Le Patriote : Comme tous les villageois, vous aviez vous aussi quitté le village. Vous êtes revenus lorsque les représentants locaux des FRCI vous ont rassurés. Lorsque vous êtes arrivé, vous avez découvert votre village entièrement détruit. Qu’est ce qui s’est passé au juste?
Blahoua Digbeu: Depuis longtemps, je dirais même depuis des dizaines d’années, nous vivons ici avec nos frères étrangers. Nous n’avons jamais fait d’histoire. Nous vivions en parfaite harmonie avec eux. Tout s’est précipité le jour de la mort de notre fils, le ministre Désiré Tagro. D’abord, bien avant cela, on nous a dit de faire attention parce les gens (NDLR les FRCI) progressaient. Le ministre Tagro nous a fait quitter le village. Nous sommes rentrés en brousse. Lorsque nous étions en brousse, quelques temps après, nous avons appris la mort du ministre. Cela a d’avantage compliqué les choses. Parce qu’on attendait ses consignes pour quitter la forêt. Mais, nous sommes quand même sortis pour regagner le village. Dès que nous sommes sortis de la brousse, nous avons commencé à pleurer. C’est la coutume. Quand on perd quelqu’un, on doit pleurer. Moi-même, j’étais dans sa cour avec les villageois. Et puis nous avons entendu des bruits et vu des flammes. Lorsque j’ai demandé ce qui se passait, on m’a dit que cela provenait du quartier des Burkinabé. Et que ce sont les jeunes du village qui détruisaient et incendiaient les maisons et les biens des Burkinabé. J’ai essayé de les calmer, de les arrêter, mais ils ne m’ont pas écouté. Ils disaient que comme le ministre est mort, il faut qu’on meure tous. Je leur ai dit que les choses ne se passaient pas ainsi. Ce n’est pas ce que la coutume nous enseigne. Chacun de nous est né avec sa mort dans sa poche. Ce n’est pas parce que quelqu’un est mort que tout le monde va mourir. Malheureusement, personne ne m’a écouté. Ils avaient déjà incendié les maisons des Burkinabés. C’est ce qui a poussé les Burkinabé à appeler les FRCI. Quand ils sont arrivés, ils ont tiré en l’air. Ils n’ont pas tiré sur nous. Donc nous nous sommes tous repliés à nouveau en brousse. Moi aussi, j’y étais avec ma pauvre famille, et mes petits enfants. Nous sommes entrés dans le village voisin où j’étais et le chef (Ndrl, Cdt Bado Issouf) m’a demandé de rentrer au village. Il a dit aux villageois. «On dit que le chef du village de Gabia est ici, il faut le faire sortir». Quand je me suis présenté à lui, il m’a demandé. J’ai dit que c’est la peur. Parce qu’on dit que mon village est doté de fusils, et que, tant que je ne sors pas, les gens ne pourront pas déposer les armes. Il m’a dit qu’ils allaient me protéger, pour que les villageois qui sont armés, déposent les fusils. Donc, quand le jeune fils-là est venu, il m’a fait sortir. Je lui ai dit ainsi qu’à tout le monde que c’était cette peur-là qui m’a fait quitter le village. Sinon, il n’y a jamais eu d’histoire avec les Burkinabé et nous. On dit que le ministre nous a donné des armes. Alors que je n’en sais rien du tout. J’étais à Daloa à des funérailles. A mon retour, on dit qu’on a partagé des fusils. Je ne connais même pas le nombre. C’est pourquoi j’ai peur. J’ai demandé qu’on me laisse et qu’on aille au village. Ainsi s’ils savent que je suis au village, ils viendront peut-être rendre les armes. Quand je suis arrivé, j’ai constaté que les Burkinabé avaient déjà commencé à recueillir les armes chez certains qui les avaient. J’ai demandé aussi à toutes les cinq familles qui constituent le village de rendre les armes. C’était le ministre qui les avait données pour notre défense. Celui qui les avait données n’a pas dit de les cacher, donc ramenez-les. En plus, malheureusement, il est mort. Celui qui garde son arme par devers lui, en assumera seul, les conséquences. Dieu merci, ils m’ont écouté et ont ramené tous les fusils qu’on a rétrocédés aux FRCI. Moi, j’avais un vieux fusil calibre 12 de fabrication artisanale pour la chasse, mais je l’ai rendu. J’ai dit à mon adjoint d’en faire autant alors qu’on avait acheté nos deux fusils ensemble pour la chasse. Il l’a rendu aussi. Depuis lors, nous sommes dans ce village avec nos frères burkinabé et nos fils des FRCI. On s’entend bien. Il n’y a pas de palabres. Tout le village a été incendié. Parce que quand tu fais du mal à quelqu’un, il va te faire la même chose. Vous qui êtes venus de très loin pour nous voir, j’aurais bien aimé que vous passiez la nuit avec nous ici dans le village, mais je ne dispose d’aucune chambre. Il n’y a aucune maison pour vous héberger.
