Après la Côtière, nous avons remis le couvert sur l'axe Abidjan-Odienné où le racket bat son plein. Nous avons parcouru 19 heures de route avec les « victimes ». Et notre constat leur donne raison.
Jeudi 30 juin 2011. Il est exactement 8 h quand le car de la compagnie Alliance des transports et du tourisme (ATT) que nous empruntons quitte la nouvelle gare d'Adjamé, sous une pluie battante, en direction d'Odienné. Nous espérions parcourir les 800 km qui séparent Abidjan de cette ville avant la tombée de la nuit. Habituellement, nous a-t-on appris, cette distance est parcourue en moins de dix heures de route. Mais déjà, au corridor de Gesco, nous en aurons pour une heure. Deux agents, habillés d'imperméables couleur treillis, sifflent le conducteur qui obtempère mais refuse de descendre sous la pluie. « Tiens mes pièces, contrôle-les ici, je ne vais pas descendre sous la pluie », pose notre chauffeur comme préalable à l'agent, qui n'admet pas cette remarque en public. Il tient alors à ce que le chauffeur ou son apprenti descende. Mais comme ces deux derniers résistent, l'agent Frci part tout simplement avec les pièces. Au bout d'une quarantaine de minutes, les grosses gouttes cèdent à une fine pluie, le chauffeur envoie son apprenti chercher la pièce contre deux mille francs CFA. Le jeune homme court et revient moins de cinq minutes plus tard avec les documents afférents au véhicule.
Des barrages intempestifs
Passé le corridor de Gesco, nous aurons affaire juste après le pont à péage en construction, précisément aux alentours de PK38 au premier poste de peloton mobile. L'un des trois gendarmes postés là, réclame les pièces du véhicule et les scrute minutieusement. Espérait-il, y déceler une anomalie ? Toujours est-il qu'au bout de dix minutes, il remet les pièces. Il n'a rien formellement demandé et le chauffeur qui est lui-même descendu du véhicule pour le rejoindre n'a rien déboursé. Entre ce poste et le corridor de Divo, nous avons eu à franchir onze barrages dont les plus durs sont ceux de Tiassalé et de Divo où devant la base de la compagnie républicaine « Emile Boga Doudou », les Frci rackettent sans ménagement les transporteurs. A ce niveau, nous avons vu un agent répondant du sobriquet « Rougeau », exiger des conducteurs la somme de 1000 FCFA avant de lever la herse. Pour lui, peu importe l'embouteillage qu'il crée à la sortie de la ville de Divo.
Mais en réalité, l'attitude de « Rougeau », n'illustrait que les prémices d'un trajet particulièrement long et désagréable du point de vue du racket. Au corridor de Lakota que nous atteignons à 14 heures, un agent Frci fait passer les passagers à la caisse. Les hommes se farfouillent les poches, suivis des femmes mais aussi des vieillards à bord du car de 70 places. Personne n'est épargnée. Près de 14.000 FCFA ont été recueillis. Chacun espérait secrètement ne plus avoir à passer à la caisse. Une heure après, nous sommes au corridor de Gagnoa, les passagers ne seront pas du tout inquiétés. Mais le chauffeur lui devra débourser 2.000 FCFA pour la police et la douane et 5.000 FCFA pour les Frci, au titre d'un ticket de traverse.
Le racket au détriment du contrôle des pièces
Au corridor de sortie du département d'Issia, les Frci exigent à ce poste que le chauffeur prenne un laissez-passer à 3.000 FCFA. Mais ce dernier qui tient en main déjà un laissez-passer qu'il venait de payer à Gagnoa à moins de 80 km, refuse de s'exécuter. Le car est alors bloqué. Le temps passe. Nous sommes obligés de nous présenter aux éléments de ce poste et chercher à comprendre le bien-fondé de ces multiples tickets de traverse. « Ah ! Vous êtes journalistes ok, ça tombe bien. Vous allez nous aider à faire comprendre aux transporteurs que nous ne sommes pas payés et que nous vivons de ces tickets. Nous n'avons pas pris les armes pour être malheureux, on est né d'une femme aussi », lance l'élément des Frci, sans gêne. Peut-être, a-t-il pensé que nous voyageons pour une autre raison que, justement, le sujet qu'il abordait si bien. « Est-ce que vous savez comment on mange et comment on se soigne pour assurer votre sécurité ? », poursuit-il avec une colère retenue. Il fallait partir, et le chauffeur n'a eu d'autres choix que de payer la taxe réclamée.
