Plus d’une semaine après les événements douloureux qu’ont vécus les habitants d’Ananguié, dans le département d`Agboville, nous nous sommes rendu sur les lieux pour comprendre ce qui s`est passé. Reportage.
Nous arrivons dans ce gros village d’Agboville, pile-poils avant une forte pluie. Comme c’est de coutume dans cette région forestière. Il est 17h45 ce mercredi 1er juin 2011, et nous sommes à Ananguié, une nouvelle commune située à une quarantaine de km d’Agboville, le chef-lieu de la région de l’Agnéby. Plus d’une semaine après des violences dans le village, nous décidons d’y aller pour comprendre ce qui s’y est passé et voir comment les populations s’accommodent de la situation. Déjà, à vue d’œil, c’est la méfiance sur les visages. Ce qui est rare chez les populations villageoises ivoiriennes et principalement les Abbey, les autochtones. Nous nous dirigeons vers une cabine téléphonique à la gare routière pour des renseignements sur le président des jeunes ou le chef du village. Quatre jeunes assis là nous dévisagent et feignent de s’intéresser à autre chose. Après insistance, un jeune décide de nous conduire jusqu’au président des jeunes d’Ananguié. Mais avant, il nous propose de voir des endroits où des violences ont eu lieu. Nous avons pu voir des maisons incendiées, des commerces détruits, des débris de verres et de bouteilles cassés, des chaises fracturées. Notre guide nous montre une maison en reconstruction, qui aurait été détruite par des individus en armes au cours d`une descente dans le village. Après 20 minutes de marche, nous arrivons dans la cour du président des jeunes, François Akaffou.
Tous l’appellent « Prési » et le respectent. Cet homme, la quarantaine environ, vêtu d`un pantalon « Jeans » de couleur bleue et d`un tee-shirt, apparaît quelque peu amoché. Il est entouré de plusieurs jeunes et un homme âgé, son grand frère, venus lui exprimer leur sympathie. Lorsque nous nous présentons, toute de suite, les visages changent, la méfiance s`installe. M. Akaffou nous renvoie au chef du village ou à son secrétaire général. Il faut une voix plus officielle pour relater les faits ou faire des commentaires. Le sujet est évité en public, mais certains se laissent aller à des commentaires dans la rue, sur ce qui s’est passé à Ananguié les jeudi 26, vendredi 27 et samedi 28 mai derniers. « Vous irez avec une vérité scellée », nous lance un jeune homme. Il avoue n’avoir pas été témoin des violences, tout comme la majorité des jeunes du village qui s’étaient retranchés dans la forêt pour fuir les exactions. Après une pluie battante, et à la faveur de la nuit, nous décidons de passer la nuit à Ananguié. Le lendemain jeudi 2 juin, une réunion est convoquée par le chef du village d’Ananguié, Athanase Gbadi. Objectif, rapprocher les autochtones et les allogènes, qui ne se considéraient plus comme des frères après le passage des Forces républicaines de Côte d`Ivoire (FRCI) dans le village. La réunion s`est tenue en présence de l’imam du village. Le chef Gbadi a souhaité l`organisation d` une cérémonie de réconciliation entre les habitants du village. Quand il annonce aux populations que les FRCI viendront s’installer dans le village, c’est la grogne. Les jeunes autochtones se plaignent, menacent de quitter le village. Des femmes, à l’annonce de la nouvelle, décident de prendre leurs bagages pour la brousse où, selon des villageois, de nombreux Abbey vivent encore depuis ces jours d’effroi. La réunion est tendue et il faut une grande dose de sagesse du chef et de ses notables pour décrisper l’atmosphère. Les avis changent progressivement mais le gros lot émet sa désapprobation. « Je préfère aller à Abidjan plutôt que de voir des gens faire des barrages dans mon village », lance un jeune homme dans la foule. D’autres crient leur ras-le-bol aux autorités coutumières. D’autres encore s’inquiètent de ce que sera leur vie avec les FRCI. Mais la réunion se déroule sans heurt majeur.
