Le chef de file des jeunes patriotes ne perd rien de sa rhétorique. Il a accepté d’être interviewé par Soir Info entre quelques-unes de ses nombreuses tâches…ministérielles et celles liées à sa lutte politique. Exclusif !
Vous ne décolérez pas contre Blaise Compaoré à qui vous avez formellement interdit la destination Abidjan. Est-ce un combat par procuration en faveur de Laurent Gbagbo ?
Charles Blé Goudé : Je ne suis pas le porte-parole du président Laurent Gbagbo. Président qu’il est, il a un porte-parole que vous devriez connaître. Egalement, le gouvernement de la République de Côte d’Ivoire a un porte-parole. Moi, je suis modestement le porte-voix des Ivoiriens dont je donne la position après les avoir écoutés. Je vous précise que les Ivoiriens n’ont pas de position tranchée sans preuve. Blaise Compaoré, en l’occurrence, s’est illustré négativement dans cette crise. Après avoir déstabilisé la sous-région, il a donné gîte et couvert à la rébellion qu’il a armée.
Par procuration, entendu que la France lui a confié cette tâche. Il a été amené par un concours de circonstances à être facilitateur dans la sortie de crise. A cet égard, il a un bilan qui- du reste- n’est pas positif. Compaoré ne saurait accepter qu’on lui confie une nouvelle mission sans avoir réussi la première. Nous disons que cet homme qui, par ailleurs, est partisan de la force dans le règlement de la crise post-électorale et a pris officiellement position pour M. Ouattara, n’est pas du tout bien placé pour faire partie d’une quelconque médiation africaine. Que Compaoré soit courageux, qu’il fasse comprendre à ses pairs qu’il a échoué de sorte qu’une autre personnalité soit désignée à sa place.
Malgré vos prises de position, certaines sources annoncent Blaise Compaoré à Abidjan, ce 22 février. Jusqu’où comptez-vous allez si d’aventure le président du Faso arrivait à Abidjan ?
C. B. G. : Le 22 février n’est pas encore arrivé. Attendons. Et nous verrons. Non pas ce que je suis susceptible de faire mais ce que les Ivoiriens pourraient avoir comme attitude. Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas le voir arriver en Côte d’Ivoire. Il me semble que cela soit assez clair. Moi, je vous remercie de m’annoncer sa date d’arrivée.
Vous pensez que Compaoré entend vos appels répétés ?
C. B. G. : Il peut entendre et ne pas accepter ce que nous disons. Parce qu’il est un homme en mission. En mission pour lui-même avec le cacao qui se vend au Burkina Faso et qu’il exporte, avec l’or qu’il exploite en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, le cacao ivoirien est vendu par le Burkina Faso.
On évoque plus de 100 mille tonnes de cacao qui vont vers le Burkina et qui rapportent au pays plus de 170 milliards FCfa. Il ne peut que se frotter les mains. Compaoré est en mission pour la France qui a peur de perdre la Côte d’Ivoire. Nous nous trouvons comme en 1959 : après la guerre d’Algérie qui a donné de la véritable nivaquine à croquer à la France. Après le « non » cinglant de Sékou Touré, la France a eu peur de perdre ses colonies. A Sékou Touré, on voulait faire payer le fait d’avoir dit non. La Guinée a été asséchée économiquement. On a isolé, appauvri la Guinée.
Manière de dire aux autres colonies africaines : voici ce qui les attend au cas où ils suivaient l’exemple de Sékou Touré. On veut faire regretter aux Ivoiriens le fait de dire non à cette recolonisation. Et montrer aux autres pays ce qui les attend au cas où ils seraient tentés de suivre l’exemple ivoirien. Voilà, la vérité que l’on refuse de dire. Tout le reste n’est que pure comédie.
Est-ce également pure comédie cette manifestation de rue, vendredi dernier, à Ouagadougou dirigée contre vous ?
C. B. G. : J’ai beaucoup de respect pour les Burkinabè. Je ne souhaiterais pas rentrer dans une quelconque polémique avec eux. Je voudrais dire que je respecte leur pays qui est un pays frère et ami. Je ne voudrais pas rentrer dans une polémique pour regretter plus tard. Comme le Mali et le Burkina avaient eu des regrets après la guerre de trois jours. Je respecte le droit de ceux qui ont marché. Malheureusement, ils se trompent de cible.
