Le Patriote : Récemment, vous avez effectué une tournée à Gagnoa, votre région d’origine d’où est également issu l’ex-chef de l’Etat, quel est l’état d’esprit des parents sur place ?
Louis-André Dacoury Tabley : Les parents sur place sont groggys comme on le dirait dans le jargon de la boxe. Ils sont groggys, ils sont tétanisés, ils sont déboussolés, ils sont sans repère. Je n’exagère pas en le disant. Beaucoup sont en train de sortir de la brousse. Mais ce n’est pas au sens abidjanais du terme. Ils étaient en forêt. Ils s’y sont réfugiés au passage des FRCI, qui venaient libérer les villes. En les écoutant, on se rend compte qu’ils avaient appris la chute de Gbagbo, plus ou moins de bouche à oreille, puisque les télés ne marchaient plus. Mais en réalité, ils n’y croyaient pas. Ils ne pensaient pas que leur mentor n’aurait pas le dessus. Quand c’est arrivé, ils sont allés en brousse au moment où les FRCI passaient, mais pour eux, les jours suivants, leur mentor allait se relever et venir les retirer de la brousse. Il se trouve que le mentor a été arrêté et neutralisé. « Que faire ? Que va-t-il nous arriver ? », se sont-ils mis à se demander. C’est de tout cela que je suis allé discuter avec eux, puisqu’il ne va rien leur arriver, parce qu’ils n’ont rien fait. Ils n’étaient pas au pouvoir. Ce n’est pas eux qui étaient à la présidence, même s’ils se targuaient, comme tout Africain, comme tout homme, d’être fiers d’avoir leur fils à la présidence.
LP : Avez-vous répondu à leur cri de détresse ou est-ce de manière personnelle que vous vous y êtes rendu ?
LADT : Les deux premiers jours, j’ai reçu des appels. Heureusement qu’il y a des téléphones portables. En pleine forêt, ils m’ont appelé. C’était assez cocasse parce qu’ils chuchotaient. Je me demandais comment on pouvait chuchoter en pleine forêt, alors qu’en principe on n’a plus rien à craindre là-bas. C’est pour dire que c’était pathétique. Chez nous, quand quelqu’un est en danger, qu’il est en train de mourir, on y court d’abord. J’ai été content de l’avoir fait. Les parents étaient très heureux.
LP : Avez-vous déjà des résultats ? Pensez-vous que votre mission a porté ?
LADT : Oui ! Parce que vous savez que dans les milieux où il n’y a pas d’information, on finit par affirmer ce qu’on espère. Ils avaient appris que j’étais venu plusieurs fois. Alors qu’en réalité, je n’y étais jamais allé. Ils espéraient ma présence. Donc, quand je suis allé, ils sont sortis. J’ai utilisé une méthode qui était d’aller voir d’abord les chefs militaires de la région, qui nous ont expliqué comment les choses s’étaient passées, quels étaient leur objectif. Ils m’ont dit que leur objectif, c’était de récupérer les armes. Les gens détenaient des armes, il fallait les rendre. Il n’y a pas eu de grabuge. Les parents me l’ont confirmé. Ils m’ont dit : « nous n’avons pas pleuré ». Il faut entendre par-là qu’aucun décès n’a été enregistré. Ils m’ont seulement dit avoir été effrayés par les tirs en l’air. Mais, progressivement, ils sont retournés au village.
LP : Mais que leur avez-vous dit concrètement sur la situation de leur fils, Laurent Gbagbo ?
LADT : Après les échanges avec les militaires, je suis allé les voir pour leur expliquer qu’en fait, le pays a changé de Président de la République. Je leur ai dit que c’était terminé, que désormais, c’est Alassane Ouattara, élu le 28 novembre dernier dans les urnes, qui était le président, mais que Gbagbo a voulu résister. Et que c’est parce que c’est leur fils, qu’ils ont cru qu’il allait faire quelque chose d’autre. Je leur ai aussi expliqué que les quatre mois durant lesquels leur fils s’est accroché au pouvoir ont été des mois de souffrance et que maintenant, c’était terminé, qu’il fallait revenir au pays. Je leur ai dit qu’on n’allait tout de même pas détacher Gagnoa de la Côte d’Ivoire pour la mettre ailleurs et qu’il leur fallait se résoudre à revenir vivre dans la République. Je les ai assurés qu’on pouvait leur garantir ce retour. Nous avons par la suite discuté avec le président des chefs traditionnels de la région. Ce sont 165 villages et 15 chefs de canton. Il y a également eu une réunion avec le préfet. Nous avons établi une méthode qui permettait aux différents chefs traditionnels de fouiller, de chercher dans chaque village, sur la base des méthodes traditionnelles, de regarder comment il pouvait y avoir des armes ou pas chez les villageois. Vous savez, ce n’est pas seulement à Gagnoa que ce phénomène s’est passé. Cela s’est passé dans ce qu’on appelle les bastions FPI en Côte d’Ivoire. J’ai lu d’ailleurs dans un journal, que les Ebrié étaient allés tranquillement remettre leurs armes de guerre aux autorités.
LP : Comment interprétez-vous ces distributions d’armes dans les villages ?
LADT : je me suis effectivement demandé ce que font des armes de guerre dans un village.
La vérité est que c’était la démarche des pontes du FPI. Ils ont distribué des armes en pays Abbey qui est censé être leur bastion, en pays Bété, en pays Attié, etc. C’est en ce sens que cette opération que je suis en train de mener me paraît importante.
LP : Avez-vous pu en récupérer lors de votre passage ?
LADT : J’ai fait quatre jours dans la région et les FRCI m’ont dit qu’effectivement, dès leur arrivée, il y a eu beaucoup de remises d’armes et que 75% d’entre elles ont été distribuées en 2002, au moment de la rébellion. Le FPI avait effectivement remis cinq fusils par village. Ils le reconnaissent. Ces fusils devaient selon eux, permettre aux populations de s’auto-défendre. Mais, les FRCI ont estimé qu’il y avait autre chose et ils n’avaient pas tort puisque, effectivement, un des ministres de Gbagbo, chargé de cette opération, avait distribué des armes de guerre. Les gens l’ont vu. Mais, il se trouve que ce n’est pas aux chefs de village qu’on remettait ces fusils. Au mieux, on les remettait à des secrétaires généraux de section FPI, à l’insu du chef du village et au pire, quand les secrétaires généraux n’étaient pas « chauds », on les remettait à des jeunes du village. Nous avons trouvé la méthode de recherche que je vous ai indiquée plus haut. Tenez-vous bien, le dernier appel de Blé Goudé aux jeunes de se faire recenser, a eu un écho favorable dans notre région. Les jeunes se sont regroupés, se sont fait tondre les cheveux, pour aller se faire recenser. A cette époque, Bertin Kadet a convoyé un dernier lot d’armes. C’est le dernier voyage qu’il faisait lorsqu’il a eu son accident. Les armes sont donc effectivement dans notre région. Il y a eu également la désertion de la Garde républicaine de Mama. Elle a quitté le terrain en laissant des armes qui se sont retrouvées aux mains des jeunes gens. C’est pour toutes ces raisons que les FRCI sont un peu frileuses. En dehors de cela, la vie quotidienne se passe normalement.
LP : On sait que votre région regorge de beaucoup de cadres du FPI, est-ce qu’il est à craindre que les mêmes dégâts, qui ont été commis dans le Moyen Cavally du fait des cadres de la région, le soient à Gagnoa ?
LADT : Pas du tout ! Là, sans baigner dans un optimisme béat, je vous dis que le Bété, contrairement à ce qu’on croit et en dehors du Bété d’Abidjan, qu’on appelle le « Digbeu », le Bété du village n’est ni guerrier, ni belliqueux. On a malheureusement donné une fausse image à la tête de l’Etat. Il n’y a aucun signe de bellicisme dans leur tempérament. De façon physique et visible, il n’y a aucun signe de rébellion. Il n’y a même pas de moyens de le faire. Ils n’y pensent même pas. Je peux vous dire qu’au moment de la distribution de ces armes, il y en a qui ont été forcés. Parce que pour eux, si leur fils est au pouvoir, ce n’est pas pour faire la guerre. Ils n’avaient donc rien à craindre. De tout temps, il n’y a eu aucun problème dans notre région, contrairement à la région dont vous faites mention, et il n’y en aura pas. Il y avait des pontes du FPI, mais aujourd’hui, tous ont disparu.
