Expert des questions de l'environnement et du développement durable, le Dr Fofana Mamadou nous explique dans cet entretien les risques d'une mauvaise gestion des ordures ménagères, mais surtout les déchets de guerre que sont les enterrements sommaires. Entretien.
Le Patriote : La Côte d'Ivoire sort d'une crise postélectorale qui a fortement impacté l'environnement avec l'accumulation de plus de 200.000 tonnes d'ordures ménagères. L'enlèvement de ces déchets suffit-il à assainir les quartiers ?
Fofana Mamadou : Il faut d'abord commencer par enlever les ordures dans un premier temps. Mais il faudra par la suite aseptiser, sinon javelliser ces endroits. Enlever simplement les ordures ne suffit donc pas. Le problème est qu'au fur et à mesure que l'on enlève ces déchets, ils s'accumulent de nouveau et donnent parfois l'impression que rien n'est fait. Il faut donc une grande capacité d'enlèvement et une accumulation là où il le faut.
LP : Le district d'Abidjan produit plus de 5.000 tonnes d'ordures par jour avec une gestion qui laisse à désirer. Comment peut-on créer un cadre de vie sain dans ce contexte?
FM : C'est un sujet important, parce que l'une des erreurs fondamentales qui touchent toutes les gouvernances en ce qui concerne l'environnement, c'est le manque d'adresse et les dépôts sauvages d'ordures. Il n'y a pas un programme systématique de ces enlèvements. On a plutôt confié le ramassage à des sociétés qui ont des matériels vétustes qui polluent plus en passant qu'en ramassant. Et l'autre difficulté, c'est le manque d'un système de tri. Il faut pouvoir opérer le tri entre les déchets biodégradables et des déchets comme les plastiques et autres, de sorte à dégager tout ce qui doit être enfoui et ce qui ne le devrait pas. Ensuite, quel est l'usage qu'on fait des ordures ? En France et dans les pays du nord, les ordures reproduisent de l'énergie. On a des quartiers en France qui vivent essentiellement à partir de la transformation des ordures. Il faut donc mettre en œuvre en Côte d'Ivoire les centres d'enfouissement. C'est une fois tous ces dispositifs mis en place que l'on peut espérer un environnement sain.
LP : Les enterrements sommaires constituent en tant de conflits armés des déchets de guerre. La Côte d'Ivoire a enregistré ces cas dans cette crise postélectorale. Comment gérer ces déchets spécifiques ?
FM : Avec la guerre il y a eu, en effet, l'apparition des déchets de guerre en Côte d'Ivoire. Ces déchets sont non seulement les enterrements sommaires dus au fait qu'on ne peut pas se rendre au cimetière pour ensevelir les corps et qu'on ne peut pas non plus les conserver, mais il s'agit aussi des charniers. Les enterrements ainsi faits dans des lieux autres que les cimetières incommodent avec un phénomène de pourrissement. Le nombre d'enterrement de ce type est énorme. Il faut donc inventorier ces lieux, et les aseptiser. Quand on a parlé des centaines de morts à Duékoué, personne ne se demande comment ces corps ont été enterrés. Quand on parlait des cadavres non identifiés qui jonchaient les rues d'Abidjan, où sont passés aujourd'hui ces corps, quel traitement en a-t-on fait ? Il y a des endroits où ces corps se sont retrouvés dans des eaux, quelles conséquences cela a-t-il sur l'environnement ? Il y a aussi le phénomène des mines anti-personnel. Le traitement donc de ces déchets doit être spécial. Les conséquences du mauvais traitement des ces déchets de guerres, c'est que lorsqu'ils s'infiltrent dans le sol, ils font des victimes. Les gens doivent prendre en compte tous ces facteurs.
LP : Vous faites partie de ceux qui ont demandé, sans être entendus, une étude de radioactivité des déchets toxiques déversés à Abidjan, il y a de cela cinq ans. Pensez-vous que la menace demeure toujours?
FM : La menace demeure parce que la radioactivité n'est pas un phénomène qui s'éteint au bout de quelques jours. La période d'une radioactivité court entre cent et cent vingt ans. On a vu Tchernobyl et ce qui vient de se passer au Japon, ce ne sont pas des choses qui vont s'estomper maintenant. C'était normal que nous demandions une étude pour savoir si les déchets toxiques qu'on a déversés à Abidjan sont radioactifs. Tant qu'une étude n'est pas faite, on ne saura jamais évaluer le risque à long terme encouru par les populations exposées. On a pu voir ces trois dernières années une déformation génétiques des naissances, ce n'est pas fortuit pour des scientifiques. Nous avons aussi demandé une cartographie des zones de dépôts, mais tant que tout cela n'est pas fait la menace demeure.