Sans Blaise Compaoré au sein du panel, vous ne trouvez pas que les risques d’un échec de la médiation sont énormes d’autant que vos adversaires n’ont, officiellement, récusé aucun membre du panel ?
C. B. G. : Ecoutez ! Les experts sont arrivés au nom du panel. Ils ont écouté ici et là certaines parties. Il y a des zones d’ombre. Le fait d’avoir écouté la Commission électorale indépendante (Cei) pas en tant qu’entité regroupée mais de façon disparate laisse planer des doutes sur la crédibilité du travail. Alors que la Cei a travaillé dans un cadre qui est bien connu, je me surprends que l’on interroge séparément commissaires pro-Gbagbo, commissaires pro-Ouattara. Je crois qu’il aurait été bien inspiré que l’on rencontre la Cei en tant qu’entité unique et en présence de son président Youssouf Bakayoko qui - jusqu’ici - se trouve en France. J’estime que si on voulait la vérité, on aurait écouté la Cei avec tous ses membres et la contradiction se serait faite devant les experts. Ils auraient mieux compris les raisons qui expliquent que la Cei n’ait pas donné les résultats dans le délai requis de trois jours et dans les conditions d’illégalité que tout le monde sait.
Vous semblez remettre en cause la méthode de travail des experts. Doit-on considérer que vous émettez des réserves sur le résultat final à venir ?
C. B. G. : Je note simplement que la méthode n’est pas bonne pour ce qui est des rencontres séparées entre commissaires de la Cei. Quand vous avez une mauvaise méthode, vous ne pouvez qu’aboutir à un faux résultat. Je pense qu’il n’est pas tard. J’espère qu’ils m’entendent. Et qu’ils rencontreront la Commission électorale ivoirienne avec son président et l’ensemble de ses membres. Ce sont des personnes qui ont travaillé ensemble, dans un esprit de consensus. Elles ont été confrontées à des problèmes : lesquels ? Il serait indiqué que les experts le sachent.
Le président de la Cei se trouve en France. Comment peut-on le rencontrer, d’après-vous ?
C. B. G. : Il est président de la Commission électorale indépendante en Côte d’Ivoire. Il n’est pas président d’une Commission électorale en France. Le fait même de l’entendre en France discrédite ses déclarations. Mais laissez-moi vous dire : j’en ai marre qu’on parle de France dans notre crise.
Cela me révolte : pourquoi se sent-on obligé de parler de la France à chacune des fois où il est évoqué la crise ivoirienne ? Sarkozy n’a pas été élu pour la Côte d’Ivoire. Il a été élu pour la France. Ou, du moins, c’est ce que je crois savoir.
Comment vous interprétez la sortie de Victor Gbého, président de la Commission de la Cedeao qui a accusé à demi-mot l’Afrique du Sud de manœuvres suspectes au profit de Laurent Gbagbo ?
C. B. G. : J’ai répondu à M. Gbého qu’il y a encore des fils dignes en Afrique qui comprennent qu’on ne saurait utiliser des Africains contre d’autres Africains. Voyez-vous, la France a une base militaire en Côte d’Ivoire. Elle dit qu’elle ne veut plus de Gbagbo Laurent. Pourquoi ne se sert-elle pas de cette base pour l’attaquer et qu’elle attend que les Africains fassent ce boulot ingrat ?
Parce qu’elle a une image qu’elle cherche à préserver ! Victor Gbého se rend compte que ses propos guerriers n’ont rien produit. Et que l’Ecomog ne viendra pas en Côte d’Ivoire pour tuer des Africains. Il est en train de pleurer son échec.
Lui aussi serait manipulé ?
C. B. G. : Qui est M. Gbého ? Un fonctionnaire aux ordres de son chef Jonathan Goodluck qui pense qu’en se mettant en mission pour le compte de certaines puissances, il aurait ici des atouts pour se faire élire président du Nigéria. Puisqu’il est candidat. C’est un jeu d’intérêts.
