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Politique Publié le vendredi 4 février 2011 | Le Mandat

Interview/ Fanny Ibrahima (maire de Bouaké): “Le Président Alassane a agi en homme civilisé”

Fanny Ibrahima. Un nom, un homme bien fiché au tableau politique ivoirien, parce que militant
avant-gardiste du Rdr mais aussi et surtout, maire de Bouaké, la deuxième grande ville de Côte
d’Ivoire. En 2002, quand la rébellion prend racines dans la capitale du Centre, il est taxé d’en être
complice. 8 ans après cette accusation qui a donné lieu à moult supputations, le Mandat est allé à
la rencontre de l’homme. Pour lui arracher toute sa part de vérité. Malgré le poids de l’âge, Fanny
garde l’entrain et dit les choses telles qu’il les a vécues ou les vit. Ses rapports avec le Président
Alassane Ouattara, sa prétendue connivence avec la rébellion d’alors, la gestion de la mairie de
Bouaké… et le brigandage électoral de Laurent Gbagbo, rien n’a été occulté. Interview sans détour !


M. Fanny, en septembre 2002, au moment où presque tout le monde fuyait Bouaké, vous y êtes
resté. Un acte de bravoure ou d’intérêt ?

Non, en réalité, je ne suis pas resté à Bouaké lorsque la guerre a éclaté le 19 septembre 2002. J’ai
été le dernier ici à savoir qu’il y a eu guerre. Je me suis exilé au Togo et le Président Alassane nous a aidés à sortir et nous nous sommes installés quelque part où nous avons fait deux mois. Ensuite, j’ai rejoint le groupe à Paris (le Rdr) à l’occasion des négociations de Linas Marcoussis. J’y suis resté trois mois avant d’atterrir au Mali. C’est de Bamako que je suis rentré à Bouaké. Donc, on ne peut pas dire que je suis resté sur place au début de la guerre.


Vous revenez à Bouaké alors que les Forces Nouvelles contrôlent la ville à tous les niveaux y compris la mairie, et vous devenez un maire chômeur…

Cette question est très intéressante parce que j’ai énormément souffert avec les Forces Nouvelles. Si aujourd’hui, nos rapports sont bons, ils ont été très difficiles au début. Je ne sais pas pourquoi ils se sont mis dans la tête que j’étais contre eux. Mais aujourd’hui, nos relations se sont normalisées.


A l’époque, qu’est-ce qu’ils vous reprochaient ?

J’étais l’ami de Gbagbo et que je serais dangereux pour eux. Mais, dès qu’ils ont réalisé qu’il n’en
était rien, on a cohabité jusqu’à maintenant.


Est-ce que vous ne regrettez pas d’être revenu à Bouaké ?

Je connais le monde entier, mais Bouaké est ma terre natale. Je ne peux jamais abandonner cette
ville. Bouaké, c’est comme un poison dans mon sang. Quand bien même je peux prospérer ailleurs, je préfère rester ici.


Vous êtes revenu et vous avez repris votre poste de maire. Depuis, qu’avez-vous réalisé pour cette ville que vous aimez tant ?

Quand je suis revenu, j’ai dû cohabiter avec les Forces Nouvelles pendant cinq ans, puis à la faveur des Accords de Ouagadougou, elles ont décidé de restituer les services de l’Etat. Cela fait environ trois ans que nous avons repris le fonctionnement de la mairie, mais c’est extrêmement difficile. Tenez par exemple, nous trainons des dizaines de mois d’arriérés de salaires. Il n’y a pas de recettes bien que l’unicité des caisses soit une réalité. Or, vous savez qu’une mairie vit de recettes. L’Etat ivoirien n’a jamais voulu nous payer régulièrement. Donc, la commune de Bouaké vit une vraie galère. A mon seul niveau, je peux tenir le coup parce qu’au moment où je prenais la mairie, j’avais déjà une assise sociale. Mais comment vivent tous ces employés qui n’ont pas la même situation que moi et qui souffrent énormément ? Ils étaient 800 à l’époque. Aujourd’hui, on en dénombre 600 et on leur doit près de 100 mois de salaire.