LP : Qu'est-ce qui peut-être fait aujourd'hui dans ce sens ?
FM : Il faut faire aujourd'hui, l'état des lieux. Il doit y avoir des analyses par exemple de l'eau dans les endroits où ces déchets ont été déversés. Il faudra voir si l'on y détecte des éléments radioactifs et en mesurer le niveau. Si cela se confirme, il y a des phénomènes d'administration d'iode comme le Japon le fait. Il faut qu'on sache ensuite ce que sont devenus les dépôts sous scellés. Est-ce qu'avec le temps, les composantes de ces déchets ne sont pas devenues plus dangereux. Il faut donc connaître tout cela afin de prendre les mesures qui s'imposent. Et je crois que les nouvelles autorités étudieront la question.
LP : On parle de plus en plus dans les milieux environnementaux d'économie verte. Quelle définition peut-on en donner ?
FM : L'économie verte, c'est l'utilisation le moins possible des combustibles fossiles. Aujourd'hui, l'énergie produite est essentiellement le pétrole qui est une énergie fossile. La tendance est désormais aux énergies renouvelables. L'usage progressif des énergies renouvelables dans le système mondial justifie l'économie verte. L'économie verte est donc en train de prendre le pas sur l'économie brûle. Et comme l'Afrique regorge de beaucoup de soleil, il convient de mettre l'accent sur l'éolien, et les énergies solaires. L'Afrique peut y gagner en séquestrant donc le carbone dans la forêt. L'homme rejette le gaz carbonique et la forêt l'absorbe, c'est l'équilibre entre ces choses qui assure l'économie verte.
LP: L'Afrique subsaharienne est malheureusement menacée par l'avancée du désert, comment l'économie verte peut-elle prospérer dans un tel contexte ?
FM : Quand vous prenez l'avion d'Abidjan à Abuja vers 19 heures, vous voyez une bande lumineuse le long des côtes, c'est l'activité entropique qui résulte d'un mouvement du nord vers le sud. Il faut connaître l'avance de ce phénomène. Nous disposons d'imagerie satellitaire qui nous donne la situation de l'évolution de la végétation. Comment alors y pallier si on pense que l'industrialisation doit précéder le développement. En Côte d'Ivoire par exemple on a pu voir que pendant la crise, ce qui avait été décidé n'a pas été respecté. On a dit pas d'exploitation forestière au-dessus du huitième parallèle (Axe Touba-Bondoukou). Malheureusement, on a vu que les zones comme Biankouma sont devenues des champs de menuiserie. La forêt, c'est comme l'homme, ça naît, ça grandit et ça meurt, avec une moyenne de vie de 30 ans. Il faut donc procéder à l'aménagement forestier. Il faut aussi réduire la consommation du bois de chauffe au profit du gaz. La Côte d'Ivoire n'a pas un problème de gaz, c'est plutôt une usine de fabrication de bouteilles qu'il va falloir songer à installer. Quand nous parviendrons à cette étape, notre forêt s'en portera mieux.
LP : Aux Nations unies, la création d'une organisation mondiale de l'environnement (OME) est sur la table des débats. Faut-il y voir une prise de conscience mondiale des questions environnementales ?
FM : Aujourd'hui, c'est le phénomène de gouvernance mondiale de l'environnement qui pose problème. En 1992, on a créé le PNE. Vingt ans plus tard, on a eu la conférence de Rio de Janeiro, ensuite en 2002, la journée mondiale du développement durable basé sur l'économie verte. Est-ce que les pays africains ont profité de tout ça ? Le débat est encore ouvert, mais d'aucuns pensent qu'il faut tout simplement créer une organisation mondiale de l'environnement. Ce qui est certain, c'est que c'est une prise de conscience mondiale des questions de l'environnement. Vous savez, l'environnement est une activité transversale qui part du secteur primaire au secteur tertiaire. Ce n'est pas un luxe mais une nécessité pour les pays qui ont les moyens, mais aussi une impérieuse nécessité pour les pays en voix de développement. Il faut qu'on arrive à une gouvernance mondiale de l'environnement et l'Afrique doit parler d'une même voix.
LP : Quelle doit être la place de l'environnement dans la politique du président Alassane Ouattara ?
FM : L'environnement a une place très importante dans le programme de société du président Alassane Dramane Ouattara. L'environnement a été vu comme une activité transversale où la gestion des forêts devrait se faire d'une seule manière. Il ne m'appartient pas de dire la place que l'environnement doit occuper, mais je sais que le président de la république est très soucieux des questions qui touchent à l'environnement.
