Adama Diomandé, président de l’Association pour la Défense de la Démocratie et des Libertés - France (ADDL, France) se prononce, dans cette interview sur la situation post-électorale en Côte d`Ivoire.
Trois mois après l’élection présidentielle en CI, la situation demeure préoccupante. Depuis Paris, comment analysez-vous cette situation ?
Adama Diomandé : La communauté internationale a fait ce qu’elle devait faire. Elle a reconnu la victoire d’Alassane Ouattara conformément au résultat des urnes. L’ONU, l’Union européenne, le FMI, la Banque Mondiale… ainsi que les principaux partenaires diplomatiques de la Côte d’Ivoire dans le monde reconnaissent sa victoire. La meilleure preuve en est que les nouveaux ambassadeurs qu’il a nommés sont en voie d’y être accrédités. Par ailleurs, face à Alassane Ouattara, il y a un usurpateur qui occupe indument la présidence et il y a un gouvernement illégal. C’est donc aux Ivoiriens de prendre leurs responsabilités afin de confirmer le choix qu’ils ont fait dans les urnes : il leur faut installer Alassane Ouattara au pouvoir.
Vous demandez aux Ivoiriens de descendre dans la rue et d’aller chasser Gbagbo. Or, chaque fois qu’ils le font, ils sont tués par dizaines. Face aux forces de répression, les populations peuvent-elles encore agir ?
A.D : Je fais un calcul macabre. Du fait de notre actuelle passivité, chaque jour, chaque nuit, on dénombre dix morts au minimum. D’après mes informations, nous en sommes à près de 600 morts, sans compter les blessés et tous ceux qui ont subit des sévices, des viols, qui ont été dépouillés. Une armée disciplinée ne tue pas les gens du peuple totalement innocents. Ce ne sont même pas des militaires ivoiriens ; ce sont des mercenaires libériens qui assassinent notre population. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faille laisser un usurpateur confisquer le pouvoir. Aujourd’hui, il utilise les forces armées ivoiriennes, la télé et les médias publics nationaux pour promouvoir une politique xénophobe, la haine des « étrangers » même si ces « étrangers » sont aussi des Ivoiriens. C’est vrai qu’à Abidjan, il est difficile de demander aux gens de manifester car, face à eux, il y a une armée de tueurs. Mais, il a fait invalider les bulletins de vote de 600.000 personnes, ce n’est pas rien ; toute une partie de la Côte d’Ivoire. On peut s’organiser dans cette partie de la Côte d’Ivoire pour manifester. Si les partis politiques et les 600.000 personnes qui ont vu leurs bulletins de vote rejetés prenaient la décision de descendre sur Abidjan, la communauté internationale verrait les choses autrement et prendrait la décision de ne pas laisser faire la répression comme c’est le cas actuellement. Moi je n’en suis pas au stade de demander à la Cedeao de descendre sur Abidjan ; c’est aux Ivoiriens de le faire et, d’abord, aux Ivoiriens qui ont été lésés, dont le bulletin de vote a été annulé. Je préside une association qui défend les libertés et la démocratie ; je ne peux pas laisser bafouer la démocratie dans mon pays. Ces derniers jours, j’ai pris langue avec les représentants de la société civile pour qu’on se mette d’accord afin d’encourager les zones dont les bulletins de vote ont été invalidés à descendre sur Abidjan pour faire respecter leur droit de vote.
Si on vous écoute, il n’y a pas d’autre solution pour faire plier Laurent Gbagbo en dehors de la force ?
A.D : Manifester ce n’est pas user de la force. Si Gbagbo décide de nous tuer, il le fera mais au vu et au su de tout le monde. C’est ce qui s’est passé en Tunisie. Avant qu’il n’y ait 60 morts, Ben Ali était déjà parti. Pourtant, il était plus ancré dans le pouvoir et un pouvoir encore plus dictatorial que celui de Gbagbo ; même chose pour Moubarak.
