Amédée Pierre a soufflé la chandelle depuis le 30 octobre dernier. Et depuis, les réactions de ses proches se multiplient pour rendre hommage à l’icône de la musique ivoirienne, le « Dopé National ». Dans cet entretien, Léonard Groguhet raconte son maître Amédée Pierre.
Depuis le 30 octobre dernier, la Côte d’Ivoire musicale est orpheline. Le doyen Amédée Pierre a déposé définitivement le micro. Comment avez –vous rencontré le « Dopé national » ?
J’ai rencontré Amédée Pierre en 1953. Il était infirmier aux grandes endémies à Dimbokro.
Je le connais bien. Mon oncle maternel était marié à sa grande sœur, Tiloué Gbaté.
Pendant les vacances, on se retrouvait à ‘’Bétipriha’’. Partout, on était ensemble. C’est mon cousin Norbert Gotigo - qui travaille à l’Agence spéciale – qui lui a acheté sa première guitare. Je suis allé au service militaire. Je suis revenu et je suis retourné. Je suis allé à l’école d’art dramatique. A mon retour en Côte d’Ivoire, j’ai créé l’émission ‘’Comment ça va ?’’. J’ai dansé aussi pour Amédée Pierre. Quand il chantait, je dansais avec Titi Tagro. Notre batteur était Diabo Steck. C’est ce que de nombreux Ivoiriens ne savent pas. On nous annonçait et on dansait. Nous sommes allés à Dakar – Sénégal, en tant que danseur confirmé de Amédée Pierre. J’ai aussi dansé au « Dopé » à Marcory. Je pense que tous les musiciens qui sont arrivés après, se sont inspirés de Amédée Pierre et moi.
Comment avez-vous appris la nouvelle de son décès ?
J’étais vraiment assommé. Parce que Bienvenue Néba était allé le voir à l’hôpital. Et il m’a dit : « Vraiment, le doyen Amédée Pierre est mal en point ». Je lui ai répondu : « Attends, on va aller le voir ensemble ». On s’apprêtait, quand un matin, un de mes neveux médecin au Chu informe son père qui, lui à son tour, m’appelle au téléphone pour me dire : « Amédée vient de laisser la cuillère ». C’est une expression Bété pour dire qu’il est décédé. Je n’en revenais pas. J’étais abasourdi. C’est terrible comme nouvelle. C’est une perte pour la musique ivoirienne, voire africaine. Parce que Amédée Pierre a beaucoup influencé les musiciens à travers l’Afrique. Je pense que comme le Chef de l’Etat veut s’impliquer dans les obsèques de Amédée Pierre, il faudrait qu’on décrète une journée de deuil national.
C’est le souhait des artistes ivoiriens.
La chanson ‘’Soklopeu’’ de Amédée Pierre cache un grand mystère ou même une parabole. Pouvez-vous donner le sens de celle-ci ?
Toutes les chansons de Amédée Pierre avaient des significations. Il ne chantait jamais au hasard. Il était un poète. ‘’Soklopeu’’ relate l’histoire d’un vantard. Amédée Pierre a pris le mille-pattes comme référence. Cet homme était vaniteux et orgueilleux. Il disait à ses frères : « Vous avez peur des Blancs (colons). Moi, j’ai des fétiches. Ils ne peuvent rien me faire. Il a même passé le pari avec des villageois et il est parti voir les Blancs (colons)». Une fois à la porte, ‘’Soklopeu’’ s’est mis à frapper à la porte ‘’Kôkô kôkô’’. Et le Blanc d’interroger : « Qui est là ?». «C’est moi, ‘’Soklopeu’’. Je suis venu…», rétorqua ‘’Soklopeu’’. Le Blanc donnait l’ordre aux gardes d’arrêter et d’emprisonner ‘’Soklopeu’’. Et il a commencé à pleurer. Lui, qui se disait intrépide et téméraire. Etant dans la geôle de la prison, il pleurnichait et il demandait à toute personne de passage de porter la nouvelle à sa famille, afin qu’on vienne le libérer. Informés, les parents de ‘’Soklopeu’’ sont venus, munis d’un bouc (Baglôbehi) et d’un gros coq (Zoglôté). Et ils sont allés présenter leurs excuses au Gouverneur français (colon). Une fois libre, ‘’Soklopeu’’ a refusé de retourner au village en compagnie de ses parents. Tard dans la nuit, il est arrivé au village et il a commencé ses fanfaronnades. « Qu’est-ce que je vous ai dit, les Blancs ne peuvent rien me faire », s’est-il glorifié. Entre temps, ‘’Soklopeu’’ avait oublié que les parents étaient déjà arrivés au village avant lui et avaient divulgué les circonstances de sa mise en liberté. Les villageois se sont mis à se moquer de lui. La moralité de cette chanson est qu’il faut éviter d’être vaniteux, orgueilleux, vantard et menteur. La vérité finit toujours par rattraper le mensonge.
Il y a aussi la célèbre chanson ‘’Lorougnon Rabé’’…
Il s’agit d’un ami de Amédée Pierre. En naissant, chaque individu vient avec sa maladie.
Celle qui peut ou doit l’emporter. Lorougnon Rabé était toujours malade. Amédée Pierre lui dit au travers de la chanson que nous avons tout fait. Nous sommes passés chez les féticheurs et les charlatans pour te soigner, mais hélas la maladie persiste. Elle ne veut pas te laisser. C’est une manière d’attirer l’attention des populations sur les maladies incurables ou persistantes.
Que laisse Amédée Pierre à la génération montante aujourd’hui ?
Amédée Pierre est le précurseur de la musique ivoirienne moderne. Il laisse beaucoup aux jeunes Ivoiriens. Si aujourd’hui, les jeunes sont épanouis dans le domaine de la musique, c’est grâce à Amédée Pierre. Beaucoup de chanteurs africains se sont inspirés de lui.