475 fcfa à l`origine du drame d’Ananguié
Les commentaires divergent mais les témoignages d’un doyen du village et du président des jeunes nous semblent plus édifiants, le second ayant vécu les faits. L’affaire remonte, selon lui, à 8 mois ! Une affaire de 475 francs CFA. De fait, un jeune autochtone se rend dans un kiosque à café pour prendre un petit repas. A la fin du repas dont la facture s’élève à 475 francs CFA, il tend un billet de cinq mille francs CFA au vendeur, un jeune « Dioula », nous dit-on. En toute amitié, les deux jeunes hommes décident de se retrouver plus tard pour régler la note, faute de monnaie. Le jeune autochtone s`en est allé et n`est plus revenu dans le kiosque. Un beau matin, les deux hommes se retrouvent et le vendeur réclame son dû au jeune Abbey. Il s`ensuit des échanges de propos durs qui virent à la bagarre entre les deux.
Le vélo du vendeur sera sérieusement endommagé. L’affaire arrive même devant la notabilité, qui demande au jeune autochtone de réparer le préjudice que son « frère » a subi.
Chose qu’il refuse. L’affaire va rester pendante jusqu’au jeudi 26 mai. Ce jour-là, selon des témoignages, deux éléments des FRCI venus de Rubino, le chef-lieu de sous-préfecture, accostent une jeune femme, enceinte, que nous avons rencontrée. Ils lui demandent de leur dire où se trouve le jeune autochtone, contre qui deux convocations ont été déposées, sans suite. La jeune femme qui ne savait rien de l’affaire, leur indique clairement qu’elle ne le connait pas. Cette réponse ne devait pas être donnée, si l’on en croit les témoignages. La jeune femme sera molestée, violentée. Un jeune du village qui revenait du champ, s’arrête à leur niveau pour leur faire savoir qu’il n’était pas bienséant d’agir de la sorte avec une femme enceinte. L’erreur, à son niveau aussi, est désormais commise. Le jeune homme prend automatiquement la place de la jeune femme enceinte. Il sera roué de coups par les deux éléments des FRCI, selon les explications. Dans sa volonté de tenir tête aux soldats, il aurait reçu des coups de cross de fusils détenus par ces combattants. D’autres jeunes qui suivaient la scène ont accouru pour défendre « leur frère ». Les deux éléments des FRCI, nous a-t-on dit, réussissent à se sauver et se refugier chez l’imam d’Ananguié. Et c’est là que le drame va se produire. Toujours selon les témoignages, un des éléments FRCI ouvrira le feu et atteindra trois personnes. L’un des deux militaires sera pris et retrouvé mort plus loin. Le rescapé, lui, aidé par de bonnes volontés, réussit à fuir. Il va raconter sa mésaventure à ses frères d’armes de Rubino. Une descente punitive est alors organisée sur le village, qui s’était vidé de ses habitants à l’annonce de l`arrivée des Frci. Seuls le président des jeunes et ses enfants reviennent au village pour parler avec les visiteurs du jour. Ils seront passés à tabac, nous a-t-on expliqué. « C’est l’imam qui a parlé et puis ils nous ont laissés », affirme le président des jeunes. Un autre contingent des Frci, venu d’Agboville, et dirigé par le commandant Oustaz, viendra calmer les esprits. L’heure est à la réconciliation dans le village d’Ananguié érigé très récemment en commune de plein exercice par le président déchu, Laurent Gbagbo. Quand nous quittions le village autour de 17h le jeudi 2 juin, une délégation des FRCI venait d`arriver en vue de l’installation d’une base à Ananguié.
Huit éléments ont été installés dans le village, nous a-t-on appris. Les habitants d’Ananguié ont décidé de tourner la page et continuer à vivre comme s’il ne s’était rien passé. Cependant, la crainte se lit toujours sur les visages.
