Le président ghanéen ne veut pas aider à résoudre la crise ivoirienne en boutant militairement le principal instigateur, Laurent Gbagbo, du pouvoir. Le voisin semble plutôt vouloir en profiter pour améliorer sa cuire de croissance.
Pour quelles raisons un pays qui voit dans la crise qui paralyse son voisin, une manne inespérée, irait prendre partie pour régulariser une situation qui renfloue son économie et sa balance commerciale? En tout cas, pas le Ghana qui, économiquement, ne s’est jamais aussi bien porté qu’avec la persistance de la déchirure fratricide en Côte d’Ivoire. Beaucoup d’analystes pensent que le Ghana est l’un des plus grands bénéficiaires de la crise ivoirienne et ne souhaite certainement pas que cela prenne fin. «Sur un plan strictement économique, Accra n’a aucun intérêt à ce que la crise ivoirienne prenne fin rapidement. Ce serait se tirer une balle dans le pied que d’intervenir pour aider au règlement du conflit», observe un spécialiste. En effet, le port du Ghana tourne à plein régime. Il accueille et gère les cargos et porte-conteneurs qui se sont détournés des ports ivoiriens. Sur les quais, d’immenses stocks de cacao dont la production a subitement doublé. En réalité, des centaines de milliers de tonnes échappent au contrôle des autorités ivoiriennes pour aller gonfler les exportations ghanéennes.
Accra, comme un vampire !
Par ailleurs, plusieurs entreprises ivoiriennes, comme Nestlé et bien d’autres, ont délocalisé au Ghana. Plusieurs autres sociétés à capitaux libanais à Abidjan ont établi une branche dans le pays de John Atta-Mills. Quant aux pays de l’hinterland, ils voient en la capitale ghanéenne, une issue de contournement pour éviter les caprices du corridor ivoirien. « C’est la nouvelle voie commerciale de transit de marchandises pour les pays enclavés comme le Mali qui n’ont pas d’accès maritime», se félicitent les chargeurs. De plus en plus d’importateurs maliens et burkinabè préfèrent désormais passer par Tema. Pas seulement parce que les droits de passage imposés par des forces de l’ordre corrompues, en Côte d’ivoire, sur les innombrables barrages routiers, sont devenus insupportables mais surtout parce que beaucoup cherchent aussi à échapper aux inspections tatillonnes de la douane ivoirienne au port d’Abidjan. Les conteneurs en transit qui arrivent à Tema ne sont pas soumis à un passage au scanner, malgré la présence de cette technologie, acquise en 2000. Elle est réservée aux marchandises destinées au Ghana. Avec ces mesures incitatives, le niveau du transit ne fait que se renforcer. Ainsi, le responsable du Conseil burkinabé des chargeurs (CBC) au Ghana, Yaya Yédan révèle que 6.540 importateurs de son pays se sont fait enregistrer dans ses fiches de la représentation à Tema. A titre d’exemple et selon les statistiques de cette représentation, 28. 205 tonnes de riz ont été importées en 2010 au Burkina Faso à partir des ports de Tema et Takoradi. David Kyelem, le chef de bureau de Takoradi ajoute que ce sont au total 2.000 tonnes de blé qui sont passées par ce port à destination de Ouagadougou. Quant au Mali, le dernier exercice note un progrès du chiffre d’affaires de 34,6 milliards avec Tema. En effet, pour fidéliser ses clients, Tema pratique des prix très concurrentiels pour les produits à destination des pays enclavés. « Pour bouger un conteneur de 20 pieds destiné au Ghana, il fallait payer 13.000 Fcfa, explique Philippe Fozzani, responsable maritime de SDV au Ghana. Ce coût n’est plus que de 2.500 Fcfa si le conteneur est à destination du Mali ».
Côté stockage, les conteneurs à destination du Ghana bénéficient de 7 jours gratuits, tandis que ceux en transit ont droit à 21 jours de franchise. Au bout du 21ème jour, le stockage du conteneur en transit est facturé moins cher que pour un conteneur à destination du Ghana. Avec toutes ces stratégies, le trafic-marchandise a connu un pic à Tema. «Ils ont suffisamment changé leurs habitudes pour profiter de la crise ivoirienne», affirme Philippe Fozzani, ajoutant que pour faire face à d’éventuels engorgements, un effort a été fait pour reporter le trafic sur Takoradi. Ce qui donne à une baisse de 20 % sur les droits de port pour la marchandise en sacs. Ainsi, Takoradi qui dispose de moins de postes à quai avec les tirants d’eau nécessaires, de moins de facilités de stockage et de moins de camions qui attendent au port, est en plein travaux. En ce qui concerne le trafic-cargo, il a vigoureusement repris à Tema, malgré la stabilité des importations et la légère baisse des exportations. Ce trafic-cargo est passé de 8,3 à 10,8 millions de tonnes, une augmentation largement tirée par le trafic en transit vers l’intérieur (Mali, Burkina, Niger). Les autorités portuaires mettent un point d’honneur à réduire le temps d’attente des navires pour accoster. Ce temps allait de 3 à 15 jours. Mais avec les diligences de l’Etat, cette période d’attente est désormais de 12 heures pour les conteneurs et de 3 jours pour les sacs. «Comme il y a plus de camions que de marchandises, l’attente est réduite et les sacs sont enlevés directement par camion», précise Jean-Christophe Tranchepain, directeur général au Ghana du groupe Bolloré et de ses cinq filiales : SDV, Antrak, Tema Terminal (TCT), Scanship et Saga. Les capacités du terminal à conteneurs privé TCT, propriété du groupe Bolloré, ont été revues à la perfection. Ce terminal privé de 50.000 m2, situé à l’extérieur du port, évite aux armateurs, contre un service facturé, de perdre trop de conteneurs. «TCT permet aux armateurs d’avoir un interlocuteur assuré et qui prend ses responsabilités», explique M. Tranche- pain. Le pouvoir ghanéen multiplie les initiatives pour mettre le port d’Abidjan hors circuit.