Dès que nous reprenons la route, le chauffeur nous explique qu'un vieil homme a été rudoyé, il y a un mois à ce poste, parce qu'il avait refusé de payer 200 FCFA que lui réclamait un élément des Frci. Les passagers en colère, notamment des femmes, ont alors fait un sit-in devant ce corridor, obligeant les autorités militaires locales à intervenir. « Depuis ce jour, à ce poste, aucun Frci ne réclame un sou à personne », nous explique notre chauffeur. D'Issia à Duékoué, nous avons parcouru les 96 km sans rencontrer pratiquement de barrages. Seul un détachement du commandement supérieur y est passé faire le ménage. Les barrages sauvages de Godoguhé, Guessaho, Dibobly ont dû être démantelés avant notre arrivée. Mais l'autre gros morceau, c'est bien les corridors entrée et sortie de Duékoué. Là aussi, les hommes du commandant Konda marquent leur territoire par l'imposition d'un laissez-passer qui revient à 5000 FCFA. Ce fameux ticket se prend à la rentrée. A la sortie, les transporteurs se voient encore imposé un ticket dit « sécurité » à 1000 FCFA. Renseignement pris auprès de ces éléments, les routes de Duékoué étaient le champ des coupeurs de route. « Il y avait presque chaque jour des coupeurs de route sur cet axe, mais depuis que nous sommes présents, on attend plus parler de ça. Mais en retour, il faut que les chauffeurs nous permettent de continuer d'assurer cette sécurité », explique un élément de cette zone. En effet, dès que nous avons entamé la route pour Logoualé en direction de Man, il était 20 h 30, et nous avons aperçu des éléments du commandant Konda, assurant une veille sécuritaire à la sortie du département.
De Duékoué à Logoualé, le chauffeur marque sa surprise de constater que les barrages intermédiaires ont tous été levés. Le fameux laissez-passer de 15.000 FCFA, imposé par le commandant Losséni à tous les transporteurs passant par-là, ne se paye plus à Logoualé mais au corridor d'entrée de Man. Sur ce ticket, il est mentionné : «Forces Nouvelles de Côte d'Ivoire : Laissez-passer marchandises ». Un document en désuétude et d'une nullité institutionnelle que les éléments en poste au corridor continuent de défendre, armes au poing. Toujours est-il que de Man à Odienné, le parcours est parsemé de douze autres barrages traversant les villes de Biankouma, et de Touba.
Partis d'Abidjan à 8 h le jeudi 30 juin, ce n'est que le lendemain vendredi 1er juillet à 4 h du matin que nous rentrerons dans la ville d'Odienné. Soit 19 h de route parsemée de 28 postes de racket. Aucun passager n'a été contrôlé, ni retenu à aucun poste pour aucun délit. Mais tous ont dû payer à certains postes, le « droit de passage » aux Frci. Le chauffeur qui avait également tous les documents afférents à son véhicule a payé au finish 120. 000 F CFA. Non seulement, tout le monde a eu à délier la bourse mais nous avons passé presque deux jours pour aller d'Abidjan à Odienné sur le même territoire national. Comment garantir la fluidité routière dans ces conditions ?
Alexandre Lebel Ilboudo (Envoyé spécial à Odienné)
Jeudi 30 juin 2011. Il est exactement 8 h quand le car de la compagnie Alliance des transports et du tourisme (ATT) que nous empruntons quitte la nouvelle gare d'Adjamé, sous une pluie battante, en direction d'Odienné. Nous espérions parcourir les 800 km qui séparent Abidjan de cette ville avant la tombée de la nuit. Habituellement, nous a-t-on appris, cette distance est parcourue en moins de dix heures de route. Mais déjà, au corridor de Gesco, nous en aurons pour une heure. Deux agents, habillés d'imperméables couleur treillis, sifflent le conducteur qui obtempère mais refuse de descendre sous la pluie. « Tiens mes pièces, contrôle-les ici, je ne vais pas descendre sous la pluie », pose notre chauffeur comme préalable à l'agent, qui n'admet pas cette remarque en public. Il tient alors à ce que le chauffeur ou son apprenti descende. Mais comme ces deux derniers résistent, l'agent Frci part tout simplement avec les pièces. Au bout d'une quarantaine de minutes, les grosses gouttes cèdent à une fine pluie, le chauffeur envoie son apprenti chercher la pièce contre deux mille francs CFA. Le jeune homme court et revient moins de cinq minutes plus tard avec les documents afférents au véhicule.
Des barrages intempestifs
Passé le corridor de Gesco, nous aurons affaire juste après le pont à péage en construction, précisément aux alentours de PK38 au premier poste de peloton mobile. L'un des trois gendarmes postés là, réclame les pièces du véhicule et les scrute minutieusement. Espérait-il, y déceler une anomalie ? Toujours est-il qu'au bout de dix minutes, il remet les pièces. Il n'a rien formellement demandé et le chauffeur qui est lui-même descendu du véhicule pour le rejoindre n'a rien déboursé. Entre ce poste et le corridor de Divo, nous avons eu à franchir onze barrages dont les plus durs sont ceux de Tiassalé et de Divo où devant la base de la compagnie républicaine « Emile Boga Doudou », les Frci rackettent sans ménagement les transporteurs. A ce niveau, nous avons vu un agent répondant du sobriquet « Rougeau », exiger des conducteurs la somme de 1000 FCFA avant de lever la herse. Pour lui, peu importe l'embouteillage qu'il crée à la sortie de la ville de Divo.