LP : Avez-vous cependant quelques craintes sur le terrain, quant à la réussite de votre mission ?
LADT : Ce qui peut compliquer les choses, c’est que de leur cachette, certains cadres téléphonent aux parents pour leur faire croire que la situation est grave. Alors qu’en fait, c’est eux qui prétendent qu’ils sont recherchés et qui rejettent sur les parents, leur propre peur. Cela va nous retarder. Mais le temps viendra où on parlera d’eux. On ne cherche pas des Bété, parce qu’ils sont Bété. Il ne faut pas qu’on revienne sur la même chose. A l’époque, quand Houphouët était au pouvoir, le Bété disait : « on est contre nous ». Gbagbo a fait dix ans au pouvoir et c’est toujours la même chanson : « on est contre nous ». Mais qui est ce « on » qui est contre les Bété, si ce n’est pas les bété eux-mêmes qui ont des problèmes par rapport à l’ensemble des Ivoiriens ? Est-ce la Côte d’Ivoire qui doit comprendre les Bété ou les Bété qui doivent comprendre la Côte d’Ivoire ? C’est ce mauvais travail que sont en train de faire certains cadres. On ne les cherche pas. Il y a des figures qui intéressent peut-être la justice, elles sont connues, c’est une poignée de personnes. Le reste ferait mieux de participer au retour au calme de nos parents.
LP : Quel jugement ces populations ont-elles aujourd’hui de leur fils ? Vous ont-elles exprimé leur volonté de voir leur fils ?
LADT : Ils n’ont pas émis une quelconque revendication. Ils peuvent espérer. Quand on vous dit que votre enfant est dans des conditions carcérales, évidemment, ce n’est pas avec joie que vous l’apprenez. L’idéal pour eux, c’est qu’il en sorte, mais ils ne sont pas encore pas en l’état de l’exprimer. Pour le moment, ils sont en train de s’occuper d’eux-mêmes, des effets de ce qui est arrivé. C’est dans un deuxième temps, quand les choses seront mises en place, peut-être comme tout père, ils chercheront à comprendre. En ce moment-là, nous serons à une autre étape et nous, nous serons là pour leur expliquer progressivement ce qu’il en est vraiment.
LP : Que leur expliquerez-vous alors?
LADT : Que ce n’est pas un fils qu’on a mis en prison, c’est un Ivoirien. Comme tout homme responsable d’un acte répréhensible, il devra subir les affres de la justice. Nous leur dirons que le fauteuil du chef de l’Etat est un seul fauteuil, c’est un Ivoirien qui s’y assied pour se mettre au service de tous les autres Ivoiriens. On ne peut pas être en train de regretter que son fils ne soit pas là au point de traîner les pieds dans une République où il y a 60 ethnies.
LP : Leur avez-vous fait écho du message du Chef de l’Etat appelant à la réconciliation ?
LADT : Nous leur avons dit qu’Alassane Ouattara n’est pas venu pour faire la guerre. Il a attendu des décennies durant, les élections pour arriver au pouvoir. On l’a empêché. Finalement, il a participé à l’élection présidentielle. C’est cette élection qu’il a gagnée et rien d’autre. Certes, Alassane Ouattara n’est pas originaire de toutes les ethnies, mais il est au pouvoir pour les 59 autres, dont les Bété. Il n’y a pas de problèmes particuliers que nous allons poser. Pour le moment, c’est comme un boxeur qui est groggy, il faut lui montrer son coin. Parce qu’un boxeur qui est dans cet état, quand le gong sonne, il ne sait même pas où est son manager. Il faut l’installer. C’est à ce niveau-là que nous sommes.
LP : Monsieur le ministre, pour avoir été sur le terrain, y a-t-il eu des représailles de la part des FRCI sur vos parents ?
LADT : Pas du tout ! Il y a eu vraiment un quasi sans faute au passage des FRCI, sauf dans un village qu’on appelle Bodocipa, à quelques deux ou trois kilomètres de Mama, où des jeunes gens ont barré la route aux FRCI, c’est seulement avec ces jeunes qu’il y a eu un incident. Il y en a eu également dans le Guébié. Mais ce sont des incidents ponctuels très vite circonscrits.
LP : Les villages de Laurent Gbagbo et de Blé Goudé Charles ont-ils été épargnés ?
LADT : Mama n’a pas été touché. Dans la région de Gagnoa aucun village n’a été rasé, sauf les incidents dont je vous ai parlé. A Mama même, évidemment, vous savez la misère est grande. Bien que les gens aiment quelqu’un, dès l’instant qu’une porte est ouverte, l’on y entre. Il est donc arrivé aux gens de Mama de piquer çà et là des choses chez Gbagbo. Mais, les militaires en passant ont eu des consignes. Ce serait trop gros d’aller faire sa vengeance à Mama. Au contraire, ils ont donné tort à tout le monde. Mama n’a pas été touché.
LP : Pourtant, le président de l’Assemblé nationale, Mamadu Koulibaly, soutient lui, que les Bété sont traqués.
LADT : Je vais vous dire une chose qui est ma conviction personnelle : j’ai toujours dit que Mamadou Koulibaly est un adolescent, au sens plein du terme. C’est-à-dire qu’il ne voit pas la réalité. Il ne finit pas de grandir. Que Mamadou Koulibaly saute comme cela sur les problèmes des Bété alors que ce problème n’est pas posé et que, en réalité, il n’existe pas politiquement, cela veut dire qu’il joue au politicien. Il arrive du Ghana où on est allé le quérir et il parle des Bété. Vous vous souvenez, quand il y a eu le coup d’Etat de Gueï, quand Gbagbo est revenu du Gabon, voyant que Bédié n’était plus au pouvoir et comme le FPI a toujours eu maille à partir avec les Baoulé, il a cru que le terrain était vide. Il a fait une déclaration à Bouaké. « Gare à celui qui touchera à un seul cheveu des Baoulé », en menaçant à l’époque Alassane. C’était de l’opportunisme et de la manipulation et même de la foutaise. On se fout du peuple. Les Bété sont des Ivoiriens parmi 18 millions de citoyens, et qui sont engagés dans la construction de la nation ivoirienne, comme toutes les autres ethnies. Ils ne sont pas orphelins. Le disant, Mamadou Koulibaly est en train d’affirmer que le FPI est un parti de Bété. Dans ce cas, qu’est-ce qu’il y fait ? Sa sortie renferme beaucoup de contradictions.
LP : Vous qui avez fait tous les combats, notamment avec le FPI, comment avez-vous jugé ces cinq derniers mois que nous avons passés ?
LADT : La seule inconnue de cette période était l’intensité. L’intensité dans la résistance de l’adversaire. Sinon, le principe de la résistance de l’adversaire ne m’étonne pas. Puisque tout le monde savait que Gbagbo ne voulait pas aller à l’élection. C’était une donnée très claire. Finalement, il y est allé. Il s’est passé ce qui s’est passé. Cette résistance-là, elle ne nous a pas surpris. Mais en intensité et en moyens, j’ai été dépassé. Parce que quand j’ai vu qu’il y avait des tueries, des armes partout, cela m’a de plus en plus conforté dans l’idée que nous nous sommes séparés depuis longtemps et que je n’avais pas tort. Ce fait est venu balayer, si tant qu’il y avait encore de légères traces, tout ce qui pouvait me relier à cet homme.
LP : Pensez-vous que le FPI que vous avez créé, qui, à l’époque, était le flambeau de cette lutte démocratique, était capable de s’opposer aux résultats d’une élection démocratique en Côte d’Ivoire?
LADT : Faisons abstraction des 5 mois, tous les signes étaient là. Ce n’était même pas des signes. C’était des affirmations. Gbagbo n’a jamais voulu d’élection. En dehors de ces cinq derniers mois, tous les signes étaient là pour montrer que le FPI ne voulait pas aller à l’élection. Nous nous sommes séparés depuis 99. J’ai alors mené une autre vie politique ailleurs. De façon absolue, nous n’avions plus rien à avoir les uns des autres.
