Entreprises en faillite ou au bord de la banqueroute. Projets socio-économiques de sortie de crise gelés, fournisseurs et partenaires économiques de l'Etat aux abois. La Côte d'Ivoire économique est en deuil.
Pour le monde économique, cette crise post-électorale est la pire que le pays ait connu jusque-là ". Jean Louis Billon, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Côte d'Ivoire, parle aux journalistes, ce dimanche 20 février 2011, d'une voix marquée par l'émotion, sur un ton qu'on utilise d'ordinaire pour marquer la gravité de l'heure et tirer la sonnette d'alarme.
Le bilan qu'il dresse n'est guère reluisant : " Le chaos économique est en train d'arriver tout doucement. Pour certains, il est déjà connu puisque leurs entreprises ont fermé. Le chaos va progressivement arriver et pour ceux qui ont perdu leur emploi, ils le disent déjà. Je peux vous dire que beaucoup d'employés sont menacés, beaucoup d'entreprises ont fermé, beaucoup vont fermer. A ce rythme-là, on va retomber dans la nuit des temps dans un monde sans entreprises avec un complément de l'informel total ".
Hommes d'affaires endettés
De fait, depuis que l'Union européenne et la Banque mondiale ont annoncé en décembre dernier qu'ils suspendaient leurs collaborations avec la Côte d'Ivoire, de nombreuses entreprises qui se nourrissaient à la mamelle de ses institutions, sont menacées de fermeture. Parmi elles, les 200 entreprises attributaires de marchés dans le cadre du Projet d'assistance post-crise (PAPC) financé principalement par la Banque mondiale.
" J'ai été obligé de libérer mon personnel. C'était la seule décision à prendre. Mon marché de réhabilitation d'écoles dans la région du centre, touchée par la guerre, est arrêté net. Le PAPC était mon seul et unique marché. Aujourd'hui, mon entreprise n'a pas un seul marché et moi, je suis un homme endetté ", témoigne Augustin Gohou, directeur général de la Société du bâtiment et des infrastructures du centre (SBIC, créée à sa sortie de l'Institut national polytechnique de Yamoussoukro, en 2009).
En deux années d'activités, le projet a injecté, sous diverses formes, plus de 27 milliards de francs CFA dans le tissu socioéconomique du pays.
Outre les 200 entreprises locales menacées de faillite, des millions d'Ivoiriens affectés par le conflit, dans les zones centre-nord-ouest (CNO) pâtissent aussi de la suspension de ce programme qui avait commencé à leur donner le sentiment de n'avoir pas été oubliés par l'Etat.
Les entreprises attributaires de marchés dans le cadre du PAPC ne sont pas les seules à pâtir de la crise post-électorale. Depuis le début de l'année et suite à la décision prise par les institutions financières internationales de geler tout appui à la Cote d'Ivoire, les projets entamés ou en voie d'achèvement, financés par l'Union européenne, sont suspendus. Une perte importante pour les dizaines d'entreprises attributaires de ces marchés.
En effet, entre 2003 et 2009, l'Union européenne a financé 389 projets socioéconomiques, dans le cadre du processus de sortie de crise. Montant de l'aide: 321 milliards de francs CFA. Ces projets qui se situent dans le cadre d'un partenariat multisectoriel, concerne neuf domaines précis: la santé, l'éducation, l'hydroélectricité, l'agriculture, le développement local, le redéploiement de l'administration, la gouvernance et l'aide humanitaire.
Les chantiers suspendus du FMI
Le Fonds monétaire international (FMI), pour sa part, était engagé sur trois fronts en Côte d'Ivoire dont l'aide au développement. Au niveau de l'aide au développement, il contient trois volets dont le "programme économique". Selon M. Wayne Camard, Représentant résident du FMI en Côte d'Ivoire, "c'est l'aspect le plus connu, et qui porte sur ce qu'on appelle les aides financières que le Fonds apporte aux Etats pour améliorer la gestion de leurs finances publiques. Il s'agit, entre autres, de la sécurisation des recettes, des réformes pouvant permettre d'allouer plus de ressources à la politique générale de réduction de la pauvreté".
