J’en avais parlé, à deux ou trois reprises, dans ma chronique. Il y a quelques années, des prix Nobel, de plusieurs disciplines, notamment en économie, s’étaient réunis pour diagnostiquer les maux de l’Afrique. Ces intelligences supérieures, ces brillantissimes, avaient établi une liste de dix maux, de dix plaies qui retardent son progrès et l’empêchent de décoller. Plus de vingt ans, plus tard, il faut se rendre à l’évidence.
L’Afrique n’arrive pas à soigner ses plaies de plus en plus virulentes. Malgré la croissance du niveau de l’éducation, les Africains continuent de patauger dans leur boue. La semaine dernière, passant devant une librairie, j’ai vu exposer un livre de Moussa Konaté intitulé : « L’Afrique est-elle maudite ? » Dans un roman publié, en 1999, et réimprimé, mais épuisé depuis une dizaine d’années et qu’un éditeur s’apprête à réimprimer, avec le même titre : « Sur le chemin de la gloire », je présentais deux plaies virulentes. A travers deux personnages féminins, une citadine et une villageoise, je mettais le doigt dans deux plaies que sont le matériel – qu’on eut, en suivant nos « nobélistes », – classé dans la catégorie de la corruption – et le tribalisme. Aujourd’hui encore, la recherche effrénée des Africains pour l’argent facile sape tout effort de développement.
Pour faire adhérer à un projet de développement, le citoyen veut savoir s’il profitera, personnellement, des fruits de ce qui sera proposé, s’il pourra détourner une partie du budget mis à la disposition de ce travail. Comme des frères jumeaux ou des triplés, tous les pays africains se comportent de la même manière. La lutte contre la corruption ne finit jamais dans ce continent. L’indifférence affichée par beaucoup de citoyens pour les élections législatives peut tourner autour du thème de l’argent et de la corruption. Très peu de candidats pouvaient « acheter » des électeurs.
Pendant des décennies, on a habitué les électeurs à « bouffer » dans une élection. J’ai parcouru, presque tous les quartiers d’Abidjan, pour savoir comment était menée cette campagne électorale. A part un ou deux quartiers, les autres communes baignaient dans le silence des élections. Quelques affiches sur les murs, un ou deux cars qui passaient à vive allure dans une rue avec des jeunes en criant le nom des partis ou des candidats. En aucun moment, on a senti chez la plupart des candidats l’envie de gagner. Dans mon quartier, il était difficile de savoir si le pays organisait des élections législatives. Aucun candidat n’est passé glisser dans nos maisons des affichettes ou des dépliants. Le bon peuple habitué à être transporté sur les lieux des élections attendait qu’on vienne le chercher. Ou qu’on donne le prix de son « woroworo. » Assurément, une élection coûte cher. Mais ce prix a été lié au fait qu’on a mis dans la tête des gens que l’argent passait avant le devoir d’être un citoyen. « Ne demandez pas à votre pays ce qu’il peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour lui.» Cette citation de John F Kennedy n’est pas encore pour nous. J’ai toujours pitié de nos dirigeants politiques. Quelle tâche immense avec un peuple nourri du lait de l’argent et du tribalisme.
Et voilà la deuxième plaie qui ne cesse de grossir. On l’a encore constaté au cours de cette élection législative. Le tribalisme n’est pas prêt de finir en Afrique et de détruire tous ses efforts de croissance. Toute nomination est vue sous l’angle de l’ethnie. On n’apprécie jamais une nomination tant qu’elle n’est pas de son groupe ethnique. Tout dosage régional n’a jamais donné de satisfaction. « Moi et rien d’autre » semble persister. C’est vrai aussi qu’il n’y a jamais eu de tentative, depuis les indépendances de nos pays, de construire une nation. Aujourd’hui encore, ce sont des cadres supérieurs qui demandent d’où vient telle personne nommée et surtout de s’indigner de son appartenance à la même région de ceux qui l’ont nommé. C’est triste mais on l’aura voulu.
Et ce n’est pas demain que les pays africains finiront avec cette grosse plaie inguérissable. L’équipe nationale de football, vrai creuset de l’unité nationale, ne peut pas jouer chaque dimanche pour rassembler tous les fils du pays. Quelle énergie pour son travail peut avoir un citoyen quand il rumine, en longueur de journée, que son chef n’est pas de son ethnie et qu’il mérite mieux, lui et son clan ? Les prix Nobel avaient vu juste, sauf qu’ils ne s’attendaient pas à ce que ces plaies durent encore plus de vingt ans. Mais ce qu’ils n’ont pas su diagnostiquer et qu’on ne peut jamais mettre dans les statistiques, ce sont les vilains sentiments.