Amélioration en vue
Ainsi, le quai numéro 2 a été allongé de 200 mètres. Ces travaux, confiés au groupe néerlandais Interbeton, permettent à deux bateaux supplémentaires d’accoster à Tema, faisant passer la capacité de 12 à 14 navires. D’autres travaux prévoient le pavage du quai, ainsi que la construction d’un magasin et l’achat de trois nouveaux portiques à conteneurs. Au total, Tema compte désormais 12 emplacements : deux de 11,5 mètres de profondeur, deux de 9 mètres et sept de 8 mètres, dont un réservé aux minéraliers. En tout état de cause, le port a revu son système de manutention, en passe d’être privatisé. Les 7 manutentionnaires privés, Atlantic Ports Services, Speedline, Express Maritime Services, Carl Tiedemann Stevedoring Ghana, GGS, Dash-Wood et Odart qui sous-traitaient pour le port se sont vus octroyer des licences, et ont été contraints d’appliquer des tarifs attractifs. Ce système devrait évoluer avec l’instauration d’un processus de libre concurrence. Des discussions ont par ailleurs été ouvertes avec un consortium d’opérateurs autour de la gestion future de la manuten- tion ainsi que celle d’un terminal à conteneurs. Ce consortium, que les autorités souhaitent voir opérer comme un opérateur unique, reste dans la confidentialité. Mais, d’ores et déjà, on sait qu’il regroupe deux compagnies maritimes, un groupe de BTP et un grand port européen. Quand la Côte d’Ivoire se réveillera, le Ghana sera au firmament.
Lanciné Bakayoko
Pour quelles raisons un pays qui voit dans la crise qui paralyse son voisin, une manne inespérée, irait prendre partie pour régulariser une situation qui renfloue son économie et sa balance commerciale? En tout cas, pas le Ghana qui, économiquement, ne s’est jamais aussi bien porté qu’avec la persistance de la déchirure fratricide en Côte d’Ivoire. Beaucoup d’analystes pensent que le Ghana est l’un des plus grands bénéficiaires de la crise ivoirienne et ne souhaite certainement pas que cela prenne fin. «Sur un plan strictement économique, Accra n’a aucun intérêt à ce que la crise ivoirienne prenne fin rapidement. Ce serait se tirer une balle dans le pied que d’intervenir pour aider au règlement du conflit», observe un spécialiste. En effet, le port du Ghana tourne à plein régime. Il accueille et gère les cargos et porte-conteneurs qui se sont détournés des ports ivoiriens. Sur les quais, d’immenses stocks de cacao dont la production a subitement doublé. En réalité, des centaines de milliers de tonnes échappent au contrôle des autorités ivoiriennes pour aller gonfler les exportations ghanéennes.
Accra, comme un vampire !
Par ailleurs, plusieurs entreprises ivoiriennes, comme Nestlé et bien d’autres, ont délocalisé au Ghana. Plusieurs autres sociétés à capitaux libanais à Abidjan ont établi une branche dans le pays de John Atta-Mills. Quant aux pays de l’hinterland, ils voient en la capitale ghanéenne, une issue de contournement pour éviter les caprices du corridor ivoirien. « C’est la nouvelle voie commerciale de transit de marchandises pour les pays enclavés comme le Mali qui n’ont pas d’accès maritime», se félicitent les chargeurs. De plus en plus d’importateurs maliens et burkinabè préfèrent désormais passer par Tema. Pas seulement parce que les droits de passage imposés par des forces de l’ordre corrompues, en Côte d’ivoire, sur les innombrables barrages routiers, sont devenus insupportables mais surtout parce que beaucoup cherchent aussi à échapper aux inspections tatillonnes de la douane ivoirienne au port d’Abidjan. Les conteneurs en transit qui arrivent à Tema ne sont pas soumis à un passage au scanner, malgré la présence de cette technologie, acquise en 2000. Elle est réservée aux marchandises destinées au Ghana. Avec ces mesures incitatives, le niveau du transit ne fait que se renforcer. Ainsi, le responsable du Conseil burkinabé des chargeurs (CBC) au Ghana, Yaya Yédan révèle que 6.540 importateurs de son pays se sont fait enregistrer dans ses fiches de la représentation à Tema. A titre d’exemple et selon les statistiques de cette représentation, 28. 205 tonnes de riz ont été importées en 2010 au Burkina Faso à partir des ports de Tema et Takoradi. David Kyelem, le chef de bureau de Takoradi ajoute que ce sont au total 2.000 tonnes de blé qui sont passées par ce port à destination de Ouagadougou. Quant au Mali, le dernier exercice note un progrès du chiffre d’affaires de 34,6 milliards avec Tema. En effet, pour fidéliser ses clients, Tema pratique des prix très concurrentiels pour les produits à destination des pays enclavés. « Pour bouger un conteneur de 20 pieds destiné au Ghana, il fallait payer 13.000 Fcfa, explique Philippe Fozzani, responsable maritime de SDV au Ghana. Ce coût n’est plus que de 2.500 Fcfa si le conteneur est à destination du Mali ».
