Selon les autorités
ivoiriennes, plus de 13 000 Ivoiriens
se sont exilés au Ghana en raison de la crise post-électorale. Dans le
département d’Abengourou, la plupart des partisans du président déchu (environ
5 000) sont entrés au Ghana en passant par Niablé. Un mois après, nous
sommes allés sur leurs traces.
Il est 9 heures ce mardi 17 mai
2011 quand nous embarquons dans un taxi-brousse reliant la ville d’Abengourou à celle de Niablé. Ville frontalière située à environ 28 km au sud-est de la capitale de
l’Indénié. A la sortie de la ville d’Abengourou, un premier corridor tenu par
les forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) se dresse devant nous. Il faut
marquer un arrêt. L’homme en tenue
qui s’approche de notre véhicule, prend à peine le temps de jeter un regard
furtif dans notre direction et lance : « Notre chef qui est assis
là-bas dit qu’il a faim. Donnez 200 F chacun, Vous êtes 4, ça fait 800 F.
Faites-vite vous allez quitter ici ».
Nous nous exécutons. La herse obstruant la voie est alors retirée. Donnant
l’occasion au conducteur de faire vrombir son moteur. En chemin, nous
embarquons encore deux autres passagers. C’est donc dans un véhicule surchargé
et fumant du reste, que nous atteignons, trente minutes plus tard, le corridor
à l’entrée de la ville de Niablé. Là aussi, il faut marquer un arrêt.
Visiblement, le soldat qui s’approche de nous n’en a cure de notre surcharge. « Tous
les hommes payent 500 F chacun. Les femmes sont exemptées », lâche-t-il. Nous essayons alors de lui demander de
réduire la paie à 200 F. Vaine tentative. « 500 F ! A
prendre où à laisser ! », vocifère-t-il.
Apparemment, l’appel gouvernemental invitant à mettre fin au racket est tombé
dans les oreilles de sourd ici. Nous nous exécutons. Peu avant 10 h, nous
débarquons au grand carrefour de la coquette ville de Niablé. Le domicile du
célèbre planteur Sansan Kouao Edouard est situé non loin de là. Nous nous y
rendons. Aucune âme n’y vit. Le local, nous apprend-on, a été saccagé et pillé
par des vandales après la fuite du producteur à l’arrivée des FRCI. En témoigne
d’ailleurs la porte de son bâtiment principal qui est encore entrebâillé. Les
moments qui suivent, nous prenons la route du Ghana. Perché derrière l’un des
gros ‘’taxis-motos’’ qui assurent
la ligne (à 1000F), nous traversons sans ambages le dernier barrage ivoirien à
la sortie de la ville. Moins de 5 mn plus tard, nous sommes sur le territoire
ghanéen. Le corridor d’entrée tenu par les forces de l’ordre ghanéennes s’offre
à nous. Les hommes en tenue de ce pays se contentent de répondre au « Morning » que nous leur lançons et nous
laissent passer. La voie étant désormais libre, mon conducteur se lance à vive
allure sur cette route non bitumée. Peu après 10h, nous débarquons à la gare
routière d’Osséikro. C’est le premier village ghanéen. Un gros bourg électrifié
et très animé du fait de son marché quotidien très fréquenté par les Ivoiriens.
C’est dans cette localité encore dirigé par un chef de village que sont
regroupés la grande majorité des réfugiés ivoiriens. Alors qu’ayant perdu
momentanément le réseau téléphonique, nous tentons d’entrer en contact avec
notre guide sur place, un homme s’approche de nous. Avec lui, son enfant de 9
ans environ. Nous nous connaissons bien. Il s’agit d’un instituteur à la
retraite, anciennement en poste à Abengourou. Visiblement amaigri, il nous
informe qu’il figure au rang des réfugiés ivoiriens au Ghana. Et d’avouer :
« Ce n’est pas du tout facile ici. Nous vivons des moments terribles en
terre étrangère ». Quand nous lui
apprenons que nous sommes là justement pour un reportage sur les refugiés
ivoiriens au Ghana, il s’inquiète et m’avertit : « Ce n’est
pas la peine de vous aventurer au camp des réfugiés. Ils risquent de vous
lyncher là-bas. D’ailleurs, les forces de l’ordre qui sont à l’entrée, ne vous
laisseront pas passer ». « Et
pourquoi ? », l’interrogeons-nous.
