Psychologue de formation et consultant en ingénierie de la formation et management, Dr Kouassi Yao a dirigé le Centre d'éducation à distance. Une institution spécialisée dans la formation continue des cadres et hauts fonctionnaires. Présent à Doha, au Qatar, lors du troisième sommet mondial (WISE) sur l'Education, dont le thème était ''les innovations au service de l'éducation'', Il a accepté de nous expliquer sa conception de l'innovation dans le système éducatif ivoirien.
Le Patriote : Vous êtes à votre deuxième sommet WISE. En tant que spécialiste de l'Education, que vous apporte ce genre de rencontre ?
Kouassi Yao : WISE, c'est d'abord une initiative qui met l'accent sur le partage de l'expérience dans le domaine de l'Education. C'est une rencontre où des experts du monde de l'Education, aussi bien des chargés de politique que des praticiens du système se rencontrent. Comme vous avez pu le constater, c'est la troisième édition. Des invitations ont été lancées à la Société civile. C'est dire que le Sommet essaie de toucher le plus grand nombre de personne. Il n'y a pas que les enseignants et les élèves dans le système éducatif. Il y a également les parents et la presse. C'est donc une rencontre importante. Le thème de cette année est axé sur les innovations au profit de l'Education. Tout le monde s'accorde à dire que dans la quasi-totalité des pays du monde, les systèmes d'éducation sont défaillants. Alors, comment améliorer ce système ? Quelles sont les solutions possibles qui s'offrent aux pays pour l'éducation de toutes leurs populations ? D'abord pour ceux qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école et ensuite pour les enfants.
L.P. : Le prix WISE pour l'Education, une innovation du sommet décernée au britannique d'origine Bangladesh, Fazle Hasan Abed, fondateur de l'ONG « BRAC » pour la scolarisation des plus défavorisés. Contrairement aux pays asiatiques, ce genre d'initiative n'existe pas en Afrique et surtout en Côte d'Ivoire. Pourquoi ?
K.Y. : Il est difficile de dire exactement ce qui nous manque à ce niveau. Malheureusement, ce qui nous caractérise négativement, c'est le manque d'initiative. Vous constatez que le lauréat de ce prix est une personne qui avait une situation lucrative en Grande-Bretagne et qui, voyant la situation dans laquelle se trouve les populations du Bangladesh, décide de tout lâcher et de retourner au pays. Chez nous, on commence à parler de plus en plus de la diaspora, c'est la même chose. Ce monsieur a eu les moyens et il a décidé d'aider ses frères. Ce genre d'initiative devrait faire école. Quand on vient à ce genre de rencontre, c'est tout cela qui constitue le partage d'expérience. La plupart des participants au Sommet se sont dit à un moment donné que la solution pouvait être locale. C'est-à-dire qu'au plan local, il y a des gens qui ont des capacités, de l'expertise et qu'il suffit peut-être d'un déclic pour qu'ils mettent à la disposition du plus grand nombre, leur savoir-faire.
L.P. : Pourtant les intellectuels africains sont prompts à critiquer les politiques…
K.Y. : Dans le domaine de l'Education comme dans le domaine de l'Entreprenariat, c'est pareil. Peut-être qu'en dehors de nos parents paysans qui, tout jeunes, commencent à aller aux champs, ou nos parents commerçants qui apprennent depuis le bas âge ce qu'ils feront plus tard, il n'y a pas d'initiative en tant que tel en Afrique. Mais c'est peut-être aussi la faute à notre système éducatif qui dénature notre façon de faire. Il y a une déconnexion entre ce que nous faisons à l'école et ce que nous ferons plus tard dans la vie active. Cela rentre donc dans le cadre de l'innovation. C'est-à-dire, transformer notre système éducatif. Si vous avez un système qui prépare les jeunes à l'emploi-salarié et non à l'auto-emploi, cela inhibe l'initiative. Des gens vont être formés, mais vont attendre de trouver un emploi. Alors que le système aurait pu s'organiser pour que les jeunes qui sortent sachent qu'ils ont appris à faire quelque chose qu'il faille mettre en pratique. Nous avons un système éducatif qui fait que nous sommes formatés à attendre plutôt qu' à entreprendre. Et c'est ce qu'il va falloir changer.
L.P. : Et comment doivent s'opérer ces innovations ?