Le régime de Laurent Gbagbo est soumis à de rudes sanctions qui touchent aussi bien des institutions financières que des personnalités. Vous qui êtes sous sanction onusienne depuis plusieurs années, comment appréciez-vous l’efficacité des sanctions ?
C. B. G. : Aujourd’hui, l’Ue et l’Onu se banalisent en se faisant manipuler par un groupe d’amis qui est en train de démystifier les sanctions. Une sanction a un objectif de coercition mais quand on sanctionne n’importe qui dans le pays… Essayez de compter le nombre de personnalités sanctionnées dans le pays ! Parce que des gens n’auraient pas répondu à l’appel d’Alassane Ouattara. On tombe dans le ridicule. Ils finiront par sanctionner le garçon de chambre de M. Ouattara. Soyons sérieux ! Que l’Union européenne et les Nations unies cessent de discréditer. Je sais que Kadhafi a été isolé pendant plusieurs années avec la Libye. Aujourd’hui, il est reçu à l’Elysée, à la Maison Blanche, à l’Onu…Nelson Mandela a été arrêté puis jeté en prison parce que, disait-on, il était « terroriste et poseur de bombes », il en est ressorti comme un héros international.
Ce que les autres font en tant qu’adversaires, ce n’est pas ce qui compte, c’est ce que nous, Ivoiriens, souhaitons qui est le plus important. Ils veulent leur liberté ? Il y a un prix à payer : aller à la terre promise en passant par le désert.
C’est aussi le prix à payer, vous pensez, que d’avoir à subir la fermeture d’agences bancaires ?
C. B. G. : Il s’agit ici purement et simplement d’actes d’une extrême gravité ! Ce n’est pas la fermeture en tant que telle de la Banque qui pose problème. Une Banque peut être en difficulté. Elle peut faire faillite où se trouver confrontée à des difficultés techniques. Ce qui pose problème, c’est le motif et la méthode de fermeture de ces banques. Les Ivoiriens ont juste constaté un matin que leurs banques avaient fermé. Mesure-t-on les conséquences d’une telle décision ? Dans ces banques (Bicici, City Bank), il n’y a pas que des militants Lmp ou des militant Rhdp. Il y a des malades qui n’ont pu se rendre à l’hôpital. Il y a des opérateurs économiques qui n’ont rien à voir avec Gbagbo, qui auraient bien voulu avoir leur argent pour leurs investissements. Voilà de quelle façon certains comptent gérer ce pays ? Une telle mesure n’aurait jamais été possible en Europe.
Ça aurait été un scandale. Ils ne l’auraient pas fait par pur respect pour leurs clients. C’est du mépris qui confine au racisme. Ils sont convaincus que rien ne peut leur être fait. Est-ce que Bnp-Paris-Bas peut un matin se lever et fermer sans raison ses portes en France ? Elle se mettrait à dos toute la population française. Cette situation nous montre que nous avons des raisons de résister. Je voudrais lancer un appel aux Ivoiriens : on nous montre que presque rien ne nous appartient chez nous. Nous savons désormais qui ne veut pas qu’on paie les salaires des Ivoiriens. Qui manœuvre, en collaboration avec Sarkozy, pour que les Ivoiriens- étouffés- meurent de faim. Il s’agit de M. Ouattara. Il se trouve au Golf hôtel. S’il pense que les Ivoiriens vont se révolter contre Gbagbo, il se trompe. Je demande à tous les Ivoiriens de s’apprêter à se révolter contre la France. Contre M. Ouattara au Golf hôtel pour réclamer leurs salaires pour faire en sorte que leurs enfants ne meurent pas. Nous savons où se trouve la cause de nos malheurs. Je leur demande de se tenir prêts.
Vous avez déjà menacé de « libérer » le Golf hôtel… est-ce juste du bluff ?
C. B. G. : Non ! Les objectifs évoluent dans une crise. Ceux qui sont au Golf se sont mis en prison eux-mêmes. J’attends. Le moment venu, je demanderai aux jeunes de Côte d’Ivoire de libérer le Golf. Je leur ai demandé de se préparer. Ils m’ont dit qu’ils étaient prêts. Je donnerai le moment venu le mot d’ordre. Pour l’heure, il y a des négociations en cours. Nous donnons à ces négociations une chance d’aboutir.
Vous n’y croyez pas trop ?
C. B. G. : Il ne s’agit pas de croyance. Nous agirons le moment opportun. Nous avons conscience de notre rôle de leader. Nous orientons la lutte. Nous déterminons les objectifs, selon les circonstances.
Guillaume Soro annonce une révolution à partir du 21 février. Elle semble camper le modèle égyptien…
C. B. G. : Je me demande si Guillaume Soro maîtrise les termes d’une révolution. Il s’est essayé à une révolution avec les armes qui a échoué. Il lui reste peut-être à faire la révolution avec le peuple. Or, on ne peut pas tuer des gens et vouloir faire une révolution avec eux. Une révolution ne se fait pas avec des mains extérieures. Va-t-il faire sa révolution avec Blaise Compaoré, avec Nicolas Sarkozy, avec l’Ua, l’Onu ? Les Ivoiriens ont fini de faire leur révolution en 2000. Et les mêmes Ivoiriens sont encore debout. Je les vois mal s’accommoder d’une rébellion. Soro a-t-il étudié et maîtrisé les contours de la révolution égyptienne. Le peuple a deux manières de parler : soit, il se tait parce qu’il soutient les Institutions en place. Soit, il se soulève contre les institutions.
Depuis décembre, Guillaume Soro et Alassane Ouattara appellent à des soulèvements populaires sans succès. Ils devraient comprendre et changer de fusil d’épaule. Je voudrais les appeler au sens de la responsabilité. Il faut qu’on pense au pays. Nous vivons une crise post-électorale.
Comment la gérons-nous ? Comment rapprocher nos différentes positions pour la Côte d’Ivoire ?
On ne peut pas punir un peuple qu’on projette de diriger plus tard. Dans un premier temps, il était question d’utiliser les rebelles depuis le Golf hôtel pour prendre le pouvoir, cela a échoué. Ensuite, il était question de s’appuyer sur l’Ecomog, cela a échoué également. Aujourd’hui, ils parlent de révolution. Je souhaite que les uns et les autres redescendre sur terre, qu’ils évitent de détruire la Côte d’Ivoire. En tout cas, pour moi, tout est encore possible. Gbagbo Laurent leur a tendu la main.
Je leur dis que tout est encore possible. Tout est encore négociable. Pour la Côte d’Ivoire, tout est encore négociable. Il faut éviter de s’enfermer dans une aventure sans issue qui va faire prévaloir l’orgueil et détruire le pays. Tous ceux qui s’agitent à l’Onu, en France se trouvent loin des souffrances du peuple ivoirien. Ils ne perdent rien en Côte d’Ivoire. Si Guillaume Soro, Ouattara et leur équipe se réclament Ivoiriens, alors je leur demande d’ouvrir les yeux : tout est encore négociable.
De nombreux schémas de sortie de crise circulent sous le manteau. On évoque un présidium où Gbagbo et Ouattara seraient tous deux présidents…
C. B. G. : Le seul schéma qui vaille, c’est la volonté des Ivoiriens.
Nous comprenons bien. Mais est-ce que les jeunes patriotes et vous êtes disposés à une cohabitation Laurent Gbagbo- Alassane Ouattara ?
C. B. G. : Qu’est-ce que les cohabitations ont donné dans ce pays ? La réalité, c’est que le peuple est au travail. Le gouvernement de Côte d’Ivoire également.
Vous avez déclaré à votre prise de fonction que vous étiez ministre à 100%, leader de jeunesse à 100%. On vous voit davantage dans la rue que dans les bureaux feutrés du Plateau. Est-ce dû à la crise post-électorale ou plutôt un refus de votre part d’enfiler votre costume de ministre ?
C. B. G. : Comprenez que quels que soient les projets que les jeunes voudront mettre en œuvre, si la situation politique n’est pas stable, il sera difficile de mener ces projets à bien. Je fais mon travail de ministre mais également celui qui consiste à seréniser le climat politique. Ce qui amènera les investisseurs et permettra aux jeunes de trouver de l’emploi. Mais, je dois avouer que les bureaux feutrés, c’est pas trop mon dada !
Réalisé par
Kisselminan COULIBALY
Vous ne décolérez pas contre Blaise Compaoré à qui vous avez formellement interdit la destination Abidjan. Est-ce un combat par procuration en faveur de Laurent Gbagbo ?
Charles Blé Goudé : Je ne suis pas le porte-parole du président Laurent Gbagbo. Président qu’il est, il a un porte-parole que vous devriez connaître. Egalement, le gouvernement de la République de Côte d’Ivoire a un porte-parole. Moi, je suis modestement le porte-voix des Ivoiriens dont je donne la position après les avoir écoutés. Je vous précise que les Ivoiriens n’ont pas de position tranchée sans preuve. Blaise Compaoré, en l’occurrence, s’est illustré négativement dans cette crise. Après avoir déstabilisé la sous-région, il a donné gîte et couvert à la rébellion qu’il a armée.
Par procuration, entendu que la France lui a confié cette tâche. Il a été amené par un concours de circonstances à être facilitateur dans la sortie de crise. A cet égard, il a un bilan qui- du reste- n’est pas positif. Compaoré ne saurait accepter qu’on lui confie une nouvelle mission sans avoir réussi la première. Nous disons que cet homme qui, par ailleurs, est partisan de la force dans le règlement de la crise post-électorale et a pris officiellement position pour M. Ouattara, n’est pas du tout bien placé pour faire partie d’une quelconque médiation africaine. Que Compaoré soit courageux, qu’il fasse comprendre à ses pairs qu’il a échoué de sorte qu’une autre personnalité soit désignée à sa place.
Malgré vos prises de position, certaines sources annoncent Blaise Compaoré à Abidjan, ce 22 février. Jusqu’où comptez-vous allez si d’aventure le président du Faso arrivait à Abidjan ?
C. B. G. : Le 22 février n’est pas encore arrivé. Attendons. Et nous verrons. Non pas ce que je suis susceptible de faire mais ce que les Ivoiriens pourraient avoir comme attitude. Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas le voir arriver en Côte d’Ivoire. Il me semble que cela soit assez clair. Moi, je vous remercie de m’annoncer sa date d’arrivée.
Vous pensez que Compaoré entend vos appels répétés ?
C. B. G. : Il peut entendre et ne pas accepter ce que nous disons. Parce qu’il est un homme en mission. En mission pour lui-même avec le cacao qui se vend au Burkina Faso et qu’il exporte, avec l’or qu’il exploite en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, le cacao ivoirien est vendu par le Burkina Faso.
On évoque plus de 100 mille tonnes de cacao qui vont vers le Burkina et qui rapportent au pays plus de 170 milliards FCfa. Il ne peut que se frotter les mains. Compaoré est en mission pour la France qui a peur de perdre la Côte d’Ivoire. Nous nous trouvons comme en 1959 : après la guerre d’Algérie qui a donné de la véritable nivaquine à croquer à la France. Après le « non » cinglant de Sékou Touré, la France a eu peur de perdre ses colonies. A Sékou Touré, on voulait faire payer le fait d’avoir dit non. La Guinée a été asséchée économiquement. On a isolé, appauvri la Guinée.
Manière de dire aux autres colonies africaines : voici ce qui les attend au cas où ils suivaient l’exemple de Sékou Touré. On veut faire regretter aux Ivoiriens le fait de dire non à cette recolonisation. Et montrer aux autres pays ce qui les attend au cas où ils seraient tentés de suivre l’exemple ivoirien. Voilà, la vérité que l’on refuse de dire. Tout le reste n’est que pure comédie.
Est-ce également pure comédie cette manifestation de rue, vendredi dernier, à Ouagadougou dirigée contre vous ?
C. B. G. : J’ai beaucoup de respect pour les Burkinabè. Je ne souhaiterais pas rentrer dans une quelconque polémique avec eux. Je voudrais dire que je respecte leur pays qui est un pays frère et ami. Je ne voudrais pas rentrer dans une polémique pour regretter plus tard. Comme le Mali et le Burkina avaient eu des regrets après la guerre de trois jours. Je respecte le droit de ceux qui ont marché. Malheureusement, ils se trompent de cible.