Affrontement
manqué entre Frci et réfugiés ivoiriens
Notre interlocuteur nous révèle
alors que quelques jours après la chute de Laurent Gbagbo, une délégation des
FRCI a cru bon de se rendre dans ce centre de réfugiés du Ghana à Osséikro pour
demander à ces déplacés ivoiriens de rentrer chez eux et que la guerre était
finie. Mal leur en prit. « Ces éléments des FRCI ont été violement pris
à partie par les réfugiés ivoiriens qui les ont chassés. Ils ont même failli
être lynchés et leur véhicule a failli être brûlé. Fort heureusement, ces éléments
des FRCI, étant en territoire ghanéen, n’ont pas apporté la riposte. Ils se
sont retirés précipitamment. Mais la situation était très tendue. Cet incident
a créé des vagues allant jusqu’aux autorités ghanéennes. Ces autorités auraient
même sanctionnées leurs soldats à la frontière qui ont laissé entrer les FRCI
au Ghana. Depuis ce temps-là, les réfugiés sont sur le qui-vive. Le centre est
désormais gardé de jour comme de nuit par les forces de l’ordre ghanéennes qui
filtrent les entrées. En tant que journaliste, il sera difficile pour vous d’y
avoir accès. Vous risquez d’avoir des ennuis d’ailleurs », raconte l’instituteur à la retraite. La situation
se complique donc et pourtant, il nous faut accéder à ce camp des réfugiés.
Nous dissimulons alors notre carte de presse et entrons finalement en contact
téléphonique avec l’un des réfugiés dudit centre. Il s’agit simplement pour
nous de se faire passer pour un
parent venu rendre visite à un déplacé. Les minutes qui suivent, le déplacé en
question sort du centre et nous retrouve à la gare routière. Nous nous
connaissons bien puisqu’il fut un membre très actif de la jeunesse de LMP à
Abengourou. A ce jeune homme de 27 ans environ, nous attribuons les initiales
de K.A. comme il l’a souhaité. Il nous servira de guide.
Des milliers de
réfugiés encore au pays d’Atta Mills
Selon ses informations, à
l’éclatement de la crise dans l’indénié le 30 mars 2011, trois centres
d’accueil (en plus des familles qui avaient individuellement recueillis des
parents) avaient été ouverts dans ce bourg d’Osséikro : un dans une église
évangélique, un autre à la mission catholique et un dernier créé par le HCR.
D’autres réfugiés plus célèbres tels Brou Adou Kpangni, Sansan Kouao, Kakoutié,
et autres (figure de proue de la filière café/cacao) seraient eux, allés un peu
plus loin dans d’autres localités telles Ehuaosso ou encore Yamétchian. Sur
place à Osséikro, K.A. notre guide nous indique que le centre de l’église
évangélique s’est actuellement vidé de son monde avec l’évolution positive de
la situation. Nous faisons donc un bref passage à la mission catholique située
à environ 800 m de la gare routière. Ici, trois salles de classes ont été aménagées
pour recevoir les déplacés. Actuellement, il n’en resterait qu’un peu plus
d’une centaine, nous apprend-on. Le plus gros contingent des réfugiés se trouve
au centre créé par le HCR où justement il a failli avoir des heurts entre les
FRCI et les déplacés. Nous mettons alors le cap sur ledit centre situé un peu
plus d’un kilomètre au nord de la gare routière. A l’entrée, des forces de
l’ordre sont effectivement postées sous une tente. Notre guide nous présente
comme son frère. Ils nous laissent accéder à ce fameux camp. Sur place dans le
centre, ce sont des regards inquisiteurs qui nous accueillent. Visiblement, ces
réfugiés amaigris et tendus, sont méfiants. Sous un hangar, un handicapé assis
dans son fauteuil roulant et visiblement agressif, nous fixe singulièrement.
