La commune de Koumassi, à l`instar de la Côte d`Ivoire entière, a été durement sécouée par la crise post-électorale. Son maire Raymond Yapi N’dohi, dans l`interview qui suit, fait un tour d’horizon de la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire. Il invite par ailleurs tous les habitants du pays à se remettre en cause et à assumer leurs responsabilités dans cette grave crise.
Monsieur le Maire, un mois après les violences post-électorales qui ont secoué Abidjan, quelle est la situation dans votre commune ?
La commune va très bien. Les activités ont repris normalement, la cohésion se consolide davantage, vous avez dû vous en apercevoir à travers les différentes sorties que nous avons faites. Je pense que cela augure d’un avenir meilleur et d’une cohabitation de plus en plus aisée entre les couches de la population. Nous avons quelques petits soucis au plan sécuritaire puisque le redéploiement des forces de l’ordre n’est pas effectif, les locaux des commissariats et les brigades de gendarmerie ne sont pas réhabilités. Mais pour l’essentiel, je dois dire que ça va. Vous constatez qu’à la mairie, les locaux ont été épargnés, les marchés aussi.
Qu’est-ce qui est fait concrètement pour réhabiliter les commissariats et les brigades de gendarmerie devant accueillir les forces de l`ordre ?
La sécurité n’est pas totalement absente. Même si les commissariats ne fonctionnent pas, vous voyez que des jeunes se sont organisés pour assurer la sécurité en harmonie avec les ex-FDS. Donc on peut dire que le redéploiement des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) à Koumassi est effectif. Mais si vous voulez une meilleure approche, pour une meilleure organisation, nous devons souhaiter que les locaux de la police et de la gendarmerie soient réhabilités et remis à disposition. Vous savez, ce sont des dégâts dont l’importance dépasse notre capacité en tant que municipalité. L’Etat s’y emploie et nous pensons que dans les jours qui suivent, quelque chose sera fait pour aider la commune. Nous avons vu passer ici des structures comme le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui s’intéresse à la question, nous avons vu aussi l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Vous savez que le président de la République fait de la sécurité une priorité, et nous pensons que quelque chose sera fait. L’initiative ne viendra pas de nous parce que nous n’avons pas les moyens.
Comment avez-vous vécu la crise postélectorale, et quelle analyse faites-vous ?
J’ai un sentiment de satisfaction. D’abord parce que les tueries à grande échelle ont cessé. Il y a encore quelques bandits, parce que vous savez qu’à la faveur de cette situation, les prisons ont été vidées, les prisonniers sont sortis avec des armes et des treillis, ils se confondent du coup avec les FRCI, ce qui fait dire à certains que les FRCI sont des pilleurs. C’est un aspect un peu sombre du tableau mais pour le reste, c’est une grande satisfaction. La Côte d’Ivoire renait. Aujourd’hui sur la scène internationale, tout le monde s’intéresse à la Côte d’Ivoire, cela ne s’observait plus parce que certains leaders étaient infréquentables. Aujourd’hui, tout le monde en Côte d’Ivoire est devenu fréquentable, nous avons retrouvé notre place sur l’échiquier international. Au plan national, l’assurance de la volonté du chef de l’Etat d’être au service de la population est donnée chaque jour. Vous vous imaginez, moi je suis maire et ma commune était envahie d’ordures. Depuis l’année 2010, on n’arrivait plus à ramasser les ordures puisque ce n’était pas la préoccupation de quelqu’un, et on n`avait pas les moyens pour le faire. Il a fallu créer des structures bidonnes pour chapeauter les maires en ce qui concerne le ramassage des ordures, et tout cela avait pour conséquence le retour des maladies qui ont été éradiquées depuis longtemps. Aujourd’hui, il y a des velléités de choléra, il fallait que véritablement tout cela cesse. Le chef de l’Etat, même à partir du Golf, a décrété des mesures d’urgence pour une valeur de 45 milliards de francs CFA. Et c’est avec ce concours là que toutes les ordures ont été enlevées. Il y a espoir depuis deux mois et les Ivoiriens reprennent confiance, les dénonciations ont commencé, des listes ont disparu de l’état-major des milices et nous sommes davantage rassurés. Nous prions toujours pour qu’on aille dans cette direction pour que véritablement la Côte d’Ivoire soit toujours le moteur de la sous-région, que la Côte d’Ivoire qui a été un pays envié continue de l’être. C’est notre souhait et depuis deux mois, nous vivons mieux.
