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Société Publié le jeudi 26 mai 2011 | Scrib Mag

"Quand la réconciliation passe par la culture "

La Côte d’Ivoire est sortie meurtrie de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 qui a mis aux prises MM. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara et pour laquelle elle a consacré la bagatelle de 261 milliards de francs CFA. Pour cause de désaccords profonds sur les résultats proclamés, les armes ont pris le relais des bulletins de vote. Entre trois et quatre mille personnes y ont perdu la vie. Les biens et services ont été pillés. Des milliers de personnes ont passé les frontières de pays voisins pour échapper aux exactions qui entourent toujours, en Afrique, de telles crises politiques. De fait, une part importante de la population porte en elle un traumatisme profond. La vie étant un constant va et vient entre les grandes joies et les meurtrissures, les populations se doivent de vaincre leurs douleurs intérieures, pour s’engager dans un nouveau pacte social. Ailleurs en Afrique, dans des contrées où la guerre a fait des ravages, l’art et la culture ont été utilisés pour aider à la renaissance individuelle et collective des habitants. Les expériences qui y ont été menées peuvent être utiles pour le cas ivoirien.
L’écriture au secours de l’âme humaine
1994. Le Rwanda, modeste pays de l’Afrique des grands Lacs, sombre dans la barbarie : un génocide y est perpétré. Entre huit cent mille et un million de personnes, majoritairement des Tusti et des Hutu modérés, sont massacrés du 4 avril au 4 juillet. L’horreur est à son comble. L’homme, qui demeure un loup pour l’homme, vient de montrer, une fois encore, de la plus honteuse des façons, qu’il est d’essence animale. Pour permettre au Rwanda de renaître à lui-même, une résidence internationale d’écriture est organisée en 1998 par Fest’Africa, une association établie en France, dirigée par la journaliste ivoirienne Maïmouna Coulibaly et le romancier tchadien Nocky Djedanoun. Dix écrivains africains se rendent dans ce pays pour témoigner de visu de l’ampleur du drame, visiter les lieux de douleurs, découvrir les corps innombrables dans les catacombes, parler aux victimes restées sur place et aux bourreaux dans les
prisons, produire des textes de tous genres. Le résultat est heureux : chacun des écrivains publie, peu de temps après la fin de la résidence d’écriture, un livre, par « devoir de mémoire ». Il s’agit de : Koulsy Lamko, Tchad, La Phalène des collines, roman ; Boubacar Boris Diop, Sénégal, Murambi, le livre des ossements, roman ; Tierno Monenembo, Guinée, L’Aîné des orphelins, roman ; Véronique Tadjo, Côte d’Ivoire , L’Ombre d’Imana, Voyage jusqu’au bout du Rwanda, nouvelles ; Jean-Marie Vianney Rurangwa, Rwanda, Le Génocide des Tutsi expliqué à un étranger, essai ; Nocky Djedanoum, Tchad, Nyamirambo, poésies ; Monique Ilboudo, Burkina Faso, Murekatete, roman ; Abdourahman Waberi, Djibouti, Terminus, Textes pour le Rwanda, nouvelles (Le Serpent à plumes, octobre 2000).
Au-delà de l’inscription de ces livres dans la mémoire rouge du génocide, les auteurs parlent aux Rwandais à mots forts. Ils les invitent à la reconquête de leur histoire intégrale faite de la « rencontre-fusion » entre Hutu et Tusti sur un même site géographique. En dépit du temps qui passe, la longue parole de ces écrivains reste d’une mordante actualité dans notre Afrique trop fragile où la guerre triomphe de l’amour. Dans leur sillage, plusieurs autres écrivains africains s’approprieront le thème du génocide et l’habiteront de mots transis de peines mais, également, de vie. Tel est le cas de la romancière ivoirienne Flore Hazoumé, auteur d’un attachant roman, Le Crépuscule de l’homme (éd. Ceda). L’écrivaine, après avoir peint à grands traits le drame rwandais, pose la question d’une « re-humanisation » de l’homme par les animaux. Pour son narrateur, les animaux ont conservé une fibre maternelle et sociale qui devrait inspirer les actuels et cruels homos homos sapiens. Et à travers son récit pour enfant « Et si nous écoutions nos enfants, » Flore Hazoumé raconte l’histoire d’un quartier paisible déchiré par des querelles et des violences politiques, et la cohésion revient grâce aux enfants qui se dressent contre l’aveuglement des adultes. Flore Hazoumé , par ses deux ouvrages, nous invite, à regarder et à écouter afin de (re)trouver chez les êtres les plus simples ce nous avons perdu.