Hervé KPODION
(Envoyé spécial)
Nous arrivons dans ce gros village d’Agboville, pile-poils avant une forte pluie. Comme c’est de coutume dans cette région forestière. Il est 17h45 ce mercredi 1er juin 2011, et nous sommes à Ananguié, une nouvelle commune située à une quarantaine de km d’Agboville, le chef-lieu de la région de l’Agnéby. Plus d’une semaine après des violences dans le village, nous décidons d’y aller pour comprendre ce qui s’y est passé et voir comment les populations s’accommodent de la situation. Déjà, à vue d’œil, c’est la méfiance sur les visages. Ce qui est rare chez les populations villageoises ivoiriennes et principalement les Abbey, les autochtones. Nous nous dirigeons vers une cabine téléphonique à la gare routière pour des renseignements sur le président des jeunes ou le chef du village. Quatre jeunes assis là nous dévisagent et feignent de s’intéresser à autre chose. Après insistance, un jeune décide de nous conduire jusqu’au président des jeunes d’Ananguié. Mais avant, il nous propose de voir des endroits où des violences ont eu lieu. Nous avons pu voir des maisons incendiées, des commerces détruits, des débris de verres et de bouteilles cassés, des chaises fracturées. Notre guide nous montre une maison en reconstruction, qui aurait été détruite par des individus en armes au cours d`une descente dans le village. Après 20 minutes de marche, nous arrivons dans la cour du président des jeunes, François Akaffou.
Tous l’appellent « Prési » et le respectent. Cet homme, la quarantaine environ, vêtu d`un pantalon « Jeans » de couleur bleue et d`un tee-shirt, apparaît quelque peu amoché. Il est entouré de plusieurs jeunes et un homme âgé, son grand frère, venus lui exprimer leur sympathie. Lorsque nous nous présentons, toute de suite, les visages changent, la méfiance s`installe. M. Akaffou nous renvoie au chef du village ou à son secrétaire général. Il faut une voix plus officielle pour relater les faits ou faire des commentaires. Le sujet est évité en public, mais certains se laissent aller à des commentaires dans la rue, sur ce qui s’est passé à Ananguié les jeudi 26, vendredi 27 et samedi 28 mai derniers. « Vous irez avec une vérité scellée », nous lance un jeune homme. Il avoue n’avoir pas été témoin des violences, tout comme la majorité des jeunes du village qui s’étaient retranchés dans la forêt pour fuir les exactions. Après une pluie battante, et à la faveur de la nuit, nous décidons de passer la nuit à Ananguié. Le lendemain jeudi 2 juin, une réunion est convoquée par le chef du village d’Ananguié, Athanase Gbadi. Objectif, rapprocher les autochtones et les allogènes, qui ne se considéraient plus comme des frères après le passage des Forces républicaines de Côte d`Ivoire (FRCI) dans le village. La réunion s`est tenue en présence de l’imam du village. Le chef Gbadi a souhaité l`organisation d` une cérémonie de réconciliation entre les habitants du village. Quand il annonce aux populations que les FRCI viendront s’installer dans le village, c’est la grogne. Les jeunes autochtones se plaignent, menacent de quitter le village. Des femmes, à l’annonce de la nouvelle, décident de prendre leurs bagages pour la brousse où, selon des villageois, de nombreux Abbey vivent encore depuis ces jours d’effroi. La réunion est tendue et il faut une grande dose de sagesse du chef et de ses notables pour décrisper l’atmosphère. Les avis changent progressivement mais le gros lot émet sa désapprobation. « Je préfère aller à Abidjan plutôt que de voir des gens faire des barrages dans mon village », lance un jeune homme dans la foule. D’autres crient leur ras-le-bol aux autorités coutumières. D’autres encore s’inquiètent de ce que sera leur vie avec les FRCI. Mais la réunion se déroule sans heurt majeur.