Apparemment, ils savent que nous sommes un nouveau venu. Nous comprenons
qu’ici, les prises de vue ne sont donc pas à l’ordre du jour. Au risque d’être
assimilés à un espion. Installés par petits groupes, ces réfugiés (des femmes
pour la plupart) s’affairent à des occupations ménagères. Apparemment il n’y a
pas grand monde au moment où nous arrivions. « C’est le soir que tout
le monde rentre. Il y a un monde fou ici. Actuellement, les autres sont tous
partis se chercher ici et là pour avoir un peu d’argent pour survivre », nous indique notre informateur avec qui nous nous
enfermons les moments qui suivent dans un local pour échanger loin de tout
regard.
Dix à quinze
réfugiés dans des chambres d’environ 10 m?
En réalité, le centre en question
est un nouveau marché construit par les autorités ghanéennes. Les populations
locales ayant refusé de s’installer sur ce nouveau site, ce marché a été vite
transformé en un site d’accueil pour recevoir les réfugiés ivoiriens qui sont
rentrés en grand nombre au Ghana. L’endroit bénéficie d’électricité et d’une
pompe hydraulique installée par le HCR. Les nouveaux venus sont donc logés par
familles dans des magasins d’à peine 10 m? qui leur servent de chambre. Il en
existe une cinquantaine au total « Quand nous sommes arrivés au début,
nous nous sommes tous déportés dans un premier temps à la mission catholique.
Les missionnaires ayant été très vite débordés, un grand groupe s’est retrouvé
dans ce centre aménagé par le HCH. A mon inscription, j’étais la 2036ème personne sur la liste. Au total nous atteignions 5 000 réfugiés. Nous dormons entre 10 et 15 déplacés par
chambre. Nous étions si nombreux que certains parmi nous occupent des tentes
dressées par les membres du HCR. Mais quand il pleut la nuit, il est impossible
de dormir. Ces tentes sont immergées et les réfugiés sont obligés de se tenir
debout ou de venir s’agglutiner sur les terrasses des magasins. Actuellement,
beaucoup sont rentrés mais il reste un peu plus de mille personnes ici et plus d’une centaine à l’église catholique. Un peu plus loin dans la localité de Yamétchian, on nous a
rapporté le chiffre de 170 réfugiés », a indiqué notre source. A la question de savoir comment s’alimentent ces milliers de déplacés, K. A explique : « A notre arrivée,
lorsque le HCR nous a installés, ils nous ont donné des kits comprenant de la pâte
dentifrice, une natte, une couverture, une moustiquaire et du matériel de
toilette. En plus de cela, ils ont donné par groupe de 5 personnes, une ration
de maïs et de haricots que nous devrions gérer sur une période de deux semaines.
C’était à nous de trouver les moyens d’avoir les condiments et faire la cuisine nous-mêmes. Au début c’était très difficile et nous avions tous maigri puisque nous n’étions pas
habitués à manger le maïs au haricot. Une fois, Sansan Kouao est venu nous
visiter et il nous a fait un don d’environ 700.000 FCFA (plus de 20 millions de
cédis). Mais cela ne pouvait pas suffire pour tout le temps. Il fallait grouiller. »
Exercer de petits
métiers
Dans la journée donc, les
réfugiés ivoiriens sortent de leur camp pour aller vendre le maïs offert et
acheter en retour du riz (auquel ils sont habitués) et des condiments pour leur
repas. Pour ne pas être à cours d’argent, ils s’adonnent à de petits
métiers : lavage autos et motos, tri de riz et de fèves de cacao, ‘’
fanico ‘’, tout y passe pour se faire du sous. « Les jeunes gens vont
pour la plupart travailler avec les acheteurs de cacao ghanéens. Par jour ces
jeunes s’en sortent chacun avec environ 100.000 Cédis (3.000 FCFA). C’est avec
cet argent qu’ils satisfont leurs besoins financiers et arrivent à améliorer
leur nourriture ». Au plan sanitaire,
un centre de santé rural est logé non loin du centre. Les frais des soins des
réfugiés sont exclusivement à la charge du HCR. Si aucun décès et aucune
naissance n’ont été enregistrés jusque-là à Osséikro, l’on dénombre sur place
en revanche une quarantaine de femmes enceintes selon notre source.