Côté stockage, les conteneurs à destination du Ghana bénéficient de 7 jours gratuits, tandis que ceux en transit ont droit à 21 jours de franchise. Au bout du 21ème jour, le stockage du conteneur en transit est facturé moins cher que pour un conteneur à destination du Ghana. Avec toutes ces stratégies, le trafic-marchandise a connu un pic à Tema. «Ils ont suffisamment changé leurs habitudes pour profiter de la crise ivoirienne», affirme Philippe Fozzani, ajoutant que pour faire face à d’éventuels engorgements, un effort a été fait pour reporter le trafic sur Takoradi. Ce qui donne à une baisse de 20 % sur les droits de port pour la marchandise en sacs. Ainsi, Takoradi qui dispose de moins de postes à quai avec les tirants d’eau nécessaires, de moins de facilités de stockage et de moins de camions qui attendent au port, est en plein travaux. En ce qui concerne le trafic-cargo, il a vigoureusement repris à Tema, malgré la stabilité des importations et la légère baisse des exportations. Ce trafic-cargo est passé de 8,3 à 10,8 millions de tonnes, une augmentation largement tirée par le trafic en transit vers l’intérieur (Mali, Burkina, Niger). Les autorités portuaires mettent un point d’honneur à réduire le temps d’attente des navires pour accoster. Ce temps allait de 3 à 15 jours. Mais avec les diligences de l’Etat, cette période d’attente est désormais de 12 heures pour les conteneurs et de 3 jours pour les sacs. «Comme il y a plus de camions que de marchandises, l’attente est réduite et les sacs sont enlevés directement par camion», précise Jean-Christophe Tranchepain, directeur général au Ghana du groupe Bolloré et de ses cinq filiales : SDV, Antrak, Tema Terminal (TCT), Scanship et Saga. Les capacités du terminal à conteneurs privé TCT, propriété du groupe Bolloré, ont été revues à la perfection. Ce terminal privé de 50.000 m2, situé à l’extérieur du port, évite aux armateurs, contre un service facturé, de perdre trop de conteneurs. «TCT permet aux armateurs d’avoir un interlocuteur assuré et qui prend ses responsabilités», explique M. Tranche- pain. Le pouvoir ghanéen multiplie les initiatives pour mettre le port d’Abidjan hors circuit.
Amélioration en vue
Ainsi, le quai numéro 2 a été allongé de 200 mètres. Ces travaux, confiés au groupe néerlandais Interbeton, permettent à deux bateaux supplémentaires d’accoster à Tema, faisant passer la capacité de 12 à 14 navires. D’autres travaux prévoient le pavage du quai, ainsi que la construction d’un magasin et l’achat de trois nouveaux portiques à conteneurs. Au total, Tema compte désormais 12 emplacements : deux de 11,5 mètres de profondeur, deux de 9 mètres et sept de 8 mètres, dont un réservé aux minéraliers. En tout état de cause, le port a revu son système de manutention, en passe d’être privatisé. Les 7 manutentionnaires privés, Atlantic Ports Services, Speedline, Express Maritime Services, Carl Tiedemann Stevedoring Ghana, GGS, Dash-Wood et Odart qui sous-traitaient pour le port se sont vus octroyer des licences, et ont été contraints d’appliquer des tarifs attractifs. Ce système devrait évoluer avec l’instauration d’un processus de libre concurrence. Des discussions ont par ailleurs été ouvertes avec un consortium d’opérateurs autour de la gestion future de la manuten- tion ainsi que celle d’un terminal à conteneurs. Ce consortium, que les autorités souhaitent voir opérer comme un opérateur unique, reste dans la confidentialité. Mais, d’ores et déjà, on sait qu’il regroupe deux compagnies maritimes, un groupe de BTP et un grand port européen. Quand la Côte d’Ivoire se réveillera, le Ghana sera au firmament.
Lanciné Bakayoko