Gbagbo n’a jamais toléré une quelconque manifestation. Faut-il alors demander aux populations de sortir ?
A.D : Ce n’est pas pour autant qu’il faut laisser un usurpateur au pouvoir. Il y a un choix à faire. C’est l’avenir de notre pays quand même. N’est-ce pas lui qui est allé pleurnicher à l’ONU pour que l’ONU certifie la présidentielle ? C’est pourtant lui qui dit que la certification n’est pas valable. N’est-ce pas le représentant du secrétaire général de l’ONU qui a validé la mise à l’écart de Mambé ? Mr et Mme Gbagbo ne défendent que leur intérêt. Je ne peux pas accepter que Gbagbo et sa clique transforment la Côte d’Ivoire en pays xénophobe. Il y a une réalité qui s’impose à tous : les Ivoiriens ont voté en faveur d’Alassane Ouattara qui a une majorité sociologique et politique. Les Ivoiriens doivent prendre leur responsabilité. La société civile doit s’organiser à partir des zones lésées et descendre sur Abidjan.
Y a t-il d’autres solutions pour résoudre la crise, comme la reprise des élections, comme semblent le demander des observateurs, ou même le recomptage des voix ?
A.D : Faut-il tolérer que Gbagbo prenne tout le monde pour des imbéciles ? Quand il a invalidé les élections dans différents départements qui ne lui étaient pas favorables, personne n’a demandé à ce qu’on refasse les élections. Le Conseil constitutionnel avait une idée derrière la tête, celle de braquer l’élection présidentielle comme on braque une banque. C’est ce qu’il a fait. C’était tellement grossier qu’ils parlent maintenant de recompter les voix. Pour quoi fait, pour lui permettre de rester encore cinq ans ? Il a déjà eu cinq années de bonus et il n’a rien fait pendant tout ce temps pour conforter la nation ivoirienne dans la nécessité de vivre ensemble. Il a eu tous les moyens financiers à sa disposition ; il s’est mis à corrompre. Les Ivoiriens lui ont montré qu’ils ne voulaient plus de cette corruption. Ils ont donc voté ADO.
Je vais vous faire une confidence. Pendant la campagne, j’étais en Côte d’Ivoire. Le ministre de l’Intérieur de Gbagbo, Désiré Tagro, a fait venir un jeune politicien que je connais pour me convaincre. Par respect pour ce jeune homme, je ne vais pas dire son nom. Et cet envoyé spécial, très spécial, m’a dit : « Grand frère, malgré les sondages, on sait qu’on va perdre l’élection, mais on va braquer la CEI et pour cela on avec nous le président du Conseil constitutionnel. Si tu veux nous aider puisque tu es connu en France, ce soir je t’apporte ta part ». Je lui ai répondu que cela ne m’intéressait pas.
Deuxième confidence : j’ai été reçu par Mme Gbagbo à son domicile par l’intermédiaire d’un journaliste très connu. J’avais ce jour-là avec moi une copie des papiers démontrant les petits trafics de Marcel Gossio dans l’affaire des déchets toxiques, avec ses numéros de comptes bancaires et les accords finalisés avant que ces déchets ne soient déversés à Abidjan. Vous savez ce que Mme Gbagbo a trouvé à me dire : « Cette histoire a été jugée et c’est fini. Qu’est-ce que vous voulez ? » Elle a cru que j’étais venu prendre ma part. Je lui ai répondu avoir envoyé un courrier à son mari dans lequel j’avais repris tous les détails de cette affaire. Je voudrais que les personnes coupables d’un crime contre la population ivoirienne soient sanctionnées. Elle m’a encore répété : « Mr Diomandé, qu’est-ce que vous voulez ? » J’ai dit que je ne veux rien d’autre que la justice et que j’entendais mener ce combat jusqu’au bout.
