Il n’est pas facile pour les ressortissants étrangers d’obtenir un permis de travail au Niger. La nouvelle réglementation du travail a corsé les formalités administratives, les obligeant à user d’expédients. Incroyable mais vrai.
Alors que le Niger est confronté à un manque criant d’investissements, l’exigence peut sembler mal inspirée pour ouvrir la porte à plus de travailleurs migrants : les étrangers sans titre n’ont pas d’autre solution que de quitter le pays. Ils sont dans les finances, les assurances, l’informatique, la téléphonie et les mines. Depuis la découverte des gigantesques gisements pétroliers de Zinder, troisième ville, les migrants notamment les Ivoiriens n’ont plus automatiquement le droit au travail y compris pendant le délai d’examen de leur dossier, la situation de l’emploi leur étant opposable. En effet, les autorités multiplient contre les expatriés, les difficultés de séjour et de travail. Pourtant si certains migrants ont choisi librement le sol nigérien, d’autres en revanche, sont venus parce que débauchés par des opérateurs locaux qui leur proposaient mieux dans le Sahel. «Je travaillais à ICBM à Abidjan quand un homme d’affaires nigérien m’a proposé de venir l’aider à faire pareil à Niamey», explique Emile Assassé.
L’effet pétrole
Une fois dans le désert, non seulement les engagements n’ont pas été tenus mais la collaboration a tourné à la confrontation. Désormais au chômage, le jeune ivoirien a le choix : rentrer dans son pays où il n’a plus de garantie de retrouver son entreprise ou chercher d’autres créneaux sur les bords du fleuve Niger. Emile Assassé choisit la seconde option. Mieux, il décide d’ouvrir une société dans le même domaine. Son ex-associé ne veut pas de concurrence surtout que lui n’est pas un génie de l’informatique. Il craint de perdre tous ses clients. Effectivement, au bout de quelques mois, l’Ivoirien commence à grignoter sur le portefeuille-clients de son ex-employeur. C’est le début des tracasseries. Le Nigérien ne cesse de lui mettre les bâtons dans les roues et multiplie les peaux de banane. Finalement, il aura la peau d’Emile Assassé, accusé de vol. Celui-ci passe un bon moment au violon du commissariat central de Niamey avant d’être libéré sous caution. Quoique l’infraction n’ait pas été prouvée, le mis en cause est sommé de payer une importante somme d’argent en contrepartie de sa libération. «J’ai accepté parce que je n’avais pas le choix», explique-t-il. Malgré tout, il doit répondre aux convocations intempestives du commissaire Mahamane Tassiou. «Il a bénéficié d’une liberté provisoire », se défend l’officier de police. Depuis, M. Assassé travaille, la peur au ventre et redoute de se voir expulser. Il n’est pas le seul dans cette situation intenable. Le 21 juillet dernier, Aboubakar Touré, directeur général d’une société informatique a été reconduit à la frontière burkinabé, non loin de la ville de Kantchari. Manu militari, sans aucune procédure d’expulsion formelle. Sa faute, il a osé adresser une demande d’explication à sa secrétaire, une jeune nigérienne. Outre les avanies proférées contre son patron, celle-ci a alerté son beau-frère, un commissaire de police en service à la préfecture de police de Niamey. «C’est ce dernier qui, dans un excès de colère, a pris sur lui de m’expulser, de surcroît à 19 heures», fait remarquer le cadre. La petite communauté ivoirienne composée de quelque 300 membres se mobilise. Le président de l’Association des Ivoiriens résidant au Niger, Richmond Kédi, économiste statisticien au groupe de la Banque régionale de solidarité (BRS) est au four et au moulin. Mais, il bute sur des oreilles sourdes. «J’ai alors décidé de contacter l’ambassadeur Abdou Touré au Burkina Faso, qui couvre le Niger, la Côte d’Ivoire n’ayant pas de représentant permanent ici», révèle M. Kédi. Le représentant ivoirien prend langue avec le chef de la diplomatie nigérienne, Mohamed Bazoum. L’expulsion prend l’allure d’une affaire d’Etat. Sous la pression du diplomate ivoirien qui remue ciel et terre, les autorités nigériennes acceptent de libérer l’infortuné. «Nous n’avons pas été informés à temps. C’était un problème d’incompréhension », tempère le successeur d’Aïchatou Mindaoudou.