LP: Chef, vous avez eu le courage de revenir au village. Beaucoup de personnes sont encore en brousse. Quels messages leur lancez-vous?
BD: Je leur ai dit que je suis moi-même ici au village. ils doivent être rassurés et rentré à leur tour. Je le leur ai dit à plusieurs reprises. Mais ce n’est pas facile. Ils ont bien envie de revenir, mais leurs maisons ont été détruites. Il leur faut d’abord couper du bois, venir réparer leurs maisons, acheter les tôles et tout le nécessaire, ce n’est pas facile. Surtout que les temps sont durs. Il n’y a pas d’argent. Sinon, ils sont prêts pour regagner le village. Il y a quelques jeunes qui sont là. Au départ, nous étions seulement deux dans ce village, le chef de la communauté burkinabé Mamadou et moi.
LP: Dans ce village, tout est à refaire. Mais le nouveau Président de la République demande qu’on pardonne. Est-ce que vous qui avez tout perdu aussi, vous êtes prêts à pardonner?
BD: Nous avons été à Issia, justement pour sceller le pardon chez le préfet. Mais il était à San Pedro. Nous sommes revenus. Pour qu’on se pardonne, c’est simple car il n’y avait pas d’antécédent entre nous et nos frères burkinabé. C’est moi-même qui ai fait venir les Burkinabé dans ce village. C’est moi qui ai fait le village, le lotissement, etc. Nous n’avons pas fait d’histoire avec eux. Ce qui est passé, est derrière nous. On ne veut plus que cela se répète. Le seul problème qui retarde le retour des populations, c’est le fait que leurs maisons aient été incendiées ou détruites. Vraiment, je voudrais lancer un appel au Président de la République qui est le Président de tous les Ivoiriens. Je souhaite qu’il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour nous donner un coup de main. Si les temps étaient comme avant, nous-mêmes, on pouvait reconstruire nos maisons. Maintenant, rien ne marche. Le cacao est pourri du fait de la situation. Je prie le Président de nous aider, en ciment, en tôle, en bois. Comme ça, on va essayer d’entretenir ce qu’on a perdu. Sans lui, nous n’avons plus personne pour nous aider. Nous n’avons rien en poche. Et il y a la famine. On n’a pas d’argent pour manger. On va encore sentir beaucoup de souffrance. Donc je demande à l’Etat, au gouvernement et au Président de nous aider. Je remercie le journal qui est venu jusqu’à nous pour voir un village qui n’existe plus. Continuez toujours de bien faire votre travail. Seul Dieu peut vous payer. Merci.
Yves M. Abiet
Blahoua Digbeu: Depuis longtemps, je dirais même depuis des dizaines d’années, nous vivons ici avec nos frères étrangers. Nous n’avons jamais fait d’histoire. Nous vivions en parfaite harmonie avec eux. Tout s’est précipité le jour de la mort de notre fils, le ministre Désiré Tagro. D’abord, bien avant cela, on nous a dit de faire attention parce les gens (NDLR les FRCI) progressaient. Le ministre Tagro nous a fait quitter le village. Nous sommes rentrés en brousse. Lorsque nous étions en brousse, quelques temps après, nous avons appris la mort du ministre. Cela a d’avantage compliqué les choses. Parce qu’on attendait ses consignes pour quitter la forêt. Mais, nous sommes quand même sortis pour regagner le village. Dès que nous sommes sortis de la brousse, nous avons commencé à pleurer. C’est la coutume. Quand on perd quelqu’un, on doit pleurer. Moi-même, j’étais dans sa cour avec les villageois. Et puis nous avons entendu des bruits et vu des flammes. Lorsque j’ai demandé ce qui se passait, on m’a dit que cela provenait du quartier des Burkinabé. Et que ce sont les jeunes du village qui détruisaient et incendiaient les maisons et les biens des Burkinabé. J’ai essayé de les calmer, de les arrêter, mais ils ne m’ont pas écouté. Ils disaient que comme le ministre est mort, il faut qu’on meure tous. Je leur ai dit que les choses ne se passaient pas ainsi. Ce n’est pas ce que la coutume nous enseigne. Chacun de nous est né avec sa mort dans sa poche. Ce n’est pas parce que quelqu’un est mort que tout le monde va mourir. Malheureusement, personne ne m’a écouté. Ils avaient déjà incendié les maisons des Burkinabés. C’est ce qui a poussé les Burkinabé à appeler les FRCI. Quand ils sont arrivés, ils ont tiré en l’air. Ils n’ont pas tiré sur nous. Donc nous nous sommes tous repliés à nouveau en brousse. Moi aussi, j’y étais avec ma pauvre famille, et mes petits enfants. Nous sommes entrés dans le village voisin où j’étais et le chef (Ndrl, Cdt Bado Issouf) m’a demandé de rentrer au village. Il a dit aux villageois. «On dit que le chef du village de Gabia est ici, il faut le faire sortir». Quand