Votre commune a été durement secouée par la crise, avez-vous un bilan en tant que premier magistrat, de ce qui s’est passé ?
Oui, en tant que premier magistrat et beaucoup plus en tant qu’acteur de la crise. Je suis le premier responsable du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) à Koumassi. Ce sont mes militants qui ont été blessés et tués. Donc je me sens concerné, et aux premières heures, j’ai été à leurs côtés pour apporter l’assistance nécessaire de la municipalité, j’ai assisté les familles de ceux qui sont décédés. Vous savez, quand nous sommes revenus, à un moment donné aussi tous les responsables du RHDP étaient obligés de se chercher, personne n’osait affronter les milices. Avec toutes ces armes qui circulaient, il fallait qu’on se mette à l’abri. Quand je suis revenu, la première des choses que j’ai faite, c’était de réunir tout le monde et de prier pour la mémoire de ceux qui sont décédés, de prier pour que ceux qui sont blessés aient la guérison et de remercier les jeunes qui se sont organisés pour servir d’interface entre la population et les milices. Ce qui a permis de limiter les dégâts, et puis ensemble nous l’avons fait parce que nous étions conscients de ce que la situation n’était pas bonne. Aujourd’hui, nous avons enregistré 110 décès, 260 blessés de toutes natures à la date du 14 mai 2011. Donc ce sont ces éléments qui nous situent sur ce que les gens ont subi, ce n’était pas facile. Les gens ont tout perdu, ils ont perdu la vie. Mais la vie doit continuer et nous devons faire en sorte qu’elle soit vivable pour chacun d’entre nous.
Vous êtes le premier responsable de la commune, quels sont les efforts que vous avez faits en faveur des militants de LMP de Koumassi ?
Il faut dire que nos contacts avec les militants de LMP (la majorité présidentielle, Ndlr) ne sont pas formels. Ceux qui se sont sentis dans l’insécurité et qui nous ont approché ont été mis en contact avec les FRCI pour que ceux-ci puissent les aider. Mais nous ne menons pas d’action spécifique en direction des militants de LMP. Par contre, quand nous appelons au pardon, nous y associons tout le monde. Quand nous demandons aux uns et autres de sortir de leurs cachettes pour qu’ils reviennent reprendre leurs activités dans la commune, nous nous adressons à tout le monde. Nous n’avons pas un plan spécifique pour le RHDP et un autre en direction de LMP. En plus, ce sont eux qui doivent nous approcher. Dans les tournées que nous avons effectuées, je remarque de plus en plus que la population verrait d’un bon œil que les militants de LMP expriment leurs regrets. Et nous attendons cela.
Pensez-vous que la réconciliation peut se faire avec des poursuites judiciaires contre les membres de l’ancien régime ?
Ceux qui ont à charge de gérer le dossier de la réconciliation ont dit qu’ils n’excluaient pas la justice. On peut se réconcilier après la justice, comme on peut se réconcilier sans qu’il y ait justice. Mais dans le cas de la Côte d’Ivoire, il faut reprendre les choses depuis leur début. Il y a eu trop d’appels. Ce ne sont pas des actions spontanées. Bien avant la date des élections, les structures qui étaient en charge du dossier, qui suivaient l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire, ont dit « attention ne faites pas ceci, si vous faites cela, demain il peut y avoir ceci ou cela ». Tout le monde a suivi l’appel de la Cour pénale internationale (CPI), tout le monde a suivi la mise en garde de l’ONU, tout le monde a suivi les mises en garde de l’UE. N’est-ce pas ceux-là que certains ont voulu affronter tous à la fois ? Mais quand vous affrontez tout le monde à un moment donné, il faut que vous vous justifiiez aussi. Il y a eu trop de morts gratuits, des décès qu’on aurait pu éviter et c’est ce qui rend nécessaire que la justice soit dite pour ceux qui ont bravé ces appels. Mais on ne peut pas, dans un pays qui veut se faire respecter, dans un pays qui cherche sa crédibilité au plan international, taire toutes ces tueries. Il y en a eu trop. Savez-vous que les miliciens continuent toujours de commettre des exaction?. On dit qu’ils ne sont plus à Abidjan, mais à l’Ouest, ils n’ont pas encore déposé les armes. Mais est-ce que vous avez entendu des responsables au plus haut niveau de ceux qui les ont recrutés, leur demander d’arrêter. Je n’ai pas écouté un appel du président du FPI, je n’ai pas écouté non plus un appel de l’ancien président de la République. Je n’ai pas entendu l’appel de sa toute-puissante épouse Simone Gbagbo avant qu’ils ne partent dans le nord du pays. Il faut que chacun assume sa responsabilité. Ils avaient la latitude de le faire. Si tel avait été leur désir, les moyens leur auraient été donnés pour lancer ce message pour que tout le monde retrouve la paix.