Ces pauvres agents peuvent-ils espérer en un règlement effectif de ces arriérés ?

Oui ! L’Etat reconnaît la dette. Surtout qu’il va y avoir un bon Président maintenant…


Cela fait partie des dossiers chauds qui attendent donc le Président Ouattara ?

Exactement ! Comme Bouaké fait partie des villes qui l’ont voté massivement, le minimum qu’on
attend de lui, c’est de régulariser cette situation dès son installation. Et comme je connais l’homme,
je sais qu’il va le faire.


M. le maire, certains de vos administrés vous accusent de ne rien faire pour la commune de Bouaké. Un éclairage ?

C’est dommage ! Et je crois que c’est l’ignorance, mais l’ignorant a l’excuse d’être ignorant. Les gens ne savent même pas les conditions précaires dans lesquelles nous travaillons. A l’heure où je vous parle, nous avons trois camions de ramassage d’ordures qui sont immobilisés, faute de carburant. Vous n’allez peut-être pas y croire, mais c’est cela la triste réalité.


On parle d’une grosse enveloppe que l’Union Européenne aurait allouée à la mairie de Bouaké. Si oui, où est-elle passée ?

Je n’ai jamais eu ou vu un centime de l’Union Européenne en dehors des quatre bennes qui sont
dans la cour de la mairie. Peut-être que cette enveloppe a été remise à ceux qui vous en parlent.
Vous savez, quand vous décidez de servir le peuple, vous êtes appelés à faire face à tous ces ragots.
J’ai souvent mené des actions avec des fonds propres au profit de la mairie. J’en veux pour exemple les locaux qui abritent en ce moment la municipalité. J’y ai mis plus de 50 millions. Alors, c’est de la méconnaissance que d’affirmer que la mairie a reçu une grosse enveloppe de l’Union Européenne. Bouaké est une ville difficile du fait de la guerre. Mais, comme il y a un jugement dernier, attendons- le pour voir le bilan de chacun.


Il n’y a pas que des accusations contre vous, il y a aussi que vous entreprenez des actions sociales à titre personnel ?

Moi, je suis un homme d’affaires. Donc, il y a des actions sociales que je mène au quotidien à divers niveaux. Mais comme ce sont des œuvres sociales, on ne doit pas les étaler sur la place publique.


C’est toujours le grand Fanny Ibrahima, malgré l’âge et les soucis ?

Oui, le même ! Vous me voyez, je suis peut-être même plus frais que vous qui êtes jeune ! (rires).


M. Fanny, depuis le 03 décembre 2010, la Côte d’Ivoire, vit au rythme d’une crise politique inédite.
Cela doit vous affecter sérieusement, n’est-ce pas ?

Je suis profondément et particulièrement affecté par cette crise post-électorale qui en rajoute
aux souffrances des Ivoiriens. J’en suis d’autant affecté que j’ai été l’une des premières personnes que Djéni Kobena a envoyées à Washington pour parler à Alassane Ouattara. Il a fallu du temps pour le convaincre à s’engager dans la politique. Il s’y est lancé, il a connu son lot de douleurs et d’humiliations. Et au moment où il arrive au bout du tunnel, on veut le priver de ce qu’il a acquis de haute lutte. Comment des intellectuels de la trempe de Laurent Gbagbo et Yao N’Dré peuvent-ils travestir la vérité aux yeux du monde entier de cette manière ? De quel droit se prévaut l’homme de droit ( ?), Yao N’Dré, Président du Conseil constitutionnel, pour transformer la vérité en mensonge ?
Il est fonctionnaire de l’Etat, comme moi je l’ai été. J’ai été député à l’Assemblée nationale et j’ai
participé à la rédaction de l’actuelle Constitution de la Côte d’Ivoire. Nous avons aussi élaboré
le code électoral. Je suis au regret de constater que Yao N’Dré a tout dit, sauf ce qu’on a écrit.
Si le Conseil constitutionnel constate, avec preuve à l’appui, que l’élection a été marquée par
des irrégularités qui entachent sa sincérité et affectent ses résultats comme il le fait croire, la loi
l’autorise à annuler le scrutin. Est-ce vraiment ce qu’il a fait ? Vous croyez que Gbagbo peut vraiment gagner une élection face à une combinaison PDCI-RDR ? Gbagbo lui-même sait qu’il a été battu ! Et Yao N’Dré a décidé de foutre le bordel dans le pays, je crois qu’il est bien servi. Il a tout mélangé. Et dire qu’il est Professeur de Droit ! Il s’est noyé dans une salissure inimaginable. Tout cela fait que je suis profondément déçu de la Côte d’Ivoire.


