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Politique Publié le vendredi 2 décembre 2011 | Le Temps

Humiliations, emprisonnements : Ouattara, Gbagbo t’a fait quoi ?

© Le Temps
2ème Tour du scrutin présidentiel : Face à face télévisé entre Alassane Ouattara et Gbagbo Laurent
Les deux candidats en lice pour le second tour de la présidentielle, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, débattent sur le petit-écran de la première chaîne de la télévision nationale.
Déporté à l’Haye, Laurent Gbagbo, est aujourd’hui affublé de tous les maux. Son successeur, Alassane Ouattara, qui, au lendemain de son accession au pouvoir dans des conditions apocalyptiques, l’avait déjà cloué au pilori, déclarant «qu’il n’échappera pas à la prison», ne montre aucun signe de desserrement de l’étau sur son prédécesseur. La crise postélectorale qui a mis face à face les deux hommes explique-t-elle, seule, cet acharnement ? Rien n’est moins sûr. Ce qui, trivialement, amène à poser la question : Ouattara, Gbagbo t’a fait quoi ? D’autant plus que labourant l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, rien dans les actes de Laurent Gbagbo envers Alassane Ouattara n’incline à une volonté de nuisance.
Quand l’intégrité physique de Ouattara devient un souci pour Gbagbo
«Ici, qui ne m’a pas fait de mal», disait Laurent Gbagbo, dans le «making off» de «un homme, une vision», film documentaire qui retrace la vie de l’ancien chef de l’Etat et qui porte la signature de Hanny Tchelley. On voit en filigrane la marche de 18 février 1992, avec Alassane Ouattara comme Premier ministre. Laurent Gbagbo, Simone Gbagbo, Michel Gbagbo et d’autres démocrates sont arrêtés et jetés en prison. Pour avoir exigé du gouvernement, des sanctions contre les militaires de la défunte Firpac (Force d’intervention rapide para-commandos) du tristement célèbre Faisan Bi Séhi. Celui-là même qui a conduit une expédition punitive dans la nuit du 17 au 18 mai 1991 dans les ex-résidences universitaires de Yopougon I et II. Descente musclée qui s’est soldée par coups et blessures, vol et viol, au détriment d’étudiants et étudiantes. Des chefs d’accusation puérils allant d’atteinte à la sûreté de l’Etat à l’incendie volontaire en passant par la destruction de biens privés et publics ont maintenu Laurent Gbagbo et ses camarades des mois durant à la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Cette arrestation arbitraire a été dénoncée par le monde entier. La pression internationale, conjuguée avec les efforts internes ont permis aux prisonniers politiques de recouvrer la liberté. Ce combat démocratique sera couronné par l’avènement de Laurent Gbagbo au pouvoir en 2000. Deux ans plus tard, précisément dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, alors que Laurent Gbagbo séjournait en Italie, où était inscrite sur son agenda, une rencontre avec le pape feu Jean Paul II, une horde de rebelles tente de renverser l’ordre constitutionnel, à Abidjan. Le coup d’Etat qui va se muer plus tard en rébellion échoue. Non sans mettre Abidjan à feu et à sang. Boga Doudou, ancien ministre de l’Intérieur, trépasse. Robert Guéi, chef de l’ex-junte militaire, aussi. Dans ce chaos sécuritaire, Alassane Ouattara, craignant pour sa vie, remue son carnet d’adresses. Dans une rare goujaterie diplomatique, l’ancien ambassadeur français Renaud Vignal intimait l’ordre au ministre Lida de mettre Alassane Ouattara en sécurité, à l’ambassade de France. L’ancien ministre de la Défense qui a frôlé la mort semblait être préoccupé par l’organisation de ce qui restait de la défense face à l’ennemi. En dépit de la douleur qui l’étreignait avec la perte de son «frère» Boga Doudou, Laurent Gbagbo est intervenu, personnellement, de l’Italie pour que Lida mette un char à la disposition de Ouattara. Ce qui a permis à ce dernier de se mettre à l’abri, lui qui redoutait une attaque des gendarmes postés non loin de sa résidence. L’histoire n’admet pas de jugements précautionneux. Si l’actuel chef de l’Etat écrit la sienne, il doit chaque instant interroger celle de la Côte d’Ivoire.