Apparemment, le soir tombé et après le repas, ces déplacés n’ont d’autres
préoccupations que de deviser par groupuscules. A ce rythme et avec la promiscuité,
les rapports sexuels sont à l’évidence fréquents. « A 22h, tous
les réfugiés doivent être rentrés au camp. Mais ici, on n’a ni radio, ni
télévision. Au début, un déplacé avait une télévision ici et c’est grâce à lui
que nous avons assisté à la chute de Gbagbo. Nous avons été tous choqués par
l’humiliation qu’il a subie ». Si les
réfugiés se sont progressivement adaptés à leur nouvelle situation (certains
ont pu avoir un boulot, louent une maison n’entendent plus revenir), le constat
est qu’ils ont tous le mal du pays. Dans l’ensemble, la plupart de ces réfugiés
à Osséikro ont hâte de rentrer chez eux et reprendre leur vie normale. En tout
cas, tous les échos signalant qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières leur
parviennent. Qu’est-ce qui freinent alors leur retour au moment où la situation
se normalise au pays ?
Ce qui bloque le
retour des réfugiés
« Actuellement, ni la
police, ni la gendarmerie régulière ne fonctionnent correctement. A notre
retour et en cas d’agression, à qui allons-nous nous adresser ? C’est bien beau pour les autorités de rester dans leur bureau et dire qu’il n’y aura pas de chasses aux sorcières.
Mais ces autorités ne sont pas sur le terrain où des éléments zélés et
incontrôlés peuvent s’en prendre à nous et à tout moment dans nos quartiers. Au
lieu d’aller risquer notre vie, nous préférons pour le moment exercer notre
petit métier ici et vivre en sécurité. Sinon nous voulons bien rentrer et
participer à la réconciliation. Mais nous attendons d’abord l’encasernement des
combattants », ont indiqué en chœurNnotre interlocuteur et les
réfugiés que nous avons repérés hors du camp. Pour les rassurer, Nanan Boa
Kouassi III, le roi de l’Indénié a dit-on, envoyé une délégation le samedi 14 mai
dernier dans ces différents coins de regroupements des réfugiés pour négocier
leur retour. Ces négociations seraient en bonne voie puisque la sécurité des
déplacés aurait été garantie par le Roi lui-même. C’est sur cette information
d’espoir que nous quittons nos compatriotes aux environs de 12 h.
Zéphirin NANGO
ivoiriennes, plus de 13 000 Ivoiriens
se sont exilés au Ghana en raison de la crise post-électorale. Dans le
département d’Abengourou, la plupart des partisans du président déchu (environ
5 000) sont entrés au Ghana en passant par Niablé. Un mois après, nous
sommes allés sur leurs traces.
Il est 9 heures ce mardi 17 mai
2011 quand nous embarquons dans un taxi-brousse reliant la ville d’Abengourou à celle de Niablé. Ville frontalière située à environ 28 km au sud-est de la capitale de
l’Indénié. A la sortie de la ville d’Abengourou, un premier corridor tenu par
les forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) se dresse devant nous. Il faut
marquer un arrêt. L’homme en tenue
qui s’approche de notre véhicule, prend à peine le temps de jeter un regard
furtif dans notre direction et lance : « Notre chef qui est assis
là-bas dit qu’il a faim. Donnez 200 F chacun, Vous êtes 4, ça fait 800 F.
Faites-vite vous allez quitter ici ».
Nous nous exécutons. La herse obstruant la voie est alors retirée. Donnant
l’occasion au conducteur de faire vrombir son moteur. En chemin, nous
embarquons encore deux autres passagers. C’est donc dans un véhicule surchargé
et fumant du reste, que nous atteignons, trente minutes plus tard, le corridor
à l’entrée de la ville de Niablé. Là aussi, il faut marquer un arrêt.
Visiblement, le soldat qui s’approche de nous n’en a cure de notre surcharge. « Tous
les hommes payent 500 F chacun. Les femmes sont exemptées », lâche-t-il. Nous essayons alors de lui demander de
réduire la paie à 200 F. Vaine tentative. « 500 F ! A
prendre où à laisser ! », vocifère-t-il.
