Après que la Commission électorale indépendante a proclamé les premiers résultats des législatives, Dr Julien Kouao, politologue, décrypte, dans cet entretien, le scrutin de dimanche dernier.
Le Fpi claironne que le faible taux de participation est lié à son appel au boycott. Mais, en même temps, est-ce que l’ancien parti au pouvoir n’a pas commis une faute en optant pour la politique de la chaise vide?
C’est une vérité éternellement affirmée. La politique de la chaise vide a toujours pénalisé ceux qui la cultivent surtout qu’en démocratie, le combat se fait sur l’espace public. Et, l’espace public, par définition dans le cadre républicain, c’est le parlement qui a le pouvoir délibérant et qui en tant que tel contrôle l’action gouvernementale. Même si nous sommes dans un régime présidentiel, l’Assemblée nationale contrôle l’action du gouvernement. Prenons l’exemple du projet de loi des finances. Il est élaboré par le gouvernement et la loi est votée par le parlement après examen. Il y a donc contrôle. L’exécution de la loi est faite par le gouvernement mais après il y a un contrôle de ce budget qui est fait par le parlement. Et donc le parlement est un espace idéal en démocratie pour exercer le contre-pouvoir. C’est dommage que le Front populaire ivoirien ne l’ait pas compris ainsi, même si par ailleurs nous comprenons ses motivations.
Ce faible taux de participation ne met-il pas en doute la légitimité des nouveaux élus?
Les élections se situent au confluent du droit et de la politique, c’est-à-dire de la légalité et de la légitimité. Sur le plan légal, ces élections ne comportent aucun vice. A l’inverse, le fort taux d’abstentions permet de relativiser la portée de ces élections. Certes, l’appel à la passivité rebelle lancée par le Fpi a eu un impact réel sur le taux de participation mais, il faut aussi dire que la sous-médiatisation de ces élections y est pour quelque part dans le faible taux de participation. On essaie d’établir une comparaison entre l’élection présidentielle et les élections législatives mais l’élection présidentielle a toujours fait l’objet d’une extrême médiatisation. La dernière présidentielle a été médiatisée sur près de 5 ans. Ce qui n’est pas le cas des législatives.
Le taux de participation aux législatives de 2001 était à 32%...
Le fort taux d’abstentions en 2001 n’a pas dépassé celui de 2011 parce que le Rdr en 2001 n’a pas été aux élections. Si vous remarquez bien, sous la deuxième République, 2000, nous sommes partis à une élection présidentielle dont les résultats ont été contestés et qui ont donné lieu à un affrontement entre les protagonistes. Au niveau des législatives, un des grands partis, en l’occurrence le Rdr, n’y était pas. En 2010, la présidentielle a toujours été contestée. Un conflit armé permet au vainqueur réel de s’imposer comme en 2000. On ne peut pas, de façon objective, dire que les législatives n’intéressent pas les Ivoiriens. Si on a pu atteindre près de 80% de taux de participation à la présidentielle de 2010, c’est que les Ivoiriens ont le sens civique très élevé.
Est-ce que les Ivoiriens ne sont pas en train d’utiliser l’abstention ou le boycott comme une arme dans leurs élections?
Il faut donc chercher comment faire en sorte que nous ayons des élections inclusives. Il faut donc organiser les élections dans un véritable dialogue républicain. C’est ce qui a manqué en 2000 et c’est ce qui a manqué en 2010. Le pouvoir doit toujours comprendre qu’il lui revient de faire en sorte que tous les acteurs du champ politique participent au débat politique. Les oppositions aussi doivent comprendre qu’elles ont un rôle historique à jouer pour la construction de la démocratie. Le boycott n’a jamais été une arme d’expression politique efficace.
Pourtant, le boycott n’est pas une spécificité ivoirienne…
C’est parce que nous sommes souvent dans le sensationnel. Dans le cadre ivoirien, en 2000, le Rdr a refusé d’aller aux élections parce que M. Ouattara, son leader, a été écarté. En 2010, le Fpi pendant que le dialogue était avancé et donnait des signes de participation au débat, a décidé pour finir, de ne pas y aller parce que son leader, Laurent Gbagbo, a été transféré à la Cour pénale internationale. Autrement dit, on assiste à la personnalisation des partis. Ce qui est dangereux pour leur survie parce que l’homme étant mortel sa disparition peut aussi entraîner la disparition du parti. Il faudrait que les hommes politiques ivoiriens comprennent que les partis transcendent les personnes qui les ont créés. Et doivent vivre après ces personnes qui les ont créés.