LP : Comment jugez-vous le dénouement de la crise avec l’implication des Nations Unies, de la France, des Etats-Unis d’Amérique, on a parlé d’ingérence. Partagez-vous cette thèse ?
LADT : vous savez, les gens font souvent de l’intellectualisme, du remplissage, on fait des débats là où il ne faut pas. C’est juste bon pour occuper les esprits. De quelle ingérence parle-t-on ? Il n’y a pas d’ingérence depuis le début de cette affaire. J’ai été même surpris quand on a parlé de l’ONU et de la France séparément dans cette affaire. Aujourd’hui dans les textes, la Licorne est la force de frappe interne à l’ONUCI. Il n’y a pas d’ingérence, puisque l’ONU a organisé Marcoussis. Nous sommes allés à Marcoussis. Le Président Gbagbo a pris son avion après Marcoussis pour aller à Kleber pour la distribution des postes. Depuis lors, notre crise a été prise en compte par la communauté internationale. Nous avons signé régulièrement des accords, même si le FPI les a piétinés, régulièrement. C’est sous l’égide de l’ONU que depuis 2002, la Côte d’Ivoire fonctionne. Certes, l’une des faiblesses de Marcoussis a été d’avoir laissé la constitution en place. Or, toute constitution a un garant. Le président Gbagbo a toujours utilisé cet aspect-là pour toujours affaiblir les accords. Mais depuis ce temps, l’ONU gère la crise en Côte d’Ivoire.
LP : Est-ce qu’au niveau du FPI, la guerre de succession a déjà commencé ?
LADT : Si je réponds à cette question, c’est comme si je me contredisais. Le FPI a un problème. Le FPI est à comparer au parti nazi d’Hitler. Ils ont soutenu les tueries. Ce sont eux qui ont acheté les armes. Ils avaient une politique de purification ethnique, de la race. C’est un parti comme cela qui a été interdit en Allemagne. Or, le FPI fait du national socialisme. C’est un débat déjà. Il ne faut pas se précipiter. Même s’il ne faut pas en faire demain des martyrs, les ténors de ce parti, doivent être interpellés. Le FPI est responsable de ce qui est arrivé à la Côte d’Ivoire, parce que soutenant Gbagbo Laurent dans ce dont on l’accuse aujourd’hui.
LP : Etes-vous en train de dire qu’il faut dissoudre le FPI ou le sanctionner ?
LADT : Non, il ne s’agit pas de dissoudre le FPI. Le débat est là, ce n’est pas moi qui le mène. Mais comme nous sommes dans un processus de réconciliation, il ne faut pas non plus sauter les étapes. La réconciliation, c’est d’abord la reconnaissance de ses fautes. Intellectuellement parlant, est-ce qu’on doit séparer le FPI de Gbagbo, de ce qu’on reproche à Gbagbo aujourd’hui ? Est-ce qu’on doit séparer le FPI d’Affi, de ce qu’on reproche à Affi aujourd’hui ? Voilà la question.
LP : Vous ne croyez pas comme Yao Paul N’Dré, que nous soyons tous possédés par satan ?
LADT : je ne crois pas que Satan soit un corps extérieur. Satan, ce sont nos pensées. Nous ne sommes pas des extraterrestres. Satan aurait pu rester à l’écart, s’il lui, Yao N’dré, avait suivi le travail qu’on lui a donné. Il aurait pu résister à Satan, s’il avait suivi la procédure que lui impose le droit. C’est parce qu’il a voulu servir quelqu’un qu’il a créé la brèche et que Satan y est rentré.
LP : Il dit que nous sommes tous responsables ?
LADT : Non, il est responsable. Il ne faut pas qu’il dise cela. Personne d’autre n’est responsable. Il est responsable. Il faut qu’il reconnaisse sa responsabilité d’abord avant d’engager tout le monde. C’est trop facile de noyer sa faute en prenant tout le monde en compte.
LP : Pour vous qui avez connu Laurent Gbagbo, si vous étiez en face de lui, que lui conseilleriez-vous ?
LADT : Je vais vous surprendre. Si aujourd’hui, j’étais en face de Gbagbo, je ne parlerais même pas de la politique actuelle. Je parlerai de notre jeunesse.
LP : Pourquoi ?
LADT : Parce qu’ai j’ai été frustré de notre amitié. Sinon pour le reste, il est responsable de tout ce qui lui arrive. Je n’ai rien à voir avec cela. Je ne lui parlerai même pas de cela.
LP : Ne pensez-vous pas qu’il y a un mot à dire dans cette Côte d’Ivoire où on parle de réconciliation ?
LADT : De ce côté-là, je n’ai pas envie de dire quelque chose. Je n’ai pas envie de m’y embarquer. Il y a déjà la justice. Tout est clair en ce qui le concerne. Il n’y a même pas de débat. Je pense que lui aussi le sait.
LP : Pour Laurent Gbagbo, il y a des gens qui demandent réparation, d’autres disent de l’absoudre, vous quelle est votre solution ?
LADT : Cela fait plus d’un mois que Laurent Gbagbo a été arrêté pour tout ce qu’on sait. La justice n’a même pas encore commencé son travail. On ne sait pas par où commencer. Tellement il y en a. Je ne pense pas que ce débat soit pertinent. Attendons de voir clair dans les procédures, de voir les limites avant de parler de quoique ce soit. Pour l’instant, le Président Ouattara vient de mettre en place la commission dialogue, vérité et réconciliation. Il faut laisser le soin à cette commission de mettre en place sa méthode de travail, son organigramme. On ne décrète pas la réconciliation. On ne décrète pas le pardon. C’est tout un processus.
LP : Accordez-vous de la confiance à cette commission après ce qui s’est passé en 2001 avec le forum national ?
LADT : Moi, je crois en cette commission, parce que ce n’est pas le même contexte. Est-ce par bonheur ? Mais Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir non pas de façon seule ou solitaire au point qu’on puisse craindre qu’il fasse de la dictature. Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir au vu et au su de tout le monde. Ouattara est arrivé au pouvoir avec l’implication du monde entier. Quand on vient comme cela, le monde entier est toujours présent. C’est pourquoi, je dis que nous avons de la chance qu’il soit arrivé au pouvoir de cette façon. Je ne crois pas que la commission puisse avoir la même infortune que celle de 2001. A l’époque, Laurent était arrivé en se débattant. Il a dicté sa loi. C’est lui qui était le problème, c’est lui qui a décidé de la mise sur pied du forum. Il avait d’bord désigné Ahmadou Kourouma pour la diriger, mais comme Kourouma était un esprit très libre, il s’en est séparé. C’était déjà un signe. Les gens n’ont pas voulu trop en parler. Il a ensuite désigné Seydou Diarra. Finalement qu’est-ce qui est sorti de ce forum ? Il est sorti que la nationalité de Ouattara soit confirmée. Seydou Diarra n’est pas parvenu à régler totalement la question.
LP : Il se trouve que Charles Konan Banny est un homme politique qui s’est affiché aux côtés du Président Ouattara ? Est-ce que cet aspect ne va pas créer problème ?
LADT : Charles Konan Banny comme Alassane Ouattara sont des hommes accomplis. Il ne s’agit pas de parti politique. Il s’agit de la relation de Banny avec la Côte d’Ivoire. Quand il était arrivé comme Premier ministre, c’était le fils qui venait pour qu’on reconstruise la maison du père. La Côte d’Ivoire, c’est un peu sa vision. C’est pareil pour Alassane. Je connais une dame qui n’a jamais voulu entendre parler d’Alassane. Une fois dans l’avion, j’ai insisté pour qu’elle le salue. Après cet épisode, il me semble qu’elle a voté pour Alassane. Ce n’est pas la magie. La femme m’a dit : « quand tu vois ce monsieur, tu sais qu’il a envie de faire quelque chose pour la Côte d’Ivoire ». Ouattara connaît la vision des choses telles que perçues par Banny. Ce qu’on a confié à Banny est quelque chose à construire. Il faut que nous l’aidions à le faire.
LP : Quelles sont les erreurs du passé à éviter ?
LADT : il faut éviter une trop forte subordination comme c’était le cas en 2001 entre le nommant et le nommé, pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Comme le dirait l’autre, quand on t’envoie il faut savoir t’envoyer. Peut-être qu’à l’époque, Seydou Diarra n’avait pas pu s’envoyer. Avait-il su se détacher de l’envoyeur ? C’est toute la question.
LP : Certains cadres du FPI estiment qu’aucune réconciliation n’est possible tant que Gbagbo et son épouse resteront enfermés. Qu’en pensez-vous ?
LADT : Ils ont raison, puisqu’ils veulent dire par là qu’il faut que la procédure se fasse vite. C’est cela que ça veut dire. Sinon, il n’y a pas une autre option. Il y a un cadre bété qui m’a félicité d’être allé à Gagnoa. Il m’a dit merci, parce que selon lui, c’est cette manière qui leur permettra de sortir de leur cachette. Il m’a dit qu’il n’était pas content d’Affi, de Mamadou Koulibaly et de Miaka parce qu’ils ont des propos qui ne sont pas apaisants. En disant certaines choses, ils sont inconscients pour les troupes qu’ils dirigent. Il faut qu’au niveau de la tête, les propos soient rassurants. Quand, du Pergola Affi dit qu’il exige la libération de Gbagbo, que tenait-il en main pour exiger cela ? Le FPI a aujourd’hui un problème qui relève de la justice. Il serait bon qu’il travaille dans ce sens. A notre avis, il faut accélérer la procédure pour qu’on libère qui il faut libérer et qu’on condamne qui il faut condamner.
LP : Pensez-vous, comme le chef de l’Etat, que tous les crimes doivent être élucidés pour qu’on sache qui a fait quoi ?
LADT : C’est ce qui peut nous sauver. C’est parce que jusque-là, on n’a jamais condamné quelqu’un, ni au temps d’Houphouët, ni au temps de Laurent Gbagbo, de façon ferme – je ne parle pas de la mascarade de la filière café cacao – que les gens parlent ainsi. Aujourd’hui où l’Etat est délité, on a vu des jeunes gens qui faisaient des barrages à côté des policiers. On n’avait plus de repère. C’est parce que l’impunité avait pris la place. Pour qu’on puisse survivre dans ce pays, il faut qu’on ramène la rigueur. La rigueur et l’amour vont ensemble. Parce que l’amour, c’est l’harmonie.
LP : Les procès, les prisons, ne vont-ils pas causer d’autres rancœurs ?
LADT : Aucune peine de prison ne fait applaudir ni l’intéressé ni les parents. On a trouvé cela au monde. C’est pareil quand vous avalez un produit qui n’est pas approprié, vous avez un malaise. Vous êtes obligés de vous faire traiter si vous voulez vous sentir mieux. C’est le rôle de la prison. La loi permet de revenir en place. Vous savez, les pays européens qu’on admire, avec qui on a des comportements complexés, vivent mieux parce que chacun s’exige à respecter la loi. C’est pourquoi leur pays marche. Ils craignent leur loi
LP : Vous avez gardé le silence pendant plus d’un an. Pendant la campagne présidentielle, on ne vous a pas senti. On vous a annoncé du côté de Laurent Gbagbo. Pourquoi ce silence et qu’en est-il de votre rapprochement avec Laurent Gbagbo, votre ancien camarade au sein du FPI ?
LADT : Je me suis tu depuis que je suis entré au gouvernement. Depuis le 28 décembre 2005 et comme je n’ai jamais cru à cette histoire d’opposition, je me suis tu. Pour moi, depuis 2003, il n’y avait pas d’opposition parce que tous les partis étaient au gouvernement. Il faut être logique, je pense. Depuis cette époque, je me suis dit que je n’avais rien à critiquer. Ce silence est devenu plus frileux, à partir des accords de Ouagadougou. Ce que j’ai vu ne m’a pas rassuré. Et comme je ne maitrisais rien, j’ai décidé de me taire pour ma propre survie. Vous vous souvenez qu’après Marcoussis, il y a eu beaucoup de contestation dans notre zone. Le silence était la seule chose qui me restait pour survivre. J’ai été heureux en empruntant cette voie. Mon objectif était qu’un jour, il y ait l’élection présidentielle, pour que je sorte de là.
LP : Pensez-vous que votre secrétaire général a eu raison de signer l’accord de Ouagadougou ?
LADT : je vais vous frustrer. Mais je ne veux pas parler de lui. Je n’en ai pas envie aujourd’hui. Je parlerai de lui à titre responsable, si j’écris mes mémoires. Je parlerai de cela en long et en large, jusqu’à ce qu’il me réponde dans un livre. Je n’ai pas envie d’engager un journal dans cette affaire. Je ne veux pas parler de lui. Ce que je sais, c’est que j’étais chef de délégation. J’ai paraphé chaque page de cet accord. Le débat qu’il y a eu là-bas et ce que j’ai constaté ici, m’ont amené à me taire. Je pense que ce silence est suffisamment parlant pour qu’on se rende compte que je n’étais pas d’accord. J’ai observé. Vous avez vu qu’à un moment donné, je n’étais plus au gouvernement paradoxalement, alors que c’est nous qui étions là. Ceux qui ont prétendu que j’étais avec Gbagbo, ça c’est un phénomène récurent. Tous les six mois, il y a un journal qui a écrit qu’on m’a vu à tel endroit. Or, en réalité, ce sont ceux qui m’accusent qui sont là-bas. Je ne veux pas réponde parce que moi, depuis 99 que je l’ai quitté, je n’ai jamais flirté avec lui. J’ai fais plus de cinq ans au gouvernement. Je n’ai jamais eu d’aparté avec lui. J’ai fait mon mariage sans lui. Le Président Ouattara, à l’époque président du RDR, m’a fait l’honneur d’y être. Les mêmes, après leur échec m’on accusé d’être RDR. On m’affecte partout. Je ne suis pas au RDR, mais Alassane me fait l’honneur de son estime et ça me suffit.
LP : Vous n’êtes pas RDR, vous êtes en froid avec les FN, quel est votre avenir politique ?
LADT : Mon avenir politique, il est ouvert. Puisque nous sommes entrés dans une nouvelle phase. On n’est pas obligé d’être dans un parti. Moi, j’ai participé à la création d’un parti politique, le FPI, je sais la discipline du parti. Un parti se crée pour participer à la vie démocratique dans un pays. Mais à l’intérieur du parti, c’est la pensée unique. Dès qu’on dit un mot de trop, on dit que vous êtes dissident. Moi, j’ai connu cela. Je n’ai pas l’intention de rentrer dans un parti. Mais par contre, depuis cette élection, mon avenir est ouvert. Je peux aujourd’hui sortir sans angoisse. Je n’ai plus à craindre des ex-FDS et des patriotes. Il y a un monsieur qui est au pouvoir, qui est sérieux, qui est susceptible de faire ce qu’il dit, on peut aller lui parler et sortir de là avec une promesse de faire telle ou telle chose. Il est important d’avoir quelqu’un de sérieux à la tête de l’Etat, contrairement à ce qui se passait où on s’amusait tout le temps.
LP : Vous n’êtes plus FN ?
LADT : Il n’y a plus de FN. Depuis le 28 novembre, il n’y a plus de FN. Nous rentrons dans un Etat organisé. Les FN ne sont pas reconnues au ministère de l’Intérieur. L’armée est devenue une armée unique.
LP : Quels jugements faites-vous des premiers mois de gestion du pouvoir d’Alassane Ouattara ?
LADT : il faut dire la vérité, Ouattara n’est pas encore au pouvoir. Il ne détient pas le pouvoir. Il ne s’attendait pas à cette cacophonie. On sent qu’il souffre plus que nous. C’est le contraste entre lui et l’autre. Malgré tout, avec ses relations, il a géré le pays pour qu’il ne tombe pas en déconfiture. Si c’est cela la gestion du pouvoir, je le félicite. C’est bientôt qu’il va y arriver et c’est là que nous l’attendons. Parce que c’est lui en tant qu’individu Alassane Ouattara que les gens ont voté. Pour l’instant, on peut le féliciter d’avoir permis au pays d’être debout.