Mais en réalité, l'attitude de « Rougeau », n'illustrait que les prémices d'un trajet particulièrement long et désagréable du point de vue du racket. Au corridor de Lakota que nous atteignons à 14 heures, un agent Frci fait passer les passagers à la caisse. Les hommes se farfouillent les poches, suivis des femmes mais aussi des vieillards à bord du car de 70 places. Personne n'est épargnée. Près de 14.000 FCFA ont été recueillis. Chacun espérait secrètement ne plus avoir à passer à la caisse. Une heure après, nous sommes au corridor de Gagnoa, les passagers ne seront pas du tout inquiétés. Mais le chauffeur lui devra débourser 2.000 FCFA pour la police et la douane et 5.000 FCFA pour les Frci, au titre d'un ticket de traverse.
Le racket au détriment du contrôle des pièces
Au corridor de sortie du département d'Issia, les Frci exigent à ce poste que le chauffeur prenne un laissez-passer à 3.000 FCFA. Mais ce dernier qui tient en main déjà un laissez-passer qu'il venait de payer à Gagnoa à moins de 80 km, refuse de s'exécuter. Le car est alors bloqué. Le temps passe. Nous sommes obligés de nous présenter aux éléments de ce poste et chercher à comprendre le bien-fondé de ces multiples tickets de traverse. « Ah ! Vous êtes journalistes ok, ça tombe bien. Vous allez nous aider à faire comprendre aux transporteurs que nous ne sommes pas payés et que nous vivons de ces tickets. Nous n'avons pas pris les armes pour être malheureux, on est né d'une femme aussi », lance l'élément des Frci, sans gêne. Peut-être, a-t-il pensé que nous voyageons pour une autre raison que, justement, le sujet qu'il abordait si bien. « Est-ce que vous savez comment on mange et comment on se soigne pour assurer votre sécurité ? », poursuit-il avec une colère retenue. Il fallait partir, et le chauffeur n'a eu d'autres choix que de payer la taxe réclamée.
Dès que nous reprenons la route, le chauffeur nous explique qu'un vieil homme a été rudoyé, il y a un mois à ce poste, parce qu'il avait refusé de payer 200 FCFA que lui réclamait un élément des Frci. Les passagers en colère, notamment des femmes, ont alors fait un sit-in devant ce corridor, obligeant les autorités militaires locales à intervenir. « Depuis ce jour, à ce poste, aucun Frci ne réclame un sou à personne », nous explique notre chauffeur. D'Issia à Duékoué, nous avons parcouru les 96 km sans rencontrer pratiquement de barrages. Seul un détachement du commandement supérieur y est passé faire le ménage. Les barrages sauvages de Godoguhé, Guessaho, Dibobly ont dû être démantelés avant notre arrivée. Mais l'autre gros morceau, c'est bien les corridors entrée et sortie de Duékoué. Là aussi, les hommes du commandant Konda marquent leur territoire par l'imposition d'un laissez-passer qui revient à 5000 FCFA. Ce fameux ticket se prend à la rentrée. A la sortie, les transporteurs se voient encore imposé un ticket dit « sécurité » à 1000 FCFA. Renseignement pris auprès de ces éléments, les routes de Duékoué étaient le champ des coupeurs de route. « Il y avait presque chaque jour des coupeurs de route sur cet axe, mais depuis que nous sommes présents, on attend plus parler de ça. Mais en retour, il faut que les chauffeurs nous permettent de continuer d'assurer cette sécurité », explique un élément de cette zone. En effet, dès que nous avons entamé la route pour Logoualé en direction de Man, il était 20 h 30, et nous avons aperçu des éléments du commandant Konda, assurant une veille sécuritaire à la sortie du département.
De Duékoué à Logoualé, le chauffeur marque sa surprise de constater que les barrages intermédiaires ont tous été levés. Le fameux laissez-passer de 15.000 FCFA, imposé par le commandant Losséni à tous les transporteurs passant par-là, ne se paye plus à Logoualé mais au corridor d'entrée de Man. Sur ce ticket, il est mentionné : «Forces Nouvelles de Côte d'Ivoire : Laissez-passer marchandises ». Un document en désuétude et d'une nullité institutionnelle que les éléments en poste au corridor continuent de défendre, armes au poing. Toujours est-il que de Man à Odienné, le parcours est parsemé de douze autres barrages traversant les villes de Biankouma, et de Touba.
Partis d'Abidjan à 8 h le jeudi 30 juin, ce n'est que le lendemain vendredi 1er juillet à 4 h du matin que nous rentrerons dans la ville d'Odienné. Soit 19 h de route parsemée de 28 postes de racket. Aucun passager n'a été contrôlé, ni retenu à aucun poste pour aucun délit. Mais tous ont dû payer à certains postes, le « droit de passage » aux Frci. Le chauffeur qui avait également tous les documents afférents à son véhicule a payé au finish 120. 000 F CFA. Non seulement, tout le monde a eu à délier la bourse mais nous avons passé presque deux jours pour aller d'Abidjan à Odienné sur le même territoire national. Comment garantir la fluidité routière dans ces conditions ?
Alexandre Lebel Ilboudo (Envoyé spécial à Odienné)