Le secteur du transport routier abidjanais est pris en otage par une multitude de syndicats et
leurs bras armés que sont les « Gnambolos», qui imposent leurs lois aux chauffeurs. Pourtant, le secteur rapporte plus de 300 milliards FCFA à l’Etat ivoirien par an. Une masse d’argent brasée hélas dans la pagaille et le désordre. Nous sommes allés au cœur de la confusion. « Kôrô, il faut les gbra ici on va gagner temps», lance l’apprenti au conducteur. Autrement dit, «descendons-les ici pour gagner du temps». Et c’est, aussitôt, chose faite. Le Gbaka immatriculé 7403 AX01 qui transportait les passagers, le mercredi 10 août 2011, d’Abobo à Adjamé-mosquée, les a débarqués au niveau de la gare de la Sitarail, aux environs de 7h 30 mn. Le chauffeur et son apprenti ont pris pour prétexte l’embouteillage qui ralentissait la circulation vers la mosquée pour se débarrasser de leurs passagers avant destination. Les usagers mettent pied à terre, sans être surpris. Ce scenario habituel traduit bel et bien l’état d’esprit des équipages des gbakas dans un univers où le client n’est pas roi. Mais les choses ne se passent pas comme prévu pour le chauffeur et l’apprenti, pressés de faire de la recette.
Dans le véhicule, une vive altercation éclate entre une commerçante, mécontente de faire le
reste du trajet à pied avec un colis de marchandises sur la tête et l’apprenti. La dame exige
qu’on lui rembourse une partie de son argent puisqu’elle a dû payer pour la marchandise.
Nous assistons à une explication bien serrée entre elle et l’apprenti, tandis que les autres
passagers, résignés, s’éloignent à pied. Le chauffeur est obligé d’intervenir pour faire restituer deux cent francs CFA à la plaignante qui ne s’est pas laissée faire. « Donne lui deux togos (ndlr : 200 FCFA) on va quitter ici », lui lance le conducteur, furieux. Mais alors que le
Gbaka s’apprête à faire demi-tour, avec une poignée de passagers ramassés sur le tas, un
jeune homme aux allures de loubard, l’accoutrement crasseux, s’accroche à la portière. Le
colosse qui intervient est un « Gnambolo». Il reproche au chauffeur et à son apprenti d’avoir
voulu contourner les règles du milieu en ne se rendant pas au point de chargement pour
s’aligner et charger quand son tour sera venu.
Violence et pratiques mafieuses
Ces disputes nous donnent une idée des pratiques peu scrupuleuses qui ont cours dans le
secteur du transport terrestre en commun en Côte d’Ivoire. Ne demandez pas à un apprenti ou à un chauffeur de gbaka ou de wôrô wôrô d’avoir des égards pour le client qui risque même de se faire humilier et violenter pour de la petite monnaie. C’est que les passagers sont soumis aux caprices des chauffeurs, des Coxers, des apprentis et autres « Gnambolo», ces voyous qui écument le milieu. Cependant, les choses ne s’arrêtent pas là. La vraie guerre n’est pas celle qui oppose clients et chauffeurs ou apprentis mais celle qui met en présence les acteurs du transport eux-mêmes.
En effet, la violence qui règne dans le milieu ne date pas d’aujourd’hui. Car on se souvient
des tristes évènements survenus en 98, où des syndicats rivaux se sont battus pour le contrôle des secteurs juteux où les tickets syndicaux s’écoulent facilement à la gare-nord Sotra d’Adjamé. Les affrontements qui ont eu lieu avaient fait une dizaine de blessés à l’arme
blanche dont certains ont succombé par la suite. C’était la guerre des lourbards à la solde
des « parrains » de la mafia des transporteurs.
Un certain «Tchégbê», (ndlr : homme de teint clair en malinké) se serait heurté en son
temps, aux troupes de personnes proches de feu Kassoum Coulibaly qui n’admettait pas la
concurrence. Le Tchégbê en question était un «gros bras» qui avait fait fortune dans le secteur du racket syndical et qui était parvenu à posséder une dizaine de véhicules de transport. On comprend pourquoi dans le milieu, on ne plaisante pas avec la vente des tickets. Une pratique d’extorsion de fonds par la menace ou l’intimidation qui permet aux gourous et à leurs hommes de mains de brasser des millions FCFA dans l’informel et la confusion la plus totale.
