«Je suis très fier d’être décoré, comme le dit mon ami Georges Benson, à titre costume et non à titre posthume. Le Président de la République m’a décoré (Laurent Gbagbo: Ndlr). Et aujourd’hui, Mme Bekouan me rend hommage à "titre costume". Mes enfants, je suis tranquille; je peux mourir sans regret». Ces paroles empreintes d'émotion sont d'Amédée Pierre. Il les a dites à l'occasion de la cérémonie d’ouverture des journées d’hommage à lui consacrées du 5 au 13 juillet 2007, au Palais de la culture Bernard B. Dadié par l’Association Awalet dont l'objectif était de faire davantage connaître l’homme, sa vie, son parcours, son œuvre et son art avant sa mort survenue malheureusement le dimanche 30 octobre 2011, à la clinique Beda de Treichville. Qui est Amédée Pierre? Il faut dire que c'est le 30 mars 1937, à Tabou, en pays Krou, au sud-ouest de la Côte d'Ivoire, qu'il voit le jour. Homme de théâtre et musicien-chanteur par la suite, Amédée Pierre de son nom à l'état civil Nahounou Digbeu est un «symbole de début de souveraineté». Infirmier d'État de formation, Amédée Pierre troque la blouse contre le micro, en débutant sa carrière musicale à une époque où, en Côte d'Ivoire, les musiques originaires du Congo, de Cuba, du Nigéria et du Ghana se dégustaient à tout vent, au détriment de la musique ivoirienne. D'aucuns estiment que le choix de l'homme d'embrasser une carrière d'artiste s'imposait à lui. La raison, une grève à laquelle il avait participé et même aurait suscitée à l'orée de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, serait à la base de sa déclinaison. «A la suite de ce soulèvement, il a été renvoyé au lendemain des indépendances à cause à de son esprit contestataire et syndicaliste», nous a confié, un proche de l'artiste, non sans confirmer que c'est ce qui l'aurait poussé à faire la musique, vu les dispositions de chanteur qu'il avait. En ce qui concerne la vie du ''Dopé'', appellation qui lui a été donnée et qui signifie en bété rossignol, en référence à sa sublime et douce voix, elle a été pleine, en dépit du vent des vagues de changement. En effet, l'artiste qui sommeillait en lui se découvre d'abord avec des chants en français qu'il distillait à un public sélect dans les cabarets. Entre 1956 et 1965, Amédée fait une rupture en optant pour sa langue maternelle, le bété. Ainsi, pendant cette époque, il compose entre autres les titres tels que ''Séguéla Abou'', ''Bouglou nekpa'' et le tube ''Moussio Moussio''. Morceau qui, d'ailleurs, lui a valu la réputation de ''Dopé national''. Il est au sommet de son art et est sollicité pour de nombreux spectacles. Entre-temps, il ne manque pas de travailler ses nouveaux textes dont ''Ali Anouma'' et ''Gakou'' qui sortiront plus tard entre 1965 et 1972. Dans les années 80 à 90, la vague des jeunes artistes aux dents longues à l'instar de Lougah François, Bailly Spinto, Aïcha Koné et surtout la coqueluche d'alors, Alpha Blondy cristallise toutes les attentions. Amédée Pierre, bon an, mal an, réussit encore un examen de passage. Celui de pouvoir passer d'une génération à une autre avec une musique qui traverse le temps et l'espace. A preuve, le fameux titre ''Sokrokpeu'', a maintes fois, été imposé ces dernières années aux émissions et jeux de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (Rti) dont ''Podium' et ''Karaoké''. Pour ceux qui ne le sauraient pas, c'est lui qui est à l'origine de la création du Bureau ivoirien du droit d'auteur (Burida). Pour la petite histoire, après quelques années de carrière, Amédée Pierre se révolte contre le fait que ses droits d'auteur ne soient pas reversés après exploitation de ses œuvres en Côte d'Ivoire. Il menace de mettre un terme à sa carrière. Le Président Houphouët-Boigny l'en dissuade. Injonction est vite faite au ministre chargé de la culture d'alors, de tout mettre en œuvre pour réparer cette injustice. Des hommes de lettres et de médias dont Bernard Zadi Zaourou et Kaba Taïffour le soutiendront dans ce noble combat. En 2000, il est décoré par Laurent Gbagbo. En juillet 2007, un hommage lui est rendu pour l'ensemble de son œuvre. Outre la chanson ''Moussio Moussio'', il est connu pour ses classiques comme ''Sokrokpeu'' et ''Lorougnon Rabé''. Pour rappel, dans les années 60 à 80, ''l'Oasis du Désert'', le dancing d'Amédée Pierre, sis à Treichville, cristallisait toutes les attentions. Que devient ce mythique temple où le ''Dopé national'' faisait sensation? Aujourd'hui, cet espace n'existe plus que de nom. Nous en avons fait le constat, le jeudi 3 novembre 2011. Il n'a pu résister au temps. Propriété, aujourd'hui, d'un opérateur économique libanais, ''l'Oasis du Désert'' est devenu un entrepôt constitué de plusieurs magasins. A l'instar d'ailleurs des mythiques bars comme le Bracodi Bar et le Tabou Bar, à Adjamé, transformés respectivement en mosquée et gare, lieux pourtant où la musique ivoirienne a véritablement démarré.
DIARRA Tiémoko
DIARRA Tiémoko