit avec un petit sourire : «Oui, mais ça se rapproche.» J’ai beaucoup insisté sur la dimension du personnage de Savimbi et aussi sur l’importance stratégique d’une zone qui, comme la Namibie voisine, représente un intérêt majeur pour des matières premières et aussi pour Walvis Bay, la fameuse baie en eau profonde que convoite la marine de guerre soviétique. Le Président Giscard d’Estaing m’a demandé si j’étais bien sûr que Savimbi et ses partisans avaient saboté le chemin de fer de Benguela, qui transporte vers Lobito, le grand port angolais sur l’Atlantique, les minerais zaïrois. L’ambassadeur de France à Luanda, qui ne sortait jamais de la capitale de l’Angola, faute d’autorisation, lui avait affirmé le contraire. J’ai vu le président hésitant, aussi décidai-je de lui apporter une preuve indiscutable. Je me suis dit, comme Mao, qu’une image vaut dix mille mots. J’ai donc envoyé un de mes officiers sur le terrain, par la bande de Caprivi, cette bande de terre très mince au Sud de l’Angola. Mon admirable représentant, chargé de prendre les photos convaincantes, a remonté une grande partie de l’Angola à pied dans la brousse pendant trois mois. Il a fait près de deux mille kilomètres à pied — aller et retour —»pour prendre des photos puisque le Président de la République devait être convaincu. Les photos qu’il m’a rapportées montrent des hommes de Savimbi le long de la voie ferrée du Benguela Railroad, en train de poser des explosifs pour faire sauter les rails et détruire les ponts. Quand cet officier remarquable est revenu par la même route, c’est-à-dire à pied, il m’a raconté qu’il avait été repéré par des avions et des hélicoptères cubains et attaqué plusieurs fois, lui et son escorte.
Ce qui m’a prouvé que Savimbi était bien le chef du pays, c’est que, partout, mon officier a été hébergé et nourri par les populations locales et les différentes tribus. Par-delà des ethnies, Savimbi est le chef naturel, le vrai chef de l’Angola, comme de Gaulle était celui de la France qui ne voulait pas se soumettre.
Je suis allé présenter au Président de la République les photos qui montraient les ponts et le chemin de fer détruits.
O. — Il a été convaincu?
M. — Il a bien voulu les regarder. A la sortie de l’IElysée, j’espérais l’avoir convaincu. Il a pourtant pris la responsabilité pour ne pas déplaire aux Soviétiques de faire cesser l’aide de la France à Savimbi.
O. — Les États-Unis ont, au même moment, officiellement suspendu leur soutien aux mouvements qui luttaient contre le régime de Luanda. Pourtant, l’aide que vous prodiguiez ouvertement ou officiellement à Savimbi devait être coordonnée, j’imagine, entre vos Services et les Services américains?
M. — Non, pas du tout! Sur le terrain, nous opérions seuls.
O. — A ce moment-là, Kissinger, le secrétaire d’Etat américain, était sûrement de votre avis ?
M. — Nous étions, en effet, du même avis.
O. — Et il s’est fait violemment contester par le Congrès.
M. — Un des grands drames de ces dernières années, c’est que les Services secrets américains étaient tellement ouverts à n’importe qui que, souvent, ils m’ont recommandé eux-mêmes:
«Surtout ne nous dites rien, parce que nous sommes incapables de garder un secret. Vous le liriez le lendemain dans le Washington Post ou le New York Times.» C’est ainsi que Jonas Savimbi a été abandonné pendant longtemps aussi bien par l’Europe que par les États-Unis. Cet homme est un géant de l’histoire, non seulement un géant physique, mais un géant intellectuel et moral. Il venait de temps en temps me voir en Europe ou au Maroc. J’envoyais un avion le chercher. C’était assez compliqué. Je ne voulais pas qu’il soit repéré en passant les frontières mais, enfin, c’était de la routine. Il m’avait dit une fois: «Ah! Je ne pourrai jamais vous montrer la situation sur place, quel dommage!» Je lui avais répondu: «Vous savez, il ne faut pas me dire des choses de ce genre parce que vous excitez ma curiosité. Comme les taureaux ou les grenouilles quand ils voient un chiffon rouge, j’ai envie de sauter.» Je suis donc allé lui rendre visite un jour dans son maquis de l’Angola, dans l’un de ses P.C. opérationnels, au Sud, secrètement, bien sûr. De ma vie, je n’ai vu un tel charisme! Ses hommes, qui étaient dans un état de dénuement incroyable, le regardaient comme une divinité. L’emprise morale, psychologique que cet homme peut avoir sur ces pauvres hères en guenilles est extraordinaire.