"Tous ces projets sont systématiquement suspendus. Les institutions financières internationales sans la Côte d'Ivoire demeurent ce qu'elles sont. La Côte d'Ivoire, sans ces institutions, va s'enfoncer davantage dans le sous-développement ", fait remarquer Jérémie Bohoussou, professeur de macro-économie à l'Université de Cocody (Abidjan).
La galère des fournisseurs de l'Etat
De leur côté, les fournisseurs de l'Etat ne sont guère bien lotis. Les entreprises qui fournissent des biens et/ou des services à l'Etat de Côte d'Ivoire sont endettées. " Nous traversons des périodes difficiles. Nous ne sommes plus crédibles auprès de nos banques et financiers. Pis, pendant que l'Etat nous doit, le même Etat nous demande de payer dans le même temps, nos impôts. Comment pouvons-nous nous exécuter dans une telle situation ? ", interroge M. Faustin Gré, le président du Syndicat national des fournisseurs de Côte d'Ivoire (Synafeci). Réunis en assemblée générale ordinaire le samedi 5 février 2010 à Yamoussoukro (capitale politique de la Côte d'Ivoire), les fournisseurs de l'Etat ont signé un manifeste pour réclamer environ 300 milliards de francs CFA à l'Etat.
De leur côté, les fondateurs d'établissements scolaires privés sont d'autres victimes de cette cessation de payement constatée chez l'Etat. Ils réclament globalement 41 milliards de francs CFA à l'Etat. " Nous sommes en situation de faillite due à l'Etat. Si d'ici la fin du mois de février, l'Etat ne paye pas au moins 21 milliards de francs CFA en attente de payement au Trésor, nous fermons nos établissements ", prévient Mme Marguerite Kadio, la présidente de la Fédération nationale des établissements privés laïcs de Côte d'Ivoire (Feneplaci).
La suspension des aides, subventions et crédits des institutions de Breton Woods (FMI, Banque mondiale) et de l'Union européenne (UE) à la Côte d'Ivoire constitue un coup dur pour le développement socioéconomique du pays. La fermeture des banques privées, le manque de liquidité, l'insécurité, etc. conduisent de nombreuses entreprises ivoiriennes à baisser pavillon.
Pendant combien de temps celles qui fonctionnent totalement ou partiellement pourront-elles résister à la faillite ?
André Silver Konan
Pour le monde économique, cette crise post-électorale est la pire que le pays ait connu jusque-là ". Jean Louis Billon, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Côte d'Ivoire, parle aux journalistes, ce dimanche 20 février 2011, d'une voix marquée par l'émotion, sur un ton qu'on utilise d'ordinaire pour marquer la gravité de l'heure et tirer la sonnette d'alarme.
Le bilan qu'il dresse n'est guère reluisant : " Le chaos économique est en train d'arriver tout doucement. Pour certains, il est déjà connu puisque leurs entreprises ont fermé. Le chaos va progressivement arriver et pour ceux qui ont perdu leur emploi, ils le disent déjà. Je peux vous dire que beaucoup d'employés sont menacés, beaucoup d'entreprises ont fermé, beaucoup vont fermer. A ce rythme-là, on va retomber dans la nuit des temps dans un monde sans entreprises avec un complément de l'informel total ".
Hommes d'affaires endettés
De fait, depuis que l'Union européenne et la Banque mondiale ont annoncé en décembre dernier qu'ils suspendaient leurs collaborations avec la Côte d'Ivoire, de nombreuses entreprises qui se nourrissaient à la mamelle de ses institutions, sont menacées de fermeture. Parmi elles, les 200 entreprises attributaires de marchés dans le cadre du Projet d'assistance post-crise (PAPC) financé principalement par la Banque mondiale.
" J'ai été obligé de libérer mon personnel. C'était la seule décision à prendre. Mon marché de réhabilitation d'écoles dans la région du centre, touchée par la guerre, est arrêté net. Le PAPC était mon seul et unique marché. Aujourd'hui, mon entreprise n'a pas un seul marché et moi, je suis un homme endetté ", témoigne Augustin Gohou, directeur général de la Société du bâtiment et des infrastructures du centre (SBIC, créée à sa sortie de l'Institut national polytechnique de Yamoussoukro, en 2009).
En deux années d'activités, le projet a injecté, sous diverses formes, plus de 27 milliards de francs CFA dans le tissu socioéconomique du pays.