Maintenant que le vin du brigandage électoral est tiré, que faut-il faire, selon vous, pour éviter qu’il
se bonifie?

Qu’il pleuve on qu’il neige, Alassane occupera le fauteuil présidentiel. Gbagbo fera tout ce qu’il a à
faire, Alassane sera installé au Palais du Plateau.


Il y a que le Sud est en proie à des violations graves des droits humains, les morts et les disparitions ne se comptent plus. Comment ressentez-vous cela depuis Bouaké ?

Je crois que si on avait envahi les rues dès que Yao N’Dré a raconté ses inepties, on n’en serait plus là. La police ou l’armée aurait tiré peut-être deux fois mais pas plus. Et Gbagbo aurait lâché du lest. Le Président Alassane a agi en homme civilisé, en évitant la chienlit, l’affrontement, alors qu’en face, Gbagbo et ses hommes ne comprennent que le langage de la violence. Maintenant, s’il faut passer par un bain de sang pour que le Président élu et reconnu de tous puisse travailler, je crois qu’on n’hésitera pas. Yao N’Dré a eu peur de dire la vérité à Gbagbo. Et aujourd’hui, leur complicité a mis le pays dans un gouffre terrifiant. Je vous le dis, je ne reconnais plus Laurent. Il a intérêt à profiter du Panel des cinq Chefs d’Etat proposé par l’UA pour se retirer avec un peu de dignité. Je ne savais pas que mon ami Gbagbo irait jusqu’à ce point. C’est inqualifiable, ce qu’il fait ! Il est tombé trop bas ! Son image est trop ternie par les actes qu’il pose ou qu’il autorise, comme le braquage de la BCEAO.
Les Ivoiriens sont affamés jusqu’aux talons. Les valeurs sociales et humaines ne représentent plus rien. C’est la décrépitude totale ! Tout est bloqué ! L’argument de la guerre ne peut pas tenir quand on regarde son train de vie ainsi que celui de ses proches pendant la période du processus de sortie de crise. Le peuple s’est davantage appauvri pendant qu’une minorité roule carrosse. La gabegie, le favoritisme, la corruption, les détournements et autres se sont érigés en modes de gestion. Et c’est tout cela qui a poussé le peuple souverain à le sanctionner démocratiquement. Alors, il est temps qu’il le comprenne. S’il avait bien géré la guerre, elle n’aurait duré qu’à peine deux semaines. S’il était humble et qu’il avait utilisé les mots qu’il fallait au moment où il fallait, on aurait évité tous ces maux qui ont provoqué la descente aux enfers de notre beau pays.


Peut-être que les gens n’auraient même pas pris les armes ?

Non ! Qu’est-ce que les soldats qui ont pris les armes demandaient ? 75 millions liés à leur mission
en Centrafrique, le cas des Zinzins et des Baéfoué était là. Il y avait également le problème des pièces d’identité avec les ressortissants du Nord qui étaient régulièrement dépossédés de ce précieux document administratif rien qu’à cause de leurs noms, et l’exclusion d’Alassane et de Bédié de la présidentielle de 2000 dont il a été le plus grand bénéficiaire. Gbagbo aurait appliqué simplement et purement les résolutions du Forum de Réconciliation nationale qu’on n’en serait pas là aujourd’hui.
En réalité, il voulait s’essayer à la guerre. Sincèrement, je suis très peiné de voir Laurent descendre aussi bas.


