L’enseignement islamique baigne encore dans l’informel. Au point qu’une étude du Rapport d’études du système éducatif national (Resen) a révélé que 500.000 enfants sont en dehors du système éducatif normal. Sur plus de 1.000 établissements recensés, seulement 22 remplissent quelque peu les conditions pour dispenser le savoir.
D. Bema, 30 ans, est ‘‘gnambolo’’ (chargeurs de taxis communaux) à la gare routière d’Adjamé. Après cinq ans d’études dans une école coranique, entre 1990 et 1995, ce gaillard est frustré de sa situation sociale. «Je regrette d’avoir fait l’école coranique. Voyez le résultat. Aujourd’hui, mes amis se pavanent à bord de leur voiture pendant que j’ai des difficultés à m’assurer un repas par jour. Je veux bien me marier mais, je n’ai pas les moyens», se désole l’ancien apprenant du Coran. Il explique qu’après avoir obtenu son Cepe (Certificat d’étude primaire élémentaire) arabe à Duékoué, sa ville natale, il devait poursuivre ses études à Bouaké. Malheureusement, poursuit-il, « mes parents n’ont pas eu les moyens de le faire. J’avais 15 ans. A 22 ans, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure à Abidjan», ajoute-il.
Comme Bema, beaucoup de jeunes désœuvrés sont des transfuges de l’école arabe. Ils ont subi pour la plupart, dès l’âge de cinq ans, la pression des parents qui refusent que leurs progénitures restent en marge des «pratiques» islamiques. Pour le grand bonheur des fondateurs. C’est le cas de l’imam Diély Mory, responsable de l’école ‘‘Mah zoiratou tahfizoul qur’an’’ sise dans l’enceinte d’une mosquée à ‘‘Banco-mobile’’, un sous-quartier d’Abobo. Ici, les talibés apprennent sur des nattes jetées à même le sol. Le programme ‘‘scolaire’’ qui s’étend sur douze mois est axé sur la lecture et la mémorisation du saint Coran. Entrecoupé d’un mois de congé. «Chez moi, on ne parle pas français. Les enfants ont la possibilité de mémoriser le Coran en deux ou cinq ans. Ça dépend de la compréhension de chaque apprenant. Ceux de cinq à dix ans peuvent le mémoriser en cinq ans d’apprentissage. Les plus âgés (dix ans et plus) le mémorisent en deux ans d’apprentissage», soutient l’imam Diély.
La réussite est entre les mains de Dieu
Créé il y a trois ans, Mah zoiratou tahfizoul qur’an tourne cette année avec cinq maîtres coraniques pour un effectif de 200 enfants. En plus des 5.000 Fcfa à l’inscription, les parents déboursent 20.000 Fcfa pour la scolarité, à raison de 2.000 Fcfa le mois. Et pourtant, la formation reçue ne garantit en rien l’avenir des talibés dans notre société en pleine mutation. «Dans mon école, on n’enseigne que l’arabe et le malinké. Nous participons chaque année au concours de lecture coranique organisé dans les mosquées par la Lipci (Ligue islamique des prédicateurs de Côte d’Ivoire) et pendant des fêtes musulmanes. Les enfants n’ont d’autres débouchés que de devenir des prédicateurs, de grands imams ou maîtres coraniques», appuie Diély Mory. Les établissements de type moyenâgeux ont poussé comme des champignons à travers le pays. Ils n’ont pas connu la moindre mutation depuis la période coloniale. Mais continuent d’accueillir des milliers d’enfants. «Je n’ai pas les moyens pour envoyer mes enfants à l’école occidentale. Là-bas, à chaque rentrée des classes, il faut payer les fournitures, y compris la scolarité qui sont à des coûts exorbitants. Et à tout moment, il faut faire ceci ou cela. Comme je suis pauvre, je préfère envoyer mes enfants à l’école arabe où on ne paye que 1.000 Fcfa le mois. De toutes les façons, la réussite des enfants est entre les mains de Dieu», se console Traoré Salifou, parent d’élève. Pour certains fondateurs, la mémorisation du Coran est un des impératifs dans la pratique de l’Islam. Quand d’autres estiment que la formation islamique ne doit pas se limiter à cette discipline. Une affirmation que partage Konaté Sidiki, directeur de l’école «Sabil Nadjah» à Abobo, transformée depuis peu en école primaire «franco-arabe». On lit au fronton, cet écriteau brandi fièrement : «Ministère de l’Education nationale». Bâtie sur un terrain exigu d’à peine 100 m2, elle comprend quatre classes (du Cp1 au Cm2). Sans aucune barrière de protection, les enfants sont exposés à toutes sortes de danger.