Le nouveau gouvernement est formé, sans le FPI. Quelles sont vos impressions ?
Personnellement, je recherche la concorde. Il aurait été bien que tout le monde vienne pour que le pays puisse bénéficier de toutes les compétences. Le FPI ne regorge pas que de méchants, il y a des gens qui ont des capacités pour aider à reconstruire le pays. Mais je remarque que chaque fois qu’il a été question de se mettre ensemble, le FPI a toujours fait faux bon. Houphouët-Boigny avait fait un appel de gouvernement d’union dans les années 1990. Le FPI a refusé. Bédié avait fait pareil. Vous vous rappelez que lorsque Francis Wodié et Zadi Zahourou sont rentrés au gouvernement, le FPI avait refusé. Le FPI veut à lui tout seul un gouvernement, pour des raisons que le FPI connait. Aujourd’hui, nous sommes à une étape cruciale de notre vie et véritablement, on a besoin que les gens oublient ce qui s’est passé et se mettent ensemble pour reconstruire le pays. Le FPI refuse et ils ont eux-mêmes les raisons de leur refus. Je ne peux pas me prononcer là-dessus, mais le FPI au gouvernement ou non, la Côte d’Ivoire peut bien marcher.
Que pensez-vous de la fusion des quatre partis membres du RHDP en un seul parti politique ?
Là-dessus, je ne peux pas me prononcer parce que le RHDP a des instances dirigeantes. Il y a la conférence des présidents et il y a aussi le directoire. La question est à l’étude, mais avant que les instances dirigeantes ne donnent leur position, permettez que je ne me prononce pas sur la question pour ne pas être en contradiction avec la décision que prendraient mes responsables. Nous militants, nous serons prêts à adhérer à la décision qui sera arrêtée.
La guerre est finie, Alassane Ouattara est le président de la République ; quels sont vos projets pour votre commune pour les mois à venir ?
Dans les mois à venir, il faut que nous continuions à prôner la réconciliation. Ensuite, nous avons des chantiers qui ont été arrêtés et il faut qu’on les reprenne. Il faut aussi que nous puissions avoir un budget pour faire le travail pour lequel nous avons été élus. Nous souhaitons véritablement que tout se rétablisse et que les maires aient tous les pouvoirs nécessaires pour accomplir leur mission, parce que nous avons été par moment beaucoup frustrés dans l’exécution de nos prérogatives en tant que maire.
Allez-vous être candidat à votre propre succession ?
Naturellement ! Cela serait un abandon de ma part et je n’ai pas pour habitude d’abandonner. J’ai commencé un travail et il faut que je continue mon travail. Je ne peux pas abandonner ma population aux mains de certaines personnes qui ne veulent que des postes électifs et puis après disparaître. Donc, je suis avec la population, je suis à ses cotés et je continue ma tâche. A moins qu’elle ne décide autre chose.
Que vous répondez-vous à ceux qui disent que le président Alassane Ouattara doit être jugé au même titre que l’ancien président Laurent Gbagbo, parce que les deux camps ont commis des crimes jugés graves ?
Je ne vois pas quelles exactions les forces d’Alassane Ouattara ont commises. Alassane Ouattara n’a pas recruté des mercenaires, il était le président légitime qui défendait la République contre ceux qui ont usurpé le pouvoir et recruté des mercenaires pour se maintenir au pouvoir. Les données ne sont pas les mêmes. Maintenant si dans l’exécution de leur mission, il y a des soldats qui ont commis des exactions, il a dit qu’il serait partant pour que ceux-ci soient jugés. Ce n’est pas Alassane Ouattara qui a recruté des Angolais, des Libériens et a fait de Yopougon un quartier sinistré à grande échelle. Quelle est sa responsabilité ?L’occupation de la base maritime avec les charniers découverts çà et là? Alassane Ouattara n’est pas mêlé à la mort de Kieffer, ni à l’enlèvement des étrangers à l’hôtel Novotel. Tous ces dossiers ont des responsables et ce sont ces responsables qui sont recherchés. Je crois que c’est un faux procès qu’on veut faire au président de la République, en voulant le mettre au même niveau de responsabilité que ceux qui ont fait sous nos yeux, ce que nous avons tous vu.
