Dans la seconde partie du témoignage du colonel Christophe Batté sur les évènements du 18 février 1992, l’ex-collaborateur du général Tanny fait des révélations sur les réactions de ce dernier, du général Guéi et du chef de l’Etat d’alors Houphouet-Boigny.
N.V. : Et par la suite?
Col. B.C: Je suis descendu au sous-sol où était le commandant Marc. C`est le véhicule de Marc qui m`a été prêté pour qu`on puisse conduire M. Laurent Gbagbo au bureau du général Tanny. Lorsque nous étions encore au sous-sol, ce même capitaine est entré avec cinq ou six éléments armés qu`il a commencé à poster derrière les véhicules. Il faut préciser que le sous-sol était très obscur.
J`ai trouvé qu`on courrait un danger. Je suis allé vers lui pratiquement en l`empoignant pour lui demander de faire sortir ses hommes. Il s’est résigné. Ainsi la Jeep est arrivée mais elle ne pouvait pas avoir un accès total au sous-sol parce que la grille était fermée. Nous avons donc fait monter M. Laurent Gbagbo dans la Jeep accompagné de deux ou trois éléments y compris moi-même.
Quand la jeep s’est ébranlée capitaine a crié : « tuez-le ! ». J`ai été éjecté la Jeep parce que j`étais couché sur Laurent Gbagbo parce que les éléments du capitaine avaient commencé à balancer des matraques, des coups de point. J`ai ordonné au chauffeur de la Jeep et à Marc de foncer et d`aller en direction de la sortie du sous-sol. C’est ainsi que Laurent Gbagbo a été amené au
commandement supérieur de la gendarmerie.
N.V. : Qui est le commandant Marc dont vous parliez tantôt ?
Col. B.C: Le commandant Marc est un gendarme qui a fini colonel et qui est à la retraite. Il a été attaché de défense en Ethiopie puis au Burkina Faso. Il a été commandant de la sécurité présidentielle pendant un an, je crois. Il commandait à l`époque le camp commando de Koumassi.
N.V. : Après l`immeuble l`Hévéa que s`est-il passé?
Col. B.C: Ma mission était d`emmener M. Laurent Gbagbo frais et non dans un autre état. Le commandant supérieur tenait à le voir pour lui poser des questions. Du commandement supérieur, il a été transféré comme tous les autres au poste de police d`Agban. Etant allé me faire soigner à Agban parce que blessé à la main lorsque j`ai été éjecté de la Jeep, j`ai constaté que tous les
leaders de la marche étaient au poste de police d`Agban.
Lorsque je suis revenu à mon bureau vers 14h, grande a été ma surprise d`avoir l`information de ma secrétaire selon laquelle, le commandant Konan Sévérin voulait me voir. Et que par deux fois, il avait fait venir des émissaires à mon bureau. Je me suis rendu à son bureau, je l’ai trouvé dans une grande colère. Il me reprochait d`avoir trahi la gendarmerie sous le prétexte que j`ai laissé fuir M. Laurent Gbagbo. J`ai dit que je m`inscris en faux contre cette accusation puisque Laurent Gbagbo se trouvait bien au poste de police d’Agban. Il m`a lancé toutes sortes d`injures. M’accusant d’avoir pris fait et cause pour Gbagbo parce que j’étais de la même ethnie que ce dernier.
N.V : Vos ennuis se sont-ils arrêtés là ?
Col. B.C : Non ! Après, je suis allé rendre compte au commandant supérieur le général Tanny qui visiblement était agacé, embêté par la situation. Parce que pour lui, il m`a confié une mission que j`ai exécutée proprement. Et qu`on m`accuse de traître. Au final, le chef d`état-major voulait me voir. Je suis allé, on m`a conduit pratiquement en état d`arrestation parce qu`on était entouré de
commandos dans deux Jeeps Marc et moi, en garde à vue. Au bureau du général Robert Guéi, tout l`état-major était présent. Le général Guéi m`a demandé où est Laurent Gbagbo. J`ai répondu qu`il est au camp d`Agban. “Tu mens”, a-t-il réagi. J`ai dit que je viens de l`infirmerie d`Agban et que Laurent Gbagbo était au poste de police.