« Nous avons des programmes de formation sur l’enseignement général et sur celui de l’arabe. Nous avons des enseignants pour toutes les matières francophones dispensées dans les écoles occidentales et des enseignants spécialisés pour la formation arabe. Nous consacrons trois jours au français et deux jours à l’arabe. Nous essayons de suivre le programme du ministère de l’Education nationale grâce à la bienveillance des écoles laïques voisines», explique le directeur. Toutefois, un enseignant de l’école reconnaît, sous le sceau de l’anonymat, que les enfants sont soumis à un rythme de travail anormal. «L’année scolaire s’étend sur dix mois au lieu de neuf, selon les normes officielles. Les cours sont dispensés du lundi au vendredi», dénonce O. Yacouba, enseignant de programme arabe. Il se trouve, malheureusement, que des candidats à l’examen du Cepe, présentés comme des candidats officiels par le biais de certaines écoles laïques, ne sont pas pris en compte par l’Etat après leur admission.
Horizon bouché
« L’année dernière, ma fille a eu son entrée en sixième dans une école coranique. A ma grande surprise, elle n’a pas été orientée. J’ai été obligé, malgré ses 130 points à l’examen, de payer une classe de sixième pour elle », se plaint Traoré Mariam, commerçante à Adjamé. Un problème auquel nombre d’établissements d’enseignement islamique sont confrontés. Sur les 40 élèves candidats libres à l’examen du Cepe en 2011 par le Centre culturel islamique de Williamsville, quatre dossiers ont été rejetés. « La Deco (ndlr, Direction des examens et concours) a estimé que les enfants, âgés de dix ans, n’avaient pas l’âge requis pour être des candidats libres», se désole Oumar Sanogo, responsable de l’école. Sa structure n’étant pas autorisée par le ministère de l’Education nationale, les talibés sont proposés comme candidats libres aux examens nationaux. Même son de cloche à l’institut islamique ‘‘Ibn taïmiyyat’’ à Abobo. Les candidats, au nombre de dix, qui devaient présenter le concours d’entrée en 6ème cette année sont restés sur le carreau. « A cause de la crise postélectorale, nous n’avons pas pu finaliser les dossiers de nos élèves. Ils vont certainement reprendre la classe de Cm2 », souhaite Konaté Abass, secrétaire général de l’institut islamique. Dans son établissement de huit classes (du Cp1 à la 4ème pour le Franco-Arabe jusqu’à la terminale pour l’enseignement de l’arabe), situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de quatre étages, face au petit marché du quartier «Banco», la formation est l’affaire de 25 enseignants. « Nous avons 70 à 80 élèves par classe. Certains font du franco-arabe. Mais d’autres parents optent pour l’enseignement arabe. Le programme scolaire en français est dispensé par des bacheliers ou des étudiants qui assurent très souvent les cours à domicile. Pour l’enseignement de l’arabe, le niveau minimum est la licence et plus», révèle Konaté Abass qui reconnaît avoir suivi deux ans de formation pédagogique en Arabie Saoudite. «Mon ambition était de continuer en France pour me perfectionner en français. J’ai fait six ans d’études en Libye et deux ans en Arabie Saoudite sans pouvoir réaliser mon rêve», se désespère-t-il.
Le rattachement des écoles islamiques, considérées comme des associations islamiques, au ministère de l’Intérieur n’est pas fait pour arranger les choses. Ce qui fait dire au Rapport d’étude du système éducatif national (Resen) réalisé en 2001 que plus de « 500.000 enfants qui fréquentent ces écoles en ressortent sans avoir acquis les compétences scientifiques et techniques nécessaires à leur insertion socioprofessionnelle ». « Depuis l’époque coloniale jusqu’à ce jour, les écoles islamiques émargent au ministère de l’Intérieur en tant qu’associations. Elles ne sont pas reconnues par le ministère de l’Education nationale. Par conséquent, les élèves ne peuvent pas postuler aux concours comme leurs camarades des écoles officielles », indique une source proche du ministre Kandia Camara. Conscientes du danger qui guette les enfants, des associations du monde islamique ont engagé la bataille depuis 2005 en vue de mettre fin à cette «injustice coloniale». Des bailleurs de fonds, notamment la Banque mondiale et d’autres structures internationales n’ont de cesse d’interpeller le gouvernement et les fondateurs des écoles islamiques. Afin de rectifier le tir.
