Je dors bien, je mange bien». C’était le 2 mai 2011. L’ancien chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, s’était ainsi confié aux Elders, Kofi Annan, Desmond Tutu et Mary Robinson qui lui avaient rendu visite à sa résidence surveillée de Korhogo. C’était comme pour dire qu’il était détenu dans de bonnes conditions, quelques semaines après son arrestation du 11 avril 2011. Les images de la télévision l’avaient montré détendu, souriant, presque jovial, échangeant des bouquins avec ses visiteurs à sa résidence de Korhogo. Pour sa première audience à la Cpi, lundi 5 décembre à La Haye, Gbagbo a pourtant accusé durement ses geôliers de Korhogo de l’avoir fait vivre l’enfer. «Je ne voyais pas le soleil», a-t-il déploré devant le juge de la Cpi. A sa décharge, l’ancien président s’était déjà plaint au responsable de la Division des droits de l’homme de l’Opération des Nations Unies en Côte d’ Ivoire (Onuci) en août et en novembre 2011. Il avait mis en cause son «isolement» et avait réclamé la liberté «de faire la marche dans le jardin pour sa santé». Sauf que, lundi dernier, ce n’était pas encore le procès. On demandait juste à Laurent Gbagbo si les conditions de son transfèrement et de détention à La Haye s’étaient faites en conformité avec les droits et règlements prévus par le statut de Rome. Il a choisi de biaiser la question et d’insister sur sa détention de huit mois à Korhogo. Comme d’une balle qu’on saisit au bond pour la jouer comme on veut, Gbagbo a servi à la juge de la Cpi, le message qu’il voulait faire passer. Ainsi, il s’est appliqué à diaboliser son successeur Alassane Ouattara, en parlant de ce qui l’avait déplu pendant sa détention en Côte d’Ivoire. Mieux, le Woody a transformé cette audience de formalité en un mini meeting, plaidant à charge et par anticipation. Il est même sorti du cadre de sa détention pour s’éterniser sur son arrestation le 11 avril 2011. Les téléspectateurs de France 24 ont renoué avec ses diatribes patriotiques contre la France, «ses bombes», «ses chars», cette France «qui a fait le travail pour Ouattara» …. Une sortie qui a eu tout l’air d’avoir été planifiée, destinée à réveiller ses «patriotes», à rallumer une flamme prétendument «patriotique» ou à mettre de l’huile sur le feu des passions encore mal éteintes, après la sanglante crise postélectorale qui a fait plus des 3000 morts dans son pays. Tirer sur la fibre pathétique, pour réveiller la fibre patriotique : tel semble avoir été l’objectif recherché par l’ex chef d’Etat, en s’apitoyant sur son propre sort, celui de son fils aîné et même, celui de son médecin personnel. Car, il se doutait bien qu’on lui donnerait la parole. Heureusement, dirait-on, la bombe Gbagbo contre la France et Ouattara a fait pschitt. Tout au plus, une division est apparue le jour même de sa prestation au sein de ses partisans du Congrès national de la résistance pour la démocratie (Cnrd) sur leur participation ou non, aux législatives du 11 décembre. Une réaction virulente d’un certain Alain Toussaint aussi, mais aucune manifestation de rue, ni venant officiellement de son parti. Ils ont sans doute été déçus, ceux qui espéraient voir leur ancien président se mettre au-dessus de la mêlée, s’affranchir du manteau de chef de guerre ou s’émouvoir du gâchis monumental causé par la crise postélectorale. Mais, Gbagbo l’a dit : il ira jusqu’au bout.
Benoit HILI
Benoit HILI