L`opinion a horreur du vide. Et la machine à rumeurs tourne actuellement à plein régime à Abidjan. « Il parait que… », « On dit que… », « C’est gâté dans tel quartier »…autant de propos distillés au quotidien dans la fièvre post-électorale qui alourdit l’atmosphère politique devenue insupportable.
« Il parait que… », « On dit que… », « C’est gâté dans tel quartier »…les rues d’Abidjan bruissent désormais au gré de ces bouts de phrases. Qui malheureusement sont à l’origine de débandades, de fermeture de magasins et commerces. Pis, de la paralysie des activités socio-économiques. Le mot rumeur a deux acceptions: d’une part c’est un bruit informel, persistant et sans source déterminée (rumeur de la foule, du corps, de la mer). D’autre part, elle recouvre un phénomène de transmission large d`une histoire à prétention de vérité et de révélation par tout moyen de communication formel ou informel. Ce second sens recouvre des réalités très diverses : entre autres les fausses informations, erreurs journalistiques et manœuvres de désinformation, pourvu qu`elles soient révélées a posteriori et fassent controverse ; les préjugés, quand ils sont racontés et non seulement assénés; la propagande, quand
elle prend appui sur des histoires de vie, des cas exemplaires, des théories globales ; le canular, quand il n`est pas encore révélé; certaines formes de théorie du complot, quand la narration importe davantage que la révélation . La machine à rumeurs tourne actuellement à plein régime à Abidjan.
Radio Treichville, téléphone arabe…
Dans les rues, à travers les dix communes d’Abidjan, les maquis, bars, café… sont devenus les hauts lieux de propagation des rumeurs. Dans ces endroits de rencontres, le maître mot semble l’intoxication à outrance. Chacun semble détenir la vérité sur la situation de crise. Toute chose qui alourdit la situation socio-politique déjà délétère. Le concept de rumeur que l’on appelle affectueusement radio Treichville ou téléphone arabe, faut-il le rappeler a pour origine les recherches de psychologie judiciaire entreprises à partir de 1902 par l`Allemand Louis William Stern, qui, le premier, a exposé le « protocole expérimental » de la rumeur. Celui-ci est devenu depuis lors l`un des exemples les plus classiques de la psychologie sociale (et des colonies de vacances, grâce à son côté ludique) : il s`agit de créer une « chaîne de sujets », qui se passent une histoire de bouche à oreille, sans droit à la répétition ou à
l`explication ; à la fin, on compare l`histoire racontée par le premier sujet et celle racontée par le dernier ; naturellement, l`histoire est au mieux tronquée, au pire déformée.
Les mécanismes de la rumeur
Les rumeurs obéissent à une logique et à des règles dont il est possible d`analyser les mécanismes. Les psychosociologues Allport & Postman ont défini en 1947 trois processus complémentaires : processus de réduction : le message initial est simplifié. Sur un message comprenant 100 détails, seulement 70 sont conservés à la première retransmission, 54 à la deuxième, etc. jusqu`à 36 à la cinquième version. Ce phénomène d`oubli peut se poursuivre de telle sorte à transformer le message en slogan ; processus d`accentuation : les personnes retiennent préférentiellement certains détails ou même ajoutent des explications au récit afin d`en renforcer la cohérence ou l`impact ; processus d`assimilation : les personnes s`approprient le message en fonction de leurs valeurs, croyances ou émotions. Ce phénomène de sélection est à l`origine de la déformation de la rumeur. La médiatisation de cette rumeur se réalise grâce à un «
guide d`opinion » selon la théorie de la communication à double étage du sociologue américain Paul Lazarsfeld. Ce guide influence les personnes efficacement en mettant en jeu une de ces trois implications : l`implication d`identification personnelle (la rumeur concerne directement la personne), de valorisation de l`enjeu (la rumeur est importante) et de capacité d`action (la personne peut agir sur cette rumeur).La majorité des rumeurs sont produites spontanément, elles ne sont pas le fruit d`un complot mais d`un mensonge, de "paroles en l`air" dont un groupe ou une société se saisit, pour diverses raisons, et l`amplifient ainsi. Il semble que le besoin de "partir en croisade" conduit certaines personnes à s`emparer de rumeurs et à les propager afin de se donner une importance, un rôle social dont elles seraient habituellement dépourvues. La rumeur offre parfois une explication simplifiée et rassurante de certains problèmes de société,
expliquant ainsi son succès. Ces explications se limitent souvent à la désignation d`un responsable (ou plutôt d`un bouc émissaire), avec une "raison" fausse mais que, pour cause de préjugés, on a envie de croire.