C’est une « première » dans le monde : trois mois après une élection incontestée par les observateurs internationaux, celui qui a été battu ne veut pas quitter le pouvoir alors que lui-même reconnaît qu’il a perdu cette élection.
Quel message adressez-vous aux chefs d’Etats du panel de l’Union africaine ?
A.D : C’est une fuite en avant que l’Union africaine organise. L’UA a reconnu la victoire d’ADO et la certification des élections par l’ONU. Que les membres du panel prennent leurs responsabilités en disant à Gbagbo qu’il a perdu et qu’il doit partir tout de suite. Je ne suis pas d’accord avec ce que ce panel prévoit. Il prévoit une décision contraignante pour les deux camps. La seule contrainte d’ADO c’est d’assumer le mandat que les Ivoiriens lui ont donné confié pour gouverner la Côte d’Ivoire pendant cinq ans. La contrainte sur Gbagbo c’est de quitter la présidence parce qu’il a perdu cette élection. Les Ivoiriens sont fatigués de toutes ces réunions « africaines ». Les Chefs d’État de la Cedeao ne doivent pas se laisser intimider par les chantages de Gbagbo sur leurs ressortissants en Côte d’Ivoire. Je condamne d’ailleurs la timidité du Ghanéen Atta Mills et du Malien Toumani Touré. Ils ont été, eux, élus démocratiquement. Comment auraient-ils réagi si ceux qui qu’ils avaient battus par la voie des urnes s’étaient comporté comme Gbagbo. Aujourd’hui, ils ne seraient pas président de la République chez eux.
Soro annonce une révolution à partir du 21 février. Qu’en pensez-vous ?
A.D : J’ai lu son interview. La date du 21 est indicative par rapport aux résultats attendus de la mission du panel. Il encourage ainsi les Ivoiriens à prendre leurs responsabilités. Je m’inscris dans sa logique. Je n’attends rien du panel. Je dis aussi que Soro et les Forces Nouvelles doivent prendre, eux aussi, leurs responsabilités au plan militaire. Quand on sait qu’ADO a eu 63% de votes en sa faveur dans les casernes, c’est dire qu’il faut aider les militaires ivoiriens à prendre leurs responsabilités.
Que pensez-vous de la position de la France ?
A.D : Je salue la position claire et nette du président Nicolas Sarkozy. Mais, malheureusement, il y a toujours en France des hommes politiques qui, dans les affaires africaines, veulent adopter d’autres positions que la position officielle. Je vous fais remarquer que depuis que Barack Obama a reconnu la victoire d’ADO, aucun homme politique américain n’a dit le contraire. Même les avocats américains engagés par Gbagbo ont abandonné son dossier. C’est cela une politique étrangère. En France, il y a une réelle hypocrisie de quelques uns. Notamment des entreprises qui soutiennent Gbagbo uniquement par intérêt financier immédiat. Mais, à ce jeu, ils vont perdre gros. C’est tout autant inadmissible, selon moi, qu’un député UMP (le parti présidentiel), président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, puisse proposer la partition de la Côte d’Ivoire. Ces prises de position de certains hommes politiques français mettent souvent à mal la politique étrangère de la France. Je le dis, car je suis moi-même Français et Ivoirien.
Quels est votre souhait pour une sortie de la crise ivoirienne qui perdure ?
A.D Je souhaite une sortie pacifique ; pour cela, il faut que Gbagbo accepte sa défaite. Ce qu’il n’a pas fait en dix ans à la tête de notre pays il ne pourra pas le faire non plus en usurpant le pouvoir, en pillant les entreprises et les banques. Quand Gbagbo était un opposant, il a inculqué la contestation dans la tête des élèves et étudiants ; aujourd’hui, il les transforme en tueurs à la machette sur les campus. En accédant a la présidence d’une manière « calamiteuse » il a transformé nos jeunes en mendiants et crève-la-faim ; aujourd’hui il veut en faire des miliciens, les utiliser dans les manifestations comme bouclier ou comme moyen de chantage sur les ressortissants de la Cedeao qui sont installés en Côte d’Ivoire. Il a fait de la corruption son mode de gouvernement ; il a laissé ses proches et ses amis voler l’argent public tandis que notre pays basculait dans l’abîme.
