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Art et Culture Publié le vendredi 2 décembre 2011 | Nord-Sud

INTERVIEW/Tiburce Koffi, nouveau directeur :“Mon rêve pour l’Insaac”

© Nord-Sud Par DR
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Photo: Sogona Bamba (G), Tiburce Koffi (C) et Touré Mamadou (D)
Écrivain émérite, professeur de lettres, musicien, Tiburce Koffi est celui-là qui a la charge de conduire la destinée de l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac). Entre la rédaction de ses livres, sa passion pour l’art et la gestion de son établissement, il a pu trouver un moment pour se soumettre au jeu de questions-réponses de votre reporter.
Quels sont vos émotions après cette nomination à la tête de l’Insaac?
Un mois après la cérémonie de passation des charges, je ne peux plus être sous le coup de l’émotion, encore même que je ne l’avais pas été ce jour-là. Je ne prends pas cette nomination comme un cadeau. Je n’ai jamais pris une nomination avec une émotion particulière. Je suis très lucide face à ces choses-là. Etre Dg de l’Insaac, ce  n’est ni trop grand, ni trop peu pour moi. C’est juste un poste que l’on m’a confié dans un temps précis,  pour une mission précise que je me sens apte à accomplir.  

Vouliez-vous plus … ?
Non, pas du tout. Je n’ai jamais été demandeur d’un poste. L’’autorité m’a appelé pour me demander d’assurer cette fonction. Et comme je me sens apte à l’accomplir, j’ai dit oui. Comme je l’ai dit pendant la passation de charges, je suis un soldat de mon pays. J’avais envie de faire d’autres choses. Comme servir dans un espace un peu plus grand que la Côte d’Ivoire. J’avais par exemple envie d’aller à l’Unesco ou à la Francophonie. Mais, je ne prends pas l’Insaac comme un malheur, ni comme une mauvaise sanction. Le président Houphouet paraphrasant le président Kennedy disait toujours à l’endroit des ivoiriens : ne cherchez pas à savoir ce que le pays a fait pour vous; demandez-vous plutôt, à chaque fois, ai-je bien fait  ce que j’avais à faire pour mon pays ? . L’autorité m’a demandé de participer au vaste chantier de reconstruction de mon pays, j’ai dit oui. Et je me suis mis à la tâche. Comme j’en ai eu l’habitude.

Vous pouviez refuser ce poste et vous ne l’avez pas fait. Qu’est ce qui vous a motivé à venir à la tête de l’Insaac?
J’estime que, sans prétention aucune, j’avais d’autres choses à prouver. Je suis très pris par des travaux personnels car je suis aussi universitaire. J’ai des travaux de recherches à faire, des livres à écrire. Et l’Insaac est un grand chantier qui va vraiment m’absorber. Comme je suis un passionné, dès qu’on me donne une tâche à accomplir, je l’exécute avec foi, rigueur et exaltation. J’ai vu l’établissement, c’est une misère. Un véritable désastre sur tous les plans infrastructurel, académique, artistique. Il faut remettre tout cela en œuvre. Je me suis dit, à un moment, qu’à 56 ans, je pouvais me lancer dans des projets qui pouvaient me permettre de souffler un peu ou au moins, de gagner un peu de sous pour assurer ce qui me reste de temps à vivre. Mais là, je n’ai aucun repos et, pis, un Dg de l’Insaac, ça ne touche pas grand chose. Quand j’arrive à 7h 30, je ne repars pas avant 19 ou 20 h. Je ne mange pas les midis. Ce n’est pas bon pour ma santé. A l’âge où je suis, il y a une hygiène et un rythme de vie à respecter. Mais si je veux me comporter comme un citoyen ordinaire, je ne viendrais pas à bout de l’Insaac.

Que doit-on attendre de tous ces efforts?
Je me suis donné huit mois pour donner un nouveau visage à l’établissement, et je vais réussir à le faire. J’ai une idée très nette de ce que j’ai envie de faire. Je vous dirais d’abord, ce que j’ai fait pendant quatre semaines depuis que je suis là. Il m’a fallu d’abord investir les lieux pour capter l’âme de la structure qu’on m’a demande de diriger. J’ai passé deux ou trois semaines à visiter tous les espaces de l’Insaac. Je connais, aujourd’hui, toutes les salles de cette structure. Il n’y a pas une salle où je ne suis pas entré. Je suis allé même dans les toilettes. J’ai visité les forêts, les jardins. Je suis en mesure de dire que mon esprit habite à présent les bâtiments de cette institution. Et mon esprit : oui, tu peux y aller, tu réussiras ta mission. C’était la première chose à faire.

Qu’avez-vous fait ensuite…
 Il s’est agi de me familiariser avec le matériau humain. Savoir avec qui je travaille. Quelles sont les compétences mises en place. Je crois que le premier moyen dont on a besoin pour bâtir une structure, c’est d’abord le matériau humain. J’ai trouvé une structure où les gens qui sont-là n’avaient plus à cœur de travailler. Ils étaient découragés, ils n’avaient plus d’idéal. Des musiciens qui ne sont plus au contact des instruments, des comédiens qui ne sont plus à la tâche, des plasticiens qui ont baissé le pinceau, etc… je pense maintenant que les gens sont au boulot. Chaque jour, je visite les ateliers. Je vais voir les musiciens, les comédiens, les plasticiens, les secrétaires. C’est pour exercer une pression sur le personnel. Les gens se sont mis à bosser. Je suis content de voir mes pianistes retravailler, mes saxophonistes et mes violonistes investir les jardins et délirer avec leurs instruments; bref, il faut que je recampe l’art, la création et la culture dans cet espace dont la vocation essentielle est d’entretenir la vie artistique dans sa double dimension académique et créative. Je sens que les choses commencent à bouger. J’ai été très heureux de recevoir un jour une note d’agents qui disait : « merci DG de nous avoir réappris à rêver ». C’était très fort et j’étais très ému. Je pense que c’est déjà une grande victoire. Ils ont commencé à rêver. Qu’est-ce qui est essentiel pour un artiste si ce n’est le rêve?

