Le vendredi 5 août 2011, toute la Côte d’Ivoire se réveillait avec un drame provoqué par l’un des bus (de type Tata) de la ligne 19 (Vridi-Adjamé) qui a plongé dans la lagune du pont Houphouët-Boigny : bilan provisoire 53 morts avec la découverte du corps du conducteur, Kouakou Assemian Pierre, une semaine plus tard. Nous avons emprunté l’un des bus – un Tata de cette ligne qui continue de susciter des commentaires. Reportage.
Samedi 13 août 2011, en provenance de la commune de Koumassi, nous nous empressons de rejoindre le terminus de la ligne 19 et faire le même trajet que le bus de la mort immatriculé 7006 EU 01. A Port-Bouët où nous arrivons à 7h30mn pour rallier le terminus situé à l’angle de la Sir (Vridi-Iran) à environ cinq kilomètres de là, les taxis communaux observent une grève, à la suite d’un grave accident intervenu quelques heures plus tôt entre l’un de leur collègue et un camion de sable. C’est ainsi que nous nous engouffrons dans un autre Tata de la ligne 17 immatriculé 1722 EQ 01 qui venait juste d’arriver à son arrêt situé derrière le nouveau bâtiment en construction de l’hôtel communal de Port-Bouët. Nous faisons croire au machiniste que nous ne maîtrisons pas le parcours et le supplions de nous laisser au niveau du terminus de la ligne 19. « Adressez-vous aux passagers qui vous l’indiqueront au moment opportun », nous coupe-t-il. Mais déjà dans le bus à l’intérieur duquel plusieurs dizaines de personnes ont pris place, il était quand même difficile de se frayer un chemin. N’empêche ! Nous nous accrochons à un fer juste derrière le chauffeur. Mais un fait marquant. La plupart des passagers, le téléphone à l’oreille informent des proches de leur position : « Je suis dans le (bus) 17 ». Un autre de compléter : « On ne sait jamais » Une quinzaine de minutes plus tard, nous voilà à quelques mètres du terminus qui s’offre à nous, à travers l’arrêt au niveau de la Sir. Un des passagers nous fait signe de descendre en nous indiquant que c’est juste devant et que le box avec des agents aux badges de la Sotra fait office de terminus. Une fois sur les lieux nous fonçons sur ledit box.
L’attente
Deux bancs placés juste devant le box font office de siège pour les premiers passagers en attente. Avant notre arrivée, un bus « 19 » quittait le terminus. Après les civilités avec le commis régulateur et ses collaborateurs, nous déclinons notre identité et l’objet de notre présence matinale en ces lieux. A la question de savoir si la fréquence des passagers et des bus a été réduite du fait du vendredi noir, M.S., ancien machiniste rétorque : « Rien n’a changé. Vous savez, les Ivoiriens sont croyants et extériorisent à travers l’humour. Vous verrez lors du parcours », nous rassure-t-il. Nous sommes le premier sur les deux bancs. Juste à côté de nous, un travailleur de nuit qui vient de descendre du boulot. Il justifie ce léger retard qui fait que jusqu’à 8h, il est encore à Vridi : « Je devais faire vérifier des notes à ma hiérarchie ». Evoquant le drame du vendredi, il révèle que certains de ses collègues ont échappé à la catastrophe, parce qu’ils trainaient les pas ce vendredi 5 août. Au moment de leur arrivée, le bus de la mort avait déjà fait le rond-point pour s’en aller. Contrairement à leur habitude, ils n’ont pas poursuivi le bus pour supplier le machiniste de s’arrêter. Ils ont attendu les minicars qui squattent la même ligne. Au cours de notre conversation, un de ces minicars se pointe. Sans hésiter, il quitte le rang pour prendre place à bord tout comme de nombreux travailleurs et commerçants qui attendaient du côté de la clôture de la Sir. Les dix minutes suivantes, à savoir à 8h20mn, le bus Tata immatriculé 5453 EU 01 (2766-3 numéro dépôt) arrive. Il décharge ses derniers clients. L’un des agents à terre débute la vente des tickets. L’un des agents avec qui nous avons sympathisé se propose d’aller payer notre ticket après que nous lui ayons remis les 200 FCfa (deux cents francs Cfa) qui représentent le prix du ticket. Muni de ce sésame marqué 13/8/11 08 :54 ; 19/2070 169 2613, nous embarquons le premier. Le rang formé par les clients suit le mouvement. Ce sont au total trente et neuf (39) passagers