Réalisée par Charles Sanga
Coll Thiery Latt
Louis-André Dacoury Tabley : Les parents sur place sont groggys comme on le dirait dans le jargon de la boxe. Ils sont groggys, ils sont tétanisés, ils sont déboussolés, ils sont sans repère. Je n’exagère pas en le disant. Beaucoup sont en train de sortir de la brousse. Mais ce n’est pas au sens abidjanais du terme. Ils étaient en forêt. Ils s’y sont réfugiés au passage des FRCI, qui venaient libérer les villes. En les écoutant, on se rend compte qu’ils avaient appris la chute de Gbagbo, plus ou moins de bouche à oreille, puisque les télés ne marchaient plus. Mais en réalité, ils n’y croyaient pas. Ils ne pensaient pas que leur mentor n’aurait pas le dessus. Quand c’est arrivé, ils sont allés en brousse au moment où les FRCI passaient, mais pour eux, les jours suivants, leur mentor allait se relever et venir les retirer de la brousse. Il se trouve que le mentor a été arrêté et neutralisé. « Que faire ? Que va-t-il nous arriver ? », se sont-ils mis à se demander. C’est de tout cela que je suis allé discuter avec eux, puisqu’il ne va rien leur arriver, parce qu’ils n’ont rien fait. Ils n’étaient pas au pouvoir. Ce n’est pas eux qui étaient à la présidence, même s’ils se targuaient, comme tout Africain, comme tout homme, d’être fiers d’avoir leur fils à la présidence.
LP : Avez-vous répondu à leur cri de détresse ou est-ce de manière personnelle que vous vous y êtes rendu ?
LADT : Les deux premiers jours, j’ai reçu des appels. Heureusement qu’il y a des téléphones portables. En pleine forêt, ils m’ont appelé. C’était assez cocasse parce qu’ils chuchotaient. Je me demandais comment on pouvait chuchoter en pleine forêt, alors qu’en principe on n’a plus rien à craindre là-bas. C’est pour dire que c’était pathétique. Chez nous, quand quelqu’un est en danger, qu’il est en train de mourir, on y court d’abord. J’ai été content de l’avoir fait. Les parents étaient très heureux.
LP : Avez-vous déjà des résultats ? Pensez-vous que votre mission a porté ?
LADT : Oui ! Parce que vous savez que dans les milieux où il n’y a pas d’information, on finit par affirmer ce qu’on espère. Ils avaient appris que j’étais venu plusieurs fois. Alors qu’en réalité, je n’y étais jamais allé. Ils espéraient ma présence. Donc, quand je suis allé, ils sont sortis. J’ai utilisé une méthode qui était d’aller voir d’abord les chefs militaires de la région, qui nous ont expliqué comment les choses s’étaient passées, quels étaient leur objectif. Ils m’ont dit que leur objectif, c’était de récupérer les armes. Les gens détenaient des armes, il fallait les rendre. Il n’y a pas eu de grabuge. Les parents me l’ont confirmé. Ils m’ont dit : « nous n’avons pas pleuré ». Il faut entendre par-là qu’aucun décès n’a été enregistré. Ils m’ont seulement dit avoir été effrayés par les tirs en l’air. Mais, progressivement, ils sont retournés au village.
LP : Mais que leur avez-vous dit concrètement sur la situation de leur fils, Laurent Gbagbo ?
LADT : Après les échanges avec les militaires, je suis allé les voir pour leur expliquer qu’en fait, le pays a changé de Président de la République. Je leur ai dit que c’était terminé, que désormais, c’est Alassane Ouattara, élu le 28 novembre dernier dans les urnes, qui était le président, mais que Gbagbo a voulu résister. Et que c’est parce que c’est leur fils, qu’ils ont cru qu’il allait faire quelque chose d’autre. Je leur ai aussi expliqué que les quatre mois durant lesquels leur fils s’est accroché au pouvoir ont été des mois de souffrance et que maintenant, c’était terminé, qu’il fallait revenir au pays. Je leur ai dit qu’on n’allait tout de même pas détacher Gagnoa de la Côte d’Ivoire pour la mettre ailleurs et qu’il leur fallait se résoudre à revenir vivre dans la République. Je les ai assurés qu’on pouvait leur garantir ce retour. Nous avons par la suite discuté avec le président des chefs traditionnels de la région. Ce sont 165 villages et 15 chefs de canton. Il y a également eu une réunion avec le préfet. Nous avons établi une méthode qui permettait aux différents chefs traditionnels de fouiller, de chercher dans chaque village, sur la base des méthodes traditionnelles, de regarder comment il pouvait y avoir des armes ou pas chez les villageois. Vous savez, ce n’est pas seulement à Gagnoa que ce phénomène s’est passé. Cela s’est passé dans ce qu’on appelle les bastions FPI en Côte d’Ivoire. J’ai lu d’ailleurs dans un journal, que les Ebrié étaient allés tranquillement remettre leurs armes de guerre aux autorités.
LP : Comment interprétez-vous ces distributions d’armes dans les villages ?
LADT : je me suis effectivement demandé ce que font des armes de guerre dans un village.
La vérité est que c’était la démarche des pontes du FPI. Ils ont distribué des armes en pays Abbey qui est censé être leur bastion, en pays Bété, en pays Attié, etc. C’est en ce sens que cette opération que je suis en train de mener me paraît importante.
LP : Avez-vous pu en récupérer lors de votre passage ?
LADT : J’ai fait quatre jours dans la région et les FRCI m’ont dit qu’effectivement, dès leur arrivée, il y a eu beaucoup de remises d’armes et que 75% d’entre elles ont été distribuées en 2002, au moment de la rébellion. Le FPI avait effectivement remis cinq fusils par village. Ils le reconnaissent. Ces fusils devaient selon eux, permettre aux populations de s’auto-défendre. Mais, les FRCI ont estimé qu’il y avait autre chose et ils n’avaient pas tort puisque, effectivement, un des ministres de Gbagbo, chargé de cette opération, avait distribué des armes de guerre. Les gens l’ont vu. Mais, il se trouve que ce n’est pas aux chefs de village qu’on remettait ces fusils. Au mieux, on les remettait à des secrétaires généraux de section FPI, à l’insu du chef du village et au pire, quand les secrétaires généraux n’étaient pas « chauds », on les remettait à des jeunes du village. Nous avons trouvé la méthode de recherche que je vous ai indiquée plus haut. Tenez-vous bien, le dernier appel de Blé Goudé aux jeunes de se faire recenser, a eu un écho favorable dans notre région. Les jeunes se sont regroupés, se sont fait tondre les cheveux, pour aller se faire recenser. A cette époque, Bertin Kadet a convoyé un dernier lot d’armes. C’est le dernier voyage qu’il faisait lorsqu’il a eu son accident. Les armes sont donc effectivement dans notre région. Il y a eu également la désertion de la Garde républicaine de Mama. Elle a quitté le terrain en laissant des armes qui se sont retrouvées aux mains des jeunes gens. C’est pour toutes ces raisons que les FRCI sont un peu frileuses. En dehors de cela, la vie quotidienne se passe normalement.
LP : On sait que votre région regorge de beaucoup de cadres du FPI, est-ce qu’il est à craindre que les mêmes dégâts, qui ont été commis dans le Moyen Cavally du fait des cadres de la région, le soient à Gagnoa ?
LADT : Pas du tout ! Là, sans baigner dans un optimisme béat, je vous dis que le Bété, contrairement à ce qu’on croit et en dehors du Bété d’Abidjan, qu’on appelle le « Digbeu », le Bété du village n’est ni guerrier, ni belliqueux. On a malheureusement donné une fausse image à la tête de l’Etat. Il n’y a aucun signe de bellicisme dans leur tempérament. De façon physique et visible, il n’y a aucun signe de rébellion. Il n’y a même pas de moyens de le faire. Ils n’y pensent même pas. Je peux vous dire qu’au moment de la distribution de ces armes, il y en a qui ont été forcés. Parce que pour eux, si leur fils est au pouvoir, ce n’est pas pour faire la guerre. Ils n’avaient donc rien à craindre. De tout temps, il n’y a eu aucun problème dans notre région, contrairement à la région dont vous faites mention, et il n’y en aura pas. Il y avait des pontes du FPI, mais aujourd’hui, tous ont disparu.