Certains vous accusent d’avoir fui au plus fort de la crise, abandonnant du coup votre population. Que repondez-vous ?
J’aimerais savoir combien de cadres RHDP étaient dans leurs maisons au plus fort de la crise. Je suis cadre du RHDP et j’étais recherché pour être tué. Qu’ils regardent autour d’eux pour voir si les cadres du FPI sont dans leurs maisons aujourd’hui. C’est l’instinct de survie ! Quand vous devez mourir, quand quelqu’un veut vous tuer, vous avez le droit d’échapper à votre adversaire ou bien de vous défendre. Et comme je n’avais pas les moyens pour me défendre, je me suis mis à l’abri pour qu’on ne me tue pas gratuitement. La population l’a bien compris, vous avez vu d’ailleurs comment elle m’a accueilli quand je suis revenu. Nous sommes à l’heure de la réconciliation, de l’oubli et du pardon. Je veux inviter tout le monde à l’humilité nécessaire. Il faut se remettre en cause, reconnaitre à quelque niveau que ce soit, sa responsabilité dans la grave crise que nous avons connue et demander pardon. Moi je le fais à chacune de mes sorties. Je demande pardon parce que je suis le maire d’une commune qui a connu des meurtrissures. Je ne peux pas dire que je suis au-dessus de tous et que je suis plus blanc que neige. Peut-être que dans les rapports que nous avons ici, nous n’avons pas suffisamment rassuré les uns et les autres en tant que premier magistrat. Je demande pardon pour cela et je voudrais inviter tout le monde à faire pareil, à se remettre en cause pour que nos fautes nous soient pardonnées, pour que nous puissions nous mettre ensemble pour reconstruire le pays.
Interview réalisée par Hervé KPODION et Ismaël DIABY
Légende : Le maire Raymond Yapi N’dohi appelle à la réconciliation de tous les fils et filles de la Côte d’Ivoire.
Monsieur le Maire, un mois après les violences post-électorales qui ont secoué Abidjan, quelle est la situation dans votre commune ?
La commune va très bien. Les activités ont repris normalement, la cohésion se consolide davantage, vous avez dû vous en apercevoir à travers les différentes sorties que nous avons faites. Je pense que cela augure d’un avenir meilleur et d’une cohabitation de plus en plus aisée entre les couches de la population. Nous avons quelques petits soucis au plan sécuritaire puisque le redéploiement des forces de l’ordre n’est pas effectif, les locaux des commissariats et les brigades de gendarmerie ne sont pas réhabilités. Mais pour l’essentiel, je dois dire que ça va. Vous constatez qu’à la mairie, les locaux ont été épargnés, les marchés aussi.
Qu’est-ce qui est fait concrètement pour réhabiliter les commissariats et les brigades de gendarmerie devant accueillir les forces de l`ordre ?
La sécurité n’est pas totalement absente. Même si les commissariats ne fonctionnent pas, vous voyez que des jeunes se sont organisés pour assurer la sécurité en harmonie avec les ex-FDS. Donc on peut dire que le redéploiement des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) à Koumassi est effectif. Mais si vous voulez une meilleure approche, pour une meilleure organisation, nous devons souhaiter que les locaux de la police et de la gendarmerie soient réhabilités et remis à disposition. Vous savez, ce sont des dégâts dont l’importance dépasse notre capacité en tant que municipalité. L’Etat s’y emploie et nous pensons que dans les jours qui suivent, quelque chose sera fait pour aider la commune. Nous avons vu passer ici des structures comme le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui s’intéresse à la question, nous avons vu aussi l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Vous savez que le président de la République fait de la sécurité une priorité, et nous pensons que quelque chose sera fait. L’initiative ne viendra pas de nous parce que nous n’avons pas les moyens.
Comment avez-vous vécu la crise postélectorale, et quelle analyse faites-vous ?