dont vingt-neuf (29) assis qui prennent place à bord du bus. La minute qui suit, K.C. le machiniste, fait vrombir son moteur. Et là, ce sont des signes de croix discrets et des prières de certains passagers qui attirent notre attention. Avant d’amorcer la voie cahoteuse pour remonter sur le bitume, un « titrologue » venu s’enquérir de l’actualité devant un kiosque à journaux, lance à l’endroit de l’une de ses parentes assise vers la baie vitrée : « Que Dieu vous accompagne ». « Amen », répond-elle. Le premier arrêt au niveau de la Sir permet de récupérer, une dame qui a dû courir tout comme deux jeunes gens pour arriver à temps. Tout au long du parcours, jusqu’au boulevard du port et à l’arrêt avant la direction générale du port autonome d’Abidjan, l’atmosphère semble lourde, personne n’ose dire mot, à part des conversations de courte durée. A l’exception de deux passagers qui ont prévenu leurs proches de leur présence dans le bus 19. Mais les deux derniers arrêts avant la montée du pont Houphouët-Boigny, notamment celui du Commissariat du Port-Rue du Havre et celui que le 19 partage avec le 07, 10 et 32, où un important nombre de passagers (une dizaine au total) accèdent au bus, les visages changent d’un coup. « Nous allons monter sur le pont. Eh Dieu ! », susurre une dame
La traversée du pont Houphouët-Boigny
Le machiniste prend des précautions dans la petite descente qui lui permet d’emprunter la bretelle faisant face à la formation sanitaire située juste là. Mais là, Mlle Diagne (vendeuse de boddy à Vridi-plage), qui était en compagnie de l’une de ses camarades, s’agrippe au fer juste à côté de notre siège. Nous voilà sur le pont Félix Houphouët-Boigny à 9h 05mn. Après un petit vrombissement, Kouassi Claude change de vitesse. Une dame lance : « Nous sommes sur le pont ». Notre voisin de derrière, encore sous le choc, implore le Tout puissant pour le repos de l’âme des disparus. Au moins une demi-douzaine d’individus détournent leur regard. Certains s’accrochent plus que jamais au fer. Une commerçante qui était assise adossée à un siège depuis Vridi, crie : « C’est ici, Oh Seigneur ! » Une des passagères que nous avons particulièrement suivie ferme les yeux, le temps de la traversée. Certains soutiennent que tous les corps n’ont pas encore été retrouvés que les recherches doivent se poursuivre. Deux voisines, visiblement des connaissances de longue date ou membres d’une même famille, ont interrompu leur conversation le temps de la traversée. A 9h06mn57secondes, à la descente du pont, un travailleur s’écrie : « Ouf ! » C’est clair, les 112 secondes (1mn 52 secondes) qu’a durée la traversée du pont Félix Houphouët-Boigny ont constitué pour certains passagers une éternité. Au Plateau, sur le site propre de la Sotra, tout se passe comme sur des roulettes avec des descentes et des montées du premier arrêt, devant le score, à 9h09mn en passant par la Sorbonne, Longchamp, boulevard cadre (immeuble Sogefhia), à la cité administrative, à l’état-major. En huit (8) minutes, nous voilà sur le boulevard Nangui Abrogoua, à Adjamé avec le premier arrêt devant la mairie. Dégagé et surveillé par des éléments de Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), nous mettons seulement cinq minutes pour parcourir, ce long trajet. Au dernier coup de frein de Kouassi Claude à 9h24mn au sein de la gare nord d’Adjamé (terminus), c’est le soulagement collectif. « Merci chauffeur et surtout Dieu merci que nous soyons arrivés à bon port. Et je veux que cela soit ainsi pour tous les passagers des bus et des autres moyens de transport », relève une femme. Quant au machiniste, il nous fait le point de ses deux premiers voyages. « Ça se passe bien. Bon ! avec ce qui s’est passé le vendredi 5 août, nous portons encore le deuil, nous qui sommes sur la ligne. Mais bon ! Il faut bien que nous travaillions », nous explique Kouassi Claude qui a déjà quatre années d’expérience en tant que machiniste à la Sotra. A 9h30mn lorsque nous quittions définitivement le bus Tata 2766-3, nous étions soulagé que rien de malheureux ne se soit passé sur la ligne. Le vendredi 5 août n’avait pas pour le moment eu d’influence majeure sur la fréquentation.