On n’hésite donc pas à aller jusqu’à tuer quand les chauffeurs refusent de payer le ticket dont les prix varient de 500 à 1000 FCFA, en fonction des lignes ou des gares de wôrô wôrô ou de gbaka. Mais qui sont les « Gnambolo » ? «Les Gnambolo sont les bras armés des syndicats qui mènent la lutte sur le terrain. Ils ont un rapport de terreur avec les chauffeurs », dénonce M. Issouf Koné, secrétaire général du bien-être des employés et auxiliaires du transport (Beat- ci).
En effet, les chauffeurs récalcitrants s’exposent dans un premier temps, à un passage à tabac quand leurs véhicules ne sont pas saccagés, s’ils refusent de s’acquitter des taxes parallèles et illégales qui leurs sont imposées par les syndicats. Ces « Gnambolos » peuvent immobiliser un véhicule sur la chaussée durant des minutes, créant des embouteillages parfois. « Même quand tu n’es pas affilié à leur syndicat, ils te font payer forcément », témoigne Ali Sidibé, un chauffeur de la ligne Adjamé-Yopougon.
Mais au collectif des fédérations des syndicats des chauffeurs professionnels de Côte d’Ivoire (Cfscp-ci), les « Gnambolo » ne sont pas non plus vus d’un bon œil. « Nous demandons leur déguerpissement au même titre que les occupants des trottoirs d’Abidjan. Nous n’avons pas la force de le faire mais, l’Etat peut le faire à travers les forces de l’ordre », plaide Yacouba Diakité, président de ce collectif.
En 2003, un jeune chauffeur du nom de Hassane a été violenté et assassiné à Adjamé Texaco par des syndicalistes loubards. Le pauvre avait refusé de payer deux cent FCFA. Pas plus tard que le vendredi 05 août dernier, un jeune apprenti du nom de Coulibaly Yacouba, s’est fait frapper à l’œil à Adjamé gare-nord, pour avoir refusé également, de payer un ticket de 500 CFA aux syndicalistes. C’est la preuve que pour deux cent francs, les syndicats n’hésitent pas à franchir des limites. Et la dernière bagarre rangée entre syndicalistes date à Adjamé du 17 août 2011 où plusieurs blessés à la machette ont été enregistrés.
Le partage du butin
Selon les acteurs du secteur, ce sont environ 350 syndicats enregistrés à ce jour. «Mais pour combien de transporteurs ? Quand vous arrivez dans les gares, vous êtes sur vos gardes parce que vous vous sentez en insécurité», constate Touré Almamy, président du Groupement d’intérêt économique des Transporteurs (GIE).
En fait, les syndicats qui se regroupent en fédérations et en collectifs se créent à l’emporte-
pièce au gré des frustrations subies par les uns et les autres dans tel ou tel groupe. « Il
suffit d’une incompréhension pour qu’on voie quelques éléments dresser un procès verbal
d’assemblée générale et avec 50.000 FCFA, ils obtiennent leurs récépissés. Souvent même
sans aucune enquête de moralité », explique Issouf Koné.
On comprend alors les conflits entre les leaders de ces syndicats. D’ailleurs, selon M. Cissé
Pablo, expert du milieu du transport, les leaders des syndicats ont décidé, il y a quelques
années, de s’asseoir pour élaborer une charte de partage de butin. L’exemple le plus patent
est la commune d’Adjamé qui abrite le QG du transport routier en Côte d’Ivoire. Dans cette
commune, les syndicats de transporteurs se sont organisés par groupes et par rotation, chaque groupe est conduit par une tête de liste qui perçoit l’argent sur une période donnée.
Selon des sources syndicales, chaque Gbaka rapporte aux syndicats au moins 3.500 FCFA par jour. A charge pour le parrain de repartir la manne qui s’élèverait à plus de sept millions par jour sur l’ensemble des lignes du district. Et sur la question de la répartition du butin, on ne badine pas. Car dans ce milieu mafieux, la moindre erreur, le non respect des engagements de chaque partie peut déboucher sur des bagarres à la machette au cours desquelles on se taillade sans merci.
Si la bataille est rude pour le contrôle du secteur par les principaux syndicats, c’est sûrement
parce que l’argent y circule. En effet, selon des chiffres récents, le secteur rapporterait dans
les caisses de l’Etat plus de 300 milliards FCFA par an. C’est la preuve que le transport
constitue une des mamelles de l’économie ivoirienne. Les gains pour le pays en termes de
patentes, de vignette, cartes de stationnement sont particulièrement importants pour l’Etat et
les collectivités décentralisées telles que les districts et les communes. Mais en marge de cet apport dans les caisses de l’Etat, le secteur rapporte aussi beaucoup d’argent aux syndicats mafieux qui ont pris le secteur en otage.