J’ai un sentiment de satisfaction. D’abord parce que les tueries à grande échelle ont cessé. Il y a encore quelques bandits, parce que vous savez qu’à la faveur de cette situation, les prisons ont été vidées, les prisonniers sont sortis avec des armes et des treillis, ils se confondent du coup avec les FRCI, ce qui fait dire à certains que les FRCI sont des pilleurs. C’est un aspect un peu sombre du tableau mais pour le reste, c’est une grande satisfaction. La Côte d’Ivoire renait. Aujourd’hui sur la scène internationale, tout le monde s’intéresse à la Côte d’Ivoire, cela ne s’observait plus parce que certains leaders étaient infréquentables. Aujourd’hui, tout le monde en Côte d’Ivoire est devenu fréquentable, nous avons retrouvé notre place sur l’échiquier international. Au plan national, l’assurance de la volonté du chef de l’Etat d’être au service de la population est donnée chaque jour. Vous vous imaginez, moi je suis maire et ma commune était envahie d’ordures. Depuis l’année 2010, on n’arrivait plus à ramasser les ordures puisque ce n’était pas la préoccupation de quelqu’un, et on n`avait pas les moyens pour le faire. Il a fallu créer des structures bidonnes pour chapeauter les maires en ce qui concerne le ramassage des ordures, et tout cela avait pour conséquence le retour des maladies qui ont été éradiquées depuis longtemps. Aujourd’hui, il y a des velléités de choléra, il fallait que véritablement tout cela cesse. Le chef de l’Etat, même à partir du Golf, a décrété des mesures d’urgence pour une valeur de 45 milliards de francs CFA. Et c’est avec ce concours là que toutes les ordures ont été enlevées. Il y a espoir depuis deux mois et les Ivoiriens reprennent confiance, les dénonciations ont commencé, des listes ont disparu de l’état-major des milices et nous sommes davantage rassurés. Nous prions toujours pour qu’on aille dans cette direction pour que véritablement la Côte d’Ivoire soit toujours le moteur de la sous-région, que la Côte d’Ivoire qui a été un pays envié continue de l’être. C’est notre souhait et depuis deux mois, nous vivons mieux.
Votre commune a été durement secouée par la crise, avez-vous un bilan en tant que premier magistrat, de ce qui s’est passé ?
Oui, en tant que premier magistrat et beaucoup plus en tant qu’acteur de la crise. Je suis le premier responsable du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) à Koumassi. Ce sont mes militants qui ont été blessés et tués. Donc je me sens concerné, et aux premières heures, j’ai été à leurs côtés pour apporter l’assistance nécessaire de la municipalité, j’ai assisté les familles de ceux qui sont décédés. Vous savez, quand nous sommes revenus, à un moment donné aussi tous les responsables du RHDP étaient obligés de se chercher, personne n’osait affronter les milices. Avec toutes ces armes qui circulaient, il fallait qu’on se mette à l’abri. Quand je suis revenu, la première des choses que j’ai faite, c’était de réunir tout le monde et de prier pour la mémoire de ceux qui sont décédés, de prier pour que ceux qui sont blessés aient la guérison et de remercier les jeunes qui se sont organisés pour servir d’interface entre la population et les milices. Ce qui a permis de limiter les dégâts, et puis ensemble nous l’avons fait parce que nous étions conscients de ce que la situation n’était pas bonne. Aujourd’hui, nous avons enregistré 110 décès, 260 blessés de toutes natures à la date du 14 mai 2011. Donc ce sont ces éléments qui nous situent sur ce que les gens ont subi, ce n’était pas facile. Les gens ont tout perdu, ils ont perdu la vie. Mais la vie doit continuer et nous devons faire en sorte qu’elle soit vivable pour chacun d’entre nous.
Vous êtes le premier responsable de la commune, quels sont les efforts que vous avez faits en faveur des militants de LMP de Koumassi ?
Il faut dire que nos contacts avec les militants de LMP (la majorité présidentielle, Ndlr) ne sont pas formels. Ceux qui se sont sentis dans l’insécurité et qui nous ont approché ont été mis en contact avec les FRCI pour que ceux-ci puissent les aider. Mais nous ne menons pas d’action spécifique en direction des militants de LMP. Par contre, quand nous appelons au pardon, nous y associons tout le monde. Quand nous demandons aux uns et autres de sortir de leurs cachettes pour qu’ils reviennent reprendre leurs activités dans la commune, nous nous adressons à tout le monde. Nous n’avons pas un plan spécifique pour le RHDP et un autre en direction de LMP. En plus, ce sont eux qui doivent nous approcher. Dans les tournées que nous avons effectuées, je remarque de plus en plus que la population verrait d’un bon œil que les militants de LMP expriment leurs regrets. Et nous attendons cela.
