Il n’est jamais bon de voir un ancien chef d’Etat être privé de liberté. C’est malheureusement aujourd’hui le cas de la Côte d’Ivoire, après la grave crise-postélectorale qu’ont vécue les Ivoiriens. Laurent Gbagbo est aujourd’hui en prison. Tout Ivoirien sensé épris d’un peu d’humanisme ne peut que déplorer cette situation. Nombreux sont ceux parmi les Ivoiriens qui auraient souhaiter un autre épilogue que celui qu’il est donné de voir après plus d’une décennie de crise. La Côte d’Ivoire et ses fils sont aujourd’hui partagés entre faire table rase sur ce passé douloureux et situer les responsabilités pour ne plus que de telles atrocités se répètent. Plusieurs grandes nations ont été également une fois dans leur histoire, traversées par le sentiment de grande gêne et dilemme qui anime toujours un peuple qui s’est battu contre lui. La France a connu cette grande gêne après l’occupation à la fin de la deuxième guerre mondiale, quand il s’est agi de juger le maréchal Pétain. Fallait-il conduire à l’échafaud l’ancien héros national qui avait pactisé avec Hitler, l’ennemi juré? Les alliés, à Nuremberg, ont aussi vécu le procès des Nazis comme la preuve palpable du désastre de l’humanité et de leur impuissance face aux ravages du côté animal de l’homme. La guerre de sécession aux Etats-Unis dans la deuxième moitié du 19 àme siècle a naturellement laissé des traces analogues pendant longtemps dans la société américaine. Ici en Afrique, l’exemple de l’Afrique du Sud et du Rwanda interpelle les consciences. Il est certes difficile de se réconcilier tout en parlant de justice. Mais si l’on veut construire une paix durable, il est plus que capital de savoir ce qui s’est réellement passé et de situer les responsabilités. Et cela passe nécessairement par la justice. Il faut, pour se réconcilier, bien sûr, tourner la page. Mais avant, il faut prendre le soin de la lire. Il est vrai que certains Ivoiriens souhaitent voir Laurent Gbagbo et ses compagnons libérés. Car pour eux, ce serait la meilleure manière de sortir définitivement du cauchemar dans lequel la Côte d’Ivoire est plongée depuis plus de dix ans. Mais agir ainsi ne serait pas leur rendre service. Car les crimes perpétrés par l’ancien régime sont tellement graves qui si l’on les fait passer par pertes et profits, ce serait exacerbé la soif de vengeance des victimes et des parents des victimes. Pour mettre, une fois pour toute, un terme au cycle de la violence, il faut donc faire parler la justice. De mémoire d’Ivoiriens, jamais une telle barbarie ne s’est abattue sur la Côte d’Ivoire. Des crimes qui dépassent l’entendement humain ont été perpétrés de décembre 2010 à mai 2011. Des hommes en arme, à la solde de Laurent Gbagbo, ont tiré sans sommation sur des citoyens aux mains nues. Sans sourciller, des hordes déshumanisées ont souillé la terre du pays de Félix Houphouët-Boigny de sang humain. Des mercenaires que les cadres et caciques du FPI et ses alliés sont allés chercher ailleurs pour venir assassiner et endeuiller de nombreuses familles. Des armes lourdes, des obus ont été tirés sur des populations paisibles qui ne demandaient qu’on respecte leur vote. Des personnes ont été tirées de chez elles pour être livrées en holocauste. Au nom du sinistre «article 125», on a brûlé vif des êtres humains comme si c’étaient des objets. On veut que Laurent Gbagbo soit libéré. Mais le sang des sept femmes et d’un enfant d’Abobo, comme celui d’Abel, crie vengeance à Dieu. On souhaite au nom de la réconciliation que l’ancien chef de l’Etat et ses camarades soient élargis. Mais on oublie une chose. Qui rendra justice aux hommes et femmes qui ont été surpris par une pluie d’obus au marché Siaka Koné d’Abobo alors qu’ils vaquaient paisiblement à leurs occupations commerciales? Aujourd’hui, ceux qui ont commis cette infamie refusent d’assumer ce crime contre l’humanité et veulent faire porter le chapeau au «commando invisible». Suprême insulte à la mémoire des 30 victimes et à leurs parents. Pas besoin de leur demander qui a perpétré cette lâcheté. Puisque cela s’est fait en plein jour. Au nez et à la barbe des populations d’Abobo, de l’opinion nationale et internationale. Exiger qu’une enquête soit faite sur ce crime crapuleux achève de convaincre que concilier justice et réconciliation est plus qu’une nécessité. C’est vital pour la Côte d’Ivoire. Parce qu’aujourd’hui, à l’heure du mea culpa et de la rédemption, les bourreaux d’hier continuent de refuser d’assumer. Pis, ils veulent se faire passer pour les victimes. Et ça, les Ivoiriens, dans leur grande majorité, ne sont pas près de l’accepter.
Jean-Claude Coulibaly
Jean-Claude Coulibaly