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Art et Culture Publié le vendredi 14 janvier 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Interview / Maître Koffi Donkor, spécialiste en sculpture monumentale -‘’La Côte d’Ivoire vit les trois âges prédits par Christian Lattier’’

Au cœur de son atelier de fortune contrastant avec les productions magnifiques de son génie créateur, ses œuvres ne peuvent laisser de marbre. Originaire de la région du Zanzan, spécialiste en sculpture monumentale, Maître Koffi Donkor (57ans), diplômé de l’école des Beaux Arts, reste l’une des valeurs sûres du 2ème Art en Côte d’Ivoire. Mais, c’est à Ifé, au Nigeria, qu’il recevra sa formation en sculpture monumentale. Actuellement vacataire à l’Institut supérieur des arts et de l’action culturelle, le plasticien, professeur d’arts plastiques dresse un tableau peu reluisant de la sculpture, décrit l’ambiance peu commode à l’Insaac, raconte ses déboires et porte un doigt accusateur sur ses devanciers pour n’avoir rien apporté à la sculpture.

Maître Koffi Donkor, votre nom n’est pas inconnu dans le domaine de la sculpture en Côte d’Ivoire. Comment s’est faite votre rencontre avec la sculpture ?
Mon père était photographe à Daloa où je suis né en 1953. Il était propriétaire du studio Kodak. Il s’appelait vieux Donkor et était le chef des Bron résidant à Daloa. Mon grand-père, lui, était sculpteur. J’ai obtenu mon don dans une église. A l’époque, je fréquentais la paroisse Catholique Christ-Roi et je n’avais jamais remarqué la présence de la statue de la vierge Marie… qui était d’environ 60 à 80 centimètres. Nous nous sommes fixés pendant trois (3) minutes sans cligner l’œil. Aussitôt, j’entendis dans mon oreille : ‘’Tu peux le faire !’’. Et je pris peur. Je sortis en courant de ladite paroisse. Je suis allé vers la rivière ‘’Tétégbé’’. J’ai pris de l’argile et je suis allé à la maison. J’ai pilé cette motte d’argile dans un mortier afin d’avoir une matière tendre. J’ai commencé à façonner, à reproduire exactement ce que j’ai vu. Je l’ai réalisée plat sur du contre-plaqué, en bas-relief. Je n’ai pas pu faire le dos parce que je n’ai pu voir le dos. C’était ainsi parti pour mes premiers pas en sculpture.

Après avoir longtemps enseigné à Bouaké, vous vous êtes aujourd’hui installé à Abidjan. Pourquoi ce changement d’espace ?
A mon retour du Nigeria, j’ai commencé à enseigner les Arts plastiques à Bouaké. J’y ai enseigné pendant 23 ans. Face à la crise ivoirienne de 2002, j’ai dû m’installer à Abidjan. Donc, j’ai tout perdu et il me fallait tout recommencer, après quelques moments passés au Collège BAD à Koumassi, au quartier Divo. J’ai arrêté d’enseigner parce que tout m’énervait. J’ai pris ma retraite. L’Insaac, par le biais de son département, les Beaux Arts, m’a fait appel. Je voudrais souligner que lorsque je suis venu à Abidjan, je suis retourné à l’école et j’ai obtenu mon diplôme de Maîtrise en Arts plastiques.

Comment expliquez-vous que très peu de sculpteurs soient connus du public quand on sait qu’ils sont nombreux ceux qui ont bénéficié de bourses d’études et de formation à l’étranger ?
Il existe trois (3) formes de sculpture : la sculpture décorative, la sculpture ornementale et la sculpture monumentale. Je suis spécialiste en sculpture monumentale. En guise d’exemple, vous avez le monument Akwaba (Ndlr ; à Port-Bouët) qui n’est pas taillé mais, plutôt, construit ; Les Eléphants, devant la Cathédrale Saint-Paul d’Abidjan, les ‘’Tambourineurs’’ à l’Aéroport Félix Houphouët-Boigny, etc…Vous savez, il y a trois (3) catégories de personnes qui entrent à l’Insaac. Ceux dont les parents sont au Ministère (Ndlr ; de la Culture) et qui ne savent pas où les orienter à l’Insaac. En plus, il y a ceux qui ont les parents aisés. En Afrique, les gens ne considèrent pas les Beaux Arts. En Europe, par contre, ce sont les enfants provenant de familles aisées qui intègrent l’école des Beaux Arts. Enfin, il y a les doués. C’est-à-dire ceux qui ont le don et qui s’y sont retrouvés. Moi, je suis de ceux-là. Je suis passé par le concours d’entrée, puis, j’ai fait le cursus normal. A chaque fois, je faisais l’objet de renvoi parce qu’on trouvait que j’étais brillant. A l’époque, l’école des Beaux Arts était au Plateau. Et la Côte d’Ivoire avait besoin de cadres formés dans les disciplines de l’Art. Plusieurs personnes ont été recrutées avec leur niveau. Ceux-là ont été en France. Si les Arts plastiques n’ont pas émergé en Côte d’Ivoire, c’est la faute à nos prédécesseurs. Sauf les peintres, les céramistes ont pu tirer leur épingle du jeu. Les sculpteurs n’ont rien fait. Au retour de leur aventure, personne n’a fait des réalisations titanesques. Sauf Christian Lattier, au niveau de la sculpture, qui réalisait des ouvrages merveilleux.

Christian Lattier a été un de vos professeurs dit-on ?
Oui ! Je suis l’un de ses derniers élèves. En plus de lui, j’ai eu d’autres professeurs. Tels que M. Thiériou, M. Okéké. Par son biais, je suis allé au Nigeria pour une formation personnelle pratique d’un an. Grâce à eux, je peux réaliser des monuments de 9,15 mètres de haut. J’ai été le premier à réaliser la sculpture monumentale dans notre pays (Ndlr : Côte d’Ivoire). J’ai commencé par ‘’A nos morts’’ à Bouaké, ‘’La femme Dida’’ à Divo, ‘’Akwaba’’ à Abidjan, etc. J’ai été abasourdi de savoir qu’à Bouaké, les gens ignoraient ce qu’était la sculpture. En dehors des ouvrages de Christian Lattier qui sont exposés dans les musées et de celui de la place de la République (Ndlr ; au Plateau) – un monument en métal de la reine Pokou, il n’y avait pas de monuments en Côte d’Ivoire. L’artiste Christian Lattier avait prédit les trois (3) âges de la Côte d’Ivoire à travers une de ses œuvres. Aujourd’hui, les Ivoiriens vivent les trois âges prédits par cet artiste-là… Cependant, la majorité des Ivoiriens n’a pas encore compris le langage artistique. Les Ivoiriens n’aiment pas l’Art. Ce sont des incultes en matière artistique. Que les Ivoiriens comprennent que lorsqu’un artiste produit une œuvre, celle-ci a besoin d’entretien. Quand un artiste crée une œuvre, il la prête à un commanditaire. Et il signe l’ouvrage. A partir de cet instant, l’œuvre n’appartient plus au commanditaire mais à l’artiste. On prête l’œuvre à celui qui l’a commandé. Il faut que les Ivoiriens aient un minimum de respect pour les œuvres et également pour les artistes.

Selon vous, pourquoi y a-t-il problème au niveau de la réinsertion des étudiants de l’Insaac ?
Il faut être à l’extérieur de l’œuf pour voir la forme de cet objet-là. Quand j’étais à Bouaké, je voyais l’organisation qui était mise en place à l’Insaac et de toutes ses écoles d’Arts au niveau d’Abidjan. Dans mon atelier-école, quand mes élèves arrivent à l’Insaac, ils passent le concours pour entrer au LEA (Lycée d’enseignant artistique) ou au C.T.A.A (Centre technique des arts appliqués) de Bingerville. Ces élèves sont brillants parce qu’ils ont été formés par un maître. Cela ne veut pas dire qu’ils sont nuls dans les autres matières de l’enseignement général. Lorsque ces derniers arrivent pour se présenter au Bac artistique, ils sont confrontés à un nombre de places limitées. Les responsables font savoir que l’Etat n’a pas les moyens de prendre plusieurs personnes. Ce qui m’exaspère c’est qu’il y a une liste qui vient du Ministère de la Culture et de la Francophonie. Et on laisse ceux qui ont aimé l’Art, les véritables pépinières. Pis, on leur demande de devenir des artistes libres.

