Les urnes ont parlé hier. Le temps des commentaires et des spéculations est arrivé. De façon générale, il est possible d’être satisfait sur le plan du principe, de la tenue effective des législatives avec la mise en place prochaine d’un nouveau parlement. Il y avait une sorte de vide constitutionnel, qui faisait peur à certains moments. Il y avait également un vide institutionnel, qui poussait le président de la République à prendre des ordonnances pour pallier des situations non prévues par la loi. Sur ce plan, la tenue des législatives est satisfaisante. Mais à quel prix ? Aller à une élection sans le FPI était un piège. C’était politiquement périlleux pour une stabilité durable, et l’enracinement durable de notre pays dans la démocratie. Le FPI a fait des provocations dans ce sens. On dissertera pendant longtemps encore sur l’impact de l’absence du FPI à l’élection. Et puis on doit oser la question qui peut fâcher : le timing du transfèrement de Laurent Gbagbo à La Haye était-il le bon ? A quoi avons-nous assisté après son départ, à une dizaine de jours des législatives ? Les unes des journaux, même favorables au pouvoir Ouattara n’ont pas évité le sujet Gbagbo. Les législatives ont été reléguées au second plan pendant cette période. Tous les débats ne faisaient que tourner autour de Laurent Gbagbo et de son sort à La Haye. L’absence du FPI a fait qu’il n’y avait plus d’enjeu. Des partisans de Laurent Gbagbo ne sont pas allés voter dans une élection, où ils n’avaient aucun intérêt ni candidat. En l’absence du FPI, les militants du RHDP n’ont pas bougé de chez eux. Il n’y avait pas le feu en la demeure. Cependant en même temps, beaucoup de militants RHDP ont voulu manifester leur refus du choix des candidats par la direction de leur parti que sont le RDR et le PDCI. Au niveau national, la performance générale des candidats indépendants sera observée. La faiblesse annoncée par tout le monde, au sujet du taux de participation, montre que le président de la République peut être incité à donner un nouveau cap, une autre orientation à ses actions. Le chef de l’Etat peut davantage être présent dans le pays, se rendre plus souvent à l’intérieur du pays, et écouter les populations, sentir les colères douces, les attentes, les espérances des électeurs de tous les bords, y compris ceux de son camp. En l’espace de 7 mois après le 11 avril, un an après novembre 2010, il était possible d’obtenir un taux de participation différent si une autre politique avait été menée, si le pouvoir n’était pas tombé dans le piège et les provocations du FPI et de Laurent Gbagbo. Malgré la défaite électorale et militaire, le FPI était toujours et encore dans une logique de contestation permanente, de refus de reconnaître le nouveau pouvoir. Le FPI qui sait que cela fait mal, reste donc dans la provocation, dans le déni. Et voici que le pouvoir tombe dans le piège. Cela retarde la réconciliation, privilégie la sanction, fait brandir le bâton. Le régime devant cette situation, maintient en prison les cadres de l’ancien régime, et refuse de créer les conditions d’un apaisement général. La construction des routes, des hôpitaux et bien d’autres infrastructures, le retour des investisseurs, la pluie des milliards ne pourront pas, eux seuls, rendre les gens heureux. La politique consiste à parler aux gens, à toucher leur cœur. Ceux qui aiment Laurent Gbagbo, peuvent demain aimer Alassane Ouattara, à condition qu’on ne leur fasse pas payer le fait d’avoir aimé, ou de continuer d’aimer Laurent Gbagbo. Le FPI a donné de la provocation au régime Ouattara. Le gouvernement est tombé dans ce piège de la provocation, au nom de ses exigences propres et des contraintes de son agenda. Cela a conduit à une absence de flexibilité au sujet du 11 Décembre 2011. L’après 11 Décembre 2011, l’après législatives ne peut être comme avant. Comprendre cela et analyser froidement, avec honnêteté et sincérité le comportement des Ivoiriens hier, permettront au chef de l’Etat de rectifier le tir. Les ministres qui veulent tout faire, les cumulards et cette propension qui consiste à tout donner aux mêmes, n’ont rien donné. Le poids et la qualité de ministres et hauts cadres n’ont pas fait exploser l’électorat dans les régions. Les tendances sorties des urnes hier au niveau du taux de participation invitent à l’humilité et à la modestie. Si le tir n’est pas rectifié, d’autres surprises attendent. Et puis on a vraiment évité le pire : si les cadres du PDCI n’avaient pas grogné, et s’il y avait eu des candidats RHDP partout sans le FPI, on aurait eu à peine 10 pour cent de taux de participation. Le vote d’hier n’est pas une sanction contre Ouattara personnellement. Les militants continuent de l’aimer ; ceux qui ne l’aiment pas continuent de ne pas l’aimer. Mais ceux qui l’aiment refusent d’adouber ceux qui ont besoin de leur voix, pour continuer à se produire et à se positionner seuls auprès du chef de l’Etat à leur détriment. Pendant longtemps, l’entourage de Laurent Gbagbo a été décrié. Celui de Ouattara et les agissements des collaborateurs du président commencent, à faire grogner. Avec ou sans la participation du FPI, le gouvernement Ouattara envisageait déjà de donner une impulsion plus forte à la réconciliation et à la normalisation, après les législatives. Avec (et malgré) le taux d’hier, le temps est venu de sortir du piège dans lequel le FPI veut tenir et enfermer le pouvoir Ouattara, pour l’empêcher de hâter la normalisation et de réussir la réconciliation. Le FPI et les pro- Gbagbo continueront leur provocation, mais Ouattara et le RHDP doivent attraper leur cœur, et avoir la force de continuer de pardonner, pour ne pas se focaliser sur les torts à reprocher aux anciens hommes forts du pays.
Charles Kouassi
Charles Kouassi