La poussée des partenaires éducatifs
« En 2005, le ministère de l’Education nationale avec l’appui de l’Unicef a distribué des boîtes à images dans des écoles islamiques. Cela, pour développer leurs compétences de vue courante. En 2008, l’Etat a commandité une étude auprès du cabinet Cifec international sur la « Stratégie d’intégration des écoles islamiques dans l’enseignement officiel en Côte d’Ivoire : analyse, diagnostic et prospective ». Cette étude, entièrement financée par l’Unicef, a révélé que 1.026 écoles islamiques recensées, sur un échantillon de 611, seulement 43 étaient proches des normes du ministère de l’Education nationale », confie Idrissa Kouyaté, inspecteur général de l’éducation nationale. Selon lui, c’est à l’issue de cette étude qu’une commission technique de travail a été mise en place par le ministère pour l’évaluation de la conformité des 43 écoles ciblées aux normes officielles de juillet à août 2011. «La commission a jugé acceptable la situation de 22 écoles, classées en catégorie A, pouvant intégrer le système officiel d’enseignement. Elles bénéficieront d’un accompagnement technique du ministère, aux plans institutionnel, administratif et pédagogique, même si des efforts sont attendus de leurs promoteurs. Sept ont été classées en catégorie B, vu les insuffisances observées, et 14 en catégorie C, car ne respectant pas les critères minimaux de construction», révèle le rapport d’évaluation.
Lors de la restitution de ces résultats de la commission, le 10 septembre 2011, au lycée St-Marie de Cocody, la ministre de l’Education nationale, Kandia Camara, s’est adressée aux promoteurs d’écoles islamiques. « Vous êtes des partenaires incontournables dans le processus qui ne fait que commencer. Votre implication réelle et volontaire conditionne la réussite de cette opération. Continuez de jouer votre partition en corrigeant les insuffisances de vos établissements afin de donner à ces milliers d’enfants dont vous avez la charge, d’aller à chance égale avec les autres, sur le marché du travail », a souhaité la ministre. La première responsable de l’éducation nationale a félicité les établissements classés dans la catégorie A. Elle les a invités à prendre attache avec le Service autonome pour la promotion des établissements privés (Sapep) en vue d’obtenir leur agrément et de jouir des avantages, dès la rentrée du 24 octobre. «La direction de la formation continue, a-t-elle confié, a reçu instruction pour procéder, dès le mois de mars 2012, à l’évaluation des écoles qui en auront fait la demande ». Aujourd’hui, la majorité des promoteurs d’écoles islamiques savent que la survie de leurs établissements dépendra du crédit accordé par le ministère de l’Education nationale.
