Pour son ouverture officielle, le Musée d’Art Contemporain de la Municipalité de Cocody, désormais sis dans l’enceinte de la Mairie, a présenté du 11 au 31 janvier 2011 une partie de la fresque de Oussou Justin sur la crise ivoirienne. Scrib magazine a rencontré l’artiste qui a parlé du sens de cette œuvre, du travail de l’artiste et de philosophie de l’art. L’entretien a été réalisé en janvier 2011.
Entretien réalisé par Koffi Koffi
Scrib magazine : Oussou Justin, vous avez réalisé entre 2000 et 2001 une fresque retraçant l’histoire présente de la Côte d’Ivoire et intitulée « De la transition à l’avènement de la deuxième République : le regard d’un peintre ». Quel sens donnez-vous à cette fresque exposée par le Musée d’Art Contemporain de Cocody ?
Oussou Justin : « De la transition à l’avènement de la deuxième République : le regard d’un peintre » est un pan d’une série de trois phases de peinture. Il y a eu le coup d’Etat militaire avec le Général Guéi en 99, puis dix mois de transition et, à l’intérieur de ces dix mois de transition, il y a eu un certain nombre d’événements qui m’ont marqué : il y a eu d’abord le coup d’Etat, ensuite Guéi s’est présenté comme le balayeur venu mettre de l’ordre… Il y a eu des avancées démocratiques telles que le vote à dix-huit ans, on a refait la constitution… donc on a senti un nouveau dynamisme dans le fonctionnement de l’Etat, bien que ce fut un pouvoir militaire. Mais il fut un temps, à partir de mai juin 2000, où le Général a disons changé de cap. On l’avait vu en treillis et, puis soudain, on le voit en veste alors qu’il préparait les élections. Cela a créé un choc dans l’esprit des Ivoiriens. Le général revenait sur la parole donnée. C’est l’élément charnière de la transition militaire et j’en ai fait un tableau que j’ai appelé « Ombre et lumière de la transition militaire ». A partir de cette époque, les choses ont changé. Le Général a commencé à porter la veste, la cravate… Mais quand ils sont allés aux élections, il les a perdues et il a voulu confisquer le pouvoir. Vous connaissez la suite… Tous les événements qui tournaient autour de cette période constituent la première phase de ma fresque. Cette fresque se découpe en trois périodes jusqu’en 2004. C’est ce que la Mairie de Cocody a acheté. Ensuite , il y a eu une autre série sur la guerre du 19 septembre, avec la mort du général Guéi.
Scrib magazine : Mais les amateurs d’art de Côte d’Ivoire ne connaissent pas beaucoup cette deuxième période !
Oussou Justin : Mais tout cela figure dans le livre (NDLR : un beau livre réalisé par l’Assemblée nationale à partir de cette fresque), tout jusqu’en 2004 est dans le livre. Donc la fresque se découpe en trois périodes : il y a la période de la transition militaire, il y a la période du 19 septembre 2002 jusqu’à l’amnistie de la rébellion en 2003 et il y a les événements de novembre 2004 où l’armée française a tiré sur les Ivoiriens sur le pont de Gaulle et détruit l’aviation militaire ivoirienne. Voici les trois périodes qui ont jalonné cette fresque. Après 2004, il y a eu une certaine accalmie et on a attendu les élections en 2005, qui n’ont pas eu lieu et qui ont trainé jusqu’à 2010 où il y a eu les élections.
Scrib magazine : Mais tout ceci, ce sont des faits d’histoire. Pour en revenir à l’œuvre même, quel sens donnez-vous à ce travail artistique ?