Le général Guéi est entré dans une colère et il a dit : “Tu sais, c`est parce que nous sommes au temps de la paix que tu es en train de parler. En temps de guerre, les gens comme vous, on les met au poteau et puis on leur fout une balle dans la tête”. Je ne comprenais vraiment pas. J’ai dis : “Mon général, qu`est-ce que j`ai fait”. Il dit : “Mais tu as fait échouer la mission de mes hommes”. J’ai
répondu : “Je ne connais pas la mission de vos hommes pour la faire échouer. Si vos hommes disent que je les ai empêchés d`accomplir leur mission qu`ils vous expliquent comment cela a pu se faire”. L`après-midi, il y a eu une confrontation. Lors de la confrontation, le même capitaine et un sergent-chef étaient présents.
Le sergent-chef a dit que, conformément aux consignes lors de la marche, ils devraient être auprès du “taureau” qui est le pseudonyme de M. Laurent Gbagbo. “On était auprès du taureau lors de la marche. On attendait d`arriver au lieu indiqué. Malheureusement, la police a balancé très rapidement les gaz lacrymogènes. Et donc tout le monde s`est dispersé. On l`a perdu de vue. C`est après qu’on a appris qu`il était au sous-sol. On est allé pour le prendre. C`est le capitaine Batté de la gendarmerie qui nous a empêchés de le prendre”, a-t-il raconté. Or moi je n`étais pas auprès de Gbagbo durant la marche. J`étais dans mon bureau. Je ne suis venu qu`en renfort. Je ne sais pas à quel lieu il devrait attraper Gbagbo. Je ne pouvais donc pas être celui qui a fait échouer leur mission.
N.V : Quelle a été la réaction du général Tanny devant un tel acharnement ?
Col. B.C : Après la confrontation, on nous a ramenés au bureau du général Tanny qui, après avoir compris la situation, s’est énervé. Il a dit : “Qu`est-ce que ça veut dire ? Ce sont les mêmes qui ont créé les problèmes que nous sommes en train de régler qui sont allés bastonner les étudiants en cité universitaire à Yopougon”.
Séance tenante, le général Tanny a appelé le président Houphouët- Boigny qui était à Paris. La première parole qui sort de la bouche du président Houphouët est : “J`espère que vous avez déjà arrêté ce Bété”. Tanny a vite rectifié : “Monsieur le président, le général Guéi veut vous mettre dans les problèmes. Parce que vous avez demandé d`arrêter les gens. Celui que vous appelé Bété, c`est l`un de mes meilleurs officiers, il est avec le fils de votre ami Brou Kouakou d`Abengourou. Ce sont deux de mes meilleurs officiers. Imaginez-vous qu`on ait tué un seul instant Gbagbo Laurent. Vous allez vous mettre à dos la communauté internationale et nationale. C`est ce que vous voulez ? On ne sait pas ce qui va arriver. Monsieur le président on a arrêté tous les leaders”. Après cet épisode, le général Guéi a gardé une dent contre moi jusqu’au coup d’Etat de 1999.
N.V. : Après tous ces événements, quelle leçon tirez-vous ?
Col. B.C : La première leçon que j’en tire c’est que la marche du 18 février 1992 était infiltrée. En effet, lorsque je suis arrivé sur le terrain, la marche a été dispersée au niveau de l’immeuble Harmonie alors qu’avant mon départ du commandement supérieur, il y avait déjà une épaisse fumée au niveau du tribunal d’Abidjan et beaucoup plus loin des bris de vitre jusqu’à la Bad.
La deuxième leçon, est qu’il y avait assurément un complot visant à assassiner M. Laurent Gbagbo. Sinon, comment comprendre qu’après avoir fait conduire M. Gbagbo devant le général Tanny, le colonel Konan Kouamé Sévérin m’accuse d’avoir protégé M. Gbagbo et son épouse par réflexe ethnique ? Et la colère du général Guéi qui menaçait de me mettre une balle dans la tête parce que j’aurais trahi ?
Souvenez-vous qu’à l’époque le premier ministre d’Houphouët s’appelait Alassane Dramane Ouattara. Et qu’au moment des faits Houphouët était hors du pays. Souvenez-vous également que ce jour, M. Ouattara avait animé une conférence de presse au cours de laquelle il avait affirmé qu’il avait vu M. Gbagbo en train de casser, gourdin en main. Et je crois que c’est cette logique d’assassinat de Laurent Gbagbo qui a cours jusqu’à présent avec toujours comme ordonnateur Alassane Ouattara.