Des enseignants crient à l’injustice
Ces établissements intégrés au système officiel ne sont pas sortis de l’ornière. Ils doivent affronter une autre triste réalité : celle du recrutement des enseignants, de leur grille salariale, leur adaptation aux modules de formation et la répartition des heures entre l’arabe et le français. Au groupe scolaire ‘‘Iqra’’ du Plateau-Dokui, le fondateur peut s’estimer heureux, car ce point de blocage semble avoir été résolu. Son établissement fonctionne depuis peu sous la tutelle du ministère de l’Education nationale. « L’école respecte les normes de construction prescrites par la tutelle. Sur un espace de plus de 1.000 m2, trois bâtiments ont été bâtis, avec des toilettes. En plus du primaire, et à la demande des riverains, une maternelle a été également construite. L’école est ouverte à toutes les confessions religieuses », confie une source proche de la direction. L’Etat recommande 90 minutes de cours religieux par semaine, là où certains fondateurs demandent que le temps de formation soit divisé en deux parties égales. C’est-à-dire : 50% pour l’arabe et 50% pour le français au cours de la semaine. « Si nous créons des écoles islamiques, c’est pour assurer une formation islamique complète à nos enfants. Ce que l’Etat recommande est difficile pour nous. Le passage des écoles islamiques au système d’enseignement officiel ne nous arrange pas. Nous demandons que cela soit en partie égale », plaide Yacouba Ouattara, enseignant de programme arabe. À en croire un autre enseignant, « si on n’apprend pas le latin, le grec qui sont des langues mortes, on ne peut pas faire d’études pastorales. Ces matières continuent d’être enseignées dans les collèges et lycées. Cela doit pouvoir s’appliquer à l’arabe pour le monde islamique. Malheureusement, il y a une résistance et une incompréhension de la chose ». Pour lui, l’arabe, en temps que langue internationale, doit avoir une place de choix comme l’anglais, l’allemand et l’espagnol dans les écoles. « Cela règle, à mon sens, le problème des écoles islamiques », tranche l’éducateur islamique. Pr Kanvaly Fadiga se penche plutôt sur la sensibilisation des acteurs de l’éducation. Afin que les promoteurs d’écoles islamiques suivent l’exemple du collège ‘‘Kamourou Cissé’’ de Gagnoa. « Au sein de cet établissement, il y a le primaire et le secondaire (1er cycle). Le second cycle est en voie d’ouverture. Selon un récent classement, cette école est en tête du palmarès. Au niveau des bâtiments, beaucoup d’investissements ont été réalisés: laboratoires et salles de travaux pratiques. Presque 50% de l’effectif sont des enfants non musulmans. L’Etat oriente des élèves dans cet établissement qui fonctionne comme les écoles catholiques en accueillant des enfants musulmans. La qualité de l’enseignement est bonne », s’est réjoui le consultant chargé de la direction scientifique de l’étude relative à l’élaboration de la stratégie d’intégration des écoles islamiques au système d’enseignement officiel. A en croire l’expert, on n’est pas confessionnel parce qu’on enseigne l’arabe et le français. Mais parce qu’on respecte le programme d’enseignement officiel (français). « Toutes les écoles d’enseignement islamique ne sont pas des établissements confessionnels. Il faut respecter les prescriptions du ministère de l’Education nationale pour avoir sa place parmi les écoles dites confessionnelles », a-t-il éclairé.
Dacoury Vincent, Stagiaire
D. Bema, 30 ans, est ‘‘gnambolo’’ (chargeurs de taxis communaux) à la gare routière d’Adjamé. Après cinq ans d’études dans une école coranique, entre 1990 et 1995, ce gaillard est frustré de sa situation sociale. «Je regrette d’avoir fait l’école coranique. Voyez le résultat. Aujourd’hui, mes amis se pavanent à bord de leur voiture pendant que j’ai des difficultés à m’assurer un repas par jour. Je veux bien me marier mais, je n’ai pas les moyens», se désole l’ancien apprenant du Coran. Il explique qu’après avoir obtenu son Cepe (Certificat d’étude primaire élémentaire) arabe à Duékoué, sa ville natale, il devait poursuivre ses études à Bouaké. Malheureusement, poursuit-il, « mes parents n’ont pas eu les moyens de le faire. J’avais 15 ans. A 22 ans, j’ai décidé de me lancer dans l’aventure à Abidjan», ajoute-il.
Comme Bema, beaucoup de jeunes désœuvrés sont des transfuges de l’école arabe. Ils ont subi pour la plupart, dès l’âge de cinq ans, la pression des parents qui refusent que leurs progénitures restent en marge des «pratiques» islamiques. Pour le grand bonheur des fondateurs. C’est le cas de l’imam Diély Mory, responsable de l’école ‘‘Mah zoiratou tahfizoul qur’an’’ sise dans l’enceinte d’une mosquée à ‘‘Banco-mobile’’, un sous-quartier d’Abobo. Ici, les talibés apprennent sur des nattes jetées à même le sol. Le programme ‘‘scolaire’’ qui s’étend sur douze mois est axé sur la lecture et la mémorisation du saint Coran. Entrecoupé d’un mois de congé. «Chez moi, on ne parle pas français. Les enfants ont la possibilité de mémoriser le Coran en deux ou cinq ans. Ça dépend de la compréhension de chaque apprenant. Ceux de cinq à dix ans peuvent le mémoriser en cinq ans d’apprentissage. Les plus âgés (dix ans et plus) le mémorisent en deux ans d’apprentissage», soutient l’imam Diély.
