C’est aujourd’hui lundi 5 décembre 2011 que s’ouvre le procès du Président Laurent Gbagbo à la Haye. Indignés et contemplateurs de la livraison du premier ivoirien livré à la CPI auront les oreilles tendues vers la Hollande afin de savoir ce qu’il en sera du sort de Gbagbo. Même s’il est connu que cette première audience ne tranchera pas définitivement la cause, il n’en demeure pas moins que la suite de l’affaire se jouera dès la première seconde des auditions. Etant entendu qu’il s’agit d’une affaire juridique (enfin !...), nous ne pouvions assister en acteur passif à ce rendez vous historique. Même si Laurent Gbagbo a déjà son collège d’avocats dont la compétence ne souffre absolument d’aucun doute, même si l’Historien Laurent Gbagbo lui-même maitrise son sujet et qu’il est doté d’un charisme affuté par ses qualités oratoires, les enjeux et la portée juridique, politique et historique obligent à ne pas exclure que ceux-ci soient soutenus par tout avis tendant à solidifier la défense, surtout qu’en réalité la vigilance, la mémoire et le coût d’œil ne sont pas toujours garantis par la qualification professionnelle qui les supposent. J’ai alors décidé de m’inviter dans le débat comme ‘‘avocat suppléant’’ pour proposer Gratuitement mes services à la défense de celui que je considère dès cet instant comme mon client. Il convient de préciser que la mention « mon client » que j’utiliserai tout le long de ce texte ne devrait pas être perçue comme une prétention de m’approprier la dignité Africaine qu’est Laurent Gbagbo mais comme une tentative de me plonger dans l’ambiance du procès.
Il s’agit ici de ruiner la grotesque accusation portée contre mon client et d’obliger ainsi la Cour Pénale Internationale à prononcer purement et simplement sa relaxe. Pour cela, l’argumentaire de la défense devrait obéir à l’indélébile orthodoxie juridique qui organise toute logique autour du binôme forme (I) et (fond). Il est important de souligner que le droit applicable dans les procédures de la CPI est principalement son Statut et subsidiairement les traités applicables et principes de droit international ainsi que les lois nationales et les principes issus de l’interprétation des décisions antérieures de la Cour (Art. 21 Statut). C’est sur la base de ces textes que nous mènerons le débat.
I- Sur la forme :
C’est le 23 novembre 2011 que mon client s’est vu remettre un document appelé mandat d’arrêt et dans lequel il est mentionné : « la Chambre délivre le présent mandat d’arrêt à l’encontre de Laurent Koudou Gbagbo, né le 31 mai 1945 dans le village de Mama, sis dans la sous-préfecture de Ouaragahio, département de Gagnoa, en Côte d’Ivoire, de nationalité ivoirienne et membre de la tribu des bété au motif qu’il serait pénalement responsable […] de crimes contre l’humanité ayant pris la forme de meurtres, de viols et d’autres formes de violences sexuelles, d’autres actes inhumains et d’actes de persécutions commis sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 ». L’audience du lundi 5 décembre a pour objet la confirmation des charges retenues contre mon client. La Cour procédera alors à la relecture du mandat d’arrêt avant de donner la parole au conseil de défense. A ce niveau, le conseil de défense devrait exprimer son étonnement de voir la présence de notre client dans les locaux de la CPI puisqu’il n’est pas la personne que la Cour recherche. Mon client ne s’appelle pas « Laurent Koudou Gbagbo » et n’est pas né à « Mama ». Les avocats, avant la confirmation des charges (art.19.4 du Statut) devraient alors soulevé l’exception d’incompétence d’autant plus que la CPI n’est pas compétente pour juger une personne qui n’est pas concernée par des faits qu’elle veut juger. Selon l’article 19.6 du Statut, cette exception soulevée est renvoyée devant la chambre préliminaire qui statuera et donnera suite.
Envisageons que la chambre préliminaire rejette cet argument car, ne l’oublions pas, la force et l’illogique sont coéquipiers et parties à ce procès. Alors, il s’en suivra le débat sur le fond.