K.Y. : Les innovations et les reformes ne sont pas forcement des chamboulements. Tous les systèmes doivent s'adapter et cela en permanence. Ce sont les actes qu'on pose au quotidien. Le professeur dans sa classe, le directeur dans son école, le ministre dans son ministère. Ce sont des petits pas, qui au bout de 5, 10 ou 15 ans, donc au bout d'une génération, font changer les choses. Ce sont les leçons qu'on tire de ce genre de rencontre. Quand vous écoutez les ''success story'', c'est-à-dire les bonnes pratiques, vous constatez qu'il n'y a rien d'extraordinaire. Ce sont des choses qu'on peut faire. Le changement, c'est donc au quotidien. Dès l'instant qu'on se pose la question de savoir pourquoi les gens qu'on a formé ne trouvent pas de travail, on est obligé de trouver des solutions, donc de faire des adaptations.
L.P. : Le Gouvernement a fermé les universités pour mettre à plat tout le système. Qu'en pensez-vous ?
K.Y. : La fermeture des universités et des cités universitaires ne constitue pas en soi une innovation. Ce sont des dispositions pratiques pour régler des problèmes de gestion. Il faut reconnaître que depuis un bon moment, il y a eu trop de dérives, trop de laisser-aller. La fermeture répond donc à cela. Nous savons qu'il y a des années universitaires de 2007, 2008 qui ne sont pas achevées. Il faut les apurer et mettre en place une organisation qui permette d'avoir une année normale. Une fois qu'on aura bouclé cela, la reforme se fera par rapport au contenu de ce qui existe actuellement. Est-ce-que ce contenu nous permet d'avoir des résultats satisfaisants ? Si la réponse est non, nous allons nous interroger pour savoir ce qu'on doit mettre en place. Et la réponse, c'est ce que je viens de dire un peu plus haut. Nous avons un système qui a pour vocation de former et délivrer des diplômes. Est-ce-que ces diplômes permettent d'exercer des activités génératrices de revenu ? Pas forcement ! Il faut analyser l'environnement économique. Il y a combien d'emploi formel dans la Fonction publique, dans le secteur privé ? Quel est notre environnement économique ? Quelles sont les capacités requises pour pouvoir s'insérer ? C'est à ces questions qu'il faut répondre. Est-ce-que notre système permet de répondre à cela ? Si non, il faut pouvoir trouver d'autres solutions. Il ne faut pas non plus donner l'illusion à tous les enfants qu'une fois au CP1, ils arriveront au Doctorat ! Ils ne sont pas obligés d'aller au Doctorat pour travailler. Ils peuvent avancer, sortir du système, aller travailler et revenir. C'est cela l'apprentissage tout au long de la vie et qui est prôné par l'UNESCO. C'est-à-dire un système qui permette d'aller et de revenir. Pas un système continu où une fois qu'on est sorti, on ne peut plus revenir. Dans ce cas, c'est désolant.
Réalisée au Qatar par Dao Maïmouna
Le Patriote : Vous êtes à votre deuxième sommet WISE. En tant que spécialiste de l'Education, que vous apporte ce genre de rencontre ?
Kouassi Yao : WISE, c'est d'abord une initiative qui met l'accent sur le partage de l'expérience dans le domaine de l'Education. C'est une rencontre où des experts du monde de l'Education, aussi bien des chargés de politique que des praticiens du système se rencontrent. Comme vous avez pu le constater, c'est la troisième édition. Des invitations ont été lancées à la Société civile. C'est dire que le Sommet essaie de toucher le plus grand nombre de personne. Il n'y a pas que les enseignants et les élèves dans le système éducatif. Il y a également les parents et la presse. C'est donc une rencontre importante. Le thème de cette année est axé sur les innovations au profit de l'Education. Tout le monde s'accorde à dire que dans la quasi-totalité des pays du monde, les systèmes d'éducation sont défaillants. Alors, comment améliorer ce système ? Quelles sont les solutions possibles qui s'offrent aux pays pour l'éducation de toutes leurs populations ? D'abord pour ceux qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école et ensuite pour les enfants.
L.P. : Le prix WISE pour l'Education, une innovation du sommet décernée au britannique d'origine Bangladesh, Fazle Hasan Abed, fondateur de l'ONG « BRAC » pour la scolarisation des plus défavorisés. Contrairement aux pays asiatiques, ce genre d'initiative n'existe pas en Afrique et surtout en Côte d'Ivoire. Pourquoi ?
K.Y. : Il est difficile de dire exactement ce qui nous manque à ce niveau. Malheureusement, ce qui nous caractérise négativement, c'est le manque d'initiative. Vous constatez que le lauréat de ce prix est une personne qui avait une situation lucrative en Grande-Bretagne et qui, voyant la situation dans laquelle se trouve les populations du Bangladesh, décide de tout lâcher et de retourner au pays. Chez nous, on commence à parler de plus en plus de la diaspora, c'est la même chose. Ce monsieur a eu les moyens et il a décidé d'aider ses frères. Ce genre d'initiative devrait faire école. Quand on vient à ce genre de rencontre, c'est tout cela qui constitue le partage d'expérience. La plupart des participants au Sommet se sont dit à un moment donné que la solution pouvait être locale. C'est-à-dire qu'au plan local, il y a des gens qui ont des capacités, de l'expertise et qu'il suffit peut-être d'un déclic pour qu'ils mettent à la disposition du plus grand nombre, leur savoir-faire.