Oussou Justin : Avant tout, c’est un travail de mémoire, puisque l’artiste est le témoin de ses contemporains, le témoin de son temps et le témoin de l’histoire. Nous qui vivons aujourd’hui et avons vécu ces faits allons oublier. Qu’en sera-t-il de ceux qui viendront après nous ? Il faudrait que nous leur laissions quelque chose pour qu’eux aussi sachent qu’en 2000 ou en 2002, il y a eu ceci ou cela. L’œuvre d’art est pratiquement éternelle. Ça, ce sont des vestiges que nous laissons à ceux qui viendront après nous et c’est un devoir de mémoire.. Il ne faut pas attendre que les Français, les Américains viennent écrire notre histoire à notre place pour la falsifier et l’écrire à leur avantage comme ils l’ont fait jadis.
Scrib magazine : Cette façon de présenter les événements en peinture est appelée peinture d’histoire et, en Côte d’Ivoire, vous semblez le premier à inaugurer cette démarche.
Oussou Justin : Bien sûr, je suis l’un des tout premiers à me lancer dans ce genre de travail, même dans toute l’Afrique pratiquement. En Europe, des artistes comme Picasso et Théodore Géricault avec, « le Radeau de la Méduse ». Ces artistes ont peint des événements de leur temps. C’est très difficile car il faut se mettre au-dessus de la mêlée .. Vous voyez, il y a une philosophie qui sous-tend l’art. L’art, pour régner, unit, alors que le politique, pour régner, divise. Ce n’est pas la même chose et en tant qu’artiste, il n’est pas bon de prendre parti dans un conflit.
Scrib magazine : Cette peinture d’histoire a été l’objet d’un livre que vous avez réalisé avec l’Assemblée nationale et dont le titre est : « Côte d’Ivoire : naissance d’une nation ».
Oussou Justin : Oui, c’est exact. Vous savez que l’Assemblée nationale est le lieu où se retrouvent les représentants du peuple issus de tous les partis. L’Assemblée nationale est le creuset même de la population, c’est un échantillon de la population ivoirienne. C’est à mon avis tout à fait normal que l’Assemblée nationale qui est le creuset du peuple, un échantillon du peuple, puisse sponsoriser une telle œuvre qui est la mémoire collective. Les cinq mille exemplaires tirés ont été épuisés et le Président Mamadou Koulibaly a payé tous mes droits d’auteur sur ce livre.
Scrib magazine : La crise sur laquelle vous avez porté votre regard perdure. L’artiste va-t-il continuer d’y tremper son pinceau pour un autre témoignage pour la postérité ?
Oussou Justin : Tout à fait. Comme je l’ai dit plus haut, l’artiste est le témoin de son temps. Et les événements marquants tels que ce que nous vivons ne peuvent pas laisser un artiste indifférent. Cela me donne des idées de peinture. Mais j’ai besoin d’un certain recul avant de commencer à travailler. C’est vrai que je travaille au fil des événements mais il me faut emmagasiner un certain nombre de choses pour pouvoir commencer à peindre. Ça a commencé en fin novembre début décembre et nous ne sommes qu’en janvier. Donc je n’ai pas le recul nécessaire pour peindre. Mais je suis l’actualité, je suis les événements et, déjà, je vois des tableaux se dessiner.
Scrib magazine : La tension que nous traversons actuellement est-elle de nature à permettre à un artiste comme vous de travailler ?
Oussou Justin : Oui ! L’artiste crée dans la difficulté, comme une mère donne naissance à l’enfant dans le sang, dans la difficulté, dans la souffrance. C’est comme ça que crée l’artiste. Et les œuvres que nous créons, nous les créons dans la souffrance. Nous les extirpons de notre moi intérieur, de notre for intérieur. Ce n’est pas facile. L’artiste crée plus quand il est en difficulté. Quand il est dans la joie, il ne fait rien. Ce sont ce genre d’événements qui le piquent et qui le poussent à prendre son pinceau pour créer. Dans la philosophie de l’art, il y a Apollon et il y a Dionysos. Apollon, c’est la justesse, l’équilibre, la netteté, mais Dionysos, c’est la fougue, l’ivresse, la violence, la destruction. Et un bon artiste doit allier ces deux éléments pour pouvoir créer efficacement. Quand il n’est que Dionysos, on dit que c’est trop fort, trop brutal et trop désordonné. Quand il n’est qu’Apollon, on dit que c’est trop net, c’est trop propre. Il faut allier les deux, la folie et l’équilibre, pour être un bon peintre.