Les économistes, les bailleurs de fonds n’y pensent même pas a fortiori en tenir compte. Il s’agit des vilains sentiments dont parlait régulièrement Félix Houphouët-Boigny afin de nous transformer et faire réussir nos pays. Comment guérir la méchanceté, l’orgueil, la jalousie, la médisance, l’hypocrisie, le mensonge, la duplicité, la trahison, le fétichisme, la haine et les dissensions ? C’est le «petit» des Coulibaly qui le disait : «Le Président Houphouët me disait que je voyais tout en chiffres.» Ah, que c’est si vrai ! Comment faire un plan d’urgence pour réparer les vilains sentiments, ces routes dégradées depuis la «fabrication» de l’homme ? Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly
L’Afrique n’arrive pas à soigner ses plaies de plus en plus virulentes. Malgré la croissance du niveau de l’éducation, les Africains continuent de patauger dans leur boue. La semaine dernière, passant devant une librairie, j’ai vu exposer un livre de Moussa Konaté intitulé : « L’Afrique est-elle maudite ? » Dans un roman publié, en 1999, et réimprimé, mais épuisé depuis une dizaine d’années et qu’un éditeur s’apprête à réimprimer, avec le même titre : « Sur le chemin de la gloire », je présentais deux plaies virulentes. A travers deux personnages féminins, une citadine et une villageoise, je mettais le doigt dans deux plaies que sont le matériel – qu’on eut, en suivant nos « nobélistes », – classé dans la catégorie de la corruption – et le tribalisme. Aujourd’hui encore, la recherche effrénée des Africains pour l’argent facile sape tout effort de développement.
Pour faire adhérer à un projet de développement, le citoyen veut savoir s’il profitera, personnellement, des fruits de ce qui sera proposé, s’il pourra détourner une partie du budget mis à la disposition de ce travail. Comme des frères jumeaux ou des triplés, tous les pays africains se comportent de la même manière. La lutte contre la corruption ne finit jamais dans ce continent. L’indifférence affichée par beaucoup de citoyens pour les élections législatives peut tourner autour du thème de l’argent et de la corruption. Très peu de candidats pouvaient « acheter » des électeurs.
Pendant des décennies, on a habitué les électeurs à « bouffer » dans une élection. J’ai parcouru, presque tous les quartiers d’Abidjan, pour savoir comment était menée cette campagne électorale. A part un ou deux quartiers, les autres communes baignaient dans le silence des élections. Quelques affiches sur les murs, un ou deux cars qui passaient à vive allure dans une rue avec des jeunes en criant le nom des partis ou des candidats. En aucun moment, on a senti chez la plupart des candidats l’envie de gagner. Dans mon quartier, il était difficile de savoir si le pays organisait des élections législatives. Aucun candidat n’est passé glisser dans nos maisons des affichettes ou des dépliants. Le bon peuple habitué à être transporté sur les lieux des élections attendait qu’on vienne le chercher. Ou qu’on donne le prix de son « woroworo. » Assurément, une élection coûte cher. Mais ce prix a été lié au fait qu’on a mis dans la tête des gens que l’argent passait avant le devoir d’être un citoyen. « Ne demandez pas à votre pays ce qu’il peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour lui.» Cette citation de John F Kennedy n’est pas encore pour nous. J’ai toujours pitié de nos dirigeants politiques. Quelle tâche immense avec un peuple nourri du lait de l’argent et du tribalisme.
Et voilà la deuxième plaie qui ne cesse de grossir. On l’a encore constaté au cours de cette élection législative. Le tribalisme n’est pas prêt de finir en Afrique et de détruire tous ses efforts de croissance. Toute nomination est vue sous l’angle de l’ethnie. On n’apprécie jamais une nomination tant qu’elle n’est pas de son groupe ethnique. Tout dosage régional n’a jamais donné de satisfaction. « Moi et rien d’autre » semble persister. C’est vrai aussi qu’il n’y a jamais eu de tentative, depuis les indépendances de nos pays, de construire une nation. Aujourd’hui encore, ce sont des cadres supérieurs qui demandent d’où vient telle personne nommée et surtout de s’indigner de son appartenance à la même région de ceux qui l’ont nommé. C’est triste mais on l’aura voulu.
Et ce n’est pas demain que les pays africains finiront avec cette grosse plaie inguérissable. L’équipe nationale de football, vrai creuset de l’unité nationale, ne peut pas jouer chaque dimanche pour rassembler tous les fils du pays. Quelle énergie pour son travail peut avoir un citoyen quand il rumine, en longueur de journée, que son chef n’est pas de son ethnie et qu’il mérite mieux, lui et son clan ? Les prix Nobel avaient vu juste, sauf qu’ils ne s’attendaient pas à ce que ces plaies durent encore plus de vingt ans. Mais ce qu’ils n’ont pas su diagnostiquer et qu’on ne peut jamais mettre dans les statistiques, ce sont les vilains sentiments.
Les économistes, les bailleurs de fonds n’y pensent même pas a fortiori en tenir compte. Il s’agit des vilains sentiments dont parlait régulièrement Félix Houphouët-Boigny afin de nous transformer et faire réussir nos pays. Comment guérir la méchanceté, l’orgueil, la jalousie, la médisance, l’hypocrisie, le mensonge, la duplicité, la trahison, le fétichisme, la haine et les dissensions ? C’est le «petit» des Coulibaly qui le disait : «Le Président Houphouët me disait que je voyais tout en chiffres.» Ah, que c’est si vrai ! Comment faire un plan d’urgence pour réparer les vilains sentiments, ces routes dégradées depuis la «fabrication» de l’homme ? Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly