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Politique Publié le samedi 26 mars 2011 | Le Nouveau Courrier

Cedeao: Le sommet de la démission et de la dérision

© Le Nouveau Courrier
Sommet de la Communauté économique des Etats de l`Afrique de l`Ouest (Cédéao) consacré en partie à la crise en Côte d`Ivoire
Le ministre des AE Jean-Marie Kacou Gervais au Sommet de la CEDEAO consacré en partie à la crise en Côte d`Ivoire
Après deux jours de travaux consacrés à la 39ème session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), tenue les 23 et 24 mars 2011 à Abuja, cette organisation sous-régionale a produit un long communiqué en 37 points. Il a fallu pour cela 2.577 mots, soit 16.462 caractères (espaces compris). Un communiqué dont la longueur n'est certainement pas proportionnelle à la pertinence des résolutions. Outre la litanie des félicitations d'autosatisfaction distribuées aux membres influents du club des chefs d'Etat de la Cedeao pour leur docile allégeance à la tutelle, on en retiendra que l'Afrique de l'Ouest, a étalé, à travers ce communiqué son immaturité, sa politique de la facilité par le suivisme et le silence en vue de s'adonner à ce qu'elle sait faire le mieux: la mendicité.

Les questions abordées pour ne pas dire évoquées par le communiqué vont des performances économiques de l'Afrique de l'Ouest (points 6 à 9) aux questions institutionnelles (points 29 à 36), en passant par l'Accord de Partenariat Economique (APE) (points 10 et 11), la paix et la sécurité régionale (points 12 à 26), la consolidation de la démocratie (point 27) et la situation en Libye (point 28).
Au titre de la situation en Libye, pays africain bombardé depuis une semaine par une coalition occidentale conduite par le France et les Etats-Unis, "les Chefs d’Etat et de Gouvernement (de notre Cedeao) expriment leurs préoccupations et félicitent l’Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations-Unies pour les mesures prises depuis lors pour faire face à cette situation précaire. La Conférence demande à l’Union africaine et aux Nations-Unies de poursuivre leur engagement jusqu’à la résolution définitive de la situation et d’assurer la stabilité et une paix durable dans le pays."
Si ce n'est pas de la lâcheté et du souci de ne pas écorcher la France, cela y ressemble fortement. Alors que l'Union Européenne dont la France est membre est divisée sur la question. Alors que la Ligue Arabe proteste. Alors que l'Union africaine a officiellement désapprouvé la manière dont on a abouti à l'utilisation de la force pour bombarder un pays africain. Alors que des voix s'élèvent pour dire ne pas comprendre l'objectif de ces bombardements. Il se trouve des chefs d'Etat et de gouvernement africains, pour "féliciter l'Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations-Unies pour les mesures prises depuis lors pour faire face à cette situation précaire". La Cedeao a le droit de féliciter le Conseil de sécurité des Nations Unies qui a pris la résolution 1973 dont profite aujourd'hui la coalition occidentale pour bombarder la Libye. Cette Libye qui a sans doute commis le grand péché de posséder des richesses pétrolières et d'avoir surtout révélé avoir financé la campagne de Sarkozy. La Cedeao a aussi le droit de féliciter l'UA pour son hésitation et son entrée tardive en scène qui lui a fait perdre la main. Mais, il est curieux que nous, africains de l'Ouest, puissions féliciter sur la même ligne et dans les mêmes termes à la fois le Conseil de sécurité des Nations Unies et l'Union africaine. C'est un véritable non sens. C'est une cupidité, intellectuellement et politiquement inacceptable. Là, où la division de l'Europe et les cris à la trahison, de l'Union africaine et de la Ligue Arabe, donnaient l'inestimable occasion à la Cedeao d'afficher une position originale en faveur d'une résolution pacifique de la crise libyenne, notre Conférence de chefs d'Etat " demande à l’Union africaine et aux Nations Unies de poursuivre leur engagement jusqu’à la résolution définitive de la situation et d’assurer la stabilité et une paix durable dans le pays". De quel engagement l'UA a fait-elle preuve au même niveau que les Nations Unies? Pour ne pas avoir à se mouiller, la Cedeao n'utilise que le terme "situation" pour parler de ce qui se passe en Libye. Et cela à trois reprises. Quelle fuite en avant politique! Quelle reculade dans l'affirmation de notre dignité!

Nous l'aurons compris. Juste deux bouts de phrase pour la Lybie de Kadhafi dont on saluait, il y a encore peu, le rôle déterminant dans la naissance et les acquis de l'Union Africaine. Loin de nous le parti pris ou non pour un régime aujourd'hui qualifié de dictatorial par ceux qui l'encensaient hier. Mais la réunion de la Cedeao ayant pris fin le 24 mars, n'aurait-elle pas pu se pencher sur les centaines de victimes civiles des bombardements occidentaux, civils dont la protection a justifié le vote - avec abstention de pays essentiels – de la résolution du Conseil de sécurité?
Au titre de l’Accord de Partenariat Economique (APE), "la Conférence a exprimé ses vives préoccupations face à l’impasse des négociations APE résultant des divergences persistantes entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest". Au sujet de ces divergences, il s'en suivra une série de recommandations qui relèvent plus du domaine de la mendicité commerciale sur fond de concessions aveugles puisque "l’Afrique de l’Ouest est prête à offrir à l’Union européenne une ouverture de marché à hauteur de 70% au maximum sur une période de 20 à 25 ans". Notons que la plupart des spécialistes notent que ces divergences résultent de la non homogénéité économique et monétaire dans l'espace Cedeao pour conduire des négociations cohérentes. Soucieux de son hégémonie politique, le Nigeria ne veut pas laisser l'UEMOA négocier dans son espace plus homogène et plus cohérent grâce à une meilleure intégration économique et une Commission fonctionnelle avec des règles et des directives bien suivies. Avec une économie presqu'anarchique, le Nigeria est un frein à l'adoption de mesures consensuelles.