Un Ivoirien expulsé…
Les étrangers sont confrontés à ce genre d’impondérables tous les jours au Niger. Mais avec la politique de rejet et d’exclusion de Laurent Gbagbo, les Ivoiriens ont été souvent plus brimés que les autres. «Nous appliquons la réciproque », tente de justifier le commissaire Tassiou. Effectivement, ajoute Daouda Konaté, chef du bureau études-solidarité à l’Agence pour la sécurité de navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Ascena), les Ivoiriens souffrent beaucoup plus le martyre que les autres. Aujourd’hui, le prédécesseur de Richmond Kédi à la tête de l’Association des Ivoiriens résidant au Niger, espère mieux. Mais, rien d’évident. Dans la mesure où l’un d’entre eux, Jean-Baptiste Koffi, responsable des opérations à la frontière du Nigéria pour le compte de Cotecna, est sous le coup d’une expulsion. Mais, grâce à des interventions de personnalités haut-placées dans l’appareil politique local, sa carte de séjour a été prolongée de 6 mois. «J’aurais dû quitter le pays depuis juin. Je suis donc sursitaire », ironise-t-il, tout en déplorant la rigidité du système en place. Motif, il ne peut dépasser 4 années sur le territoire. «C’est notre législation et il faut la respecter», note un officiel. En effet, la convention collective appliquée dans le pays n’autorise qu’une présence de deux années, renouvelables une seule fois. Ce qui veut dire que l’immigré, qu’il soit travailleur ou pas, ne peut demeurer au Niger au-delà de 4 ans, à l’exception des travailleurs sous régime diplomatique. Ces dispositions réglementaires et légales obligent la quasi-totalité des expatriés à quitter le sol nigérien malgré eux. Selon les services du ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, Yahaya Chaïbou, il est fait obligation à tout travailleur immigré de former un nigérien dans les délais prescrits par la loi. Conséquences, beaucoup d’entreprises ont de plus en plus de mal à garder les cadres qui ont les qualifications voulues. Pourtant, le Niger connaît une pénurie de personnels qualifiés tels les ingénieurs, les informaticiens, les soudeurs, les techniciens et les personnels de santé. Mais, pour Adzida Soumana, coordonnateur d’une organisation de la société civile, ces comportements xénophobes ont moins pour fonction de freiner l’immigration que de fragiliser les étrangers, «ces voleurs de boulots». Pour le président Kédi, tous les migrants sont ainsi mis dans une situation de fragilité économique, d’autant que la loi leur refuse toute insertion contractuelle prolongée dans le monde du travail au-delà des quatre années.
Où est ta carte ?
Mais c’est une équation tenace, soigneusement entretenue par les pouvoirs publics. Pourtant, même dans les secteurs émergents et en manque de personnels qualifiés, des études révèlent que beaucoup de patrons refusent désormais d’embaucher des étrangers, surtout par peur des poursuites. Car, les pouvoirs publics font beaucoup de battage autour de leurs opérations coup-de-poing contre «le travail illégal ». C’est ici que le système montre toute sa perversité. Pour ne pas être accusé de xénophobie, il laisse néanmoins aux populations le soin de crier contre l’« invasion étrangère ». «C’est totalement immoral d’engager des étrangers alors que les Nigériens sont au chômage», explique la Confédération des travailleurs nigériens (Ctn). Face à cette situation, les inspecteurs du travail se montrent incisifs, plongeant nombre d’immigrés dans une situation d’isolement et de détresse financière, à la suite d’un emploi perdu pour cause de non-renouvellement d’un titre. Ces trajectoires prennent la forme d’une spirale descendante où toutes les difficultés s’accumulent. Exemples : les contrôles de police empêchent de se déplacer pour trouver un travail ; en même temps, plane la menace d’une expulsion; l’école refuse la garderie aux enfants sous le motif que les parents ne peuvent justifier d’un emploi. Des démarches humiliantes qui multiplient les rancœurs contre la société d’accueil.