Les écrivains rwandais, à divers titres, ont pris individuellement la plume pour dire, eux aussi, la bêtise du génocide et appeler à un nouvel ordre de vie : celui du triomphe de l’amour sur la terre des hommes. Yolande Mukagasana, auteur de La mort ne veut pas de moi, signera l’un des livres les plus poignants de cette période. Revisitant son histoire individuelle dans le déroulement du génocide, cette habitante de Kigali présente la mort de toute sa famille, décrit ses conditions de vie dans diverses cachettes, notamment chez un colonel Tusti qui est un acteur important du génocide…
Le cinéma et le théâtre, la danse, exutoires de tous les traumatismes
Pour panser les plaies de la guerre rwandaise, les dramaturges, comédiens, chorégraphes, danseurs sont également montés au créneau. Odile Gakire Katese, écrivaine rwandaise, soutenue par la chorégraphe burkinabé Irène Tassembedo, s’est lancée dans une belle aventure mêlant théâtre et danse avec sa création intitulée Des Espoirs. Cette création, depuis 2004, a fait l’objet d’une programmation au Rwanda dans des universités, des écoles et centres culturels, ainsi que dans plusieurs pays de la région : Burundi, Kenya, Tanzanie, Ouganda. Un autre pays, la République Démocratique du Congo, balafré par une guerre qui dure depuis de longues années, a également accueilli ce spectacle dont les visées thérapeutiques sont claires. « La mise en scène et le travail des comédiens sont basés sur la détraumatisation par les gestes qui, à travers la danse, prennent la relève quand les mots ne sont plus suffisants. C’est une manière de présenter les personnages non pas comme des victimes mais comme des personnes capables de se relever et d’avancer dans un monde où « il faut de plus en plus de merde pour avoir une fleur ». L’écriture est pour l’auteur un moyen de laisser paraître l’amertume de la vie tout en mettant en exergue l’espoir toujours présent et plus important que tout car "demain doit être meilleur sinon il n’y aurait aucune raison que maintenant existe".
En 2000, le cinéaste sénégalais Samba Félix N’diaye a choisi de prolonger la parole des dix écrivains africains qui ont été en résidence d’écriture au Rwanda avec son film Rwanda, pour mémoire. Avec modestie, il a posé sa caméra devant eux et recueilli leurs témoignages. Les propos enregistrés, mis en situation avec des images du Rwanda, sont des réflexions d’hommes désarmés, dépouillés de leurs rires. Pour éviter que le film ne soit pesant et n’ajoute aux déchirures du spectateur, le cinéaste s’est refusé à intégrer les images du génocide lui-même. Odile Gakire Katese, dans une démarche différente, montre le drame rwandais dans son court-métrage Isugi. Son héroïne est une jeune fille défaite par le sort. Après avoir échappé aux machettes des génocidaires, elle peine à s’adapter aux moments présents car elle doit faire face au harcèlement de son père adoptif. Comme solution, elle se réfugie dans le souvenir traumatisant de ses parents disparus lors des troubles qui ont balafré le pays. Avec une santé mentale fort affectée, pourra-t-elle tenir longtemps dans cette posture ?
Odile Gakire Katese a décidé de se lancer à fond dans la reconstruction des consciences au rwanda et hors du Rwanda. A partir des actions déjà réalisées, elle entend développer une philosophie artistique qui serait mis au service intégral de cette reconstruction. Pour elle, « l’objectif principal de toute activité artistique est de toucher et mobiliser le public, en particulier au Rwanda ». Au Centre Universitaire des Arts de l’Université nationale du Rwanda, établissement dont elle est membre, elle organise régulièrement des ateliers dénommés « Arts Azimuts ». « Des artistes, des acteurs de la société civile, voire des figures politiques, provenant de plusieurs pays africains francophones et anglophones mais aussi européens, y participeront. Ils auront la possibilité de se mobiliser pour orienter leurs activités artistiques (photo, cinéma, musique, théâtre, arts plastiques, etc.) en faveur de la gestion et de la
prévention des conflits mais aussi des initiatives de réconciliation au Rwanda. Ce sera l’occasion d’aboutir à des rencontres et des collaborations ».
Cette vision des choses est partagée par divers acteurs culturels. Tel est le cas de Frédérique Lecomte, une Belge qui dirige des ateliers de théâtre à la prison de M’pimba, au Burundi, question d’appeler à la reconstruction des personnes qui portent des blessures sociales.
HN
En encadré
Depuis peu, les coups de canon et les tirs de kalachnikov se sont tus. La réconciliation et la paix habitent tous les esprits et ces mots sonnent comme un refrain dans toutes les bouches. Certains artistes chanteurs et musiciens commencent à se mobiliser, pour organiser des concerts, des caravanes pour la paix et la réconciliation. Intention louable. La paix pour un soir, le temps d’un concert ? ou la paix pour toujours, affaire à suivre…,
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