Ils sont 440 à postuler pour les législatives du 11 décembre 2011. On les appelle «les indépendants». Et ils se présentent pour tels. A eux seuls, ils représentent plus du tiers des 1182 candidats retenus par le Conseil constitutionnel. D’ores et déjà, l’on peut dire qu’ils pèseront lourd dans les débats de campagne. De bonne source, des indépendants qui ont flirté avec le régime de l’ancien président Laurent Gbagbo ont déjà annoncé la couleur en indiquant qu’ils sont candidats pour venger leur champion Gbagbo. Rien de moins. Il est facile de prévoir qu’une fois élus, ils seront d’un poids important dans les débats à l’hémicycle. D’ailleurs, en Afrique, plus qu’ailleurs, les parlements sont connus pour se transformer souvent en lieu de transaction, de transhumance, de chantage, parfois en foires d’empoigne où les règlements de comptes ne sont jamais loin. Sans nier la liberté pour tout citoyen de participer librement à la vie politique et de briguer, tout autant librement, le suffrage du peuple, il est à craindre néanmoins que, dans un pays qui sort d’une sévère crise postélectorale qui a fait 3000 morts au moins, la controverse ne s’invite massivement au sein de la future Assemblée. Ce ne sont pas les sujets qui manqueraient. De la polémique sur le transfèrement ou non de l’ex-président Gbagbo à la Cpi, au programme du président Alassane Ouattara, en passant par la révision annoncée de la Constitution, il y en a à la pelle. Il suffirait de peu, pour mettre le feu à la poudrière parlementaire. Dès lors, hétéroclite et multicolore, qui contrôlera cette vague des indépendants au moment même où le pays veut renouer avec la stabilité ? Ne répondant de personne ni rien, pas même de leurs électeurs, puisque le mandat de députés est impératif, des indépendants pourraient bien laisser parler leurs frustrations contre leurs partis politiques d’origine, puisqu’une bonne majorité provient du Pdci et du Rdr, les deux forces politiques du Rhdp au pouvoir. Hier, un groupe d’indépendants du Rdr a planté le décor en appelant de tous les noms d’oiseaux, le secrétaire général Amadou Soumahoro. Les candidats qui ont bravé la consigne de boycott de Lmp, eux, ne s’en cachent. Le groupe de Coulibaly Gervais, l’ancien porte-parole de Laurent Gbagbo l’a dit, il y a une semaine. Les candidats du Cnrd dont il se réclame, n’hésiteront pas à tout bloquer, si leur champion doit être livré à la Cpi. Prévoir qu’ils soient rejoints dans un bras de fer contre le gouvernement, par tous ceux des indépendants qui ont flirté avec le pouvoir défunt de Lmp, n’est qu’une simple question de logique. A côté de ces catégories d’indépendants, il y a enfin, les sans opinions fixes, une sorte d’électrons libres. Ils iront où les amène le vent. N’étant redevables d’aucun parti, rien ne les empêcherait de se ranger dans le camp des pro-Gbagbo, soit pour se faire une place, soit pour régler des comptes aux dirigeants de leurs formations politiques où ils sont menacés de radiation. On le voit, la question des indépendants n’est pas si banale. Elle l’est d’autant moins que c’est bien la première fois qu’une telle vague menace sérieusement la composition d’une Assemblée nationale. Certes, la diversité des opinions est une richesse en démocratie avancée. Ici, elle pourrait être une menace dans le contexte de sortie de crise, dans un pays en plein apprentissage de la démocratique, où le mot liberté rime parfois avec le mot marché. Comment libérer les énergies démocratiques, sans ouvrir la boîte de pandore ? La balle est dans le camp des électeurs du 11 décembre. Quelqu’un le disait, il vaut mieux l’injustice au désordre. L’injustice ici, ce sont ces indépendants qui ne sont pas moins méritants que leurs camarades de lutte adoubés et financés par leurs partis politiques. Le désordre, ce serait de favoriser que le phénomène des indépendants ne soit récupéré politiquement pour devenir un chiffon rouge, au profit d’intentions masquées qui visent à rendre le pays ingouvernable. S’il est des phénomènes dont on sait où ils commencent et dont on ne sait jamais à l’avance comment ils vont finir, celui des indépendants en est peut-être un.
Benoit HILI
Benoit HILI