Pensez-vous que la réconciliation peut se faire avec des poursuites judiciaires contre les membres de l’ancien régime ?
Ceux qui ont à charge de gérer le dossier de la réconciliation ont dit qu’ils n’excluaient pas la justice. On peut se réconcilier après la justice, comme on peut se réconcilier sans qu’il y ait justice. Mais dans le cas de la Côte d’Ivoire, il faut reprendre les choses depuis leur début. Il y a eu trop d’appels. Ce ne sont pas des actions spontanées. Bien avant la date des élections, les structures qui étaient en charge du dossier, qui suivaient l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire, ont dit « attention ne faites pas ceci, si vous faites cela, demain il peut y avoir ceci ou cela ». Tout le monde a suivi l’appel de la Cour pénale internationale (CPI), tout le monde a suivi la mise en garde de l’ONU, tout le monde a suivi les mises en garde de l’UE. N’est-ce pas ceux-là que certains ont voulu affronter tous à la fois ? Mais quand vous affrontez tout le monde à un moment donné, il faut que vous vous justifiiez aussi. Il y a eu trop de morts gratuits, des décès qu’on aurait pu éviter et c’est ce qui rend nécessaire que la justice soit dite pour ceux qui ont bravé ces appels. Mais on ne peut pas, dans un pays qui veut se faire respecter, dans un pays qui cherche sa crédibilité au plan international, taire toutes ces tueries. Il y en a eu trop. Savez-vous que les miliciens continuent toujours de commettre des exaction?. On dit qu’ils ne sont plus à Abidjan, mais à l’Ouest, ils n’ont pas encore déposé les armes. Mais est-ce que vous avez entendu des responsables au plus haut niveau de ceux qui les ont recrutés, leur demander d’arrêter. Je n’ai pas écouté un appel du président du FPI, je n’ai pas écouté non plus un appel de l’ancien président de la République. Je n’ai pas entendu l’appel de sa toute-puissante épouse Simone Gbagbo avant qu’ils ne partent dans le nord du pays. Il faut que chacun assume sa responsabilité. Ils avaient la latitude de le faire. Si tel avait été leur désir, les moyens leur auraient été donnés pour lancer ce message pour que tout le monde retrouve la paix.
Le nouveau gouvernement est formé, sans le FPI. Quelles sont vos impressions ?
Personnellement, je recherche la concorde. Il aurait été bien que tout le monde vienne pour que le pays puisse bénéficier de toutes les compétences. Le FPI ne regorge pas que de méchants, il y a des gens qui ont des capacités pour aider à reconstruire le pays. Mais je remarque que chaque fois qu’il a été question de se mettre ensemble, le FPI a toujours fait faux bon. Houphouët-Boigny avait fait un appel de gouvernement d’union dans les années 1990. Le FPI a refusé. Bédié avait fait pareil. Vous vous rappelez que lorsque Francis Wodié et Zadi Zahourou sont rentrés au gouvernement, le FPI avait refusé. Le FPI veut à lui tout seul un gouvernement, pour des raisons que le FPI connait. Aujourd’hui, nous sommes à une étape cruciale de notre vie et véritablement, on a besoin que les gens oublient ce qui s’est passé et se mettent ensemble pour reconstruire le pays. Le FPI refuse et ils ont eux-mêmes les raisons de leur refus. Je ne peux pas me prononcer là-dessus, mais le FPI au gouvernement ou non, la Côte d’Ivoire peut bien marcher.
Que pensez-vous de la fusion des quatre partis membres du RHDP en un seul parti politique ?
Là-dessus, je ne peux pas me prononcer parce que le RHDP a des instances dirigeantes. Il y a la conférence des présidents et il y a aussi le directoire. La question est à l’étude, mais avant que les instances dirigeantes ne donnent leur position, permettez que je ne me prononce pas sur la question pour ne pas être en contradiction avec la décision que prendraient mes responsables. Nous militants, nous serons prêts à adhérer à la décision qui sera arrêtée.