LP : Avez-vous cependant quelques craintes sur le terrain, quant à la réussite de votre mission ?
LADT : Ce qui peut compliquer les choses, c’est que de leur cachette, certains cadres téléphonent aux parents pour leur faire croire que la situation est grave. Alors qu’en fait, c’est eux qui prétendent qu’ils sont recherchés et qui rejettent sur les parents, leur propre peur. Cela va nous retarder. Mais le temps viendra où on parlera d’eux. On ne cherche pas des Bété, parce qu’ils sont Bété. Il ne faut pas qu’on revienne sur la même chose. A l’époque, quand Houphouët était au pouvoir, le Bété disait : « on est contre nous ». Gbagbo a fait dix ans au pouvoir et c’est toujours la même chanson : « on est contre nous ». Mais qui est ce « on » qui est contre les Bété, si ce n’est pas les bété eux-mêmes qui ont des problèmes par rapport à l’ensemble des Ivoiriens ? Est-ce la Côte d’Ivoire qui doit comprendre les Bété ou les Bété qui doivent comprendre la Côte d’Ivoire ? C’est ce mauvais travail que sont en train de faire certains cadres. On ne les cherche pas. Il y a des figures qui intéressent peut-être la justice, elles sont connues, c’est une poignée de personnes. Le reste ferait mieux de participer au retour au calme de nos parents.
LP : Quel jugement ces populations ont-elles aujourd’hui de leur fils ? Vous ont-elles exprimé leur volonté de voir leur fils ?
LADT : Ils n’ont pas émis une quelconque revendication. Ils peuvent espérer. Quand on vous dit que votre enfant est dans des conditions carcérales, évidemment, ce n’est pas avec joie que vous l’apprenez. L’idéal pour eux, c’est qu’il en sorte, mais ils ne sont pas encore pas en l’état de l’exprimer. Pour le moment, ils sont en train de s’occuper d’eux-mêmes, des effets de ce qui est arrivé. C’est dans un deuxième temps, quand les choses seront mises en place, peut-être comme tout père, ils chercheront à comprendre. En ce moment-là, nous serons à une autre étape et nous, nous serons là pour leur expliquer progressivement ce qu’il en est vraiment.
LP : Que leur expliquerez-vous alors?
LADT : Que ce n’est pas un fils qu’on a mis en prison, c’est un Ivoirien. Comme tout homme responsable d’un acte répréhensible, il devra subir les affres de la justice. Nous leur dirons que le fauteuil du chef de l’Etat est un seul fauteuil, c’est un Ivoirien qui s’y assied pour se mettre au service de tous les autres Ivoiriens. On ne peut pas être en train de regretter que son fils ne soit pas là au point de traîner les pieds dans une République où il y a 60 ethnies.
LP : Leur avez-vous fait écho du message du Chef de l’Etat appelant à la réconciliation ?
LADT : Nous leur avons dit qu’Alassane Ouattara n’est pas venu pour faire la guerre. Il a attendu des décennies durant, les élections pour arriver au pouvoir. On l’a empêché. Finalement, il a participé à l’élection présidentielle. C’est cette élection qu’il a gagnée et rien d’autre. Certes, Alassane Ouattara n’est pas originaire de toutes les ethnies, mais il est au pouvoir pour les 59 autres, dont les Bété. Il n’y a pas de problèmes particuliers que nous allons poser. Pour le moment, c’est comme un boxeur qui est groggy, il faut lui montrer son coin. Parce qu’un boxeur qui est dans cet état, quand le gong sonne, il ne sait même pas où est son manager. Il faut l’installer. C’est à ce niveau-là que nous sommes.
LP : Monsieur le ministre, pour avoir été sur le terrain, y a-t-il eu des représailles de la part des FRCI sur vos parents ?
LADT : Pas du tout ! Il y a eu vraiment un quasi sans faute au passage des FRCI, sauf dans un village qu’on appelle Bodocipa, à quelques deux ou trois kilomètres de Mama, où des jeunes gens ont barré la route aux FRCI, c’est seulement avec ces jeunes qu’il y a eu un incident. Il y en a eu également dans le Guébié. Mais ce sont des incidents ponctuels très vite circonscrits.
LP : Les villages de Laurent Gbagbo et de Blé Goudé Charles ont-ils été épargnés ?
LADT : Mama n’a pas été touché. Dans la région de Gagnoa aucun village n’a été rasé, sauf les incidents dont je vous ai parlé. A Mama même, évidemment, vous savez la misère est grande. Bien que les gens aiment quelqu’un, dès l’instant qu’une porte est ouverte, l’on y entre. Il est donc arrivé aux gens de Mama de piquer çà et là des choses chez Gbagbo. Mais, les militaires en passant ont eu des consignes. Ce serait trop gros d’aller faire sa vengeance à Mama. Au contraire, ils ont donné tort à tout le monde. Mama n’a pas été touché.
LP : Pourtant, le président de l’Assemblé nationale, Mamadu Koulibaly, soutient lui, que les Bété sont traqués.
LADT : Je vais vous dire une chose qui est ma conviction personnelle : j’ai toujours dit que Mamadou Koulibaly est un adolescent, au sens plein du terme. C’est-à-dire qu’il ne voit pas la réalité. Il ne finit pas de grandir. Que Mamadou Koulibaly saute comme cela sur les problèmes des Bété alors que ce problème n’est pas posé et que, en réalité, il n’existe pas politiquement, cela veut dire qu’il joue au politicien. Il arrive du Ghana où on est allé le quérir et il parle des Bété. Vous vous souvenez, quand il y a eu le coup d’Etat de Gueï, quand Gbagbo est revenu du Gabon, voyant que Bédié n’était plus au pouvoir et comme le FPI a toujours eu maille à partir avec les Baoulé, il a cru que le terrain était vide. Il a fait une déclaration à Bouaké. « Gare à celui qui touchera à un seul cheveu des Baoulé », en menaçant à l’époque Alassane. C’était de l’opportunisme et de la manipulation et même de la foutaise. On se fout du peuple. Les Bété sont des Ivoiriens parmi 18 millions de citoyens, et qui sont engagés dans la construction de la nation ivoirienne, comme toutes les autres ethnies. Ils ne sont pas orphelins. Le disant, Mamadou Koulibaly est en train d’affirmer que le FPI est un parti de Bété. Dans ce cas, qu’est-ce qu’il y fait ? Sa sortie renferme beaucoup de contradictions.
LP : Vous qui avez fait tous les combats, notamment avec le FPI, comment avez-vous jugé ces cinq derniers mois que nous avons passés ?
LADT : La seule inconnue de cette période était l’intensité. L’intensité dans la résistance de l’adversaire. Sinon, le principe de la résistance de l’adversaire ne m’étonne pas. Puisque tout le monde savait que Gbagbo ne voulait pas aller à l’élection. C’était une donnée très claire. Finalement, il y est allé. Il s’est passé ce qui s’est passé. Cette résistance-là, elle ne nous a pas surpris. Mais en intensité et en moyens, j’ai été dépassé. Parce que quand j’ai vu qu’il y avait des tueries, des armes partout, cela m’a de plus en plus conforté dans l’idée que nous nous sommes séparés depuis longtemps et que je n’avais pas tort. Ce fait est venu balayer, si tant qu’il y avait encore de légères traces, tout ce qui pouvait me relier à cet homme.
LP : Pensez-vous que le FPI que vous avez créé, qui, à l’époque, était le flambeau de cette lutte démocratique, était capable de s’opposer aux résultats d’une élection démocratique en Côte d’Ivoire?
LADT : Faisons abstraction des 5 mois, tous les signes étaient là. Ce n’était même pas des signes. C’était des affirmations. Gbagbo n’a jamais voulu d’élection. En dehors de ces cinq derniers mois, tous les signes étaient là pour montrer que le FPI ne voulait pas aller à l’élection. Nous nous sommes séparés depuis 99. J’ai alors mené une autre vie politique ailleurs. De façon absolue, nous n’avions plus rien à avoir les uns des autres.