Le Rdr qui était considéré comme un phénomène urbain a quand-même réussi à ratisser large dans plusieurs localités du pays…
Oui! Si à la naissance du Rdr, on pouvait le considérer comme un parti urbain parce que c’est dans les villes, dans les centres urbains que l’éducation politique est élevée, il faut reconnaître aujourd’hui, qu’un travail a été fait pendant près de deux décennies par les promoteurs de parti. Le Rdr, aujourd’hui, est un parti quasi-national. Vous avez vu, en 2001 lors des municipales, le Rdr a présenté des candidats dans près de 80 circonscriptions électorales et est venu en tête des municipales. Ce qui veut dire que c’est un parti extrêmement important. C’est pourquoi nous avons toujours dit au pouvoir d’alors qu’écarter le Rdr du jeu politique, équivaudrait à se tromper. Et, l’histoire nous donne, aujourd’hui, raison. C’est un parti national qui a su faire le mélange des jeunes, des adultes des personnes du 3ème âge, des femmes.
Parlant de personnalisation des combats politiques, est-ce que le Fpi qui n’a pas participé aux législative, ne joue pas sa survie pour les cinq prochaines années?
Oui, il faut dire que le transfèrement de Laurent Ggagbo est un coup qui sera difficilement surmontable pour le Fpi. Cependant, ce parti a la culture de la lutte politique et donc, il saura s’adapter. Mais ce que doit faire le Fpi c’est d’avoir une appréciation objective de la situation.
Vous voulez dire qu’ils doivent faire le deuil de Laurent Gbagbo?
Le Fpi doit faire le deuil de Laurent Gbagbo. Il a des cadres extrêmement brillants. Le Fpi, même s’il n’a pas encore la très grande représentativité nationale du Pdci et du Rdr, est sur la voie.
De grosses têtes sont tombées lors de ces législatives. Quelle étude faites-vous de leur échec?
Ce sont de grosses têtes parce qu’occupant des fonctions officielles au niveau de l’Etat ou au niveau de leur parti. Mais ils n’ont pas d’encrages politiques. N’oublions pas que Mamadou Koulibaly, quelqu’un pour qui j’ai une grande admiration, a été élu à Koumassi en l’absence du Rdr et avec le seul pouvoir Fpi qui venait de remporter la présidentielle. Ces éléments ne pouvaient pas permettre réellement d’apprécier sa force sur le terrain. Anaky Kobena est le chef d’un parti qui n’arrive pas toujours à s’asseoir sur le plan électoral. N’oublions pas que le score d’Anaky Kobena, au niveau de la présidentielle, n’était pas du tout honorable. Quant à Amon Tanoh et autres, ce sont des personnalités brillantes de l’Etat mais qui sont des zones où il y a des habitudes politiques difficiles à faire bouger. Je pense qu’ils doivent en tirer les leçons et puis pouvoir adopter de nouvelles approches pour les futures batailles. En politique, une défaite est toujours une victoire.
Interview réalisée par Marc Dossa Coll. M.G.
Le Fpi claironne que le faible taux de participation est lié à son appel au boycott. Mais, en même temps, est-ce que l’ancien parti au pouvoir n’a pas commis une faute en optant pour la politique de la chaise vide?
C’est une vérité éternellement affirmée. La politique de la chaise vide a toujours pénalisé ceux qui la cultivent surtout qu’en démocratie, le combat se fait sur l’espace public. Et, l’espace public, par définition dans le cadre républicain, c’est le parlement qui a le pouvoir délibérant et qui en tant que tel contrôle l’action gouvernementale. Même si nous sommes dans un régime présidentiel, l’Assemblée nationale contrôle l’action du gouvernement. Prenons l’exemple du projet de loi des finances. Il est élaboré par le gouvernement et la loi est votée par le parlement après examen. Il y a donc contrôle. L’exécution de la loi est faite par le gouvernement mais après il y a un contrôle de ce budget qui est fait par le parlement. Et donc le parlement est un espace idéal en démocratie pour exercer le contre-pouvoir. C’est dommage que le Front populaire ivoirien ne l’ait pas compris ainsi, même si par ailleurs nous comprenons ses motivations.
Ce faible taux de participation ne met-il pas en doute la légitimité des nouveaux élus?
Les élections se situent au confluent du droit et de la politique, c’est-à-dire de la légalité et de la légitimité. Sur le plan légal, ces élections ne comportent aucun vice. A l’inverse, le fort taux d’abstentions permet de relativiser la portée de ces élections. Certes, l’appel à la passivité rebelle lancée par le Fpi a eu un impact réel sur le taux de participation mais, il faut aussi dire que la sous-médiatisation de ces élections y est pour quelque part dans le faible taux de participation. On essaie d’établir une comparaison entre l’élection présidentielle et les élections législatives mais l’élection présidentielle a toujours fait l’objet d’une extrême médiatisation. La dernière présidentielle a été médiatisée sur près de 5 ans. Ce qui n’est pas le cas des législatives.
Le taux de participation aux législatives de 2001 était à 32%...