Sans Blaise Compaoré au sein du panel, vous ne trouvez pas que les risques d’un échec de la médiation sont énormes d’autant que vos adversaires n’ont, officiellement, récusé aucun membre du panel ?
C. B. G. : Ecoutez ! Les experts sont arrivés au nom du panel. Ils ont écouté ici et là certaines parties. Il y a des zones d’ombre. Le fait d’avoir écouté la Commission électorale indépendante (Cei) pas en tant qu’entité regroupée mais de façon disparate laisse planer des doutes sur la crédibilité du travail. Alors que la Cei a travaillé dans un cadre qui est bien connu, je me surprends que l’on interroge séparément commissaires pro-Gbagbo, commissaires pro-Ouattara. Je crois qu’il aurait été bien inspiré que l’on rencontre la Cei en tant qu’entité unique et en présence de son président Youssouf Bakayoko qui - jusqu’ici - se trouve en France. J’estime que si on voulait la vérité, on aurait écouté la Cei avec tous ses membres et la contradiction se serait faite devant les experts. Ils auraient mieux compris les raisons qui expliquent que la Cei n’ait pas donné les résultats dans le délai requis de trois jours et dans les conditions d’illégalité que tout le monde sait.
Vous semblez remettre en cause la méthode de travail des experts. Doit-on considérer que vous émettez des réserves sur le résultat final à venir ?
C. B. G. : Je note simplement que la méthode n’est pas bonne pour ce qui est des rencontres séparées entre commissaires de la Cei. Quand vous avez une mauvaise méthode, vous ne pouvez qu’aboutir à un faux résultat. Je pense qu’il n’est pas tard. J’espère qu’ils m’entendent. Et qu’ils rencontreront la Commission électorale ivoirienne avec son président et l’ensemble de ses membres. Ce sont des personnes qui ont travaillé ensemble, dans un esprit de consensus. Elles ont été confrontées à des problèmes : lesquels ? Il serait indiqué que les experts le sachent.
Le président de la Cei se trouve en France. Comment peut-on le rencontrer, d’après-vous ?
C. B. G. : Il est président de la Commission électorale indépendante en Côte d’Ivoire. Il n’est pas président d’une Commission électorale en France. Le fait même de l’entendre en France discrédite ses déclarations. Mais laissez-moi vous dire : j’en ai marre qu’on parle de France dans notre crise.
Cela me révolte : pourquoi se sent-on obligé de parler de la France à chacune des fois où il est évoqué la crise ivoirienne ? Sarkozy n’a pas été élu pour la Côte d’Ivoire. Il a été élu pour la France. Ou, du moins, c’est ce que je crois savoir.
Comment vous interprétez la sortie de Victor Gbého, président de la Commission de la Cedeao qui a accusé à demi-mot l’Afrique du Sud de manœuvres suspectes au profit de Laurent Gbagbo ?
C. B. G. : J’ai répondu à M. Gbého qu’il y a encore des fils dignes en Afrique qui comprennent qu’on ne saurait utiliser des Africains contre d’autres Africains. Voyez-vous, la France a une base militaire en Côte d’Ivoire. Elle dit qu’elle ne veut plus de Gbagbo Laurent. Pourquoi ne se sert-elle pas de cette base pour l’attaquer et qu’elle attend que les Africains fassent ce boulot ingrat ?
Parce qu’elle a une image qu’elle cherche à préserver ! Victor Gbého se rend compte que ses propos guerriers n’ont rien produit. Et que l’Ecomog ne viendra pas en Côte d’Ivoire pour tuer des Africains. Il est en train de pleurer son échec.
Lui aussi serait manipulé ?
C. B. G. : Qui est M. Gbého ? Un fonctionnaire aux ordres de son chef Jonathan Goodluck qui pense qu’en se mettant en mission pour le compte de certaines puissances, il aurait ici des atouts pour se faire élire président du Nigéria. Puisqu’il est candidat. C’est un jeu d’intérêts.
Le régime de Laurent Gbagbo est soumis à de rudes sanctions qui touchent aussi bien des institutions financières que des personnalités. Vous qui êtes sous sanction onusienne depuis plusieurs années, comment appréciez-vous l’efficacité des sanctions ?