Par Alexandre Lebel Ilboudo
Le Patriote : La Côte d'Ivoire sort d'une crise postélectorale qui a fortement impacté l'environnement avec l'accumulation de plus de 200.000 tonnes d'ordures ménagères. L'enlèvement de ces déchets suffit-il à assainir les quartiers ?
Fofana Mamadou : Il faut d'abord commencer par enlever les ordures dans un premier temps. Mais il faudra par la suite aseptiser, sinon javelliser ces endroits. Enlever simplement les ordures ne suffit donc pas. Le problème est qu'au fur et à mesure que l'on enlève ces déchets, ils s'accumulent de nouveau et donnent parfois l'impression que rien n'est fait. Il faut donc une grande capacité d'enlèvement et une accumulation là où il le faut.
LP : Le district d'Abidjan produit plus de 5.000 tonnes d'ordures par jour avec une gestion qui laisse à désirer. Comment peut-on créer un cadre de vie sain dans ce contexte?
FM : C'est un sujet important, parce que l'une des erreurs fondamentales qui touchent toutes les gouvernances en ce qui concerne l'environnement, c'est le manque d'adresse et les dépôts sauvages d'ordures. Il n'y a pas un programme systématique de ces enlèvements. On a plutôt confié le ramassage à des sociétés qui ont des matériels vétustes qui polluent plus en passant qu'en ramassant. Et l'autre difficulté, c'est le manque d'un système de tri. Il faut pouvoir opérer le tri entre les déchets biodégradables et des déchets comme les plastiques et autres, de sorte à dégager tout ce qui doit être enfoui et ce qui ne le devrait pas. Ensuite, quel est l'usage qu'on fait des ordures ? En France et dans les pays du nord, les ordures reproduisent de l'énergie. On a des quartiers en France qui vivent essentiellement à partir de la transformation des ordures. Il faut donc mettre en œuvre en Côte d'Ivoire les centres d'enfouissement. C'est une fois tous ces dispositifs mis en place que l'on peut espérer un environnement sain.
LP : Les enterrements sommaires constituent en tant de conflits armés des déchets de guerre. La Côte d'Ivoire a enregistré ces cas dans cette crise postélectorale. Comment gérer ces déchets spécifiques ?
FM : Avec la guerre il y a eu, en effet, l'apparition des déchets de guerre en Côte d'Ivoire. Ces déchets sont non seulement les enterrements sommaires dus au fait qu'on ne peut pas se rendre au cimetière pour ensevelir les corps et qu'on ne peut pas non plus les conserver, mais il s'agit aussi des charniers. Les enterrements ainsi faits dans des lieux autres que les cimetières incommodent avec un phénomène de pourrissement. Le nombre d'enterrement de ce type est énorme. Il faut donc inventorier ces lieux, et les aseptiser. Quand on a parlé des centaines de morts à Duékoué, personne ne se demande comment ces corps ont été enterrés. Quand on parlait des cadavres non identifiés qui jonchaient les rues d'Abidjan, où sont passés aujourd'hui ces corps, quel traitement en a-t-on fait ? Il y a des endroits où ces corps se sont retrouvés dans des eaux, quelles conséquences cela a-t-il sur l'environnement ? Il y a aussi le phénomène des mines anti-personnel. Le traitement donc de ces déchets doit être spécial. Les conséquences du mauvais traitement des ces déchets de guerres, c'est que lorsqu'ils s'infiltrent dans le sol, ils font des victimes. Les gens doivent prendre en compte tous ces facteurs.
LP : Vous faites partie de ceux qui ont demandé, sans être entendus, une étude de radioactivité des déchets toxiques déversés à Abidjan, il y a de cela cinq ans. Pensez-vous que la menace demeure toujours?
FM : La menace demeure parce que la radioactivité n'est pas un phénomène qui s'éteint au bout de quelques jours. La période d'une radioactivité court entre cent et cent vingt ans. On a vu Tchernobyl et ce qui vient de se passer au Japon, ce ne sont pas des choses qui vont s'estomper maintenant. C'était normal que nous demandions une étude pour savoir si les déchets toxiques qu'on a déversés à Abidjan sont radioactifs. Tant qu'une étude n'est pas faite, on ne saura jamais évaluer le risque à long terme encouru par les populations exposées. On a pu voir ces trois dernières années une déformation génétiques des naissances, ce n'est pas fortuit pour des scientifiques. Nous avons aussi demandé une cartographie des zones de dépôts, mais tant que tout cela n'est pas fait la menace demeure.