Le fort taux d’abstentions en 2001 n’a pas dépassé celui de 2011 parce que le Rdr en 2001 n’a pas été aux élections. Si vous remarquez bien, sous la deuxième République, 2000, nous sommes partis à une élection présidentielle dont les résultats ont été contestés et qui ont donné lieu à un affrontement entre les protagonistes. Au niveau des législatives, un des grands partis, en l’occurrence le Rdr, n’y était pas. En 2010, la présidentielle a toujours été contestée. Un conflit armé permet au vainqueur réel de s’imposer comme en 2000. On ne peut pas, de façon objective, dire que les législatives n’intéressent pas les Ivoiriens. Si on a pu atteindre près de 80% de taux de participation à la présidentielle de 2010, c’est que les Ivoiriens ont le sens civique très élevé.
Est-ce que les Ivoiriens ne sont pas en train d’utiliser l’abstention ou le boycott comme une arme dans leurs élections?
Il faut donc chercher comment faire en sorte que nous ayons des élections inclusives. Il faut donc organiser les élections dans un véritable dialogue républicain. C’est ce qui a manqué en 2000 et c’est ce qui a manqué en 2010. Le pouvoir doit toujours comprendre qu’il lui revient de faire en sorte que tous les acteurs du champ politique participent au débat politique. Les oppositions aussi doivent comprendre qu’elles ont un rôle historique à jouer pour la construction de la démocratie. Le boycott n’a jamais été une arme d’expression politique efficace.
Pourtant, le boycott n’est pas une spécificité ivoirienne…
C’est parce que nous sommes souvent dans le sensationnel. Dans le cadre ivoirien, en 2000, le Rdr a refusé d’aller aux élections parce que M. Ouattara, son leader, a été écarté. En 2010, le Fpi pendant que le dialogue était avancé et donnait des signes de participation au débat, a décidé pour finir, de ne pas y aller parce que son leader, Laurent Gbagbo, a été transféré à la Cour pénale internationale. Autrement dit, on assiste à la personnalisation des partis. Ce qui est dangereux pour leur survie parce que l’homme étant mortel sa disparition peut aussi entraîner la disparition du parti. Il faudrait que les hommes politiques ivoiriens comprennent que les partis transcendent les personnes qui les ont créés. Et doivent vivre après ces personnes qui les ont créés.
Le Rdr qui était considéré comme un phénomène urbain a quand-même réussi à ratisser large dans plusieurs localités du pays…
Oui! Si à la naissance du Rdr, on pouvait le considérer comme un parti urbain parce que c’est dans les villes, dans les centres urbains que l’éducation politique est élevée, il faut reconnaître aujourd’hui, qu’un travail a été fait pendant près de deux décennies par les promoteurs de parti. Le Rdr, aujourd’hui, est un parti quasi-national. Vous avez vu, en 2001 lors des municipales, le Rdr a présenté des candidats dans près de 80 circonscriptions électorales et est venu en tête des municipales. Ce qui veut dire que c’est un parti extrêmement important. C’est pourquoi nous avons toujours dit au pouvoir d’alors qu’écarter le Rdr du jeu politique, équivaudrait à se tromper. Et, l’histoire nous donne, aujourd’hui, raison. C’est un parti national qui a su faire le mélange des jeunes, des adultes des personnes du 3ème âge, des femmes.
Parlant de personnalisation des combats politiques, est-ce que le Fpi qui n’a pas participé aux législative, ne joue pas sa survie pour les cinq prochaines années?
Oui, il faut dire que le transfèrement de Laurent Ggagbo est un coup qui sera difficilement surmontable pour le Fpi. Cependant, ce parti a la culture de la lutte politique et donc, il saura s’adapter. Mais ce que doit faire le Fpi c’est d’avoir une appréciation objective de la situation.
Vous voulez dire qu’ils doivent faire le deuil de Laurent Gbagbo?
Le Fpi doit faire le deuil de Laurent Gbagbo. Il a des cadres extrêmement brillants. Le Fpi, même s’il n’a pas encore la très grande représentativité nationale du Pdci et du Rdr, est sur la voie.
De grosses têtes sont tombées lors de ces législatives. Quelle étude faites-vous de leur échec?
Ce sont de grosses têtes parce qu’occupant des fonctions officielles au niveau de l’Etat ou au niveau de leur parti. Mais ils n’ont pas d’encrages politiques. N’oublions pas que Mamadou Koulibaly, quelqu’un pour qui j’ai une grande admiration, a été élu à Koumassi en l’absence du Rdr et avec le seul pouvoir Fpi qui venait de remporter la présidentielle. Ces éléments ne pouvaient pas permettre réellement d’apprécier sa force sur le terrain. Anaky Kobena est le chef d’un parti qui n’arrive pas toujours à s’asseoir sur le plan électoral. N’oublions pas que le score d’Anaky Kobena, au niveau de la présidentielle, n’était pas du tout honorable. Quant à Amon Tanoh et autres, ce sont des personnalités brillantes de l’Etat mais qui sont des zones où il y a des habitudes politiques difficiles à faire bouger. Je pense qu’ils doivent en tirer les leçons et puis pouvoir adopter de nouvelles approches pour les futures batailles. En politique, une défaite est toujours une victoire.
Interview réalisée par Marc Dossa Coll. M.G.