Interview réalisée par Augustin Kouyo et Abdoulaye Villard Sanogo
Coll : Gomon Edmond
N.V. : Et par la suite?
Col. B.C: Je suis descendu au sous-sol où était le commandant Marc. C`est le véhicule de Marc qui m`a été prêté pour qu`on puisse conduire M. Laurent Gbagbo au bureau du général Tanny. Lorsque nous étions encore au sous-sol, ce même capitaine est entré avec cinq ou six éléments armés qu`il a commencé à poster derrière les véhicules. Il faut préciser que le sous-sol était très obscur.
J`ai trouvé qu`on courrait un danger. Je suis allé vers lui pratiquement en l`empoignant pour lui demander de faire sortir ses hommes. Il s’est résigné. Ainsi la Jeep est arrivée mais elle ne pouvait pas avoir un accès total au sous-sol parce que la grille était fermée. Nous avons donc fait monter M. Laurent Gbagbo dans la Jeep accompagné de deux ou trois éléments y compris moi-même.
Quand la jeep s’est ébranlée capitaine a crié : « tuez-le ! ». J`ai été éjecté la Jeep parce que j`étais couché sur Laurent Gbagbo parce que les éléments du capitaine avaient commencé à balancer des matraques, des coups de point. J`ai ordonné au chauffeur de la Jeep et à Marc de foncer et d`aller en direction de la sortie du sous-sol. C’est ainsi que Laurent Gbagbo a été amené au
commandement supérieur de la gendarmerie.
N.V. : Qui est le commandant Marc dont vous parliez tantôt ?
Col. B.C: Le commandant Marc est un gendarme qui a fini colonel et qui est à la retraite. Il a été attaché de défense en Ethiopie puis au Burkina Faso. Il a été commandant de la sécurité présidentielle pendant un an, je crois. Il commandait à l`époque le camp commando de Koumassi.
N.V. : Après l`immeuble l`Hévéa que s`est-il passé?
Col. B.C: Ma mission était d`emmener M. Laurent Gbagbo frais et non dans un autre état. Le commandant supérieur tenait à le voir pour lui poser des questions. Du commandement supérieur, il a été transféré comme tous les autres au poste de police d`Agban. Etant allé me faire soigner à Agban parce que blessé à la main lorsque j`ai été éjecté de la Jeep, j`ai constaté que tous les
leaders de la marche étaient au poste de police d`Agban.
Lorsque je suis revenu à mon bureau vers 14h, grande a été ma surprise d`avoir l`information de ma secrétaire selon laquelle, le commandant Konan Sévérin voulait me voir. Et que par deux fois, il avait fait venir des émissaires à mon bureau. Je me suis rendu à son bureau, je l’ai trouvé dans une grande colère. Il me reprochait d`avoir trahi la gendarmerie sous le prétexte que j`ai laissé fuir M. Laurent Gbagbo. J`ai dit que je m`inscris en faux contre cette accusation puisque Laurent Gbagbo se trouvait bien au poste de police d’Agban. Il m`a lancé toutes sortes d`injures. M’accusant d’avoir pris fait et cause pour Gbagbo parce que j’étais de la même ethnie que ce dernier.
N.V : Vos ennuis se sont-ils arrêtés là ?
Col. B.C : Non ! Après, je suis allé rendre compte au commandant supérieur le général Tanny qui visiblement était agacé, embêté par la situation. Parce que pour lui, il m`a confié une mission que j`ai exécutée proprement. Et qu`on m`accuse de traître. Au final, le chef d`état-major voulait me voir. Je suis allé, on m`a conduit pratiquement en état d`arrestation parce qu`on était entouré de
commandos dans deux Jeeps Marc et moi, en garde à vue. Au bureau du général Robert Guéi, tout l`état-major était présent. Le général Guéi m`a demandé où est Laurent Gbagbo. J`ai répondu qu`il est au camp d`Agban. “Tu mens”, a-t-il réagi. J`ai dit que je viens de l`infirmerie d`Agban et que Laurent Gbagbo était au poste de police.