Entretien réalisé par Koffi Koffi
Scrib magazine : Oussou Justin, vous avez réalisé entre 2000 et 2001 une fresque retraçant l’histoire présente de la Côte d’Ivoire et intitulée « De la transition à l’avènement de la deuxième République : le regard d’un peintre ». Quel sens donnez-vous à cette fresque exposée par le Musée d’Art Contemporain de Cocody ?
Oussou Justin : « De la transition à l’avènement de la deuxième République : le regard d’un peintre » est un pan d’une série de trois phases de peinture. Il y a eu le coup d’Etat militaire avec le Général Guéi en 99, puis dix mois de transition et, à l’intérieur de ces dix mois de transition, il y a eu un certain nombre d’événements qui m’ont marqué : il y a eu d’abord le coup d’Etat, ensuite Guéi s’est présenté comme le balayeur venu mettre de l’ordre… Il y a eu des avancées démocratiques telles que le vote à dix-huit ans, on a refait la constitution… donc on a senti un nouveau dynamisme dans le fonctionnement de l’Etat, bien que ce fut un pouvoir militaire. Mais il fut un temps, à partir de mai juin 2000, où le Général a disons changé de cap. On l’avait vu en treillis et, puis soudain, on le voit en veste alors qu’il préparait les élections. Cela a créé un choc dans l’esprit des Ivoiriens. Le général revenait sur la parole donnée. C’est l’élément charnière de la transition militaire et j’en ai fait un tableau que j’ai appelé « Ombre et lumière de la transition militaire ». A partir de cette époque, les choses ont changé. Le Général a commencé à porter la veste, la cravate… Mais quand ils sont allés aux élections, il les a perdues et il a voulu confisquer le pouvoir. Vous connaissez la suite… Tous les événements qui tournaient autour de cette période constituent la première phase de ma fresque. Cette fresque se découpe en trois périodes jusqu’en 2004. C’est ce que la Mairie de Cocody a acheté. Ensuite , il y a eu une autre série sur la guerre du 19 septembre, avec la mort du général Guéi.
Scrib magazine : Mais les amateurs d’art de Côte d’Ivoire ne connaissent pas beaucoup cette deuxième période !
Oussou Justin : Mais tout cela figure dans le livre (NDLR : un beau livre réalisé par l’Assemblée nationale à partir de cette fresque), tout jusqu’en 2004 est dans le livre. Donc la fresque se découpe en trois périodes : il y a la période de la transition militaire, il y a la période du 19 septembre 2002 jusqu’à l’amnistie de la rébellion en 2003 et il y a les événements de novembre 2004 où l’armée française a tiré sur les Ivoiriens sur le pont de Gaulle et détruit l’aviation militaire ivoirienne. Voici les trois périodes qui ont jalonné cette fresque. Après 2004, il y a eu une certaine accalmie et on a attendu les élections en 2005, qui n’ont pas eu lieu et qui ont trainé jusqu’à 2010 où il y a eu les élections.
Scrib magazine : Mais tout ceci, ce sont des faits d’histoire. Pour en revenir à l’œuvre même, quel sens donnez-vous à ce travail artistique ?
Oussou Justin : Avant tout, c’est un travail de mémoire, puisque l’artiste est le témoin de ses contemporains, le témoin de son temps et le témoin de l’histoire. Nous qui vivons aujourd’hui et avons vécu ces faits allons oublier. Qu’en sera-t-il de ceux qui viendront après nous ? Il faudrait que nous leur laissions quelque chose pour qu’eux aussi sachent qu’en 2000 ou en 2002, il y a eu ceci ou cela. L’œuvre d’art est pratiquement éternelle. Ça, ce sont des vestiges que nous laissons à ceux qui viendront après nous et c’est un devoir de mémoire.. Il ne faut pas attendre que les Français, les Américains viennent écrire notre histoire à notre place pour la falsifier et l’écrire à leur avantage comme ils l’ont fait jadis.