La guerre est finie, Alassane Ouattara est le président de la République ; quels sont vos projets pour votre commune pour les mois à venir ?
Dans les mois à venir, il faut que nous continuions à prôner la réconciliation. Ensuite, nous avons des chantiers qui ont été arrêtés et il faut qu’on les reprenne. Il faut aussi que nous puissions avoir un budget pour faire le travail pour lequel nous avons été élus. Nous souhaitons véritablement que tout se rétablisse et que les maires aient tous les pouvoirs nécessaires pour accomplir leur mission, parce que nous avons été par moment beaucoup frustrés dans l’exécution de nos prérogatives en tant que maire.
Allez-vous être candidat à votre propre succession ?
Naturellement ! Cela serait un abandon de ma part et je n’ai pas pour habitude d’abandonner. J’ai commencé un travail et il faut que je continue mon travail. Je ne peux pas abandonner ma population aux mains de certaines personnes qui ne veulent que des postes électifs et puis après disparaître. Donc, je suis avec la population, je suis à ses cotés et je continue ma tâche. A moins qu’elle ne décide autre chose.
Que vous répondez-vous à ceux qui disent que le président Alassane Ouattara doit être jugé au même titre que l’ancien président Laurent Gbagbo, parce que les deux camps ont commis des crimes jugés graves ?
Je ne vois pas quelles exactions les forces d’Alassane Ouattara ont commises. Alassane Ouattara n’a pas recruté des mercenaires, il était le président légitime qui défendait la République contre ceux qui ont usurpé le pouvoir et recruté des mercenaires pour se maintenir au pouvoir. Les données ne sont pas les mêmes. Maintenant si dans l’exécution de leur mission, il y a des soldats qui ont commis des exactions, il a dit qu’il serait partant pour que ceux-ci soient jugés. Ce n’est pas Alassane Ouattara qui a recruté des Angolais, des Libériens et a fait de Yopougon un quartier sinistré à grande échelle. Quelle est sa responsabilité ?L’occupation de la base maritime avec les charniers découverts çà et là? Alassane Ouattara n’est pas mêlé à la mort de Kieffer, ni à l’enlèvement des étrangers à l’hôtel Novotel. Tous ces dossiers ont des responsables et ce sont ces responsables qui sont recherchés. Je crois que c’est un faux procès qu’on veut faire au président de la République, en voulant le mettre au même niveau de responsabilité que ceux qui ont fait sous nos yeux, ce que nous avons tous vu.
Certains vous accusent d’avoir fui au plus fort de la crise, abandonnant du coup votre population. Que repondez-vous ?
J’aimerais savoir combien de cadres RHDP étaient dans leurs maisons au plus fort de la crise. Je suis cadre du RHDP et j’étais recherché pour être tué. Qu’ils regardent autour d’eux pour voir si les cadres du FPI sont dans leurs maisons aujourd’hui. C’est l’instinct de survie ! Quand vous devez mourir, quand quelqu’un veut vous tuer, vous avez le droit d’échapper à votre adversaire ou bien de vous défendre. Et comme je n’avais pas les moyens pour me défendre, je me suis mis à l’abri pour qu’on ne me tue pas gratuitement. La population l’a bien compris, vous avez vu d’ailleurs comment elle m’a accueilli quand je suis revenu. Nous sommes à l’heure de la réconciliation, de l’oubli et du pardon. Je veux inviter tout le monde à l’humilité nécessaire. Il faut se remettre en cause, reconnaitre à quelque niveau que ce soit, sa responsabilité dans la grave crise que nous avons connue et demander pardon. Moi je le fais à chacune de mes sorties. Je demande pardon parce que je suis le maire d’une commune qui a connu des meurtrissures. Je ne peux pas dire que je suis au-dessus de tous et que je suis plus blanc que neige. Peut-être que dans les rapports que nous avons ici, nous n’avons pas suffisamment rassuré les uns et les autres en tant que premier magistrat. Je demande pardon pour cela et je voudrais inviter tout le monde à faire pareil, à se remettre en cause pour que nos fautes nous soient pardonnées, pour que nous puissions nous mettre ensemble pour reconstruire le pays.
Interview réalisée par Hervé KPODION et Ismaël DIABY
Légende : Le maire Raymond Yapi N’dohi appelle à la réconciliation de tous les fils et filles de la Côte d’Ivoire.