Vous qui êtes actif dans la vie politique ivoirienne, quelle est, selon vous, la solution idoine à cette
crise ?

En tout cas, mois je crois que Laurent Gbagbo doit se ressaisir. Si la communauté internationale
ne peut pas l’amener à céder, il va falloir que nous prenions nos responsabilités. Il va tuer peut-
être mille, 10 mille mais la Côte d’Ivoire sera libérée et les survivants vivront en paix. Si Mangou
et ses hommes qui ont fait de grandes écoles militaires occidentales et d’ici peuvent tirer sur les
populations aux mains nues pendant deux jours, ils ne tiendront pas au troisième jour. Et Gbagbo
sera contraint d’abdiquer face à la puissance du peuple.


Mais, il est dans une logique de massacres qui traumatise et contraint pratiquement la majorité au
silence...

Il va tirer, mais à un moment donné, il va s’écrouler parce que la vie humaine est trop sacrée. Il a déjà
fait près de 300 morts officiellement parmi les civils. Cela ne va jamais lui porter bonheur. Il ferait
mieux d’arrêter d’être dictateur et retourner à ses cours d’histoire.


‘‘Mille morts à droite, mille morts à gauche, j’avance’’ avait-il prévenu…

Ben Ali, en Tunisie, mettait n’importe qui en prison pour un ‘‘oui’’ ou un ‘‘non’’. Mais aujourd’hui,
où est-il ? Si aujourd’hui, seulement 200.000 personnes envahissent les rues d’Abidjan, que peut-il
faire ?

Le Président Alassane l’a averti en lui disant qu’il risque de tomber comme un fruit pourri…

Ah oui ! Et ce sera désolant pour lui. Dans tous les pays au monde, l’armée, c’est le peuple. Qui vous dit qu’elle va demeurer longtemps dans le mensonge ? Le seul problème, c’est que le peuple n’a pas encore pris la décision d’en finir avec lui.


En cas d’usage de la force légitime, dans quel état voulez-vous voir Gbagbo ?

Compte tenu de nos amitiés, je souhaite qu’il ne lui arrive rien de grave à l’occasion de son départ du pouvoir. Donc, je le veux vivant, mais hors du pourvoir d’Etat.

M. le maire, aujourd’hui, quel message fort à l’endroit de la population de Bouaké qui n’a pas
toujours l’occasion de s’adresser directement à vous et qui murmure parfois des récriminations mal fondées ?

Bouaké est une ville particulière en ce sens qu’elle brasse les populations venues de divers horizons.
Le problème majeur ici, c’est que la plupart de ceux qui critiquent de façon intempestive ne se
renseignent pas parce qu’ils ont soit un problème personnel avec le maire, soit ils luttent pour des
intérêts égoïstes. Et comme le maire les empêche souvent d’assouvir leurs bas desseins, ils se livrent à des dénigrements pour se soulager, c’est tout : Sinon, que peut-on attendre d’une municipalité qui n’a pas de recettes depuis bientôt 8 ans? Du fait de la crise, nous ne contrôlons pas les corridors, les populations n’arrivent pas à payer les taxes bien que les Forces Nouvelles nous aient remis le pouvoir de les percevoir. Quelque part, la réaction des populations est légitime car elles sont en droit d’attendre beaucoup de leur mairie. C’est aussi la raison pour laquelle, nous sommes impatients que le Président Alassane Ouattara s’installe maintenant. Il a un grand plan de relance pour Bouaké.

J’en appelle donc au calme. Nous nous sommes installés en 2001 et la crise est survenue en 2002. Nous n’avons même pas eu le temps de démarrer quoi que ce soit. Inch’Allah, le bout du tunnel n’est pas loin. Je demande donc aux braves populations de ne pas se laisser abuser par les colporteurs de fausses nouvelles. Quoi qu’il en soit, Bouaké reste Bouaké.

Réalisée à Bouaké par

Mass Domi
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