Apparemment, l’appel gouvernemental invitant à mettre fin au racket est tombé
dans les oreilles de sourd ici. Nous nous exécutons. Peu avant 10 h, nous
débarquons au grand carrefour de la coquette ville de Niablé. Le domicile du
célèbre planteur Sansan Kouao Edouard est situé non loin de là. Nous nous y
rendons. Aucune âme n’y vit. Le local, nous apprend-on, a été saccagé et pillé
par des vandales après la fuite du producteur à l’arrivée des FRCI. En témoigne
d’ailleurs la porte de son bâtiment principal qui est encore entrebâillé. Les
moments qui suivent, nous prenons la route du Ghana. Perché derrière l’un des
gros ‘’taxis-motos’’ qui assurent
la ligne (à 1000F), nous traversons sans ambages le dernier barrage ivoirien à
la sortie de la ville. Moins de 5 mn plus tard, nous sommes sur le territoire
ghanéen. Le corridor d’entrée tenu par les forces de l’ordre ghanéennes s’offre
à nous. Les hommes en tenue de ce pays se contentent de répondre au « Morning » que nous leur lançons et nous
laissent passer. La voie étant désormais libre, mon conducteur se lance à vive
allure sur cette route non bitumée. Peu après 10h, nous débarquons à la gare
routière d’Osséikro. C’est le premier village ghanéen. Un gros bourg électrifié
et très animé du fait de son marché quotidien très fréquenté par les Ivoiriens.
C’est dans cette localité encore dirigé par un chef de village que sont
regroupés la grande majorité des réfugiés ivoiriens. Alors qu’ayant perdu
momentanément le réseau téléphonique, nous tentons d’entrer en contact avec
notre guide sur place, un homme s’approche de nous. Avec lui, son enfant de 9
ans environ. Nous nous connaissons bien. Il s’agit d’un instituteur à la
retraite, anciennement en poste à Abengourou. Visiblement amaigri, il nous
informe qu’il figure au rang des réfugiés ivoiriens au Ghana. Et d’avouer :
« Ce n’est pas du tout facile ici. Nous vivons des moments terribles en
terre étrangère ». Quand nous lui
apprenons que nous sommes là justement pour un reportage sur les refugiés
ivoiriens au Ghana, il s’inquiète et m’avertit : « Ce n’est
pas la peine de vous aventurer au camp des réfugiés. Ils risquent de vous
lyncher là-bas. D’ailleurs, les forces de l’ordre qui sont à l’entrée, ne vous
laisseront pas passer ». « Et
pourquoi ? », l’interrogeons-nous.
Affrontement
manqué entre Frci et réfugiés ivoiriens
Notre interlocuteur nous révèle
alors que quelques jours après la chute de Laurent Gbagbo, une délégation des
FRCI a cru bon de se rendre dans ce centre de réfugiés du Ghana à Osséikro pour
demander à ces déplacés ivoiriens de rentrer chez eux et que la guerre était
finie. Mal leur en prit. « Ces éléments des FRCI ont été violement pris
à partie par les réfugiés ivoiriens qui les ont chassés. Ils ont même failli
être lynchés et leur véhicule a failli être brûlé. Fort heureusement, ces éléments
des FRCI, étant en territoire ghanéen, n’ont pas apporté la riposte. Ils se
sont retirés précipitamment. Mais la situation était très tendue. Cet incident
a créé des vagues allant jusqu’aux autorités ghanéennes. Ces autorités auraient
même sanctionnées leurs soldats à la frontière qui ont laissé entrer les FRCI
au Ghana. Depuis ce temps-là, les réfugiés sont sur le qui-vive. Le centre est
désormais gardé de jour comme de nuit par les forces de l’ordre ghanéennes qui
filtrent les entrées. En tant que journaliste, il sera difficile pour vous d’y
avoir accès. Vous risquez d’avoir des ennuis d’ailleurs », raconte l’instituteur à la retraite. La situation
se complique donc et pourtant, il nous faut accéder à ce camp des réfugiés.
Nous dissimulons alors notre carte de presse et entrons finalement en contact
téléphonique avec l’un des réfugiés dudit centre. Il s’agit simplement pour
nous de se faire passer pour un
parent venu rendre visite à un déplacé. Les minutes qui suivent, le déplacé en
question sort du centre et nous retrouve à la gare routière. Nous nous
connaissons bien puisqu’il fut un membre très actif de la jeunesse de LMP à
Abengourou. A ce jeune homme de 27 ans environ, nous attribuons les initiales
de K.A. comme il l’a souhaité. Il nous servira de guide.