O. — Au-delà du simple défi, pourquoi prendre le risque d’aller ainsi sur le terrain ?
M. — D’abord pour montrer au président Savimbi et aux braves qui se battaient autour de lui qu’au moins un pays occidental, européen celui-là, la France en l’occurrence, s’intéressait à eux jusqu’au point de venir leur rendre visite. Ensuite, parce qu’il est essentiel, pour un patron, de passer le premier dans des endroits difficiles. Cela aide ensuite à dire aux autres: ‘’Allez-y!’’
O. — Vous aviez demandé l’autorisation du Président Giscard d’Estaing pour cette expédition ?
M. — Non. Je considère que ce genre de choses faisait partie de mon travail quotidien.
O. — Autrement dit, le Directeur général du Sdece a disparu pendant plusieurs jours ?
M. — Il disparaissait beaucoup et souvent.
O. — Sans que le chef de l’État sût nécessairement où le trouver ?
M. — Sans que le chef de l’État eût ce problème supplémentaire.
O. — Mais admettons qu’il vous cherchât ?
M. — Eh bien, en admettant qu’il me cherchât, il ne m’aurait pas trouvé sur-le-champ. Mais on lui aurait expliqué que j’étais en mission. Voilà.
O. — Pourquoi êtes-vous allé sur le terrain en Angola et non en Afghanistan?
M. — Parce que nous ne pouvions pas tout faire! La France est un pays de premier plan, non l’un des deux géants. Notre spécialité a toujours été l’Afrique. Il est relativement simple d’aller en Angola. L’Angola avait comme chef de sa résistance un seul homme, et non pas dix ou vingt chefs de tribus qu’il aurait fallu rencontrer. Si j’avais rendu visite à un chef de la, résistance afghane, les autres auraient été vexés ou furieux.
J’éprouve une admiration et une affection sans bornes pour Savimbi. S’il survit, il sera un jour le Président de ce pays plus vaste que la France et aux possibilités en tous genres, humaines, minières, agricoles, exceptionnelles. Je crois servir la France et l’Europe en disant que, si l’on regarde la carte de l’Afrique, on remarquera que nous pourrions, avec un Angola libre, disposer d’une zone à influence culturelle française extrêmement forte et qui irait pratiquement de Tanger, du détroit de Gibraltar, jusqu’à la frontière sud de l’Angola et de la Namibie. Une grande partie de l’Afrique occidentale serait plus ou moins de culture française.
C’est le côté culturel qui compte. Prenez l’exemple de l’Espagne et du Portugal. A l’époque de Charles Quint, on disait que le soleil ne se couchait jamais sur son Empire. Les Italiens n’ont plus de colonies, comme on disait autrefois. Le Portugal, aujourd’hui, représente cent trente à cent trente-cinq millions de personnes. Un Portugais peut aller au Brésil: ils ont une sorte de citoyenneté commune. Un Brésilien au Portugal est chez lui. Et ne parlons pas de l’Hispanidad. L’Hispanidad représente trois cents à trois cent cinquante millions de gens qui parlent l’espagnol et qui sont donc de culture espagnole.
Si un jour — et c’est hélas en train de se faire —‘ si le français, la langue française disparaît d’une grande partie des pays traditionnels où nous étions fortement implantés, elle entraînera dans sa chute la culture française, c’est-à-dire le rôle de la France.