Toujours, dans sa politique économique de dépendance, la Cedeao demande à l'Europe "d'éviter l’adoption de mécanismes qui puissent affecter les relations commerciales régionales sur la base de sanctions politiques unilatérales au titre de la clause de non exécution". Tel un enfant face à son père, la Cedeao craint d'être punie pour la non observation des recommandations paternelles. Une Cedeao pourtant prompte à infliger à la Côte d'Ivoire des sanctions politiques unilatérales sur la base de la précipitation.
Plus loin, le communiqué nous permet de comprendre pourquoi les lignes sur la Libye sont si évasives, puisque pour la Cedeao, il convient de "tout mettre en œuvre en vue de l’obtention de ressources financières additionnelles auprès de l’Union européenne pour le financement du Programme de Développement des APE (PDAPE). Ce volet augmentation et disponibilité des ressources doit être pris en compte dans le texte de l’Accord". Toujours la mendicité et encore la mendicité. Là où une politique volontariste de développement économique par la lutte contre la corruption et les réseaux, et de souveraineté aurait permis aux pays africains de diversifier leurs partenaires afin de tirer un meilleure profit de leurs ressources naturelles abondantes. C'est justement cette vision du président Laurent Gbagbo qui est combattue par la France qui utilise –paradoxalement- les pays africains pour atteindre ses objectifs. A l'arrivée, ces pays africains sont réduits à la mendicité. Nous préférons les miettes à la meilleure rétribution de nos ressources. Pire, dans son communiqué, c'est presque par la supplication que la Cedeao souhaite "maintenir l’espace de politique requis pour promouvoir les échanges avec les autres partenaires commerciaux, à savoir : les pays/blocs Sud-Sud au titre de la Clause de la Nation la Plus Favorisée dans l’Accord APE". Encore et toujours des autorisations et des clauses spéciales pour commercer librement. Honorables et distingués faiseurs de président en Côte d'Ivoire, c'est par la compétitivité de vos entreprises que les Ouest africains s'imposeront commercialement et non par la soumission à ceux avec lesquels vous êtes en compétition.
Nos chefs d'Etat, savent-ils que ces divergences avec l'UE demeureront aussi longtemps qu'elles serviront à nous tenir en laisse ? Demander à "résoudre les divergences afin d’assurer la mise en place de Règles d’origine simples et favorables au développement, qui prennent en compte les différents niveaux de développement des deux parties" est un leurre. Le Ghana et la Côte d'Ivoire, membres de la Cedeao, fournissent à eux seuls 60% de la production mondiale de cacao. Le kg de fèves est vendu à environ 1000 FCFA, pour revenir à la Rue des Jardins, à Cocody aux 2 Plateaux à 40.000 FCFA le kg de chocolat Patchi. Soit 40 fois plus cher. Sur la différence des 39.000 FCFA par kg, combien croyez-vous recevoir au titre de l'aide au développement ? Pour 1,2 millions de tonnes de cacao ivoirien, cette différence ou plus value représente 46 mille milliards de francs CFA. Une vingtaine d'années budgétaires de la Côte d'Ivoire. Combien alors pour le Burkina Faso? Il est simplement criminel de refuser cette manne pour aller à la frugale soupe de l'aide au développement.
Au nom de quoi, voulez-vous que les industries occidentales renoncent à tant de milliards ? Le Président Laurent Gbagbo a promis, au cours de sa campagne, de créer dans chaque département producteur de cacao, une usine de transformation. Il a aussi initié, au niveau de la Cedeao, un projet de financement du développement régional du secteur de l'énergie en augmentant notre potentiel énergétique grâce aux prélèvements sur les recettes d'exportation de nos produits miniers qui surabondent. Cela lui vaut certainement la guerre que soutiennent ses paires de la Cedeao. Seigneur, pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font, serait-on tenté de dire.

Ce n'est pas en "invitant les négociateurs des deux régions à poursuivre leurs concertations en vue de parvenir à un accord quant aux divergences encore pendantes, notamment les questions des subventions agricoles de l’Union européenne et les relations de ces dernières avec la Turquie" que nous nous en sortirons. Car c'est sur les bénéfices réalisés dans la transformation de nos matières premières que l'Europe subventionne son agriculture. Pourquoi, ferions-nous jouer la morale quand sans aucune morale nous livrons nos propres frères à la potence occidentale?
L'Afrique et surtout l'Afrique occidentale, à travers ses dirigeants, s'est tirée une balle dans le pied dans la gestion des dossiers ivoiriens et libyens. En tournant le dos à la défense des valeurs et de la morale, elle n'aura désormais que peu d'arguments face à l'arrogance de l'Occident.

Par Assegoue GodPeace S.
fraternelleeburnie@yahoo.fr
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