Des milliers de
réfugiés encore au pays d’Atta Mills
Selon ses informations, à
l’éclatement de la crise dans l’indénié le 30 mars 2011, trois centres
d’accueil (en plus des familles qui avaient individuellement recueillis des
parents) avaient été ouverts dans ce bourg d’Osséikro : un dans une église
évangélique, un autre à la mission catholique et un dernier créé par le HCR.
D’autres réfugiés plus célèbres tels Brou Adou Kpangni, Sansan Kouao, Kakoutié,
et autres (figure de proue de la filière café/cacao) seraient eux, allés un peu
plus loin dans d’autres localités telles Ehuaosso ou encore Yamétchian. Sur
place à Osséikro, K.A. notre guide nous indique que le centre de l’église
évangélique s’est actuellement vidé de son monde avec l’évolution positive de
la situation. Nous faisons donc un bref passage à la mission catholique située
à environ 800 m de la gare routière. Ici, trois salles de classes ont été aménagées
pour recevoir les déplacés. Actuellement, il n’en resterait qu’un peu plus
d’une centaine, nous apprend-on. Le plus gros contingent des réfugiés se trouve
au centre créé par le HCR où justement il a failli avoir des heurts entre les
FRCI et les déplacés. Nous mettons alors le cap sur ledit centre situé un peu
plus d’un kilomètre au nord de la gare routière. A l’entrée, des forces de
l’ordre sont effectivement postées sous une tente. Notre guide nous présente
comme son frère. Ils nous laissent accéder à ce fameux camp. Sur place dans le
centre, ce sont des regards inquisiteurs qui nous accueillent. Visiblement, ces
réfugiés amaigris et tendus, sont méfiants. Sous un hangar, un handicapé assis
dans son fauteuil roulant et visiblement agressif, nous fixe singulièrement.
Apparemment, ils savent que nous sommes un nouveau venu. Nous comprenons
qu’ici, les prises de vue ne sont donc pas à l’ordre du jour. Au risque d’être
assimilés à un espion. Installés par petits groupes, ces réfugiés (des femmes
pour la plupart) s’affairent à des occupations ménagères. Apparemment il n’y a
pas grand monde au moment où nous arrivions. « C’est le soir que tout
le monde rentre. Il y a un monde fou ici. Actuellement, les autres sont tous
partis se chercher ici et là pour avoir un peu d’argent pour survivre », nous indique notre informateur avec qui nous nous
enfermons les moments qui suivent dans un local pour échanger loin de tout
regard.
Dix à quinze
réfugiés dans des chambres d’environ 10 m?
En réalité, le centre en question
est un nouveau marché construit par les autorités ghanéennes. Les populations
locales ayant refusé de s’installer sur ce nouveau site, ce marché a été vite
transformé en un site d’accueil pour recevoir les réfugiés ivoiriens qui sont
rentrés en grand nombre au Ghana. L’endroit bénéficie d’électricité et d’une
pompe hydraulique installée par le HCR. Les nouveaux venus sont donc logés par
familles dans des magasins d’à peine 10 m? qui leur servent de chambre. Il en
existe une cinquantaine au total « Quand nous sommes arrivés au début,
nous nous sommes tous déportés dans un premier temps à la mission catholique.
Les missionnaires ayant été très vite débordés, un grand groupe s’est retrouvé
dans ce centre aménagé par le HCH. A mon inscription, j’étais la 2036ème personne sur la liste. Au total nous atteignions 5 000 réfugiés. Nous dormons entre 10 et 15 déplacés par
chambre. Nous étions si nombreux que certains parmi nous occupent des tentes
dressées par les membres du HCR. Mais quand il pleut la nuit, il est impossible
de dormir. Ces tentes sont immergées et les réfugiés sont obligés de se tenir
debout ou de venir s’agglutiner sur les terrasses des magasins. Actuellement,
beaucoup sont rentrés mais il reste un peu plus de mille personnes ici et plus d’une centaine à l’église catholique. Un peu plus loin dans la localité de Yamétchian, on nous a
rapporté le chiffre de 170 réfugiés », a indiqué notre source. A la question de savoir comment s’alimentent ces milliers de déplacés, K. A explique : « A notre arrivée,
lorsque le HCR nous a installés, ils nous ont donné des kits comprenant de la pâte
dentifrice, une natte, une couverture, une moustiquaire et du matériel de
toilette. En plus de cela, ils ont donné par groupe de 5 personnes, une ration
de maïs et de haricots que nous devrions gérer sur une période de deux semaines.