LP : Comment jugez-vous le dénouement de la crise avec l’implication des Nations Unies, de la France, des Etats-Unis d’Amérique, on a parlé d’ingérence. Partagez-vous cette thèse ?
LADT : vous savez, les gens font souvent de l’intellectualisme, du remplissage, on fait des débats là où il ne faut pas. C’est juste bon pour occuper les esprits. De quelle ingérence parle-t-on ? Il n’y a pas d’ingérence depuis le début de cette affaire. J’ai été même surpris quand on a parlé de l’ONU et de la France séparément dans cette affaire. Aujourd’hui dans les textes, la Licorne est la force de frappe interne à l’ONUCI. Il n’y a pas d’ingérence, puisque l’ONU a organisé Marcoussis. Nous sommes allés à Marcoussis. Le Président Gbagbo a pris son avion après Marcoussis pour aller à Kleber pour la distribution des postes. Depuis lors, notre crise a été prise en compte par la communauté internationale. Nous avons signé régulièrement des accords, même si le FPI les a piétinés, régulièrement. C’est sous l’égide de l’ONU que depuis 2002, la Côte d’Ivoire fonctionne. Certes, l’une des faiblesses de Marcoussis a été d’avoir laissé la constitution en place. Or, toute constitution a un garant. Le président Gbagbo a toujours utilisé cet aspect-là pour toujours affaiblir les accords. Mais depuis ce temps, l’ONU gère la crise en Côte d’Ivoire.
LP : Est-ce qu’au niveau du FPI, la guerre de succession a déjà commencé ?
LADT : Si je réponds à cette question, c’est comme si je me contredisais. Le FPI a un problème. Le FPI est à comparer au parti nazi d’Hitler. Ils ont soutenu les tueries. Ce sont eux qui ont acheté les armes. Ils avaient une politique de purification ethnique, de la race. C’est un parti comme cela qui a été interdit en Allemagne. Or, le FPI fait du national socialisme. C’est un débat déjà. Il ne faut pas se précipiter. Même s’il ne faut pas en faire demain des martyrs, les ténors de ce parti, doivent être interpellés. Le FPI est responsable de ce qui est arrivé à la Côte d’Ivoire, parce que soutenant Gbagbo Laurent dans ce dont on l’accuse aujourd’hui.
LP : Etes-vous en train de dire qu’il faut dissoudre le FPI ou le sanctionner ?
LADT : Non, il ne s’agit pas de dissoudre le FPI. Le débat est là, ce n’est pas moi qui le mène. Mais comme nous sommes dans un processus de réconciliation, il ne faut pas non plus sauter les étapes. La réconciliation, c’est d’abord la reconnaissance de ses fautes. Intellectuellement parlant, est-ce qu’on doit séparer le FPI de Gbagbo, de ce qu’on reproche à Gbagbo aujourd’hui ? Est-ce qu’on doit séparer le FPI d’Affi, de ce qu’on reproche à Affi aujourd’hui ? Voilà la question.
LP : Vous ne croyez pas comme Yao Paul N’Dré, que nous soyons tous possédés par satan ?
LADT : je ne crois pas que Satan soit un corps extérieur. Satan, ce sont nos pensées. Nous ne sommes pas des extraterrestres. Satan aurait pu rester à l’écart, s’il lui, Yao N’dré, avait suivi le travail qu’on lui a donné. Il aurait pu résister à Satan, s’il avait suivi la procédure que lui impose le droit. C’est parce qu’il a voulu servir quelqu’un qu’il a créé la brèche et que Satan y est rentré.
LP : Il dit que nous sommes tous responsables ?
LADT : Non, il est responsable. Il ne faut pas qu’il dise cela. Personne d’autre n’est responsable. Il est responsable. Il faut qu’il reconnaisse sa responsabilité d’abord avant d’engager tout le monde. C’est trop facile de noyer sa faute en prenant tout le monde en compte.
LP : Pour vous qui avez connu Laurent Gbagbo, si vous étiez en face de lui, que lui conseilleriez-vous ?
LADT : Je vais vous surprendre. Si aujourd’hui, j’étais en face de Gbagbo, je ne parlerais même pas de la politique actuelle. Je parlerai de notre jeunesse.
LP : Pourquoi ?
LADT : Parce qu’ai j’ai été frustré de notre amitié. Sinon pour le reste, il est responsable de tout ce qui lui arrive. Je n’ai rien à voir avec cela. Je ne lui parlerai même pas de cela.
LP : Ne pensez-vous pas qu’il y a un mot à dire dans cette Côte d’Ivoire où on parle de réconciliation ?
LADT : De ce côté-là, je n’ai pas envie de dire quelque chose. Je n’ai pas envie de m’y embarquer. Il y a déjà la justice. Tout est clair en ce qui le concerne. Il n’y a même pas de débat. Je pense que lui aussi le sait.
LP : Pour Laurent Gbagbo, il y a des gens qui demandent réparation, d’autres disent de l’absoudre, vous quelle est votre solution ?
LADT : Cela fait plus d’un mois que Laurent Gbagbo a été arrêté pour tout ce qu’on sait. La justice n’a même pas encore commencé son travail. On ne sait pas par où commencer. Tellement il y en a. Je ne pense pas que ce débat soit pertinent. Attendons de voir clair dans les procédures, de voir les limites avant de parler de quoique ce soit. Pour l’instant, le Président Ouattara vient de mettre en place la commission dialogue, vérité et réconciliation. Il faut laisser le soin à cette commission de mettre en place sa méthode de travail, son organigramme. On ne décrète pas la réconciliation. On ne décrète pas le pardon. C’est tout un processus.
LP : Accordez-vous de la confiance à cette commission après ce qui s’est passé en 2001 avec le forum national ?
LADT : Moi, je crois en cette commission, parce que ce n’est pas le même contexte. Est-ce par bonheur ? Mais Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir non pas de façon seule ou solitaire au point qu’on puisse craindre qu’il fasse de la dictature. Alassane Ouattara est arrivé au pouvoir au vu et au su de tout le monde. Ouattara est arrivé au pouvoir avec l’implication du monde entier. Quand on vient comme cela, le monde entier est toujours présent. C’est pourquoi, je dis que nous avons de la chance qu’il soit arrivé au pouvoir de cette façon. Je ne crois pas que la commission puisse avoir la même infortune que celle de 2001. A l’époque, Laurent était arrivé en se débattant. Il a dicté sa loi. C’est lui qui était le problème, c’est lui qui a décidé de la mise sur pied du forum. Il avait d’bord désigné Ahmadou Kourouma pour la diriger, mais comme Kourouma était un esprit très libre, il s’en est séparé. C’était déjà un signe. Les gens n’ont pas voulu trop en parler. Il a ensuite désigné Seydou Diarra. Finalement qu’est-ce qui est sorti de ce forum ? Il est sorti que la nationalité de Ouattara soit confirmée. Seydou Diarra n’est pas parvenu à régler totalement la question.
LP : Il se trouve que Charles Konan Banny est un homme politique qui s’est affiché aux côtés du Président Ouattara ? Est-ce que cet aspect ne va pas créer problème ?
LADT : Charles Konan Banny comme Alassane Ouattara sont des hommes accomplis. Il ne s’agit pas de parti politique. Il s’agit de la relation de Banny avec la Côte d’Ivoire. Quand il était arrivé comme Premier ministre, c’était le fils qui venait pour qu’on reconstruise la maison du père. La Côte d’Ivoire, c’est un peu sa vision. C’est pareil pour Alassane. Je connais une dame qui n’a jamais voulu entendre parler d’Alassane. Une fois dans l’avion, j’ai insisté pour qu’elle le salue. Après cet épisode, il me semble qu’elle a voté pour Alassane. Ce n’est pas la magie. La femme m’a dit : « quand tu vois ce monsieur, tu sais qu’il a envie de faire quelque chose pour la Côte d’Ivoire ». Ouattara connaît la vision des choses telles que perçues par Banny. Ce qu’on a confié à Banny est quelque chose à construire. Il faut que nous l’aidions à le faire.
LP : Quelles sont les erreurs du passé à éviter ?