Lanciné Bakayoko (Envoyé spécial à Niamey)
Alors que le Niger est confronté à un manque criant d’investissements, l’exigence peut sembler mal inspirée pour ouvrir la porte à plus de travailleurs migrants : les étrangers sans titre n’ont pas d’autre solution que de quitter le pays. Ils sont dans les finances, les assurances, l’informatique, la téléphonie et les mines. Depuis la découverte des gigantesques gisements pétroliers de Zinder, troisième ville, les migrants notamment les Ivoiriens n’ont plus automatiquement le droit au travail y compris pendant le délai d’examen de leur dossier, la situation de l’emploi leur étant opposable. En effet, les autorités multiplient contre les expatriés, les difficultés de séjour et de travail. Pourtant si certains migrants ont choisi librement le sol nigérien, d’autres en revanche, sont venus parce que débauchés par des opérateurs locaux qui leur proposaient mieux dans le Sahel. «Je travaillais à ICBM à Abidjan quand un homme d’affaires nigérien m’a proposé de venir l’aider à faire pareil à Niamey», explique Emile Assassé.
L’effet pétrole
Une fois dans le désert, non seulement les engagements n’ont pas été tenus mais la collaboration a tourné à la confrontation. Désormais au chômage, le jeune ivoirien a le choix : rentrer dans son pays où il n’a plus de garantie de retrouver son entreprise ou chercher d’autres créneaux sur les bords du fleuve Niger. Emile Assassé choisit la seconde option. Mieux, il décide d’ouvrir une société dans le même domaine. Son ex-associé ne veut pas de concurrence surtout que lui n’est pas un génie de l’informatique. Il craint de perdre tous ses clients. Effectivement, au bout de quelques mois, l’Ivoirien commence à grignoter sur le portefeuille-clients de son ex-employeur. C’est le début des tracasseries. Le Nigérien ne cesse de lui mettre les bâtons dans les roues et multiplie les peaux de banane. Finalement, il aura la peau d’Emile Assassé, accusé de vol. Celui-ci passe un bon moment au violon du commissariat central de Niamey avant d’être libéré sous caution. Quoique l’infraction n’ait pas été prouvée, le mis en cause est sommé de payer une importante somme d’argent en contrepartie de sa libération. «J’ai accepté parce que je n’avais pas le choix», explique-t-il. Malgré tout, il doit répondre aux convocations intempestives du commissaire Mahamane Tassiou. «Il a bénéficié d’une liberté provisoire », se défend l’officier de police. Depuis, M. Assassé travaille, la peur au ventre et redoute de se voir expulser. Il n’est pas le seul dans cette situation intenable. Le 21 juillet dernier, Aboubakar Touré, directeur général d’une société informatique a été reconduit à la frontière burkinabé, non loin de la ville de Kantchari. Manu militari, sans aucune procédure d’expulsion formelle. Sa faute, il a osé adresser une demande d’explication à sa secrétaire, une jeune nigérienne. Outre les avanies proférées contre son patron, celle-ci a alerté son beau-frère, un commissaire de police en service à la préfecture de police de Niamey. «C’est ce dernier qui, dans un excès de colère, a pris sur lui de m’expulser, de surcroît à 19 heures», fait remarquer le cadre. La petite communauté ivoirienne composée de quelque 300 membres se mobilise. Le président de l’Association des Ivoiriens résidant au Niger, Richmond Kédi, économiste statisticien au groupe de la Banque régionale de solidarité (BRS) est au four et au moulin. Mais, il bute sur des oreilles sourdes. «J’ai alors décidé de contacter l’ambassadeur Abdou Touré au Burkina Faso, qui couvre le Niger, la Côte d’Ivoire n’ayant pas de représentant permanent ici», révèle M. Kédi. Le représentant ivoirien prend langue avec le chef de la diplomatie nigérienne, Mohamed Bazoum. L’expulsion prend l’allure d’une affaire d’Etat. Sous la pression du diplomate ivoirien qui remue ciel et terre, les autorités nigériennes acceptent de libérer l’infortuné. «Nous n’avons pas été informés à temps. C’était un problème d’incompréhension », tempère le successeur d’Aïchatou Mindaoudou.