Scrib magazine : Cette façon de présenter les événements en peinture est appelée peinture d’histoire et, en Côte d’Ivoire, vous semblez le premier à inaugurer cette démarche.
Oussou Justin : Bien sûr, je suis l’un des tout premiers à me lancer dans ce genre de travail, même dans toute l’Afrique pratiquement. En Europe, des artistes comme Picasso et Théodore Géricault avec, « le Radeau de la Méduse ». Ces artistes ont peint des événements de leur temps. C’est très difficile car il faut se mettre au-dessus de la mêlée .. Vous voyez, il y a une philosophie qui sous-tend l’art. L’art, pour régner, unit, alors que le politique, pour régner, divise. Ce n’est pas la même chose et en tant qu’artiste, il n’est pas bon de prendre parti dans un conflit.
Scrib magazine : Cette peinture d’histoire a été l’objet d’un livre que vous avez réalisé avec l’Assemblée nationale et dont le titre est : « Côte d’Ivoire : naissance d’une nation ».
Oussou Justin : Oui, c’est exact. Vous savez que l’Assemblée nationale est le lieu où se retrouvent les représentants du peuple issus de tous les partis. L’Assemblée nationale est le creuset même de la population, c’est un échantillon de la population ivoirienne. C’est à mon avis tout à fait normal que l’Assemblée nationale qui est le creuset du peuple, un échantillon du peuple, puisse sponsoriser une telle œuvre qui est la mémoire collective. Les cinq mille exemplaires tirés ont été épuisés et le Président Mamadou Koulibaly a payé tous mes droits d’auteur sur ce livre.
Scrib magazine : La crise sur laquelle vous avez porté votre regard perdure. L’artiste va-t-il continuer d’y tremper son pinceau pour un autre témoignage pour la postérité ?
Oussou Justin : Tout à fait. Comme je l’ai dit plus haut, l’artiste est le témoin de son temps. Et les événements marquants tels que ce que nous vivons ne peuvent pas laisser un artiste indifférent. Cela me donne des idées de peinture. Mais j’ai besoin d’un certain recul avant de commencer à travailler. C’est vrai que je travaille au fil des événements mais il me faut emmagasiner un certain nombre de choses pour pouvoir commencer à peindre. Ça a commencé en fin novembre début décembre et nous ne sommes qu’en janvier. Donc je n’ai pas le recul nécessaire pour peindre. Mais je suis l’actualité, je suis les événements et, déjà, je vois des tableaux se dessiner.
Scrib magazine : La tension que nous traversons actuellement est-elle de nature à permettre à un artiste comme vous de travailler ?
Oussou Justin : Oui ! L’artiste crée dans la difficulté, comme une mère donne naissance à l’enfant dans le sang, dans la difficulté, dans la souffrance. C’est comme ça que crée l’artiste. Et les œuvres que nous créons, nous les créons dans la souffrance. Nous les extirpons de notre moi intérieur, de notre for intérieur. Ce n’est pas facile. L’artiste crée plus quand il est en difficulté. Quand il est dans la joie, il ne fait rien. Ce sont ce genre d’événements qui le piquent et qui le poussent à prendre son pinceau pour créer. Dans la philosophie de l’art, il y a Apollon et il y a Dionysos. Apollon, c’est la justesse, l’équilibre, la netteté, mais Dionysos, c’est la fougue, l’ivresse, la violence, la destruction. Et un bon artiste doit allier ces deux éléments pour pouvoir créer efficacement. Quand il n’est que Dionysos, on dit que c’est trop fort, trop brutal et trop désordonné. Quand il n’est qu’Apollon, on dit que c’est trop net, c’est trop propre. Il faut allier les deux, la folie et l’équilibre, pour être un bon peintre.