Je tiens à rendre hommage aux intellectuels ivoiriens qui ont pris leurs responsabilités. Je suis désolé pour ceux des intellectuels qui restent à gémir dans leur salon. Ils doivent eux aussi prendre leurs responsabilités comme l’ont fait Tiburce Koffi, Venance Konan et d’autres. Je salue le courage des artistes Comme Méwé, Tiken Jah Fakoly, Gbi de fer, sans oublier la prise de position de Alpha Blondy après l’élection, pour leur courage ; ils ont choisi d’être du côté de la vérité et ne se sont pas cachés derrière une lâche neutralité comme certains hommes qui se disent hommes de dieu. Leur silence est une caution et un encouragement à l’usurpation du pouvoir par Gbagbo.
Je tiens aussi à rendre hommage au Président Henri Konan Bédié qui a délaissé la situation confortable à laquelle il pourrait aspirer pour se placer aux côtés du président élu par le peuple, Alassane Ouattara, à l’hôtel du Golf. Cet exemple doit interpeller tous les Ivoiriens. Je tiens a dire aussi aux ivoiriens de ne pas s’abandonner à la peur et à la crainte ; ils doivent accepter de quitter un confort aléatoire et doivent se battre contre la forfaiture et l’usurpation du pouvoir. C’est leur dignité qui est en jeu. Nous devons nous lever comme un seul homme pour dire non a l’imposture du couple Gbagbo. Je demande aux Ivoiriens de l’extérieur de soutenir par tous les moyens le président élu démocratiquement et l’installer au pouvoir afin qu’il mette en œuvre le programme du RHDP, programme pour lequel Alassane Ouattara a été élu. Le président Bédié nous donne l’exemple en se plaçant aux côtés du président élu.
Interview fait par Kw
Trois mois après l’élection présidentielle en CI, la situation demeure préoccupante. Depuis Paris, comment analysez-vous cette situation ?
Adama Diomandé : La communauté internationale a fait ce qu’elle devait faire. Elle a reconnu la victoire d’Alassane Ouattara conformément au résultat des urnes. L’ONU, l’Union européenne, le FMI, la Banque Mondiale… ainsi que les principaux partenaires diplomatiques de la Côte d’Ivoire dans le monde reconnaissent sa victoire. La meilleure preuve en est que les nouveaux ambassadeurs qu’il a nommés sont en voie d’y être accrédités. Par ailleurs, face à Alassane Ouattara, il y a un usurpateur qui occupe indument la présidence et il y a un gouvernement illégal. C’est donc aux Ivoiriens de prendre leurs responsabilités afin de confirmer le choix qu’ils ont fait dans les urnes : il leur faut installer Alassane Ouattara au pouvoir.
Vous demandez aux Ivoiriens de descendre dans la rue et d’aller chasser Gbagbo. Or, chaque fois qu’ils le font, ils sont tués par dizaines. Face aux forces de répression, les populations peuvent-elles encore agir ?