O. — Quel genre d’assistance avez-vous prodigué à Savimbi? Des armes, des vivres?
M. — Je me souviens, par exemple, d’une opération. Cent trente tonnes de fournitures venant de Chine populaire sont arrivées dans un pays africain de la côte atlantique, où nous les avons conditionnées en paquets de quinze, vingt kilos, pour qu’on puisse les porter sur la tête dans les sentiers de la brousse. Un travail de fourmi. Nous les avons acheminés jusqu’au port de Pointe-Noire, au Congo. De là, nous avons organisé leur transport, par porteurs, jusque dans la zone de Savinibi.
O. — Qui avait acheté les fournitures à la Chine?
M. — C’était un arrangement. Les Chinois s’intéressent à l’Afrique, en particulier quand il s’agit de contrer les Russes.
O. — Cette assistance à Savimbi était-elle coordonnée à l’époque, entre vous et les Sud-Africains ?
M. — Non. Pour aider Savimbi, il fallait à un certain moment pouvoir passer par l’Afrique du Sud. C’est tout. Il n’y avait pas tellement de voies d’accès vers l’Angola de Savimbi. Il fallait soit traverser le Zaïre soit l’Atlantique, ce qui était dur, en raison de la barre. Il n’est pas facile d’aborder sur la côte. Il fallait ou le consentement des Sud-Africains, ou qu’ils acceptent de regarder de l’autre côté. Je m’y suis employé.
Extrait de «Dans le secret des Princes»,
Christine Ockrent/
Marenches
O. — En Angola, avez-vous maintenu le contact ou même l’assistance à Savimbi malgré les consignes de l’Elysée?
M. — Cette période a été difficile. Le Président Giscard d’Estaing m’a dit: «Êtes-vous sûr que Savimbi ait des chances? Peut-on compter sur lui? Croyez-vous qu’il ait un avenir ?» Je lui ai expliqué qu’il avait avec lui, contre les métis qui tenaient la capitale, Luanda, l’ensemble de la population noire angolaise authentiquement africaine. Savimbi est un vrai Noir et un véritable Africain, alors que la bourgeoisie communiste de Luanda est composée en général de métis. C’est un élément important à connaître pour aujourd’hui et pour le futur.
Comme en Afghanistan, si les Soviétiques et leurs comparses tiennent les villes, une bonne partie du reste du pays est libre. Il appartient à Savimbi. Aucun Cubain, aucun Allemand de l’Est, ni leurs patrons soviétiques ne s’y risquent, sans des colonnes puissamment armées.
Un jour, le Président m’a dit: «Ah! Mais l’Angola, c’est loin.» Et je lui ai dit avec un petit sourire : «Oui, mais ça se rapproche.» J’ai beaucoup insisté sur la dimension du personnage de Savimbi et aussi sur l’importance stratégique d’une zone qui, comme la Namibie voisine, représente un intérêt majeur pour des matières premières et aussi pour Walvis Bay, la fameuse baie en eau profonde que convoite la marine de guerre soviétique. Le Président Giscard d’Estaing m’a demandé si j’étais bien sûr que Savimbi et ses partisans avaient saboté le chemin de fer de Benguela, qui transporte vers Lobito, le grand port angolais sur l’Atlantique, les minerais zaïrois. L’ambassadeur de France à Luanda, qui ne sortait jamais de la capitale de l’Angola, faute d’autorisation, lui avait affirmé le contraire. J’ai vu le président hésitant, aussi décidai-je de lui apporter une preuve indiscutable. Je me suis dit, comme Mao, qu’une image vaut dix mille mots. J’ai donc envoyé un de mes officiers sur le terrain, par la bande de Caprivi, cette bande de terre très mince au Sud de l’Angola. Mon admirable représentant, chargé de prendre les photos convaincantes, a remonté une grande partie de l’Angola à pied dans la brousse pendant trois mois. Il a fait près de deux mille kilomètres à pied — aller et retour —»pour prendre des photos puisque le Président de la République devait être convaincu. Les photos qu’il m’a rapportées montrent des hommes de Savimbi le long de la voie ferrée du Benguela Railroad, en train de poser des explosifs pour faire sauter les rails et détruire les ponts. Quand cet officier remarquable est revenu par la même route, c’est-à-dire à pied, il m’a raconté qu’il avait été repéré par des avions et des hélicoptères cubains et attaqué plusieurs fois, lui et son escorte.