A son temps, une vague de polémiques avait été attisée sur votre monument Félix Houphouët-Boigny, installé à Bouaké, au quartier Air France 3. De quoi, il en retourne exactement ?
Tout est parti d’une histoire de jalousie… A l’époque, Vénance Konan a été mon avocat-défenseur. Il a trouvé que c’était de l’injustice. Aujourd’hui, tous ceux qui s’étaient ligués contre moi, ont compris que ma vie, c’est la sculpture et qu’ils ne peuvent aller contre. Mes détracteurs soutenaient que le monument faisait face au cimetière de Bouaké, au quartier Air France 3. Ils le disaient parce qu’ils avaient échangé avec le maire de l’époque de Bouaké, M. Konan Blédou. Ils lui ont dit que j’étais trop jeune pour réaliser cette œuvre. Et ils ont pu le convaincre de cette infamie. Chaque ville avait son artiste. Moi, j’étais basé à Bouaké. A la veille du 1er mai, il n’y avait pas de monument à Bouaké. Donc, on nous a demandé de participer à une exposition au Centre culturel Jacques Aka de Bouaké. Mon œuvre a été sélectionnée. Cet ouvrage se décrit comme un vieil homme qui est en train de verser de la boisson. C’est l’invocation. Un vieillard qui invoque les esprits. En Afrique, il existe une communication entre les morts et les vivants. C’est à partir de ce moment que le maire Konan Blédou a eu confiance en moi. Et j’ai commencé à réaliser toutes les œuvres à Bouaké.

Quel souvenir gardez-vous de M. Dogo Yao Célestin ?
M. Dago Yao fût mon directeur aux Beaux Arts. Son exigence m’a permis d’arriver loin. En 1979, le Gefci (Ndlr, Groupement foncier de Côte d’Ivoire) a organisé un concours patronné par l’Alliance française. J’ai remporté le 1er Prix en proposant le monument ‘’Akwaba’’. J’étais le plus jeune parmi des artistes chevronnés sur un total de plus de cinq (5) cents concurrents. Entre autres, Houphouët Kouadio (2è Prix) et Michel Kodjo (3è Prix). C’est le prix qui a causé tous mes malheurs. Mon directeur M. Dogo Yao Célestin, m’a fait savoir que les récompenses obtenues appartiennent à l’école des Beaux Arts et voulait que je lui remette l’espèce contenue dans le trophée. Je lui ai respectueusement dit, non ! M. Dogo Yao Célestin disait mettre cet argent dans la caisse de l’école. Après le retrait, au lieu de lui remettre l’argent, j’ai ouvert un compte. Tous les directeurs qui se sont succédé à la tête de l’Insaac m’ont toujours créé des problèmes. Aujourd’hui, je tire mon chapeau à la directrice de l’école des Beaux Arts qui se bat tant bien que mal pour cette école.

Dans quel domaine de la culture la Côte d’Ivoire s’est-elle illustrée positivement au cours de ces cinq (5) dernières décennies ?
Au niveau de la culture, il faut être franc, ce n’est pas les arts plastiques qui ont fait émerger la Côte d’Ivoire à l’extérieur. C’est la musique. Moi, j’ai eu une médaille d’or en Chine. Cela n’a pas été trop médiatisé. En général, l’homme aime tout ce qui lui passe par l’oreille. La musique est un bruit arrangé qui plaît à l’oreille. Il faut savoir que l’Art est un facteur d’unité. Par exemple, dans une boîte de nuit, les clients ne font pas la différence en disant je ne danse pas telle ou telle musique. Parce que c’est la musique du Rdr ou du Pdci, Fpi, etc. tout le monde danse et on oublie nos différends. C’est pareil pour la sculpture. Quand il y a eu la guerre en 2002, l’image du monument ‘’Akwaba’’ a été projetée sur les écrans de la télévision ivoirienne. Pour que les Ivoiriens et Ivoiriennes sachent que les valeurs normatives telles que l’unité, l’amour et la fraternité doivent être en tous lieux cultivées. Vous voyez l’Art aussi joue un rôle prépondérant dans la société.

Que doit faire l’Etat pour promouvoir les autres aspects encore latents de la culture ivoirienne ?
L’Etat ivoirien doit organiser des symposiums. Par exemple, chaque année, faire venir des artistes de divers horizons pour leur permettre de travailler pendant un temps précis. Aux termes de ces espèces de centres artisanaux itinérants, disposer les productions à l’intersection de chaque grand carrefour des artères principales du pays. Il faut aussi créer des expositions universelles.
Réalisée par Krou Patrick

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