C. B. G. : Aujourd’hui, l’Ue et l’Onu se banalisent en se faisant manipuler par un groupe d’amis qui est en train de démystifier les sanctions. Une sanction a un objectif de coercition mais quand on sanctionne n’importe qui dans le pays… Essayez de compter le nombre de personnalités sanctionnées dans le pays ! Parce que des gens n’auraient pas répondu à l’appel d’Alassane Ouattara. On tombe dans le ridicule. Ils finiront par sanctionner le garçon de chambre de M. Ouattara. Soyons sérieux ! Que l’Union européenne et les Nations unies cessent de discréditer. Je sais que Kadhafi a été isolé pendant plusieurs années avec la Libye. Aujourd’hui, il est reçu à l’Elysée, à la Maison Blanche, à l’Onu…Nelson Mandela a été arrêté puis jeté en prison parce que, disait-on, il était « terroriste et poseur de bombes », il en est ressorti comme un héros international.
Ce que les autres font en tant qu’adversaires, ce n’est pas ce qui compte, c’est ce que nous, Ivoiriens, souhaitons qui est le plus important. Ils veulent leur liberté ? Il y a un prix à payer : aller à la terre promise en passant par le désert.
C’est aussi le prix à payer, vous pensez, que d’avoir à subir la fermeture d’agences bancaires ?
C. B. G. : Il s’agit ici purement et simplement d’actes d’une extrême gravité ! Ce n’est pas la fermeture en tant que telle de la Banque qui pose problème. Une Banque peut être en difficulté. Elle peut faire faillite où se trouver confrontée à des difficultés techniques. Ce qui pose problème, c’est le motif et la méthode de fermeture de ces banques. Les Ivoiriens ont juste constaté un matin que leurs banques avaient fermé. Mesure-t-on les conséquences d’une telle décision ? Dans ces banques (Bicici, City Bank), il n’y a pas que des militants Lmp ou des militant Rhdp. Il y a des malades qui n’ont pu se rendre à l’hôpital. Il y a des opérateurs économiques qui n’ont rien à voir avec Gbagbo, qui auraient bien voulu avoir leur argent pour leurs investissements. Voilà de quelle façon certains comptent gérer ce pays ? Une telle mesure n’aurait jamais été possible en Europe.
Ça aurait été un scandale. Ils ne l’auraient pas fait par pur respect pour leurs clients. C’est du mépris qui confine au racisme. Ils sont convaincus que rien ne peut leur être fait. Est-ce que Bnp-Paris-Bas peut un matin se lever et fermer sans raison ses portes en France ? Elle se mettrait à dos toute la population française. Cette situation nous montre que nous avons des raisons de résister. Je voudrais lancer un appel aux Ivoiriens : on nous montre que presque rien ne nous appartient chez nous. Nous savons désormais qui ne veut pas qu’on paie les salaires des Ivoiriens. Qui manœuvre, en collaboration avec Sarkozy, pour que les Ivoiriens- étouffés- meurent de faim. Il s’agit de M. Ouattara. Il se trouve au Golf hôtel. S’il pense que les Ivoiriens vont se révolter contre Gbagbo, il se trompe. Je demande à tous les Ivoiriens de s’apprêter à se révolter contre la France. Contre M. Ouattara au Golf hôtel pour réclamer leurs salaires pour faire en sorte que leurs enfants ne meurent pas. Nous savons où se trouve la cause de nos malheurs. Je leur demande de se tenir prêts.
Vous avez déjà menacé de « libérer » le Golf hôtel… est-ce juste du bluff ?
C. B. G. : Non ! Les objectifs évoluent dans une crise. Ceux qui sont au Golf se sont mis en prison eux-mêmes. J’attends. Le moment venu, je demanderai aux jeunes de Côte d’Ivoire de libérer le Golf. Je leur ai demandé de se préparer. Ils m’ont dit qu’ils étaient prêts. Je donnerai le moment venu le mot d’ordre. Pour l’heure, il y a des négociations en cours. Nous donnons à ces négociations une chance d’aboutir.