II- Sur le fond :
Selon l’acte d’accusation, la responsabilité individuelle pénale de mon client serait engagée en tant que « co-auteur indirect » des 4 chefs d’accusation susmentionnés car, soutient la Chambre, lui et « son entourage immédiat avaient convenu d’un plan et qu’ils étaient conscients que la mise en œuvre de celui-ci aboutirait, dans le cours normal des évènements, à la commission des crimes susmentionnés ». Sur la base des éléments concrets de faits qu’il a à sa disposition, le conseil de défense réagira à ces accusations qui n’ont pour fondement que la supposition. Toutefois, je voudrais attirer l’attention des avocats sur les points suivants : 1. Etablir la chronologie des évènements afin d’identifier les actes d’agressions délibérées et les actes de légitime défense ; 2. Etablir la légalité et la légitimité des ordres même supposés que l’accusation tente d’attribuer à mon client. Sur ce point, il ne faut pas du tout négliger la mention « dans le cours normal des évènements » car elle est en mission dans le texte. Sa mission est d’établir que mon client a donné des ordres avec l’intention délibérée de faire commettre les crimes sus-mentionnés. Car en effet, des ordres supposés ou réels de défense des institutions, des personnes et des biens ne signifient pas ordres de tuer des civils innocents ou de violer. La preuve c’est que la Chambre préliminaire III en donnant l’autorisation au Procureur Ocampo d’enquêter en Côte d’Ivoire peut être responsable des actes d’investigations de celui-ci. Mais, peut-elle être tenue pour responsable lorsque Ocampo se rend coupable d’un acte individuel dépourvu de tout lien avec la mission tel que son rendez-vous privé et informel avec Ouattara à Paris ? 3. Remettre en cause la notion de « civil » attribuée à certaines victimes. Car il y a eu des victimes en tenue civile qu’il ne faut pas mettre dans le même panier que les victimes civiles. En effet, un rebelle du groupe armé baptisé ‘’Commando invisible’’ qui porte volontairement une tenue civile afin de faciliter son camouflage dans la foule après ses assauts sur les forces régulières est-il un civil ? La réponse évidente est « non » car la notion de ‘‘civil’’ implique en réalité la notion de personne non armée.
Avant même d’en arriver aux mobiles des ordres supposés ou réels que mon client aurait donnés, il serait bien que le Conseil de défense rappelle le statut que Laurent Gbagbo avait durant la période de commission des crimes mentionnés, c’est-à-dire du 16 décembre 2010 au 12 avril 2011. Si la question est de savoir qui est responsable des violences postélectorales, cela ramène à trouver celui qui a perdu les élections et qui a refusé de reconnaitre sa défaite. Sur cette question, l’accusation dit que mon client est le coupable parce que c’est lui qui a refusé de reconnaitre sa défaite. Là dessus, au nom du principe de la présomption d’innocence que la CPI reconnait, la charge de la preuve est alors à la charge de l’accusation. Cela signifie qu’il revient à la Cour de démontrer que mon client a perdu les élections. Si la CPI veut vraiment convaincre et non assujettir mon client, elle est obligée sur ce point, de rappeler le dispositif légal ivoirien en matière de proclamation des résultats de l’élection présidentielle. Elle est obligée de lire la loi ivoirienne et de rappeler à Laurent Gbagbo que pour qu’un candidat se considère comme vainqueur d’une élection en CI, il faut que le Conseil Constitutionnel le déclare puis l’investisse comme tel. Après cela elle pourra alors tirer la conclusion qui s’impose.
CONCLUSION :
Telle est la proposition de défense que j’ai décidé de faire Gratuitement à mon client Laurent Gbagbo et à son conseil de défense à la veille de ce procès qui est déjà historique avant même sa tenue. Car quelle que soit son issue, les consciences du monde entier et celle de Gbagbo avec elles sont en train de noter cet enseignement livré depuis 1838 par le Moraliste Français Joseph Joubert : « c’est la force et le droit qui règlent toutes choses dans le monde, la force en attendant le droit » !...
Fait à Nazareth , le dimanche 4 décembre 2011
ARSENE TOUHOJuriste, Politologue, Ecrivain
Il s’agit ici de ruiner la grotesque accusation portée contre mon client et d’obliger ainsi la Cour Pénale Internationale à prononcer purement et simplement sa relaxe. Pour cela, l’argumentaire de la défense devrait obéir à l’indélébile orthodoxie juridique qui organise toute logique autour du binôme forme (I) et (fond). Il est important de souligner que le droit applicable dans les procédures de la CPI est principalement son Statut et subsidiairement les traités applicables et principes de droit international ainsi que les lois nationales et les principes issus de l’interprétation des décisions antérieures de la Cour (Art. 21 Statut). C’est sur la base de ces textes que nous mènerons le débat.
I- Sur la forme :
C’est le 23 novembre 2011 que mon client s’est vu remettre un document appelé mandat d’arrêt et dans lequel il est mentionné : « la Chambre délivre le présent mandat d’arrêt à l’encontre de Laurent Koudou Gbagbo, né le 31 mai 1945 dans le village de Mama, sis dans la sous-préfecture de Ouaragahio, département de Gagnoa, en Côte d’Ivoire, de nationalité ivoirienne et membre de la tribu des bété au motif qu’il serait pénalement responsable […] de crimes contre l’humanité ayant pris la forme de meurtres, de viols et d’autres formes de violences sexuelles, d’autres actes inhumains et d’actes de persécutions commis sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 ». L’audience du lundi 5 décembre a pour objet la confirmation des charges retenues contre mon client. La Cour procédera alors à la relecture du mandat d’arrêt avant de donner la parole au conseil de défense. A ce niveau, le conseil de défense devrait exprimer son étonnement de voir la présence de notre client dans les locaux de la CPI puisqu’il n’est pas la personne que la Cour recherche. Mon client ne s’appelle pas « Laurent Koudou Gbagbo » et n’est pas né à « Mama ». Les avocats, avant la confirmation des charges (art.19.4 du Statut) devraient alors soulevé l’exception d’incompétence d’autant plus que la CPI n’est pas compétente pour juger une personne qui n’est pas concernée par des faits qu’elle veut juger. Selon l’article 19.6 du Statut, cette exception soulevée est renvoyée devant la chambre préliminaire qui statuera et donnera suite.