L.B.
« Il parait que… », « On dit que… », « C’est gâté dans tel quartier »…les rues d’Abidjan bruissent désormais au gré de ces bouts de phrases. Qui malheureusement sont à l’origine de débandades, de fermeture de magasins et commerces. Pis, de la paralysie des activités socio-économiques. Le mot rumeur a deux acceptions: d’une part c’est un bruit informel, persistant et sans source déterminée (rumeur de la foule, du corps, de la mer). D’autre part, elle recouvre un phénomène de transmission large d`une histoire à prétention de vérité et de révélation par tout moyen de communication formel ou informel. Ce second sens recouvre des réalités très diverses : entre autres les fausses informations, erreurs journalistiques et manœuvres de désinformation, pourvu qu`elles soient révélées a posteriori et fassent controverse ; les préjugés, quand ils sont racontés et non seulement assénés; la propagande, quand
elle prend appui sur des histoires de vie, des cas exemplaires, des théories globales ; le canular, quand il n`est pas encore révélé; certaines formes de théorie du complot, quand la narration importe davantage que la révélation . La machine à rumeurs tourne actuellement à plein régime à Abidjan.
Radio Treichville, téléphone arabe…
Dans les rues, à travers les dix communes d’Abidjan, les maquis, bars, café… sont devenus les hauts lieux de propagation des rumeurs. Dans ces endroits de rencontres, le maître mot semble l’intoxication à outrance. Chacun semble détenir la vérité sur la situation de crise. Toute chose qui alourdit la situation socio-politique déjà délétère. Le concept de rumeur que l’on appelle affectueusement radio Treichville ou téléphone arabe, faut-il le rappeler a pour origine les recherches de psychologie judiciaire entreprises à partir de 1902 par l`Allemand Louis William Stern, qui, le premier, a exposé le « protocole expérimental » de la rumeur. Celui-ci est devenu depuis lors l`un des exemples les plus classiques de la psychologie sociale (et des colonies de vacances, grâce à son côté ludique) : il s`agit de créer une « chaîne de sujets », qui se passent une histoire de bouche à oreille, sans droit à la répétition ou à
l`explication ; à la fin, on compare l`histoire racontée par le premier sujet et celle racontée par le dernier ; naturellement, l`histoire est au mieux tronquée, au pire déformée.
Les mécanismes de la rumeur
Les rumeurs obéissent à une logique et à des règles dont il est possible d`analyser les mécanismes. Les psychosociologues Allport & Postman ont défini en 1947 trois processus complémentaires : processus de réduction : le message initial est simplifié. Sur un message comprenant 100 détails, seulement 70 sont conservés à la première retransmission, 54 à la deuxième, etc. jusqu`à 36 à la cinquième version. Ce phénomène d`oubli peut se poursuivre de telle sorte à transformer le message en slogan ; processus d`accentuation : les personnes retiennent préférentiellement certains détails ou même ajoutent des explications au récit afin d`en renforcer la cohérence ou l`impact ; processus d`assimilation : les personnes s`approprient le message en fonction de leurs valeurs, croyances ou émotions. Ce phénomène de sélection est à l`origine de la déformation de la rumeur. La médiatisation de cette rumeur se réalise grâce à un «
guide d`opinion » selon la théorie de la communication à double étage du sociologue américain Paul Lazarsfeld. Ce guide influence les personnes efficacement en mettant en jeu une de ces trois implications : l`implication d`identification personnelle (la rumeur concerne directement la personne), de valorisation de l`enjeu (la rumeur est importante) et de capacité d`action (la personne peut agir sur cette rumeur).La majorité des rumeurs sont produites spontanément, elles ne sont pas le fruit d`un complot mais d`un mensonge, de "paroles en l`air" dont un groupe ou une société se saisit, pour diverses raisons, et l`amplifient ainsi. Il semble que le besoin de "partir en croisade" conduit certaines personnes à s`emparer de rumeurs et à les propager afin de se donner une importance, un rôle social dont elles seraient habituellement dépourvues. La rumeur offre parfois une explication simplifiée et rassurante de certains problèmes de société,
expliquant ainsi son succès. Ces explications se limitent souvent à la désignation d`un responsable (ou plutôt d`un bouc émissaire), avec une "raison" fausse mais que, pour cause de préjugés, on a envie de croire.
L.B.