A.D : Je fais un calcul macabre. Du fait de notre actuelle passivité, chaque jour, chaque nuit, on dénombre dix morts au minimum. D’après mes informations, nous en sommes à près de 600 morts, sans compter les blessés et tous ceux qui ont subit des sévices, des viols, qui ont été dépouillés. Une armée disciplinée ne tue pas les gens du peuple totalement innocents. Ce ne sont même pas des militaires ivoiriens ; ce sont des mercenaires libériens qui assassinent notre population. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faille laisser un usurpateur confisquer le pouvoir. Aujourd’hui, il utilise les forces armées ivoiriennes, la télé et les médias publics nationaux pour promouvoir une politique xénophobe, la haine des « étrangers » même si ces « étrangers » sont aussi des Ivoiriens. C’est vrai qu’à Abidjan, il est difficile de demander aux gens de manifester car, face à eux, il y a une armée de tueurs. Mais, il a fait invalider les bulletins de vote de 600.000 personnes, ce n’est pas rien ; toute une partie de la Côte d’Ivoire. On peut s’organiser dans cette partie de la Côte d’Ivoire pour manifester. Si les partis politiques et les 600.000 personnes qui ont vu leurs bulletins de vote rejetés prenaient la décision de descendre sur Abidjan, la communauté internationale verrait les choses autrement et prendrait la décision de ne pas laisser faire la répression comme c’est le cas actuellement. Moi je n’en suis pas au stade de demander à la Cedeao de descendre sur Abidjan ; c’est aux Ivoiriens de le faire et, d’abord, aux Ivoiriens qui ont été lésés, dont le bulletin de vote a été annulé. Je préside une association qui défend les libertés et la démocratie ; je ne peux pas laisser bafouer la démocratie dans mon pays. Ces derniers jours, j’ai pris langue avec les représentants de la société civile pour qu’on se mette d’accord afin d’encourager les zones dont les bulletins de vote ont été invalidés à descendre sur Abidjan pour faire respecter leur droit de vote.
Si on vous écoute, il n’y a pas d’autre solution pour faire plier Laurent Gbagbo en dehors de la force ?
A.D : Manifester ce n’est pas user de la force. Si Gbagbo décide de nous tuer, il le fera mais au vu et au su de tout le monde. C’est ce qui s’est passé en Tunisie. Avant qu’il n’y ait 60 morts, Ben Ali était déjà parti. Pourtant, il était plus ancré dans le pouvoir et un pouvoir encore plus dictatorial que celui de Gbagbo ; même chose pour Moubarak.
Gbagbo n’a jamais toléré une quelconque manifestation. Faut-il alors demander aux populations de sortir ?
A.D : Ce n’est pas pour autant qu’il faut laisser un usurpateur au pouvoir. Il y a un choix à faire. C’est l’avenir de notre pays quand même. N’est-ce pas lui qui est allé pleurnicher à l’ONU pour que l’ONU certifie la présidentielle ? C’est pourtant lui qui dit que la certification n’est pas valable. N’est-ce pas le représentant du secrétaire général de l’ONU qui a validé la mise à l’écart de Mambé ? Mr et Mme Gbagbo ne défendent que leur intérêt. Je ne peux pas accepter que Gbagbo et sa clique transforment la Côte d’Ivoire en pays xénophobe. Il y a une réalité qui s’impose à tous : les Ivoiriens ont voté en faveur d’Alassane Ouattara qui a une majorité sociologique et politique. Les Ivoiriens doivent prendre leur responsabilité. La société civile doit s’organiser à partir des zones lésées et descendre sur Abidjan.
Y a t-il d’autres solutions pour résoudre la crise, comme la reprise des élections, comme semblent le demander des observateurs, ou même le recomptage des voix ?
A.D : Faut-il tolérer que Gbagbo prenne tout le monde pour des imbéciles ? Quand il a invalidé les élections dans différents départements qui ne lui étaient pas favorables, personne n’a demandé à ce qu’on refasse les élections. Le Conseil constitutionnel avait une idée derrière la tête, celle de braquer l’élection présidentielle comme on braque une banque. C’est ce qu’il a fait. C’était tellement grossier qu’ils parlent maintenant de recompter les voix. Pour quoi fait, pour lui permettre de rester encore cinq ans ? Il a déjà eu cinq années de bonus et il n’a rien fait pendant tout ce temps pour conforter la nation ivoirienne dans la nécessité de vivre ensemble. Il a eu tous les moyens financiers à sa disposition ; il s’est mis à corrompre. Les Ivoiriens lui ont montré qu’ils ne voulaient plus de cette corruption. Ils ont donc voté ADO.