La réussite est entre les mains de Dieu
Créé il y a trois ans, Mah zoiratou tahfizoul qur’an tourne cette année avec cinq maîtres coraniques pour un effectif de 200 enfants. En plus des 5.000 Fcfa à l’inscription, les parents déboursent 20.000 Fcfa pour la scolarité, à raison de 2.000 Fcfa le mois. Et pourtant, la formation reçue ne garantit en rien l’avenir des talibés dans notre société en pleine mutation. «Dans mon école, on n’enseigne que l’arabe et le malinké. Nous participons chaque année au concours de lecture coranique organisé dans les mosquées par la Lipci (Ligue islamique des prédicateurs de Côte d’Ivoire) et pendant des fêtes musulmanes. Les enfants n’ont d’autres débouchés que de devenir des prédicateurs, de grands imams ou maîtres coraniques», appuie Diély Mory. Les établissements de type moyenâgeux ont poussé comme des champignons à travers le pays. Ils n’ont pas connu la moindre mutation depuis la période coloniale. Mais continuent d’accueillir des milliers d’enfants. «Je n’ai pas les moyens pour envoyer mes enfants à l’école occidentale. Là-bas, à chaque rentrée des classes, il faut payer les fournitures, y compris la scolarité qui sont à des coûts exorbitants. Et à tout moment, il faut faire ceci ou cela. Comme je suis pauvre, je préfère envoyer mes enfants à l’école arabe où on ne paye que 1.000 Fcfa le mois. De toutes les façons, la réussite des enfants est entre les mains de Dieu», se console Traoré Salifou, parent d’élève. Pour certains fondateurs, la mémorisation du Coran est un des impératifs dans la pratique de l’Islam. Quand d’autres estiment que la formation islamique ne doit pas se limiter à cette discipline. Une affirmation que partage Konaté Sidiki, directeur de l’école «Sabil Nadjah» à Abobo, transformée depuis peu en école primaire «franco-arabe». On lit au fronton, cet écriteau brandi fièrement : «Ministère de l’Education nationale». Bâtie sur un terrain exigu d’à peine 100 m2, elle comprend quatre classes (du Cp1 au Cm2). Sans aucune barrière de protection, les enfants sont exposés à toutes sortes de danger.
« Nous avons des programmes de formation sur l’enseignement général et sur celui de l’arabe. Nous avons des enseignants pour toutes les matières francophones dispensées dans les écoles occidentales et des enseignants spécialisés pour la formation arabe. Nous consacrons trois jours au français et deux jours à l’arabe. Nous essayons de suivre le programme du ministère de l’Education nationale grâce à la bienveillance des écoles laïques voisines», explique le directeur. Toutefois, un enseignant de l’école reconnaît, sous le sceau de l’anonymat, que les enfants sont soumis à un rythme de travail anormal. «L’année scolaire s’étend sur dix mois au lieu de neuf, selon les normes officielles. Les cours sont dispensés du lundi au vendredi», dénonce O. Yacouba, enseignant de programme arabe. Il se trouve, malheureusement, que des candidats à l’examen du Cepe, présentés comme des candidats officiels par le biais de certaines écoles laïques, ne sont pas pris en compte par l’Etat après leur admission.