LADT : il faut éviter une trop forte subordination comme c’était le cas en 2001 entre le nommant et le nommé, pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Comme le dirait l’autre, quand on t’envoie il faut savoir t’envoyer. Peut-être qu’à l’époque, Seydou Diarra n’avait pas pu s’envoyer. Avait-il su se détacher de l’envoyeur ? C’est toute la question.
LP : Certains cadres du FPI estiment qu’aucune réconciliation n’est possible tant que Gbagbo et son épouse resteront enfermés. Qu’en pensez-vous ?
LADT : Ils ont raison, puisqu’ils veulent dire par là qu’il faut que la procédure se fasse vite. C’est cela que ça veut dire. Sinon, il n’y a pas une autre option. Il y a un cadre bété qui m’a félicité d’être allé à Gagnoa. Il m’a dit merci, parce que selon lui, c’est cette manière qui leur permettra de sortir de leur cachette. Il m’a dit qu’il n’était pas content d’Affi, de Mamadou Koulibaly et de Miaka parce qu’ils ont des propos qui ne sont pas apaisants. En disant certaines choses, ils sont inconscients pour les troupes qu’ils dirigent. Il faut qu’au niveau de la tête, les propos soient rassurants. Quand, du Pergola Affi dit qu’il exige la libération de Gbagbo, que tenait-il en main pour exiger cela ? Le FPI a aujourd’hui un problème qui relève de la justice. Il serait bon qu’il travaille dans ce sens. A notre avis, il faut accélérer la procédure pour qu’on libère qui il faut libérer et qu’on condamne qui il faut condamner.
LP : Pensez-vous, comme le chef de l’Etat, que tous les crimes doivent être élucidés pour qu’on sache qui a fait quoi ?
LADT : C’est ce qui peut nous sauver. C’est parce que jusque-là, on n’a jamais condamné quelqu’un, ni au temps d’Houphouët, ni au temps de Laurent Gbagbo, de façon ferme – je ne parle pas de la mascarade de la filière café cacao – que les gens parlent ainsi. Aujourd’hui où l’Etat est délité, on a vu des jeunes gens qui faisaient des barrages à côté des policiers. On n’avait plus de repère. C’est parce que l’impunité avait pris la place. Pour qu’on puisse survivre dans ce pays, il faut qu’on ramène la rigueur. La rigueur et l’amour vont ensemble. Parce que l’amour, c’est l’harmonie.
LP : Les procès, les prisons, ne vont-ils pas causer d’autres rancœurs ?
LADT : Aucune peine de prison ne fait applaudir ni l’intéressé ni les parents. On a trouvé cela au monde. C’est pareil quand vous avalez un produit qui n’est pas approprié, vous avez un malaise. Vous êtes obligés de vous faire traiter si vous voulez vous sentir mieux. C’est le rôle de la prison. La loi permet de revenir en place. Vous savez, les pays européens qu’on admire, avec qui on a des comportements complexés, vivent mieux parce que chacun s’exige à respecter la loi. C’est pourquoi leur pays marche. Ils craignent leur loi
LP : Vous avez gardé le silence pendant plus d’un an. Pendant la campagne présidentielle, on ne vous a pas senti. On vous a annoncé du côté de Laurent Gbagbo. Pourquoi ce silence et qu’en est-il de votre rapprochement avec Laurent Gbagbo, votre ancien camarade au sein du FPI ?
LADT : Je me suis tu depuis que je suis entré au gouvernement. Depuis le 28 décembre 2005 et comme je n’ai jamais cru à cette histoire d’opposition, je me suis tu. Pour moi, depuis 2003, il n’y avait pas d’opposition parce que tous les partis étaient au gouvernement. Il faut être logique, je pense. Depuis cette époque, je me suis dit que je n’avais rien à critiquer. Ce silence est devenu plus frileux, à partir des accords de Ouagadougou. Ce que j’ai vu ne m’a pas rassuré. Et comme je ne maitrisais rien, j’ai décidé de me taire pour ma propre survie. Vous vous souvenez qu’après Marcoussis, il y a eu beaucoup de contestation dans notre zone. Le silence était la seule chose qui me restait pour survivre. J’ai été heureux en empruntant cette voie. Mon objectif était qu’un jour, il y ait l’élection présidentielle, pour que je sorte de là.
LP : Pensez-vous que votre secrétaire général a eu raison de signer l’accord de Ouagadougou ?
LADT : je vais vous frustrer. Mais je ne veux pas parler de lui. Je n’en ai pas envie aujourd’hui. Je parlerai de lui à titre responsable, si j’écris mes mémoires. Je parlerai de cela en long et en large, jusqu’à ce qu’il me réponde dans un livre. Je n’ai pas envie d’engager un journal dans cette affaire. Je ne veux pas parler de lui. Ce que je sais, c’est que j’étais chef de délégation. J’ai paraphé chaque page de cet accord. Le débat qu’il y a eu là-bas et ce que j’ai constaté ici, m’ont amené à me taire. Je pense que ce silence est suffisamment parlant pour qu’on se rende compte que je n’étais pas d’accord. J’ai observé. Vous avez vu qu’à un moment donné, je n’étais plus au gouvernement paradoxalement, alors que c’est nous qui étions là. Ceux qui ont prétendu que j’étais avec Gbagbo, ça c’est un phénomène récurent. Tous les six mois, il y a un journal qui a écrit qu’on m’a vu à tel endroit. Or, en réalité, ce sont ceux qui m’accusent qui sont là-bas. Je ne veux pas réponde parce que moi, depuis 99 que je l’ai quitté, je n’ai jamais flirté avec lui. J’ai fais plus de cinq ans au gouvernement. Je n’ai jamais eu d’aparté avec lui. J’ai fait mon mariage sans lui. Le Président Ouattara, à l’époque président du RDR, m’a fait l’honneur d’y être. Les mêmes, après leur échec m’on accusé d’être RDR. On m’affecte partout. Je ne suis pas au RDR, mais Alassane me fait l’honneur de son estime et ça me suffit.
LP : Vous n’êtes pas RDR, vous êtes en froid avec les FN, quel est votre avenir politique ?
LADT : Mon avenir politique, il est ouvert. Puisque nous sommes entrés dans une nouvelle phase. On n’est pas obligé d’être dans un parti. Moi, j’ai participé à la création d’un parti politique, le FPI, je sais la discipline du parti. Un parti se crée pour participer à la vie démocratique dans un pays. Mais à l’intérieur du parti, c’est la pensée unique. Dès qu’on dit un mot de trop, on dit que vous êtes dissident. Moi, j’ai connu cela. Je n’ai pas l’intention de rentrer dans un parti. Mais par contre, depuis cette élection, mon avenir est ouvert. Je peux aujourd’hui sortir sans angoisse. Je n’ai plus à craindre des ex-FDS et des patriotes. Il y a un monsieur qui est au pouvoir, qui est sérieux, qui est susceptible de faire ce qu’il dit, on peut aller lui parler et sortir de là avec une promesse de faire telle ou telle chose. Il est important d’avoir quelqu’un de sérieux à la tête de l’Etat, contrairement à ce qui se passait où on s’amusait tout le temps.
LP : Vous n’êtes plus FN ?
LADT : Il n’y a plus de FN. Depuis le 28 novembre, il n’y a plus de FN. Nous rentrons dans un Etat organisé. Les FN ne sont pas reconnues au ministère de l’Intérieur. L’armée est devenue une armée unique.
LP : Quels jugements faites-vous des premiers mois de gestion du pouvoir d’Alassane Ouattara ?
LADT : il faut dire la vérité, Ouattara n’est pas encore au pouvoir. Il ne détient pas le pouvoir. Il ne s’attendait pas à cette cacophonie. On sent qu’il souffre plus que nous. C’est le contraste entre lui et l’autre. Malgré tout, avec ses relations, il a géré le pays pour qu’il ne tombe pas en déconfiture. Si c’est cela la gestion du pouvoir, je le félicite. C’est bientôt qu’il va y arriver et c’est là que nous l’attendons. Parce que c’est lui en tant qu’individu Alassane Ouattara que les gens ont voté. Pour l’instant, on peut le féliciter d’avoir permis au pays d’être debout.
Réalisée par Charles Sanga
Coll Thiery Latt