Vous n’y croyez pas trop ?
C. B. G. : Il ne s’agit pas de croyance. Nous agirons le moment opportun. Nous avons conscience de notre rôle de leader. Nous orientons la lutte. Nous déterminons les objectifs, selon les circonstances.
Guillaume Soro annonce une révolution à partir du 21 février. Elle semble camper le modèle égyptien…
C. B. G. : Je me demande si Guillaume Soro maîtrise les termes d’une révolution. Il s’est essayé à une révolution avec les armes qui a échoué. Il lui reste peut-être à faire la révolution avec le peuple. Or, on ne peut pas tuer des gens et vouloir faire une révolution avec eux. Une révolution ne se fait pas avec des mains extérieures. Va-t-il faire sa révolution avec Blaise Compaoré, avec Nicolas Sarkozy, avec l’Ua, l’Onu ? Les Ivoiriens ont fini de faire leur révolution en 2000. Et les mêmes Ivoiriens sont encore debout. Je les vois mal s’accommoder d’une rébellion. Soro a-t-il étudié et maîtrisé les contours de la révolution égyptienne. Le peuple a deux manières de parler : soit, il se tait parce qu’il soutient les Institutions en place. Soit, il se soulève contre les institutions.
Depuis décembre, Guillaume Soro et Alassane Ouattara appellent à des soulèvements populaires sans succès. Ils devraient comprendre et changer de fusil d’épaule. Je voudrais les appeler au sens de la responsabilité. Il faut qu’on pense au pays. Nous vivons une crise post-électorale.
Comment la gérons-nous ? Comment rapprocher nos différentes positions pour la Côte d’Ivoire ?
On ne peut pas punir un peuple qu’on projette de diriger plus tard. Dans un premier temps, il était question d’utiliser les rebelles depuis le Golf hôtel pour prendre le pouvoir, cela a échoué. Ensuite, il était question de s’appuyer sur l’Ecomog, cela a échoué également. Aujourd’hui, ils parlent de révolution. Je souhaite que les uns et les autres redescendre sur terre, qu’ils évitent de détruire la Côte d’Ivoire. En tout cas, pour moi, tout est encore possible. Gbagbo Laurent leur a tendu la main.
Je leur dis que tout est encore possible. Tout est encore négociable. Pour la Côte d’Ivoire, tout est encore négociable. Il faut éviter de s’enfermer dans une aventure sans issue qui va faire prévaloir l’orgueil et détruire le pays. Tous ceux qui s’agitent à l’Onu, en France se trouvent loin des souffrances du peuple ivoirien. Ils ne perdent rien en Côte d’Ivoire. Si Guillaume Soro, Ouattara et leur équipe se réclament Ivoiriens, alors je leur demande d’ouvrir les yeux : tout est encore négociable.
De nombreux schémas de sortie de crise circulent sous le manteau. On évoque un présidium où Gbagbo et Ouattara seraient tous deux présidents…
C. B. G. : Le seul schéma qui vaille, c’est la volonté des Ivoiriens.
Nous comprenons bien. Mais est-ce que les jeunes patriotes et vous êtes disposés à une cohabitation Laurent Gbagbo- Alassane Ouattara ?
C. B. G. : Qu’est-ce que les cohabitations ont donné dans ce pays ? La réalité, c’est que le peuple est au travail. Le gouvernement de Côte d’Ivoire également.
Vous avez déclaré à votre prise de fonction que vous étiez ministre à 100%, leader de jeunesse à 100%. On vous voit davantage dans la rue que dans les bureaux feutrés du Plateau. Est-ce dû à la crise post-électorale ou plutôt un refus de votre part d’enfiler votre costume de ministre ?
C. B. G. : Comprenez que quels que soient les projets que les jeunes voudront mettre en œuvre, si la situation politique n’est pas stable, il sera difficile de mener ces projets à bien. Je fais mon travail de ministre mais également celui qui consiste à seréniser le climat politique. Ce qui amènera les investisseurs et permettra aux jeunes de trouver de l’emploi. Mais, je dois avouer que les bureaux feutrés, c’est pas trop mon dada !
Réalisé par
Kisselminan COULIBALY