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Art et Culture Publié le samedi 26 novembre 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Les samedis de Biton : Kwame N’krumah et le fou d’Accra

La citation a été attribuée à Félix Houphouët-Boigny mais elle est, en fait, d’Ahmadou Hampaté Bâ. D’ailleurs, le père de la Nation disait, à chaque fois qu’il la citait, qu’elle était de son ami Hampaté Bâ. Etant fréquent chez Hamapté Bâ, il l’a souvent répété devant moi. « Il y a trois sortes de fous. Le vrai fou. Celui qui avait tout et qui perd tout. Celui qui n’avait rien et gagne tout d’un coup. » Pour Hampaté Ba, le vrai fou se guérit beaucoup plus vite que ces deux autres coéquipiers. Comme pour nous dire que fou n’est pas fou. Dès que mon éditeur m’a remis la réimpression de mon livre intitulé : « Le domestique du président. » J’ai pensé immédiatement au fou d’Accra qui m’avait inspiré cette nouvelle. Si le roman est beaucoup plus de la fiction, la nouvelle part d’une histoire vraie. Tout le monde sait que Kwamé N’Krumah a été le premier président de la République du Ghana. Sa mort le 27 avril 1972 à Bucarest a plongé l’Afrique dans une tristesse sans précédent. Avec son décès, c’est l’espoir d’une Afrique véritablement intégrée politiquement, économiquement, socialement et militairement qui s’évanouissait à jamais. On ne voyait pas un Africain qui pourrait avoir son charisme et son intelligence. Jusqu’aujourd’hui, l’Afrique pleure le fils de N’Kroful, son lieu de naissance, tout juste à côté de la frontière ivoirienne. N’Krumah voyait loin et avait une compréhension de ce que voulait son peuple. Sa connaissance de ce qui se passait à Accra et dans tout le Ghana étonnait. Les gens n’ont pas mis assez de temps pour comprendre d’où venait l’information de l’Osagyefo sur son peuple. Dans ces années –là, Accra voyait un fou qui sillonnait toutes les rues de la ville, parlant, braillant même, portant son avis sur tout et rien. On ne pouvait pas douter de sa folie en le voyant mais son intelligence impressionnait. Surtout qu’il était critique sur les dérives du pouvoir et se faisait la voix des sans voix. Les peuples aiment ce genre de personne. C’est à dire ceux qui disent certaines vérités publiquement sur le pouvoir. Et quand cette personne est un fou, sa popularité est immense. Personne ne viendra l’arrêter. C’est un homme libre. Personne ne veut ce genre de fou dans un asile. Il voit trop « clair. » Sa réputation est arrivée, évidemment, à N’Krumah qui a décidé de le recevoir. Première rencontre, succès immédiat. Kwamé N’Krumah ne pouvait plus se passer de ce fou d’Accra. Il discutait de tout et de rien avec ce fou qui retrouvait la rue après « ses audiences ». Certains ont même pensé qu’il était un espion. Non, c’était un vrai fou. Comme de nombreux chefs d’Etat dans le monde, N’Krumah avait compris que la connaissance de l’âme d’un peuple ne pouvait venir de ceux qui vivent dans le confort. Les « grands types » ne peuvent pas dire la vérité à un Président, c’est une croyance répandue. C’est comme dans l’Evangile quand le Christ dit que la vérité vient de la bouche des enfants. «Je te bénis, Père, Seigneur du Ciel et de la Terre, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout-petits.» Le petit dans le pays, c’est celui qui n’a pas la possibilité d’écrire dans un journal, le petit, c’est le paysan dans le fin fonds de sa brousse, c’est aussi l’ouvrier de la ville que la télévision ne viendra jamais interviewer. Le petit, c’est le plombier, le mécanicien, le frigoriste. Tous ceux qui pratiquent les petits métiers sont des petits. Ce sont des fous. Des fous comme celui d’Accra sous N’Nkrumah. A les écouter on est très loin des discours officiels, des critiques dans la presse. Dire la vérité sincère c’est surtout être dans la possibilité de ne rien gagner. Le petit n’a pas la prétention d’être maire, député, ministre ou même un conseiller ou chargé de mission quelque part dans un grand bureau climatisé. Le petit n’a pas de voiture et il n’en aura pas. Il est libre et sincère. Peut-être qu’ils changeront quand on créera une assemblée nationale pour eux. Mais ils ne le voudront pas comme le savetier de la fable qui préfère rester à sa place après avoir remplacé le financier. Ma nouvelle « Le domestique du Président » est une fiction mais elle est arrivée dans plusieurs endroits de l’Afrique avant ou après la publication de ce livre. Qui ne sait pas que l’arrivée d’un Président dans un lieu pousse à tout restaurer le temps d’une présence ? Qui ne sait pas que la parole n’est pas donnée à la ménagère du quartier mais au « représentant du peuple » ? Il faut être en ce moment dans certains quartiers pour comprendre à quoi sert ce peuple. Jamais ce petit peuple n’a été aussi écouté. Jamais les petits n’ont reçu autant de propositions. Les listes circulent pour inscrire les noms de tous ceux qui aimeraient avoir des crédits et même des dons afin de faire un petit commerce. Des chronogrammes modifiés au fur et à mesure, des interminables réunions restent sans lendemain. « On a fini par comprendre que tous ceux qui nous courtisaient n’étaient que des candidats à une élection. C’est quand on a cassé nos bicoques que nous avons compris. Aujourd’hui des maris sont séparés de près de vingt kilomètres de leurs épouses et de leurs enfants. Leurs affaires dispersées dans les décombres et les gravats. » Ils n’avaient pas compris. On ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.

Isaïe Biton Koulibaly
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