Ouattara doit sa présidence à Gbagbo
Alassane Ouattara, Président de la République. Qui l’eut cru ! En tout cas, pas les militants de la rue Lepic. Encore moins ceux qui ne portaient pas le Républicain (sic !) dans leur cœur. Le débat sur sa nationalité a vécu. Au commencement, il y avait l’ivoirité, propriété intellectuelle de Henri Konan Bédié, président du Pdci-Rda, qui continue d’ailleurs de toucher les droits d’auteur. A l’arrivée, Laurent Gbagbo se faisait hara-kiri –c’est Ouattara qui le maintient dans les liens de la détention, ironie du sort- en autorisant tous les signataires des accords de Marcoussis qui le désiraient à se présenter à l’élection présidentielle. Faisant fi de la célèbre formule qui veut «qu’en politique, on ne fasse pas la passe à son adversaire». Heurtant la sensibilité de ses partisans. La décision de Laurent Gbagbo d’user de l’article 48 de la Constitution pour autoriser Ouattara à compétir est diversement interprétée. Si les uns y ont vu une décision courageuse à même de décrisper l’atmosphère politique, les autres ont râlé de qu’ils ont appelé «viol de la Constitution» dont l’article 35 apparaissant comme un verrou à l’ambition d’Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo a pris un risque politique, là où Bédié et Guéi ont brandi le glaive contre Ouattara. Certes, premier citoyen, Laurent Gbagbo avait à cœur d’offrir la paix à ses concitoyens. Dont une frange importante qui avait épousé les causes de M. Ouattara s’est sentie ostracisée. Mais, le premier bénéficiaire de son geste reste avant tout M. Ouattara. Aujourd’hui, en guise de remerciements, ce dernier prive son «bienfaiteur» de liberté.
Gbagbo : ange ou démon
De sa cellule à la Haye, Laurent Gbagbo doit certainement avoir des regrets. Lui qui a voulu instaurer la démocratie dans un pays où les pesanteurs ethno-tribales sont encore fortes. Un pays qui se trouve être sous les tropiques, où projet de société et/ou programme de gouvernement sont justes bons pour une masturbation intellectuelle. Pascal Affi N’Guessan est quotidiennement humilié à Bouna pour avoir fait publier dans les colonnes de certains journaux ce qu’il croyait être la position de son parti sur la marche du pays, au lendemain de l’arrestation de Laurent Gbagbo. Alors qu’au nom de la liberté d’expression, parce que convaincu que la parole libère, l’ancien chef d’Etat a laissé prospérer des propos du genre «nous allons mélanger ce pays» ou «nous n’attendrons pas cinq ans pour arriver au pouvoir». Nourri à la mamelle de la démocratie occidentale, du temps de son exil parisien, entre 1982 et 1988, Laurent Gbagbo a voulu faire de ce pays, une Nation. Démocratique. On lui doit le bulletin unique, le vote à 18 ans, l’urne transparente, etc. Il a «vomi» le népotisme dans la gestion des affaires de l’Etat. Son gouvernement était représentatif de la Côte d’Ivoire, riche de sa diversité ethnique. Krou, son Premier ministre était nordiste, son chef d’état major Akan. A juste titre, Ouattara confiait à la star reggae, Alpha Bondy : «Gbagbo n’est pas tribaliste». Lorsque ce dernier lance les grands travaux à Yamoussoukro, il ne traduit que dans les faits le transfert de la capitale dans le pays Akouè comme en ont décidé les législateurs, en 1983. En pleine crise, au moment où la partie Nord du pays est aux mains des Com’zones, politiquement et économiquement, sevrant l’Etat d’une partie importante de ses ressources, Gbagbo lance le bitumage de l’axe Korhogo-Boundiali. Au même moment, les populations de Gagnoa d’où il est originaire ronronnent sur le piteux état de leur route. Une autre preuve, s’il en était besoin, que Laurent Gbagbo s’est gardé d’être un Président d’une région. Couvert d’opprobres par ses opposants, c’est sans haine qu’il est à leur chevet en temps de malheur. N’a-t-il pas fait évacuer Gaoussou Ouattara, frère aîné d’Alassane Ouattara pour des soins ? Djédjé Mady, le «bouillant» Secrétaire général du Pdci-Rda, très acerbe envers le régime Gbagbo, ne se cache pas pour dire à qui veut l’entendre, «quand j’ai perdu ma sœur, Gbagbo m’a donné 5 millions». La liste de ceux qui ont bénéficié des largesses de Gbagbo, aussi bien au Rdr qu’au Pdci, est longue, très longue. Il ne nous appartient pas de violer le serment du concerné qui a toujours couvert ces gestes du sceau de la confidentialité. Et le mérite de la morale lui revient. Ce que Gbagbo a fait ou accepté, Ouattara ne peut faire ou accepter le dixième. Il ne mérite pas le traitement qui est le sien. Si Alassane Ouattara se plaisait à appeler Gbagbo, « Laurent », le tutoyant, il sait dans son for intérieur que, bien que chef d’Etat, Laurent Gbagbo est resté égal à lui-même, ouvert, d’un humour légendaire, adopté de la quasi-totalité des foyers ivoiriens. Mais surtout la preuve qu’il n’a jamais nourri une quelconque animosité envers ses opposants, même ceux qui, au nombre de qui se trouve Ouattara, l’ont humilié. Si par la seule volonté de la France sarkozyenne, Laurent Gbagbo se trouve entre les mains de Ouattara, ce dernier doit comparaître devant le tribunal de sa conscience pour se poser une question et une seule : Laurent mérite-t-il que ça soit moi Ouattara qui l’emprisonne et l’humilie ? Pertinente question.
Tché Bi Tché
zanbi05641405@yahoo.fr
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