je me suis présenté à lui, il m’a demandé. J’ai dit que c’est la peur. Parce qu’on dit que mon village est doté de fusils, et que, tant que je ne sors pas, les gens ne pourront pas déposer les armes. Il m’a dit qu’ils allaient me protéger, pour que les villageois qui sont armés, déposent les fusils. Donc, quand le jeune fils-là est venu, il m’a fait sortir. Je lui ai dit ainsi qu’à tout le monde que c’était cette peur-là qui m’a fait quitter le village. Sinon, il n’y a jamais eu d’histoire avec les Burkinabé et nous. On dit que le ministre nous a donné des armes. Alors que je n’en sais rien du tout. J’étais à Daloa à des funérailles. A mon retour, on dit qu’on a partagé des fusils. Je ne connais même pas le nombre. C’est pourquoi j’ai peur. J’ai demandé qu’on me laisse et qu’on aille au village. Ainsi s’ils savent que je suis au village, ils viendront peut-être rendre les armes. Quand je suis arrivé, j’ai constaté que les Burkinabé avaient déjà commencé à recueillir les armes chez certains qui les avaient. J’ai demandé aussi à toutes les cinq familles qui constituent le village de rendre les armes. C’était le ministre qui les avait données pour notre défense. Celui qui les avait données n’a pas dit de les cacher, donc ramenez-les. En plus, malheureusement, il est mort. Celui qui garde son arme par devers lui, en assumera seul, les conséquences. Dieu merci, ils m’ont écouté et ont ramené tous les fusils qu’on a rétrocédés aux FRCI. Moi, j’avais un vieux fusil calibre 12 de fabrication artisanale pour la chasse, mais je l’ai rendu. J’ai dit à mon adjoint d’en faire autant alors qu’on avait acheté nos deux fusils ensemble pour la chasse. Il l’a rendu aussi. Depuis lors, nous sommes dans ce village avec nos frères burkinabé et nos fils des FRCI. On s’entend bien. Il n’y a pas de palabres. Tout le village a été incendié. Parce que quand tu fais du mal à quelqu’un, il va te faire la même chose. Vous qui êtes venus de très loin pour nous voir, j’aurais bien aimé que vous passiez la nuit avec nous ici dans le village, mais je ne dispose d’aucune chambre. Il n’y a aucune maison pour vous héberger.
LP: Chef, vous avez eu le courage de revenir au village. Beaucoup de personnes sont encore en brousse. Quels messages leur lancez-vous?
BD: Je leur ai dit que je suis moi-même ici au village. ils doivent être rassurés et rentré à leur tour. Je le leur ai dit à plusieurs reprises. Mais ce n’est pas facile. Ils ont bien envie de revenir, mais leurs maisons ont été détruites. Il leur faut d’abord couper du bois, venir réparer leurs maisons, acheter les tôles et tout le nécessaire, ce n’est pas facile. Surtout que les temps sont durs. Il n’y a pas d’argent. Sinon, ils sont prêts pour regagner le village. Il y a quelques jeunes qui sont là. Au départ, nous étions seulement deux dans ce village, le chef de la communauté burkinabé Mamadou et moi.
LP: Dans ce village, tout est à refaire. Mais le nouveau Président de la République demande qu’on pardonne. Est-ce que vous qui avez tout perdu aussi, vous êtes prêts à pardonner?
BD: Nous avons été à Issia, justement pour sceller le pardon chez le préfet. Mais il était à San Pedro. Nous sommes revenus. Pour qu’on se pardonne, c’est simple car il n’y avait pas d’antécédent entre nous et nos frères burkinabé. C’est moi-même qui ai fait venir les Burkinabé dans ce village. C’est moi qui ai fait le village, le lotissement, etc. Nous n’avons pas fait d’histoire avec eux. Ce qui est passé, est derrière nous. On ne veut plus que cela se répète. Le seul problème qui retarde le retour des populations, c’est le fait que leurs maisons aient été incendiées ou détruites. Vraiment, je voudrais lancer un appel au Président de la République qui est le Président de tous les Ivoiriens. Je souhaite qu’il fasse tout ce qui est en son pouvoir pour nous donner un coup de main. Si les temps étaient comme avant, nous-mêmes, on pouvait reconstruire nos maisons. Maintenant, rien ne marche. Le cacao est pourri du fait de la situation. Je prie le Président de nous aider, en ciment, en tôle, en bois. Comme ça, on va essayer d’entretenir ce qu’on a perdu. Sans lui, nous n’avons plus personne pour nous aider. Nous n’avons rien en poche. Et il y a la famine. On n’a pas d’argent pour manger. On va encore sentir beaucoup de souffrance. Donc je demande à l’Etat, au gouvernement et au Président de nous aider. Je remercie le journal qui est venu jusqu’à nous pour voir un village qui n’existe plus. Continuez toujours de bien faire votre travail. Seul Dieu peut vous payer. Merci.
Yves M. Abiet