Horizon bouché
« L’année dernière, ma fille a eu son entrée en sixième dans une école coranique. A ma grande surprise, elle n’a pas été orientée. J’ai été obligé, malgré ses 130 points à l’examen, de payer une classe de sixième pour elle », se plaint Traoré Mariam, commerçante à Adjamé. Un problème auquel nombre d’établissements d’enseignement islamique sont confrontés. Sur les 40 élèves candidats libres à l’examen du Cepe en 2011 par le Centre culturel islamique de Williamsville, quatre dossiers ont été rejetés. « La Deco (ndlr, Direction des examens et concours) a estimé que les enfants, âgés de dix ans, n’avaient pas l’âge requis pour être des candidats libres», se désole Oumar Sanogo, responsable de l’école. Sa structure n’étant pas autorisée par le ministère de l’Education nationale, les talibés sont proposés comme candidats libres aux examens nationaux. Même son de cloche à l’institut islamique ‘‘Ibn taïmiyyat’’ à Abobo. Les candidats, au nombre de dix, qui devaient présenter le concours d’entrée en 6ème cette année sont restés sur le carreau. « A cause de la crise postélectorale, nous n’avons pas pu finaliser les dossiers de nos élèves. Ils vont certainement reprendre la classe de Cm2 », souhaite Konaté Abass, secrétaire général de l’institut islamique. Dans son établissement de huit classes (du Cp1 à la 4ème pour le Franco-Arabe jusqu’à la terminale pour l’enseignement de l’arabe), situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de quatre étages, face au petit marché du quartier «Banco», la formation est l’affaire de 25 enseignants. « Nous avons 70 à 80 élèves par classe. Certains font du franco-arabe. Mais d’autres parents optent pour l’enseignement arabe. Le programme scolaire en français est dispensé par des bacheliers ou des étudiants qui assurent très souvent les cours à domicile. Pour l’enseignement de l’arabe, le niveau minimum est la licence et plus», révèle Konaté Abass qui reconnaît avoir suivi deux ans de formation pédagogique en Arabie Saoudite. «Mon ambition était de continuer en France pour me perfectionner en français. J’ai fait six ans d’études en Libye et deux ans en Arabie Saoudite sans pouvoir réaliser mon rêve», se désespère-t-il.
Le rattachement des écoles islamiques, considérées comme des associations islamiques, au ministère de l’Intérieur n’est pas fait pour arranger les choses. Ce qui fait dire au Rapport d’étude du système éducatif national (Resen) réalisé en 2001 que plus de « 500.000 enfants qui fréquentent ces écoles en ressortent sans avoir acquis les compétences scientifiques et techniques nécessaires à leur insertion socioprofessionnelle ». « Depuis l’époque coloniale jusqu’à ce jour, les écoles islamiques émargent au ministère de l’Intérieur en tant qu’associations. Elles ne sont pas reconnues par le ministère de l’Education nationale. Par conséquent, les élèves ne peuvent pas postuler aux concours comme leurs camarades des écoles officielles », indique une source proche du ministre Kandia Camara. Conscientes du danger qui guette les enfants, des associations du monde islamique ont engagé la bataille depuis 2005 en vue de mettre fin à cette «injustice coloniale». Des bailleurs de fonds, notamment la Banque mondiale et d’autres structures internationales n’ont de cesse d’interpeller le gouvernement et les fondateurs des écoles islamiques. Afin de rectifier le tir.
La poussée des partenaires éducatifs
« En 2005, le ministère de l’Education nationale avec l’appui de l’Unicef a distribué des boîtes à images dans des écoles islamiques. Cela, pour développer leurs compétences de vue courante. En 2008, l’Etat a commandité une étude auprès du cabinet Cifec international sur la « Stratégie d’intégration des écoles islamiques dans l’enseignement officiel en Côte d’Ivoire : analyse, diagnostic et prospective ». Cette étude, entièrement financée par l’Unicef, a révélé que 1.026 écoles islamiques recensées, sur un échantillon de 611, seulement 43 étaient proches des normes du ministère de l’Education nationale », confie Idrissa Kouyaté, inspecteur général de l’éducation nationale. Selon lui, c’est à l’issue de cette étude qu’une commission technique de travail a été mise en place par le ministère pour l’évaluation de la conformité des 43 écoles ciblées aux normes officielles de juillet à août 2011. «La commission a jugé acceptable la situation de 22 écoles, classées en catégorie A, pouvant intégrer le système officiel d’enseignement. Elles bénéficieront d’un accompagnement technique du ministère, aux plans institutionnel, administratif et pédagogique, même si des efforts sont attendus de leurs promoteurs. Sept ont été classées en catégorie B, vu les insuffisances observées, et 14 en catégorie C, car ne respectant pas les critères minimaux de construction», révèle le rapport d’évaluation.