Le général Guéi est entré dans une colère et il a dit : “Tu sais, c`est parce que nous sommes au temps de la paix que tu es en train de parler. En temps de guerre, les gens comme vous, on les met au poteau et puis on leur fout une balle dans la tête”. Je ne comprenais vraiment pas. J’ai dis : “Mon général, qu`est-ce que j`ai fait”. Il dit : “Mais tu as fait échouer la mission de mes hommes”. J’ai
répondu : “Je ne connais pas la mission de vos hommes pour la faire échouer. Si vos hommes disent que je les ai empêchés d`accomplir leur mission qu`ils vous expliquent comment cela a pu se faire”. L`après-midi, il y a eu une confrontation. Lors de la confrontation, le même capitaine et un sergent-chef étaient présents.
Le sergent-chef a dit que, conformément aux consignes lors de la marche, ils devraient être auprès du “taureau” qui est le pseudonyme de M. Laurent Gbagbo. “On était auprès du taureau lors de la marche. On attendait d`arriver au lieu indiqué. Malheureusement, la police a balancé très rapidement les gaz lacrymogènes. Et donc tout le monde s`est dispersé. On l`a perdu de vue. C`est après qu’on a appris qu`il était au sous-sol. On est allé pour le prendre. C`est le capitaine Batté de la gendarmerie qui nous a empêchés de le prendre”, a-t-il raconté. Or moi je n`étais pas auprès de Gbagbo durant la marche. J`étais dans mon bureau. Je ne suis venu qu`en renfort. Je ne sais pas à quel lieu il devrait attraper Gbagbo. Je ne pouvais donc pas être celui qui a fait échouer leur mission.
N.V : Quelle a été la réaction du général Tanny devant un tel acharnement ?
Col. B.C : Après la confrontation, on nous a ramenés au bureau du général Tanny qui, après avoir compris la situation, s’est énervé. Il a dit : “Qu`est-ce que ça veut dire ? Ce sont les mêmes qui ont créé les problèmes que nous sommes en train de régler qui sont allés bastonner les étudiants en cité universitaire à Yopougon”.
Séance tenante, le général Tanny a appelé le président Houphouët- Boigny qui était à Paris. La première parole qui sort de la bouche du président Houphouët est : “J`espère que vous avez déjà arrêté ce Bété”. Tanny a vite rectifié : “Monsieur le président, le général Guéi veut vous mettre dans les problèmes. Parce que vous avez demandé d`arrêter les gens. Celui que vous appelé Bété, c`est l`un de mes meilleurs officiers, il est avec le fils de votre ami Brou Kouakou d`Abengourou. Ce sont deux de mes meilleurs officiers. Imaginez-vous qu`on ait tué un seul instant Gbagbo Laurent. Vous allez vous mettre à dos la communauté internationale et nationale. C`est ce que vous voulez ? On ne sait pas ce qui va arriver. Monsieur le président on a arrêté tous les leaders”. Après cet épisode, le général Guéi a gardé une dent contre moi jusqu’au coup d’Etat de 1999.
N.V. : Après tous ces événements, quelle leçon tirez-vous ?
Col. B.C : La première leçon que j’en tire c’est que la marche du 18 février 1992 était infiltrée. En effet, lorsque je suis arrivé sur le terrain, la marche a été dispersée au niveau de l’immeuble Harmonie alors qu’avant mon départ du commandement supérieur, il y avait déjà une épaisse fumée au niveau du tribunal d’Abidjan et beaucoup plus loin des bris de vitre jusqu’à la Bad.
La deuxième leçon, est qu’il y avait assurément un complot visant à assassiner M. Laurent Gbagbo. Sinon, comment comprendre qu’après avoir fait conduire M. Gbagbo devant le général Tanny, le colonel Konan Kouamé Sévérin m’accuse d’avoir protégé M. Gbagbo et son épouse par réflexe ethnique ? Et la colère du général Guéi qui menaçait de me mettre une balle dans la tête parce que j’aurais trahi ?
Souvenez-vous qu’à l’époque le premier ministre d’Houphouët s’appelait Alassane Dramane Ouattara. Et qu’au moment des faits Houphouët était hors du pays. Souvenez-vous également que ce jour, M. Ouattara avait animé une conférence de presse au cours de laquelle il avait affirmé qu’il avait vu M. Gbagbo en train de casser, gourdin en main. Et je crois que c’est cette logique d’assassinat de Laurent Gbagbo qui a cours jusqu’à présent avec toujours comme ordonnateur Alassane Ouattara.
Interview réalisée par Augustin Kouyo et Abdoulaye Villard Sanogo
Coll : Gomon Edmond