475 fcfa à l`origine du drame d’Ananguié
Les commentaires divergent mais les témoignages d’un doyen du village et du président des jeunes nous semblent plus édifiants, le second ayant vécu les faits. L’affaire remonte, selon lui, à 8 mois ! Une affaire de 475 francs CFA. De fait, un jeune autochtone se rend dans un kiosque à café pour prendre un petit repas. A la fin du repas dont la facture s’élève à 475 francs CFA, il tend un billet de cinq mille francs CFA au vendeur, un jeune « Dioula », nous dit-on. En toute amitié, les deux jeunes hommes décident de se retrouver plus tard pour régler la note, faute de monnaie. Le jeune autochtone s`en est allé et n`est plus revenu dans le kiosque. Un beau matin, les deux hommes se retrouvent et le vendeur réclame son dû au jeune Abbey. Il s`ensuit des échanges de propos durs qui virent à la bagarre entre les deux.
Le vélo du vendeur sera sérieusement endommagé. L’affaire arrive même devant la notabilité, qui demande au jeune autochtone de réparer le préjudice que son « frère » a subi.
Chose qu’il refuse. L’affaire va rester pendante jusqu’au jeudi 26 mai. Ce jour-là, selon des témoignages, deux éléments des FRCI venus de Rubino, le chef-lieu de sous-préfecture, accostent une jeune femme, enceinte, que nous avons rencontrée. Ils lui demandent de leur dire où se trouve le jeune autochtone, contre qui deux convocations ont été déposées, sans suite. La jeune femme qui ne savait rien de l’affaire, leur indique clairement qu’elle ne le connait pas. Cette réponse ne devait pas être donnée, si l’on en croit les témoignages. La jeune femme sera molestée, violentée. Un jeune du village qui revenait du champ, s’arrête à leur niveau pour leur faire savoir qu’il n’était pas bienséant d’agir de la sorte avec une femme enceinte. L’erreur, à son niveau aussi, est désormais commise. Le jeune homme prend automatiquement la place de la jeune femme enceinte. Il sera roué de coups par les deux éléments des FRCI, selon les explications. Dans sa volonté de tenir tête aux soldats, il aurait reçu des coups de cross de fusils détenus par ces combattants. D’autres jeunes qui suivaient la scène ont accouru pour défendre « leur frère ». Les deux éléments des FRCI, nous a-t-on dit, réussissent à se sauver et se refugier chez l’imam d’Ananguié. Et c’est là que le drame va se produire. Toujours selon les témoignages, un des éléments FRCI ouvrira le feu et atteindra trois personnes. L’un des deux militaires sera pris et retrouvé mort plus loin. Le rescapé, lui, aidé par de bonnes volontés, réussit à fuir. Il va raconter sa mésaventure à ses frères d’armes de Rubino. Une descente punitive est alors organisée sur le village, qui s’était vidé de ses habitants à l’annonce de l`arrivée des Frci. Seuls le président des jeunes et ses enfants reviennent au village pour parler avec les visiteurs du jour. Ils seront passés à tabac, nous a-t-on expliqué. « C’est l’imam qui a parlé et puis ils nous ont laissés », affirme le président des jeunes. Un autre contingent des Frci, venu d’Agboville, et dirigé par le commandant Oustaz, viendra calmer les esprits. L’heure est à la réconciliation dans le village d’Ananguié érigé très récemment en commune de plein exercice par le président déchu, Laurent Gbagbo. Quand nous quittions le village autour de 17h le jeudi 2 juin, une délégation des FRCI venait d`arriver en vue de l’installation d’une base à Ananguié.
Huit éléments ont été installés dans le village, nous a-t-on appris. Les habitants d’Ananguié ont décidé de tourner la page et continuer à vivre comme s’il ne s’était rien passé. Cependant, la crainte se lit toujours sur les visages.
Hervé KPODION
(Envoyé spécial)