Ce qui m’a prouvé que Savimbi était bien le chef du pays, c’est que, partout, mon officier a été hébergé et nourri par les populations locales et les différentes tribus. Par-delà des ethnies, Savimbi est le chef naturel, le vrai chef de l’Angola, comme de Gaulle était celui de la France qui ne voulait pas se soumettre.
Je suis allé présenter au Président de la République les photos qui montraient les ponts et le chemin de fer détruits.
O. — Il a été convaincu?
M. — Il a bien voulu les regarder. A la sortie de l’IElysée, j’espérais l’avoir convaincu. Il a pourtant pris la responsabilité pour ne pas déplaire aux Soviétiques de faire cesser l’aide de la France à Savimbi.
O. — Les États-Unis ont, au même moment, officiellement suspendu leur soutien aux mouvements qui luttaient contre le régime de Luanda. Pourtant, l’aide que vous prodiguiez ouvertement ou officiellement à Savimbi devait être coordonnée, j’imagine, entre vos Services et les Services américains?
M. — Non, pas du tout! Sur le terrain, nous opérions seuls.
O. — A ce moment-là, Kissinger, le secrétaire d’Etat américain, était sûrement de votre avis ?
M. — Nous étions, en effet, du même avis.
O. — Et il s’est fait violemment contester par le Congrès.
M. — Un des grands drames de ces dernières années, c’est que les Services secrets américains étaient tellement ouverts à n’importe qui que, souvent, ils m’ont recommandé eux-mêmes:
«Surtout ne nous dites rien, parce que nous sommes incapables de garder un secret. Vous le liriez le lendemain dans le Washington Post ou le New York Times.» C’est ainsi que Jonas Savimbi a été abandonné pendant longtemps aussi bien par l’Europe que par les États-Unis. Cet homme est un géant de l’histoire, non seulement un géant physique, mais un géant intellectuel et moral. Il venait de temps en temps me voir en Europe ou au Maroc. J’envoyais un avion le chercher. C’était assez compliqué. Je ne voulais pas qu’il soit repéré en passant les frontières mais, enfin, c’était de la routine. Il m’avait dit une fois: «Ah! Je ne pourrai jamais vous montrer la situation sur place, quel dommage!» Je lui avais répondu: «Vous savez, il ne faut pas me dire des choses de ce genre parce que vous excitez ma curiosité. Comme les taureaux ou les grenouilles quand ils voient un chiffon rouge, j’ai envie de sauter.» Je suis donc allé lui rendre visite un jour dans son maquis de l’Angola, dans l’un de ses P.C. opérationnels, au Sud, secrètement, bien sûr. De ma vie, je n’ai vu un tel charisme! Ses hommes, qui étaient dans un état de dénuement incroyable, le regardaient comme une divinité. L’emprise morale, psychologique que cet homme peut avoir sur ces pauvres hères en guenilles est extraordinaire.
O. — Au-delà du simple défi, pourquoi prendre le risque d’aller ainsi sur le terrain ?
M. — D’abord pour montrer au président Savimbi et aux braves qui se battaient autour de lui qu’au moins un pays occidental, européen celui-là, la France en l’occurrence, s’intéressait à eux jusqu’au point de venir leur rendre visite. Ensuite, parce qu’il est essentiel, pour un patron, de passer le premier dans des endroits difficiles. Cela aide ensuite à dire aux autres: ‘’Allez-y!’’