M’BRA Konan
Samedi 13 août 2011, en provenance de la commune de Koumassi, nous nous empressons de rejoindre le terminus de la ligne 19 et faire le même trajet que le bus de la mort immatriculé 7006 EU 01. A Port-Bouët où nous arrivons à 7h30mn pour rallier le terminus situé à l’angle de la Sir (Vridi-Iran) à environ cinq kilomètres de là, les taxis communaux observent une grève, à la suite d’un grave accident intervenu quelques heures plus tôt entre l’un de leur collègue et un camion de sable. C’est ainsi que nous nous engouffrons dans un autre Tata de la ligne 17 immatriculé 1722 EQ 01 qui venait juste d’arriver à son arrêt situé derrière le nouveau bâtiment en construction de l’hôtel communal de Port-Bouët. Nous faisons croire au machiniste que nous ne maîtrisons pas le parcours et le supplions de nous laisser au niveau du terminus de la ligne 19. « Adressez-vous aux passagers qui vous l’indiqueront au moment opportun », nous coupe-t-il. Mais déjà dans le bus à l’intérieur duquel plusieurs dizaines de personnes ont pris place, il était quand même difficile de se frayer un chemin. N’empêche ! Nous nous accrochons à un fer juste derrière le chauffeur. Mais un fait marquant. La plupart des passagers, le téléphone à l’oreille informent des proches de leur position : « Je suis dans le (bus) 17 ». Un autre de compléter : « On ne sait jamais » Une quinzaine de minutes plus tard, nous voilà à quelques mètres du terminus qui s’offre à nous, à travers l’arrêt au niveau de la Sir. Un des passagers nous fait signe de descendre en nous indiquant que c’est juste devant et que le box avec des agents aux badges de la Sotra fait office de terminus. Une fois sur les lieux nous fonçons sur ledit box.
L’attente
Deux bancs placés juste devant le box font office de siège pour les premiers passagers en attente. Avant notre arrivée, un bus « 19 » quittait le terminus. Après les civilités avec le commis régulateur et ses collaborateurs, nous déclinons notre identité et l’objet de notre présence matinale en ces lieux. A la question de savoir si la fréquence des passagers et des bus a été réduite du fait du vendredi noir, M.S., ancien machiniste rétorque : « Rien n’a changé. Vous savez, les Ivoiriens sont croyants et extériorisent à travers l’humour. Vous verrez lors du parcours », nous rassure-t-il. Nous sommes le premier sur les deux bancs. Juste à côté de nous, un travailleur de nuit qui vient de descendre du boulot. Il justifie ce léger retard qui fait que jusqu’à 8h, il est encore à Vridi : « Je devais faire vérifier des notes à ma hiérarchie ». Evoquant le drame du vendredi, il révèle que certains de ses collègues ont échappé à la catastrophe, parce qu’ils trainaient les pas ce vendredi 5 août. Au moment de leur arrivée, le bus de la mort avait déjà fait le rond-point pour s’en aller. Contrairement à leur habitude, ils n’ont pas poursuivi le bus pour supplier le machiniste de s’arrêter. Ils ont attendu les minicars qui squattent la même ligne. Au cours de notre conversation, un de ces minicars se pointe. Sans hésiter, il quitte le rang pour prendre place à bord tout comme de nombreux travailleurs et commerçants qui attendaient du côté de la clôture de la Sir. Les dix minutes suivantes, à savoir à 8h20mn, le bus Tata immatriculé 5453 EU 01 (2766-3 numéro dépôt) arrive. Il décharge ses derniers clients. L’un des agents à terre débute la vente des tickets. L’un des agents avec qui nous avons sympathisé se propose d’aller payer notre ticket après que nous lui ayons remis les 200 FCfa (deux cents francs Cfa) qui représentent le prix du ticket. Muni de ce sésame marqué 13/8/11 08 :54 ; 19/2070 169 2613, nous embarquons le premier. Le rang formé par les clients suit le mouvement. Ce sont au total trente et neuf (39) passagers dont vingt-neuf (29) assis qui prennent place à bord du bus. La minute qui suit, K.C. le machiniste, fait vrombir son moteur. Et là, ce sont des signes de croix discrets et des prières de certains passagers qui