Un Ivoirien expulsé…
Les étrangers sont confrontés à ce genre d’impondérables tous les jours au Niger. Mais avec la politique de rejet et d’exclusion de Laurent Gbagbo, les Ivoiriens ont été souvent plus brimés que les autres. «Nous appliquons la réciproque », tente de justifier le commissaire Tassiou. Effectivement, ajoute Daouda Konaté, chef du bureau études-solidarité à l’Agence pour la sécurité de navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Ascena), les Ivoiriens souffrent beaucoup plus le martyre que les autres. Aujourd’hui, le prédécesseur de Richmond Kédi à la tête de l’Association des Ivoiriens résidant au Niger, espère mieux. Mais, rien d’évident. Dans la mesure où l’un d’entre eux, Jean-Baptiste Koffi, responsable des opérations à la frontière du Nigéria pour le compte de Cotecna, est sous le coup d’une expulsion. Mais, grâce à des interventions de personnalités haut-placées dans l’appareil politique local, sa carte de séjour a été prolongée de 6 mois. «J’aurais dû quitter le pays depuis juin. Je suis donc sursitaire », ironise-t-il, tout en déplorant la rigidité du système en place. Motif, il ne peut dépasser 4 années sur le territoire. «C’est notre législation et il faut la respecter», note un officiel. En effet, la convention collective appliquée dans le pays n’autorise qu’une présence de deux années, renouvelables une seule fois. Ce qui veut dire que l’immigré, qu’il soit travailleur ou pas, ne peut demeurer au Niger au-delà de 4 ans, à l’exception des travailleurs sous régime diplomatique. Ces dispositions réglementaires et légales obligent la quasi-totalité des expatriés à quitter le sol nigérien malgré eux. Selon les services du ministre de la Formation professionnelle et de l’Emploi, Yahaya Chaïbou, il est fait obligation à tout travailleur immigré de former un nigérien dans les délais prescrits par la loi. Conséquences, beaucoup d’entreprises ont de plus en plus de mal à garder les cadres qui ont les qualifications voulues. Pourtant, le Niger connaît une pénurie de personnels qualifiés tels les ingénieurs, les informaticiens, les soudeurs, les techniciens et les personnels de santé. Mais, pour Adzida Soumana, coordonnateur d’une organisation de la société civile, ces comportements xénophobes ont moins pour fonction de freiner l’immigration que de fragiliser les étrangers, «ces voleurs de boulots». Pour le président Kédi, tous les migrants sont ainsi mis dans une situation de fragilité économique, d’autant que la loi leur refuse toute insertion contractuelle prolongée dans le monde du travail au-delà des quatre années.
Où est ta carte ?
Mais c’est une équation tenace, soigneusement entretenue par les pouvoirs publics. Pourtant, même dans les secteurs émergents et en manque de personnels qualifiés, des études révèlent que beaucoup de patrons refusent désormais d’embaucher des étrangers, surtout par peur des poursuites. Car, les pouvoirs publics font beaucoup de battage autour de leurs opérations coup-de-poing contre «le travail illégal ». C’est ici que le système montre toute sa perversité. Pour ne pas être accusé de xénophobie, il laisse néanmoins aux populations le soin de crier contre l’« invasion étrangère ». «C’est totalement immoral d’engager des étrangers alors que les Nigériens sont au chômage», explique la Confédération des travailleurs nigériens (Ctn). Face à cette situation, les inspecteurs du travail se montrent incisifs, plongeant nombre d’immigrés dans une situation d’isolement et de détresse financière, à la suite d’un emploi perdu pour cause de non-renouvellement d’un titre. Ces trajectoires prennent la forme d’une spirale descendante où toutes les difficultés s’accumulent. Exemples : les contrôles de police empêchent de se déplacer pour trouver un travail ; en même temps, plane la menace d’une expulsion; l’école refuse la garderie aux enfants sous le motif que les parents ne peuvent justifier d’un emploi. Des démarches humiliantes qui multiplient les rancœurs contre la société d’accueil.
Lanciné Bakayoko (Envoyé spécial à Niamey)