O. — Vous aviez demandé l’autorisation du Président Giscard d’Estaing pour cette expédition ?
M. — Non. Je considère que ce genre de choses faisait partie de mon travail quotidien.
O. — Autrement dit, le Directeur général du Sdece a disparu pendant plusieurs jours ?
M. — Il disparaissait beaucoup et souvent.
O. — Sans que le chef de l’État sût nécessairement où le trouver ?
M. — Sans que le chef de l’État eût ce problème supplémentaire.
O. — Mais admettons qu’il vous cherchât ?
M. — Eh bien, en admettant qu’il me cherchât, il ne m’aurait pas trouvé sur-le-champ. Mais on lui aurait expliqué que j’étais en mission. Voilà.
O. — Pourquoi êtes-vous allé sur le terrain en Angola et non en Afghanistan?
M. — Parce que nous ne pouvions pas tout faire! La France est un pays de premier plan, non l’un des deux géants. Notre spécialité a toujours été l’Afrique. Il est relativement simple d’aller en Angola. L’Angola avait comme chef de sa résistance un seul homme, et non pas dix ou vingt chefs de tribus qu’il aurait fallu rencontrer. Si j’avais rendu visite à un chef de la, résistance afghane, les autres auraient été vexés ou furieux.
J’éprouve une admiration et une affection sans bornes pour Savimbi. S’il survit, il sera un jour le Président de ce pays plus vaste que la France et aux possibilités en tous genres, humaines, minières, agricoles, exceptionnelles. Je crois servir la France et l’Europe en disant que, si l’on regarde la carte de l’Afrique, on remarquera que nous pourrions, avec un Angola libre, disposer d’une zone à influence culturelle française extrêmement forte et qui irait pratiquement de Tanger, du détroit de Gibraltar, jusqu’à la frontière sud de l’Angola et de la Namibie. Une grande partie de l’Afrique occidentale serait plus ou moins de culture française.
C’est le côté culturel qui compte. Prenez l’exemple de l’Espagne et du Portugal. A l’époque de Charles Quint, on disait que le soleil ne se couchait jamais sur son Empire. Les Italiens n’ont plus de colonies, comme on disait autrefois. Le Portugal, aujourd’hui, représente cent trente à cent trente-cinq millions de personnes. Un Portugais peut aller au Brésil: ils ont une sorte de citoyenneté commune. Un Brésilien au Portugal est chez lui. Et ne parlons pas de l’Hispanidad. L’Hispanidad représente trois cents à trois cent cinquante millions de gens qui parlent l’espagnol et qui sont donc de culture espagnole.
Si un jour — et c’est hélas en train de se faire —‘ si le français, la langue française disparaît d’une grande partie des pays traditionnels où nous étions fortement implantés, elle entraînera dans sa chute la culture française, c’est-à-dire le rôle de la France.
O. — Quel genre d’assistance avez-vous prodigué à Savimbi? Des armes, des vivres?
M. — Je me souviens, par exemple, d’une opération. Cent trente tonnes de fournitures venant de Chine populaire sont arrivées dans un pays africain de la côte atlantique, où nous les avons conditionnées en paquets de quinze, vingt kilos, pour qu’on puisse les porter sur la tête dans les sentiers de la brousse. Un travail de fourmi. Nous les avons acheminés jusqu’au port de Pointe-Noire, au Congo. De là, nous avons organisé leur transport, par porteurs, jusque dans la zone de Savinibi.
O. — Qui avait acheté les fournitures à la Chine?
M. — C’était un arrangement. Les Chinois s’intéressent à l’Afrique, en particulier quand il s’agit de contrer les Russes.
O. — Cette assistance à Savimbi était-elle coordonnée à l’époque, entre vous et les Sud-Africains ?
M. — Non. Pour aider Savimbi, il fallait à un certain moment pouvoir passer par l’Afrique du Sud. C’est tout. Il n’y avait pas tellement de voies d’accès vers l’Angola de Savimbi. Il fallait soit traverser le Zaïre soit l’Atlantique, ce qui était dur, en raison de la barre. Il n’est pas facile d’aborder sur la côte. Il fallait ou le consentement des Sud-Africains, ou qu’ils acceptent de regarder de l’autre côté. Je m’y suis employé.
Extrait de «Dans le secret des Princes»,
Christine Ockrent/
Marenches