Quel est l’état des lieux?
L’état des lieux pour moi, ça ne consiste pas à dire il nous reste tel nombre d’ordinateurs ou de splits, les salles de classe se sont dégradées, nous n’avons plus de tables, etc. L’état des lieux concerne les infrastructures certes, mais c’est aussi l’âme de l’établissement. C’est tout cela qui constitue mon état des lieux que je viens de boucler. Maintenant, je peux commencer le travail administratif classique.  

Quel est votre plan de travail?
Ma tâche à effectuer se répartit sur trois volets. Le premier consiste à agir sur le visuel. L’établissement est sale. Il est vieux, dégradé, et laid. Nous sommes dans un espace qui abrite l’art et la création, nous devons devions donc compter au nombre des plus beaux espaces d’Abidjan. Un endroit où on forme des architectes d’intérieur, des musiciens, des plasticiens, des paysagistes, des comédiens doit être beau sur le plan visuel. Mais l’Insaac est une laideur visuelle. Je vais corriger cette grave et inadmissible anomalie. Je vais m’atteler à cela. Je donne quatre ou six mois au maximum pour régler cette question. Dans les trois mois qui suivent, nous allons repeindre la façade extérieure.

Que comptez-vous faire au plan académique?
Concomitamment, le Secrétariat général agit sur la vie académique de l’établissement. Pour le moment, je n’agis pas trop sur ce point. J’ai laissé cela à mon secrétaire général qui est un pur produit de la boîte et qui a fait tout son circuit ici. Il est, aujourd’hui, docteur en lettres et il sera bientôt maître de conférences. Il a donc une meilleure maîtrise de la vie académique de l’Institut, par rapport à moi. Il n’y a nulle honte à le dire. Mais je me préoccupe beaucoup de la formation des formateurs. Cela me tient à cœur. Je suis en train de mener des démarches auprès de certaines chancelleries de la place, bien sûr avec le soutien de mon supérieur hiérarchique tutelle, pour obtenir, si possible, des bourses de perfectionnements et envoyer nos formateurs se former à l’extérieur. Parce que beaucoup d’entre eux ont stagné depuis des années. Il faut relever le niveau des formateurs. L’Insaac est tout de même un établissement d’enseignement supérieur. Les enseignants qui y professent doivent approcher, au moins, le niveau doctoral. Mais pas avec une licence. 

Sur la question de la formation et de l’insertion des jeunes diplômés, que prévoyez-vous?
Nous nous attelons à organiser un séminaire sur l’Insaac. Nous comptons le tenir avant la fin de l’année. C’est cette rencontre qui fera le point de tous nos besoins, de nos lacunes, et nous permettra de proposer de nouvelles orientations. J’ai déjà quelque chose en tête. Mais je ne peux pas vous en parler sans avoir préalablement discuté avec mes collaborateurs les plus proches et surtout avec le ministre.

Vos ambitions sont claires. Mais avez-vous les moyens pour l’exécution de ce chantier?
Je suis arrivé en fin d’exécution du budget annuel. Donc, le budget 2012 a déjà été déterminé. Je vous avoue que c’est largement en-dessous des besoins de la boîte. On va faire avec. Mais je ne désespère pas. Le ministre de la Culture et de la Francophonie, Maurice Bandaman qui est très attentif aux problèmes de l’Insaac, nous l’a promis. Je pense qu’on ne me laissera pas les bras vides. Il n’y a pas de raison que je doute de la bonne foi des autorités. Je suis certain que je trouverai de l’aide. Même s’il faut que je monte voir le président de la République, je le ferais. Quand on me confi une mission, je l’accomplis jusqu’au bout. Je mènerai l’Insaac jusqu’à terme. Jusqu’à la cime. Musicien moi-même, j’ai toujours joué des mesures pleines, pas des demi-mesures.

Un mot sur l’actualité politique qui se résume au transfert à la Haye de l’ex-président Laurent Gbagbo…
Non. Je ne dirai rien sur ce sujet. Je suis un homme de parole. Dès mon retour de Paris après près de cinq mois d’exil involontaire, j’ai déclaré que la politique et moi, c’est fini. J’ai dit que je ne me mêlerai plus des problèmes politiques de ce pays. Je suis un homme des lettres et des arts, je suis un produit du conservatoire de musique d’Abidjan, je suis un auteur dramatique. Voilà mes passions. J’ai renoué avec mes passions, j’ai retrouvé mes amours et mon équilibre perdus durant les temps farouches et impitoyables de combats politiques. Je ne suis pas prêt à monnayer tout cela pour la politique. J’ai ma guitare, je répète tous les jours, ici, dans mon bureau, de 13h à 14h. Je suis revenu à mon vrai personnage. Et je ne peux pas le trahir. Non, la politique et moi, c’est fini.
Interview réalisée par Sanou A.
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