Envisageons que la chambre préliminaire rejette cet argument car, ne l’oublions pas, la force et l’illogique sont coéquipiers et parties à ce procès. Alors, il s’en suivra le débat sur le fond.
II- Sur le fond :
Selon l’acte d’accusation, la responsabilité individuelle pénale de mon client serait engagée en tant que « co-auteur indirect » des 4 chefs d’accusation susmentionnés car, soutient la Chambre, lui et « son entourage immédiat avaient convenu d’un plan et qu’ils étaient conscients que la mise en œuvre de celui-ci aboutirait, dans le cours normal des évènements, à la commission des crimes susmentionnés ». Sur la base des éléments concrets de faits qu’il a à sa disposition, le conseil de défense réagira à ces accusations qui n’ont pour fondement que la supposition. Toutefois, je voudrais attirer l’attention des avocats sur les points suivants : 1. Etablir la chronologie des évènements afin d’identifier les actes d’agressions délibérées et les actes de légitime défense ; 2. Etablir la légalité et la légitimité des ordres même supposés que l’accusation tente d’attribuer à mon client. Sur ce point, il ne faut pas du tout négliger la mention « dans le cours normal des évènements » car elle est en mission dans le texte. Sa mission est d’établir que mon client a donné des ordres avec l’intention délibérée de faire commettre les crimes sus-mentionnés. Car en effet, des ordres supposés ou réels de défense des institutions, des personnes et des biens ne signifient pas ordres de tuer des civils innocents ou de violer. La preuve c’est que la Chambre préliminaire III en donnant l’autorisation au Procureur Ocampo d’enquêter en Côte d’Ivoire peut être responsable des actes d’investigations de celui-ci. Mais, peut-elle être tenue pour responsable lorsque Ocampo se rend coupable d’un acte individuel dépourvu de tout lien avec la mission tel que son rendez-vous privé et informel avec Ouattara à Paris ? 3. Remettre en cause la notion de « civil » attribuée à certaines victimes. Car il y a eu des victimes en tenue civile qu’il ne faut pas mettre dans le même panier que les victimes civiles. En effet, un rebelle du groupe armé baptisé ‘’Commando invisible’’ qui porte volontairement une tenue civile afin de faciliter son camouflage dans la foule après ses assauts sur les forces régulières est-il un civil ? La réponse évidente est « non » car la notion de ‘‘civil’’ implique en réalité la notion de personne non armée.
Avant même d’en arriver aux mobiles des ordres supposés ou réels que mon client aurait donnés, il serait bien que le Conseil de défense rappelle le statut que Laurent Gbagbo avait durant la période de commission des crimes mentionnés, c’est-à-dire du 16 décembre 2010 au 12 avril 2011. Si la question est de savoir qui est responsable des violences postélectorales, cela ramène à trouver celui qui a perdu les élections et qui a refusé de reconnaitre sa défaite. Sur cette question, l’accusation dit que mon client est le coupable parce que c’est lui qui a refusé de reconnaitre sa défaite. Là dessus, au nom du principe de la présomption d’innocence que la CPI reconnait, la charge de la preuve est alors à la charge de l’accusation. Cela signifie qu’il revient à la Cour de démontrer que mon client a perdu les élections. Si la CPI veut vraiment convaincre et non assujettir mon client, elle est obligée sur ce point, de rappeler le dispositif légal ivoirien en matière de proclamation des résultats de l’élection présidentielle. Elle est obligée de lire la loi ivoirienne et de rappeler à Laurent Gbagbo que pour qu’un candidat se considère comme vainqueur d’une élection en CI, il faut que le Conseil Constitutionnel le déclare puis l’investisse comme tel. Après cela elle pourra alors tirer la conclusion qui s’impose.
CONCLUSION :
Telle est la proposition de défense que j’ai décidé de faire Gratuitement à mon client Laurent Gbagbo et à son conseil de défense à la veille de ce procès qui est déjà historique avant même sa tenue. Car quelle que soit son issue, les consciences du monde entier et celle de Gbagbo avec elles sont en train de noter cet enseignement livré depuis 1838 par le Moraliste Français Joseph Joubert : « c’est la force et le droit qui règlent toutes choses dans le monde, la force en attendant le droit » !...
Fait à Nazareth , le dimanche 4 décembre 2011
ARSENE TOUHOJuriste, Politologue, Ecrivain