Réalisé par Patrick Krou
Depuis le 30 octobre dernier, la Côte d’Ivoire musicale est orpheline. Le doyen Amédée Pierre a déposé définitivement le micro. Comment avez –vous rencontré le « Dopé national » ?
J’ai rencontré Amédée Pierre en 1953. Il était infirmier aux grandes endémies à Dimbokro.
Je le connais bien. Mon oncle maternel était marié à sa grande sœur, Tiloué Gbaté.
Pendant les vacances, on se retrouvait à ‘’Bétipriha’’. Partout, on était ensemble. C’est mon cousin Norbert Gotigo - qui travaille à l’Agence spéciale – qui lui a acheté sa première guitare. Je suis allé au service militaire. Je suis revenu et je suis retourné. Je suis allé à l’école d’art dramatique. A mon retour en Côte d’Ivoire, j’ai créé l’émission ‘’Comment ça va ?’’. J’ai dansé aussi pour Amédée Pierre. Quand il chantait, je dansais avec Titi Tagro. Notre batteur était Diabo Steck. C’est ce que de nombreux Ivoiriens ne savent pas. On nous annonçait et on dansait. Nous sommes allés à Dakar – Sénégal, en tant que danseur confirmé de Amédée Pierre. J’ai aussi dansé au « Dopé » à Marcory. Je pense que tous les musiciens qui sont arrivés après, se sont inspirés de Amédée Pierre et moi.
Comment avez-vous appris la nouvelle de son décès ?
J’étais vraiment assommé. Parce que Bienvenue Néba était allé le voir à l’hôpital. Et il m’a dit : « Vraiment, le doyen Amédée Pierre est mal en point ». Je lui ai répondu : « Attends, on va aller le voir ensemble ». On s’apprêtait, quand un matin, un de mes neveux médecin au Chu informe son père qui, lui à son tour, m’appelle au téléphone pour me dire : « Amédée vient de laisser la cuillère ». C’est une expression Bété pour dire qu’il est décédé. Je n’en revenais pas. J’étais abasourdi. C’est terrible comme nouvelle. C’est une perte pour la musique ivoirienne, voire africaine. Parce que Amédée Pierre a beaucoup influencé les musiciens à travers l’Afrique. Je pense que comme le Chef de l’Etat veut s’impliquer dans les obsèques de Amédée Pierre, il faudrait qu’on décrète une journée de deuil national.
C’est le souhait des artistes ivoiriens.
La chanson ‘’Soklopeu’’ de Amédée Pierre cache un grand mystère ou même une parabole. Pouvez-vous donner le sens de celle-ci ?
Toutes les chansons de Amédée Pierre avaient des significations. Il ne chantait jamais au hasard. Il était un poète. ‘’Soklopeu’’ relate l’histoire d’un vantard. Amédée Pierre a pris le mille-pattes comme référence. Cet homme était vaniteux et orgueilleux. Il disait à ses frères : « Vous avez peur des Blancs (colons). Moi, j’ai des fétiches. Ils ne peuvent rien me faire. Il a même passé le pari avec des villageois et il est parti voir les Blancs (colons)». Une fois à la porte, ‘’Soklopeu’’ s’est mis à frapper à la porte ‘’Kôkô kôkô’’. Et le Blanc d’interroger : « Qui est là ?». «C’est moi, ‘’Soklopeu’’. Je suis venu…», rétorqua ‘’Soklopeu’’. Le Blanc donnait l’ordre aux gardes d’arrêter et d’emprisonner ‘’Soklopeu’’. Et il a commencé à pleurer. Lui, qui se disait intrépide et téméraire. Etant dans la geôle de la prison, il pleurnichait et il demandait à toute personne de passage de porter la nouvelle à sa famille, afin qu’on vienne le libérer. Informés, les parents de ‘’Soklopeu’’ sont venus, munis d’un bouc (Baglôbehi) et d’un gros coq (Zoglôté). Et ils sont allés présenter leurs excuses au Gouverneur français (colon). Une fois libre, ‘’Soklopeu’’ a refusé de retourner au village en compagnie de ses parents. Tard dans la nuit, il est arrivé au village et il a commencé ses fanfaronnades. « Qu’est-ce que je vous ai dit, les Blancs ne peuvent rien me faire », s’est-il glorifié. Entre temps, ‘’Soklopeu’’ avait oublié que les parents étaient déjà arrivés au village avant lui et avaient divulgué les circonstances de sa mise en liberté. Les villageois se sont mis à se moquer de lui. La moralité de cette chanson est qu’il faut éviter d’être vaniteux, orgueilleux, vantard et menteur. La vérité finit toujours par rattraper le mensonge.
Il y a aussi la célèbre chanson ‘’Lorougnon Rabé’’…
Il s’agit d’un ami de Amédée Pierre. En naissant, chaque individu vient avec sa maladie.
Celle qui peut ou doit l’emporter. Lorougnon Rabé était toujours malade. Amédée Pierre lui dit au travers de la chanson que nous avons tout fait. Nous sommes passés chez les féticheurs et les charlatans pour te soigner, mais hélas la maladie persiste. Elle ne veut pas te laisser. C’est une manière d’attirer l’attention des populations sur les maladies incurables ou persistantes.
Que laisse Amédée Pierre à la génération montante aujourd’hui ?
Amédée Pierre est le précurseur de la musique ivoirienne moderne. Il laisse beaucoup aux jeunes Ivoiriens. Si aujourd’hui, les jeunes sont épanouis dans le domaine de la musique, c’est grâce à Amédée Pierre. Beaucoup de chanteurs africains se sont inspirés de lui.
Réalisé par Patrick Krou