L.P. : Pourtant les intellectuels africains sont prompts à critiquer les politiques…
K.Y. : Dans le domaine de l'Education comme dans le domaine de l'Entreprenariat, c'est pareil. Peut-être qu'en dehors de nos parents paysans qui, tout jeunes, commencent à aller aux champs, ou nos parents commerçants qui apprennent depuis le bas âge ce qu'ils feront plus tard, il n'y a pas d'initiative en tant que tel en Afrique. Mais c'est peut-être aussi la faute à notre système éducatif qui dénature notre façon de faire. Il y a une déconnexion entre ce que nous faisons à l'école et ce que nous ferons plus tard dans la vie active. Cela rentre donc dans le cadre de l'innovation. C'est-à-dire, transformer notre système éducatif. Si vous avez un système qui prépare les jeunes à l'emploi-salarié et non à l'auto-emploi, cela inhibe l'initiative. Des gens vont être formés, mais vont attendre de trouver un emploi. Alors que le système aurait pu s'organiser pour que les jeunes qui sortent sachent qu'ils ont appris à faire quelque chose qu'il faille mettre en pratique. Nous avons un système éducatif qui fait que nous sommes formatés à attendre plutôt qu' à entreprendre. Et c'est ce qu'il va falloir changer.
L.P. : Et comment doivent s'opérer ces innovations ?
K.Y. : Les innovations et les reformes ne sont pas forcement des chamboulements. Tous les systèmes doivent s'adapter et cela en permanence. Ce sont les actes qu'on pose au quotidien. Le professeur dans sa classe, le directeur dans son école, le ministre dans son ministère. Ce sont des petits pas, qui au bout de 5, 10 ou 15 ans, donc au bout d'une génération, font changer les choses. Ce sont les leçons qu'on tire de ce genre de rencontre. Quand vous écoutez les ''success story'', c'est-à-dire les bonnes pratiques, vous constatez qu'il n'y a rien d'extraordinaire. Ce sont des choses qu'on peut faire. Le changement, c'est donc au quotidien. Dès l'instant qu'on se pose la question de savoir pourquoi les gens qu'on a formé ne trouvent pas de travail, on est obligé de trouver des solutions, donc de faire des adaptations.
L.P. : Le Gouvernement a fermé les universités pour mettre à plat tout le système. Qu'en pensez-vous ?
K.Y. : La fermeture des universités et des cités universitaires ne constitue pas en soi une innovation. Ce sont des dispositions pratiques pour régler des problèmes de gestion. Il faut reconnaître que depuis un bon moment, il y a eu trop de dérives, trop de laisser-aller. La fermeture répond donc à cela. Nous savons qu'il y a des années universitaires de 2007, 2008 qui ne sont pas achevées. Il faut les apurer et mettre en place une organisation qui permette d'avoir une année normale. Une fois qu'on aura bouclé cela, la reforme se fera par rapport au contenu de ce qui existe actuellement. Est-ce-que ce contenu nous permet d'avoir des résultats satisfaisants ? Si la réponse est non, nous allons nous interroger pour savoir ce qu'on doit mettre en place. Et la réponse, c'est ce que je viens de dire un peu plus haut. Nous avons un système qui a pour vocation de former et délivrer des diplômes. Est-ce-que ces diplômes permettent d'exercer des activités génératrices de revenu ? Pas forcement ! Il faut analyser l'environnement économique. Il y a combien d'emploi formel dans la Fonction publique, dans le secteur privé ? Quel est notre environnement économique ? Quelles sont les capacités requises pour pouvoir s'insérer ? C'est à ces questions qu'il faut répondre. Est-ce-que notre système permet de répondre à cela ? Si non, il faut pouvoir trouver d'autres solutions. Il ne faut pas non plus donner l'illusion à tous les enfants qu'une fois au CP1, ils arriveront au Doctorat ! Ils ne sont pas obligés d'aller au Doctorat pour travailler. Ils peuvent avancer, sortir du système, aller travailler et revenir. C'est cela l'apprentissage tout au long de la vie et qui est prôné par l'UNESCO. C'est-à-dire un système qui permette d'aller et de revenir. Pas un système continu où une fois qu'on est sorti, on ne peut plus revenir. Dans ce cas, c'est désolant.
Réalisée au Qatar par Dao Maïmouna