attirent notre attention. Avant d’amorcer la voie cahoteuse pour remonter sur le bitume, un « titrologue » venu s’enquérir de l’actualité devant un kiosque à journaux, lance à l’endroit de l’une de ses parentes assise vers la baie vitrée : « Que Dieu vous accompagne ». « Amen », répond-elle. Le premier arrêt au niveau de la Sir permet de récupérer, une dame qui a dû courir tout comme deux jeunes gens pour arriver à temps. Tout au long du parcours, jusqu’au boulevard du port et à l’arrêt avant la direction générale du port autonome d’Abidjan, l’atmosphère semble lourde, personne n’ose dire mot, à part des conversations de courte durée. A l’exception de deux passagers qui ont prévenu leurs proches de leur présence dans le bus 19. Mais les deux derniers arrêts avant la montée du pont Houphouët-Boigny, notamment celui du Commissariat du Port-Rue du Havre et celui que le 19 partage avec le 07, 10 et 32, où un important nombre de passagers (une dizaine au total) accèdent au bus, les visages changent d’un coup. « Nous allons monter sur le pont. Eh Dieu ! », susurre une dame
La traversée du pont Houphouët-Boigny
Le machiniste prend des précautions dans la petite descente qui lui permet d’emprunter la bretelle faisant face à la formation sanitaire située juste là. Mais là, Mlle Diagne (vendeuse de boddy à Vridi-plage), qui était en compagnie de l’une de ses camarades, s’agrippe au fer juste à côté de notre siège. Nous voilà sur le pont Félix Houphouët-Boigny à 9h 05mn. Après un petit vrombissement, Kouassi Claude change de vitesse. Une dame lance : « Nous sommes sur le pont ». Notre voisin de derrière, encore sous le choc, implore le Tout puissant pour le repos de l’âme des disparus. Au moins une demi-douzaine d’individus détournent leur regard. Certains s’accrochent plus que jamais au fer. Une commerçante qui était assise adossée à un siège depuis Vridi, crie : « C’est ici, Oh Seigneur ! » Une des passagères que nous avons particulièrement suivie ferme les yeux, le temps de la traversée. Certains soutiennent que tous les corps n’ont pas encore été retrouvés que les recherches doivent se poursuivre. Deux voisines, visiblement des connaissances de longue date ou membres d’une même famille, ont interrompu leur conversation le temps de la traversée. A 9h06mn57secondes, à la descente du pont, un travailleur s’écrie : « Ouf ! » C’est clair, les 112 secondes (1mn 52 secondes) qu’a durée la traversée du pont Félix Houphouët-Boigny ont constitué pour certains passagers une éternité. Au Plateau, sur le site propre de la Sotra, tout se passe comme sur des roulettes avec des descentes et des montées du premier arrêt, devant le score, à 9h09mn en passant par la Sorbonne, Longchamp, boulevard cadre (immeuble Sogefhia), à la cité administrative, à l’état-major. En huit (8) minutes, nous voilà sur le boulevard Nangui Abrogoua, à Adjamé avec le premier arrêt devant la mairie. Dégagé et surveillé par des éléments de Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), nous mettons seulement cinq minutes pour parcourir, ce long trajet. Au dernier coup de frein de Kouassi Claude à 9h24mn au sein de la gare nord d’Adjamé (terminus), c’est le soulagement collectif. « Merci chauffeur et surtout Dieu merci que nous soyons arrivés à bon port. Et je veux que cela soit ainsi pour tous les passagers des bus et des autres moyens de transport », relève une femme. Quant au machiniste, il nous fait le point de ses deux premiers voyages. « Ça se passe bien. Bon ! avec ce qui s’est passé le vendredi 5 août, nous portons encore le deuil, nous qui sommes sur la ligne. Mais bon ! Il faut bien que nous travaillions », nous explique Kouassi Claude qui a déjà quatre années d’expérience en tant que machiniste à la Sotra. A 9h30mn lorsque nous quittions définitivement le bus Tata 2766-3, nous étions soulagé que rien de malheureux ne se soit passé sur la ligne. Le vendredi 5 août n’avait pas pour le moment eu d’influence majeure sur la fréquentation.
M’BRA Konan