Outre les 200 entreprises locales menacées de faillite, des millions d'Ivoiriens affectés par le conflit, dans les zones centre-nord-ouest (CNO) pâtissent aussi de la suspension de ce programme qui avait commencé à leur donner le sentiment de n'avoir pas été oubliés par l'Etat.
Les entreprises attributaires de marchés dans le cadre du PAPC ne sont pas les seules à pâtir de la crise post-électorale. Depuis le début de l'année et suite à la décision prise par les institutions financières internationales de geler tout appui à la Cote d'Ivoire, les projets entamés ou en voie d'achèvement, financés par l'Union européenne, sont suspendus. Une perte importante pour les dizaines d'entreprises attributaires de ces marchés.
En effet, entre 2003 et 2009, l'Union européenne a financé 389 projets socioéconomiques, dans le cadre du processus de sortie de crise. Montant de l'aide: 321 milliards de francs CFA. Ces projets qui se situent dans le cadre d'un partenariat multisectoriel, concerne neuf domaines précis: la santé, l'éducation, l'hydroélectricité, l'agriculture, le développement local, le redéploiement de l'administration, la gouvernance et l'aide humanitaire.
Les chantiers suspendus du FMI
Le Fonds monétaire international (FMI), pour sa part, était engagé sur trois fronts en Côte d'Ivoire dont l'aide au développement. Au niveau de l'aide au développement, il contient trois volets dont le "programme économique". Selon M. Wayne Camard, Représentant résident du FMI en Côte d'Ivoire, "c'est l'aspect le plus connu, et qui porte sur ce qu'on appelle les aides financières que le Fonds apporte aux Etats pour améliorer la gestion de leurs finances publiques. Il s'agit, entre autres, de la sécurisation des recettes, des réformes pouvant permettre d'allouer plus de ressources à la politique générale de réduction de la pauvreté".
"Tous ces projets sont systématiquement suspendus. Les institutions financières internationales sans la Côte d'Ivoire demeurent ce qu'elles sont. La Côte d'Ivoire, sans ces institutions, va s'enfoncer davantage dans le sous-développement ", fait remarquer Jérémie Bohoussou, professeur de macro-économie à l'Université de Cocody (Abidjan).
La galère des fournisseurs de l'Etat
De leur côté, les fournisseurs de l'Etat ne sont guère bien lotis. Les entreprises qui fournissent des biens et/ou des services à l'Etat de Côte d'Ivoire sont endettées. " Nous traversons des périodes difficiles. Nous ne sommes plus crédibles auprès de nos banques et financiers. Pis, pendant que l'Etat nous doit, le même Etat nous demande de payer dans le même temps, nos impôts. Comment pouvons-nous nous exécuter dans une telle situation ? ", interroge M. Faustin Gré, le président du Syndicat national des fournisseurs de Côte d'Ivoire (Synafeci). Réunis en assemblée générale ordinaire le samedi 5 février 2010 à Yamoussoukro (capitale politique de la Côte d'Ivoire), les fournisseurs de l'Etat ont signé un manifeste pour réclamer environ 300 milliards de francs CFA à l'Etat.
De leur côté, les fondateurs d'établissements scolaires privés sont d'autres victimes de cette cessation de payement constatée chez l'Etat. Ils réclament globalement 41 milliards de francs CFA à l'Etat. " Nous sommes en situation de faillite due à l'Etat. Si d'ici la fin du mois de février, l'Etat ne paye pas au moins 21 milliards de francs CFA en attente de payement au Trésor, nous fermons nos établissements ", prévient Mme Marguerite Kadio, la présidente de la Fédération nationale des établissements privés laïcs de Côte d'Ivoire (Feneplaci).
La suspension des aides, subventions et crédits des institutions de Breton Woods (FMI, Banque mondiale) et de l'Union européenne (UE) à la Côte d'Ivoire constitue un coup dur pour le développement socioéconomique du pays. La fermeture des banques privées, le manque de liquidité, l'insécurité, etc. conduisent de nombreuses entreprises ivoiriennes à baisser pavillon.
Pendant combien de temps celles qui fonctionnent totalement ou partiellement pourront-elles résister à la faillite ?
André Silver Konan