C’était à nous de trouver les moyens d’avoir les condiments et faire la cuisine nous-mêmes. Au début c’était très difficile et nous avions tous maigri puisque nous n’étions pas
habitués à manger le maïs au haricot. Une fois, Sansan Kouao est venu nous
visiter et il nous a fait un don d’environ 700.000 FCFA (plus de 20 millions de
cédis). Mais cela ne pouvait pas suffire pour tout le temps. Il fallait grouiller. »
Exercer de petits
métiers
Dans la journée donc, les
réfugiés ivoiriens sortent de leur camp pour aller vendre le maïs offert et
acheter en retour du riz (auquel ils sont habitués) et des condiments pour leur
repas. Pour ne pas être à cours d’argent, ils s’adonnent à de petits
métiers : lavage autos et motos, tri de riz et de fèves de cacao, ‘’
fanico ‘’, tout y passe pour se faire du sous. « Les jeunes gens vont
pour la plupart travailler avec les acheteurs de cacao ghanéens. Par jour ces
jeunes s’en sortent chacun avec environ 100.000 Cédis (3.000 FCFA). C’est avec
cet argent qu’ils satisfont leurs besoins financiers et arrivent à améliorer
leur nourriture ». Au plan sanitaire,
un centre de santé rural est logé non loin du centre. Les frais des soins des
réfugiés sont exclusivement à la charge du HCR. Si aucun décès et aucune
naissance n’ont été enregistrés jusque-là à Osséikro, l’on dénombre sur place
en revanche une quarantaine de femmes enceintes selon notre source.
Apparemment, le soir tombé et après le repas, ces déplacés n’ont d’autres
préoccupations que de deviser par groupuscules. A ce rythme et avec la promiscuité,
les rapports sexuels sont à l’évidence fréquents. « A 22h, tous
les réfugiés doivent être rentrés au camp. Mais ici, on n’a ni radio, ni
télévision. Au début, un déplacé avait une télévision ici et c’est grâce à lui
que nous avons assisté à la chute de Gbagbo. Nous avons été tous choqués par
l’humiliation qu’il a subie ». Si les
réfugiés se sont progressivement adaptés à leur nouvelle situation (certains
ont pu avoir un boulot, louent une maison n’entendent plus revenir), le constat
est qu’ils ont tous le mal du pays. Dans l’ensemble, la plupart de ces réfugiés
à Osséikro ont hâte de rentrer chez eux et reprendre leur vie normale. En tout
cas, tous les échos signalant qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières leur
parviennent. Qu’est-ce qui freinent alors leur retour au moment où la situation
se normalise au pays ?
Ce qui bloque le
retour des réfugiés
« Actuellement, ni la
police, ni la gendarmerie régulière ne fonctionnent correctement. A notre
retour et en cas d’agression, à qui allons-nous nous adresser ? C’est bien beau pour les autorités de rester dans leur bureau et dire qu’il n’y aura pas de chasses aux sorcières.
Mais ces autorités ne sont pas sur le terrain où des éléments zélés et
incontrôlés peuvent s’en prendre à nous et à tout moment dans nos quartiers. Au
lieu d’aller risquer notre vie, nous préférons pour le moment exercer notre
petit métier ici et vivre en sécurité. Sinon nous voulons bien rentrer et
participer à la réconciliation. Mais nous attendons d’abord l’encasernement des
combattants », ont indiqué en chœurNnotre interlocuteur et les
réfugiés que nous avons repérés hors du camp. Pour les rassurer, Nanan Boa
Kouassi III, le roi de l’Indénié a dit-on, envoyé une délégation le samedi 14 mai
dernier dans ces différents coins de regroupements des réfugiés pour négocier
leur retour. Ces négociations seraient en bonne voie puisque la sécurité des
déplacés aurait été garantie par le Roi lui-même. C’est sur cette information
d’espoir que nous quittons nos compatriotes aux environs de 12 h.
Zéphirin NANGO