Je vais vous faire une confidence. Pendant la campagne, j’étais en Côte d’Ivoire. Le ministre de l’Intérieur de Gbagbo, Désiré Tagro, a fait venir un jeune politicien que je connais pour me convaincre. Par respect pour ce jeune homme, je ne vais pas dire son nom. Et cet envoyé spécial, très spécial, m’a dit : « Grand frère, malgré les sondages, on sait qu’on va perdre l’élection, mais on va braquer la CEI et pour cela on avec nous le président du Conseil constitutionnel. Si tu veux nous aider puisque tu es connu en France, ce soir je t’apporte ta part ». Je lui ai répondu que cela ne m’intéressait pas.
Deuxième confidence : j’ai été reçu par Mme Gbagbo à son domicile par l’intermédiaire d’un journaliste très connu. J’avais ce jour-là avec moi une copie des papiers démontrant les petits trafics de Marcel Gossio dans l’affaire des déchets toxiques, avec ses numéros de comptes bancaires et les accords finalisés avant que ces déchets ne soient déversés à Abidjan. Vous savez ce que Mme Gbagbo a trouvé à me dire : « Cette histoire a été jugée et c’est fini. Qu’est-ce que vous voulez ? » Elle a cru que j’étais venu prendre ma part. Je lui ai répondu avoir envoyé un courrier à son mari dans lequel j’avais repris tous les détails de cette affaire. Je voudrais que les personnes coupables d’un crime contre la population ivoirienne soient sanctionnées. Elle m’a encore répété : « Mr Diomandé, qu’est-ce que vous voulez ? » J’ai dit que je ne veux rien d’autre que la justice et que j’entendais mener ce combat jusqu’au bout.
C’est une « première » dans le monde : trois mois après une élection incontestée par les observateurs internationaux, celui qui a été battu ne veut pas quitter le pouvoir alors que lui-même reconnaît qu’il a perdu cette élection.
Quel message adressez-vous aux chefs d’Etats du panel de l’Union africaine ?
A.D : C’est une fuite en avant que l’Union africaine organise. L’UA a reconnu la victoire d’ADO et la certification des élections par l’ONU. Que les membres du panel prennent leurs responsabilités en disant à Gbagbo qu’il a perdu et qu’il doit partir tout de suite. Je ne suis pas d’accord avec ce que ce panel prévoit. Il prévoit une décision contraignante pour les deux camps. La seule contrainte d’ADO c’est d’assumer le mandat que les Ivoiriens lui ont donné confié pour gouverner la Côte d’Ivoire pendant cinq ans. La contrainte sur Gbagbo c’est de quitter la présidence parce qu’il a perdu cette élection. Les Ivoiriens sont fatigués de toutes ces réunions « africaines ». Les Chefs d’État de la Cedeao ne doivent pas se laisser intimider par les chantages de Gbagbo sur leurs ressortissants en Côte d’Ivoire. Je condamne d’ailleurs la timidité du Ghanéen Atta Mills et du Malien Toumani Touré. Ils ont été, eux, élus démocratiquement. Comment auraient-ils réagi si ceux qui qu’ils avaient battus par la voie des urnes s’étaient comporté comme Gbagbo. Aujourd’hui, ils ne seraient pas président de la République chez eux.
Soro annonce une révolution à partir du 21 février. Qu’en pensez-vous ?
A.D : J’ai lu son interview. La date du 21 est indicative par rapport aux résultats attendus de la mission du panel. Il encourage ainsi les Ivoiriens à prendre leurs responsabilités. Je m’inscris dans sa logique. Je n’attends rien du panel. Je dis aussi que Soro et les Forces Nouvelles doivent prendre, eux aussi, leurs responsabilités au plan militaire. Quand on sait qu’ADO a eu 63% de votes en sa faveur dans les casernes, c’est dire qu’il faut aider les militaires ivoiriens à prendre leurs responsabilités.