Lors de la restitution de ces résultats de la commission, le 10 septembre 2011, au lycée St-Marie de Cocody, la ministre de l’Education nationale, Kandia Camara, s’est adressée aux promoteurs d’écoles islamiques. « Vous êtes des partenaires incontournables dans le processus qui ne fait que commencer. Votre implication réelle et volontaire conditionne la réussite de cette opération. Continuez de jouer votre partition en corrigeant les insuffisances de vos établissements afin de donner à ces milliers d’enfants dont vous avez la charge, d’aller à chance égale avec les autres, sur le marché du travail », a souhaité la ministre. La première responsable de l’éducation nationale a félicité les établissements classés dans la catégorie A. Elle les a invités à prendre attache avec le Service autonome pour la promotion des établissements privés (Sapep) en vue d’obtenir leur agrément et de jouir des avantages, dès la rentrée du 24 octobre. «La direction de la formation continue, a-t-elle confié, a reçu instruction pour procéder, dès le mois de mars 2012, à l’évaluation des écoles qui en auront fait la demande ». Aujourd’hui, la majorité des promoteurs d’écoles islamiques savent que la survie de leurs établissements dépendra du crédit accordé par le ministère de l’Education nationale.
Des enseignants crient à l’injustice
Ces établissements intégrés au système officiel ne sont pas sortis de l’ornière. Ils doivent affronter une autre triste réalité : celle du recrutement des enseignants, de leur grille salariale, leur adaptation aux modules de formation et la répartition des heures entre l’arabe et le français. Au groupe scolaire ‘‘Iqra’’ du Plateau-Dokui, le fondateur peut s’estimer heureux, car ce point de blocage semble avoir été résolu. Son établissement fonctionne depuis peu sous la tutelle du ministère de l’Education nationale. « L’école respecte les normes de construction prescrites par la tutelle. Sur un espace de plus de 1.000 m2, trois bâtiments ont été bâtis, avec des toilettes. En plus du primaire, et à la demande des riverains, une maternelle a été également construite. L’école est ouverte à toutes les confessions religieuses », confie une source proche de la direction. L’Etat recommande 90 minutes de cours religieux par semaine, là où certains fondateurs demandent que le temps de formation soit divisé en deux parties égales. C’est-à-dire : 50% pour l’arabe et 50% pour le français au cours de la semaine. « Si nous créons des écoles islamiques, c’est pour assurer une formation islamique complète à nos enfants. Ce que l’Etat recommande est difficile pour nous. Le passage des écoles islamiques au système d’enseignement officiel ne nous arrange pas. Nous demandons que cela soit en partie égale », plaide Yacouba Ouattara, enseignant de programme arabe. À en croire un autre enseignant, « si on n’apprend pas le latin, le grec qui sont des langues mortes, on ne peut pas faire d’études pastorales. Ces matières continuent d’être enseignées dans les collèges et lycées. Cela doit pouvoir s’appliquer à l’arabe pour le monde islamique. Malheureusement, il y a une résistance et une incompréhension de la chose ». Pour lui, l’arabe, en temps que langue internationale, doit avoir une place de choix comme l’anglais, l’allemand et l’espagnol dans les écoles. « Cela règle, à mon sens, le problème des écoles islamiques », tranche l’éducateur islamique. Pr Kanvaly Fadiga se penche plutôt sur la sensibilisation des acteurs de l’éducation. Afin que les promoteurs d’écoles islamiques suivent l’exemple du collège ‘‘Kamourou Cissé’’ de Gagnoa. « Au sein de cet établissement, il y a le primaire et le secondaire (1er cycle). Le second cycle est en voie d’ouverture. Selon un récent classement, cette école est en tête du palmarès. Au niveau des bâtiments, beaucoup d’investissements ont été réalisés: laboratoires et salles de travaux pratiques. Presque 50% de l’effectif sont des enfants non musulmans. L’Etat oriente des élèves dans cet établissement qui fonctionne comme les écoles catholiques en accueillant des enfants musulmans. La qualité de l’enseignement est bonne », s’est réjoui le consultant chargé de la direction scientifique de l’étude relative à l’élaboration de la stratégie d’intégration des écoles islamiques au système d’enseignement officiel. A en croire l’expert, on n’est pas confessionnel parce qu’on enseigne l’arabe et le français. Mais parce qu’on respecte le programme d’enseignement officiel (français). « Toutes les écoles d’enseignement islamique ne sont pas des établissements confessionnels. Il faut respecter les prescriptions du ministère de l’Education nationale pour avoir sa place parmi les écoles dites confessionnelles », a-t-il éclairé.
Dacoury Vincent, Stagiaire