Alexandre Lebel Ilboudo
leurs bras armés que sont les « Gnambolos», qui imposent leurs lois aux chauffeurs. Pourtant, le secteur rapporte plus de 300 milliards FCFA à l’Etat ivoirien par an. Une masse d’argent brasée hélas dans la pagaille et le désordre. Nous sommes allés au cœur de la confusion. « Kôrô, il faut les gbra ici on va gagner temps», lance l’apprenti au conducteur. Autrement dit, «descendons-les ici pour gagner du temps». Et c’est, aussitôt, chose faite. Le Gbaka immatriculé 7403 AX01 qui transportait les passagers, le mercredi 10 août 2011, d’Abobo à Adjamé-mosquée, les a débarqués au niveau de la gare de la Sitarail, aux environs de 7h 30 mn. Le chauffeur et son apprenti ont pris pour prétexte l’embouteillage qui ralentissait la circulation vers la mosquée pour se débarrasser de leurs passagers avant destination. Les usagers mettent pied à terre, sans être surpris. Ce scenario habituel traduit bel et bien l’état d’esprit des équipages des gbakas dans un univers où le client n’est pas roi. Mais les choses ne se passent pas comme prévu pour le chauffeur et l’apprenti, pressés de faire de la recette.
Dans le véhicule, une vive altercation éclate entre une commerçante, mécontente de faire le
reste du trajet à pied avec un colis de marchandises sur la tête et l’apprenti. La dame exige
qu’on lui rembourse une partie de son argent puisqu’elle a dû payer pour la marchandise.
Nous assistons à une explication bien serrée entre elle et l’apprenti, tandis que les autres
passagers, résignés, s’éloignent à pied. Le chauffeur est obligé d’intervenir pour faire restituer deux cent francs CFA à la plaignante qui ne s’est pas laissée faire. « Donne lui deux togos (ndlr : 200 FCFA) on va quitter ici », lui lance le conducteur, furieux. Mais alors que le
Gbaka s’apprête à faire demi-tour, avec une poignée de passagers ramassés sur le tas, un
jeune homme aux allures de loubard, l’accoutrement crasseux, s’accroche à la portière. Le
colosse qui intervient est un « Gnambolo». Il reproche au chauffeur et à son apprenti d’avoir
voulu contourner les règles du milieu en ne se rendant pas au point de chargement pour
s’aligner et charger quand son tour sera venu.
Violence et pratiques mafieuses
Ces disputes nous donnent une idée des pratiques peu scrupuleuses qui ont cours dans le
secteur du transport terrestre en commun en Côte d’Ivoire. Ne demandez pas à un apprenti ou à un chauffeur de gbaka ou de wôrô wôrô d’avoir des égards pour le client qui risque même de se faire humilier et violenter pour de la petite monnaie. C’est que les passagers sont soumis aux caprices des chauffeurs, des Coxers, des apprentis et autres « Gnambolo», ces voyous qui écument le milieu. Cependant, les choses ne s’arrêtent pas là. La vraie guerre n’est pas celle qui oppose clients et chauffeurs ou apprentis mais celle qui met en présence les acteurs du transport eux-mêmes.
En effet, la violence qui règne dans le milieu ne date pas d’aujourd’hui. Car on se souvient
des tristes évènements survenus en 98, où des syndicats rivaux se sont battus pour le contrôle des secteurs juteux où les tickets syndicaux s’écoulent facilement à la gare-nord Sotra d’Adjamé. Les affrontements qui ont eu lieu avaient fait une dizaine de blessés à l’arme
blanche dont certains ont succombé par la suite. C’était la guerre des lourbards à la solde
des « parrains » de la mafia des transporteurs.
Un certain «Tchégbê», (ndlr : homme de teint clair en malinké) se serait heurté en son
temps, aux troupes de personnes proches de feu Kassoum Coulibaly qui n’admettait pas la
concurrence. Le Tchégbê en question était un «gros bras» qui avait fait fortune dans le secteur du racket syndical et qui était parvenu à posséder une dizaine de véhicules de transport. On comprend pourquoi dans le milieu, on ne plaisante pas avec la vente des tickets. Une pratique d’extorsion de fonds par la menace ou l’intimidation qui permet aux gourous et à leurs hommes de mains de brasser des millions FCFA dans l’informel et la confusion la plus totale.