LP : Qu'est-ce qui peut-être fait aujourd'hui dans ce sens ?
FM : Il faut faire aujourd'hui, l'état des lieux. Il doit y avoir des analyses par exemple de l'eau dans les endroits où ces déchets ont été déversés. Il faudra voir si l'on y détecte des éléments radioactifs et en mesurer le niveau. Si cela se confirme, il y a des phénomènes d'administration d'iode comme le Japon le fait. Il faut qu'on sache ensuite ce que sont devenus les dépôts sous scellés. Est-ce qu'avec le temps, les composantes de ces déchets ne sont pas devenues plus dangereux. Il faut donc connaître tout cela afin de prendre les mesures qui s'imposent. Et je crois que les nouvelles autorités étudieront la question.
LP : On parle de plus en plus dans les milieux environnementaux d'économie verte. Quelle définition peut-on en donner ?
FM : L'économie verte, c'est l'utilisation le moins possible des combustibles fossiles. Aujourd'hui, l'énergie produite est essentiellement le pétrole qui est une énergie fossile. La tendance est désormais aux énergies renouvelables. L'usage progressif des énergies renouvelables dans le système mondial justifie l'économie verte. L'économie verte est donc en train de prendre le pas sur l'économie brûle. Et comme l'Afrique regorge de beaucoup de soleil, il convient de mettre l'accent sur l'éolien, et les énergies solaires. L'Afrique peut y gagner en séquestrant donc le carbone dans la forêt. L'homme rejette le gaz carbonique et la forêt l'absorbe, c'est l'équilibre entre ces choses qui assure l'économie verte.
LP: L'Afrique subsaharienne est malheureusement menacée par l'avancée du désert, comment l'économie verte peut-elle prospérer dans un tel contexte ?
FM : Quand vous prenez l'avion d'Abidjan à Abuja vers 19 heures, vous voyez une bande lumineuse le long des côtes, c'est l'activité entropique qui résulte d'un mouvement du nord vers le sud. Il faut connaître l'avance de ce phénomène. Nous disposons d'imagerie satellitaire qui nous donne la situation de l'évolution de la végétation. Comment alors y pallier si on pense que l'industrialisation doit précéder le développement. En Côte d'Ivoire par exemple on a pu voir que pendant la crise, ce qui avait été décidé n'a pas été respecté. On a dit pas d'exploitation forestière au-dessus du huitième parallèle (Axe Touba-Bondoukou). Malheureusement, on a vu que les zones comme Biankouma sont devenues des champs de menuiserie. La forêt, c'est comme l'homme, ça naît, ça grandit et ça meurt, avec une moyenne de vie de 30 ans. Il faut donc procéder à l'aménagement forestier. Il faut aussi réduire la consommation du bois de chauffe au profit du gaz. La Côte d'Ivoire n'a pas un problème de gaz, c'est plutôt une usine de fabrication de bouteilles qu'il va falloir songer à installer. Quand nous parviendrons à cette étape, notre forêt s'en portera mieux.
LP : Aux Nations unies, la création d'une organisation mondiale de l'environnement (OME) est sur la table des débats. Faut-il y voir une prise de conscience mondiale des questions environnementales ?
FM : Aujourd'hui, c'est le phénomène de gouvernance mondiale de l'environnement qui pose problème. En 1992, on a créé le PNE. Vingt ans plus tard, on a eu la conférence de Rio de Janeiro, ensuite en 2002, la journée mondiale du développement durable basé sur l'économie verte. Est-ce que les pays africains ont profité de tout ça ? Le débat est encore ouvert, mais d'aucuns pensent qu'il faut tout simplement créer une organisation mondiale de l'environnement. Ce qui est certain, c'est que c'est une prise de conscience mondiale des questions de l'environnement. Vous savez, l'environnement est une activité transversale qui part du secteur primaire au secteur tertiaire. Ce n'est pas un luxe mais une nécessité pour les pays qui ont les moyens, mais aussi une impérieuse nécessité pour les pays en voix de développement. Il faut qu'on arrive à une gouvernance mondiale de l'environnement et l'Afrique doit parler d'une même voix.
LP : Quelle doit être la place de l'environnement dans la politique du président Alassane Ouattara ?
FM : L'environnement a une place très importante dans le programme de société du président Alassane Dramane Ouattara. L'environnement a été vu comme une activité transversale où la gestion des forêts devrait se faire d'une seule manière. Il ne m'appartient pas de dire la place que l'environnement doit occuper, mais je sais que le président de la république est très soucieux des questions qui touchent à l'environnement.
Par Alexandre Lebel Ilboudo