Que pensez-vous de la position de la France ?
A.D : Je salue la position claire et nette du président Nicolas Sarkozy. Mais, malheureusement, il y a toujours en France des hommes politiques qui, dans les affaires africaines, veulent adopter d’autres positions que la position officielle. Je vous fais remarquer que depuis que Barack Obama a reconnu la victoire d’ADO, aucun homme politique américain n’a dit le contraire. Même les avocats américains engagés par Gbagbo ont abandonné son dossier. C’est cela une politique étrangère. En France, il y a une réelle hypocrisie de quelques uns. Notamment des entreprises qui soutiennent Gbagbo uniquement par intérêt financier immédiat. Mais, à ce jeu, ils vont perdre gros. C’est tout autant inadmissible, selon moi, qu’un député UMP (le parti présidentiel), président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, puisse proposer la partition de la Côte d’Ivoire. Ces prises de position de certains hommes politiques français mettent souvent à mal la politique étrangère de la France. Je le dis, car je suis moi-même Français et Ivoirien.
Quels est votre souhait pour une sortie de la crise ivoirienne qui perdure ?
A.D Je souhaite une sortie pacifique ; pour cela, il faut que Gbagbo accepte sa défaite. Ce qu’il n’a pas fait en dix ans à la tête de notre pays il ne pourra pas le faire non plus en usurpant le pouvoir, en pillant les entreprises et les banques. Quand Gbagbo était un opposant, il a inculqué la contestation dans la tête des élèves et étudiants ; aujourd’hui, il les transforme en tueurs à la machette sur les campus. En accédant a la présidence d’une manière « calamiteuse » il a transformé nos jeunes en mendiants et crève-la-faim ; aujourd’hui il veut en faire des miliciens, les utiliser dans les manifestations comme bouclier ou comme moyen de chantage sur les ressortissants de la Cedeao qui sont installés en Côte d’Ivoire. Il a fait de la corruption son mode de gouvernement ; il a laissé ses proches et ses amis voler l’argent public tandis que notre pays basculait dans l’abîme.
Je tiens à rendre hommage aux intellectuels ivoiriens qui ont pris leurs responsabilités. Je suis désolé pour ceux des intellectuels qui restent à gémir dans leur salon. Ils doivent eux aussi prendre leurs responsabilités comme l’ont fait Tiburce Koffi, Venance Konan et d’autres. Je salue le courage des artistes Comme Méwé, Tiken Jah Fakoly, Gbi de fer, sans oublier la prise de position de Alpha Blondy après l’élection, pour leur courage ; ils ont choisi d’être du côté de la vérité et ne se sont pas cachés derrière une lâche neutralité comme certains hommes qui se disent hommes de dieu. Leur silence est une caution et un encouragement à l’usurpation du pouvoir par Gbagbo.
Je tiens aussi à rendre hommage au Président Henri Konan Bédié qui a délaissé la situation confortable à laquelle il pourrait aspirer pour se placer aux côtés du président élu par le peuple, Alassane Ouattara, à l’hôtel du Golf. Cet exemple doit interpeller tous les Ivoiriens. Je tiens a dire aussi aux ivoiriens de ne pas s’abandonner à la peur et à la crainte ; ils doivent accepter de quitter un confort aléatoire et doivent se battre contre la forfaiture et l’usurpation du pouvoir. C’est leur dignité qui est en jeu. Nous devons nous lever comme un seul homme pour dire non a l’imposture du couple Gbagbo. Je demande aux Ivoiriens de l’extérieur de soutenir par tous les moyens le président élu démocratiquement et l’installer au pouvoir afin qu’il mette en œuvre le programme du RHDP, programme pour lequel Alassane Ouattara a été élu. Le président Bédié nous donne l’exemple en se plaçant aux côtés du président élu.
Interview fait par Kw