On n’hésite donc pas à aller jusqu’à tuer quand les chauffeurs refusent de payer le ticket dont les prix varient de 500 à 1000 FCFA, en fonction des lignes ou des gares de wôrô wôrô ou de gbaka. Mais qui sont les « Gnambolo » ? «Les Gnambolo sont les bras armés des syndicats qui mènent la lutte sur le terrain. Ils ont un rapport de terreur avec les chauffeurs », dénonce M. Issouf Koné, secrétaire général du bien-être des employés et auxiliaires du transport (Beat- ci).
En effet, les chauffeurs récalcitrants s’exposent dans un premier temps, à un passage à tabac quand leurs véhicules ne sont pas saccagés, s’ils refusent de s’acquitter des taxes parallèles et illégales qui leurs sont imposées par les syndicats. Ces « Gnambolos » peuvent immobiliser un véhicule sur la chaussée durant des minutes, créant des embouteillages parfois. « Même quand tu n’es pas affilié à leur syndicat, ils te font payer forcément », témoigne Ali Sidibé, un chauffeur de la ligne Adjamé-Yopougon.
Mais au collectif des fédérations des syndicats des chauffeurs professionnels de Côte d’Ivoire (Cfscp-ci), les « Gnambolo » ne sont pas non plus vus d’un bon œil. « Nous demandons leur déguerpissement au même titre que les occupants des trottoirs d’Abidjan. Nous n’avons pas la force de le faire mais, l’Etat peut le faire à travers les forces de l’ordre », plaide Yacouba Diakité, président de ce collectif.
En 2003, un jeune chauffeur du nom de Hassane a été violenté et assassiné à Adjamé Texaco par des syndicalistes loubards. Le pauvre avait refusé de payer deux cent FCFA. Pas plus tard que le vendredi 05 août dernier, un jeune apprenti du nom de Coulibaly Yacouba, s’est fait frapper à l’œil à Adjamé gare-nord, pour avoir refusé également, de payer un ticket de 500 CFA aux syndicalistes. C’est la preuve que pour deux cent francs, les syndicats n’hésitent pas à franchir des limites. Et la dernière bagarre rangée entre syndicalistes date à Adjamé du 17 août 2011 où plusieurs blessés à la machette ont été enregistrés.
Le partage du butin
Selon les acteurs du secteur, ce sont environ 350 syndicats enregistrés à ce jour. «Mais pour combien de transporteurs ? Quand vous arrivez dans les gares, vous êtes sur vos gardes parce que vous vous sentez en insécurité», constate Touré Almamy, président du Groupement d’intérêt économique des Transporteurs (GIE).
En fait, les syndicats qui se regroupent en fédérations et en collectifs se créent à l’emporte-
pièce au gré des frustrations subies par les uns et les autres dans tel ou tel groupe. « Il
suffit d’une incompréhension pour qu’on voie quelques éléments dresser un procès verbal
d’assemblée générale et avec 50.000 FCFA, ils obtiennent leurs récépissés. Souvent même
sans aucune enquête de moralité », explique Issouf Koné.
On comprend alors les conflits entre les leaders de ces syndicats. D’ailleurs, selon M. Cissé
Pablo, expert du milieu du transport, les leaders des syndicats ont décidé, il y a quelques
années, de s’asseoir pour élaborer une charte de partage de butin. L’exemple le plus patent
est la commune d’Adjamé qui abrite le QG du transport routier en Côte d’Ivoire. Dans cette
commune, les syndicats de transporteurs se sont organisés par groupes et par rotation, chaque groupe est conduit par une tête de liste qui perçoit l’argent sur une période donnée.
Selon des sources syndicales, chaque Gbaka rapporte aux syndicats au moins 3.500 FCFA par jour. A charge pour le parrain de repartir la manne qui s’élèverait à plus de sept millions par jour sur l’ensemble des lignes du district. Et sur la question de la répartition du butin, on ne badine pas. Car dans ce milieu mafieux, la moindre erreur, le non respect des engagements de chaque partie peut déboucher sur des bagarres à la machette au cours desquelles on se taillade sans merci.
Si la bataille est rude pour le contrôle du secteur par les principaux syndicats, c’est sûrement
parce que l’argent y circule. En effet, selon des chiffres récents, le secteur rapporterait dans
les caisses de l’Etat plus de 300 milliards FCFA par an. C’est la preuve que le transport
constitue une des mamelles de l’économie ivoirienne. Les gains pour le pays en termes de
patentes, de vignette, cartes de stationnement sont particulièrement importants pour l’Etat et
les collectivités décentralisées telles que les districts et les communes. Mais en marge de cet apport dans les caisses de l’Etat, le secteur rapporte aussi beaucoup d’argent aux syndicats mafieux qui ont pris le secteur en otage.
Alexandre Lebel Ilboudo