Star incontestée du reggae en Côte d’Ivoire et dans le monde, Tiken Jah Fakoly était récemment à Abidjan. En deux rendez-vous, il a bien voulu se confier au Patriote. Au menu : sa carrière, la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire, et bien entendu sa réconciliation avec Alpha Blondy, autre grosse vedette ivoirienne du reggae. Entretien à bâtons rompus…
Le Patriote : Il y a environ un an et demi que l’album « African Revolution » est sorti. Quel bilan faîtes-vous de son parcours sur le marché musical ?
Tiken Jah Fakoly : Pour moi, le bilan est positif. C’est un album certes différent des autres, mais qui m’a permis de faire le tour du monde. Je n’étais jamais allé aux Etats-Unis. Récemment, j’y étais. J’ai même joué à Central Park, devant près de 25 000 personnes. Là, je m’apprête à repartir au Canada, ensuite aux Etats-Unis. L’Amérique latine me réclame. J’irai me produire en Bolivie, en Colombie.
L.P : Mais, il n’a pas connu le succès escompté en Côte d’Ivoire…
TKJ : C’est vrai qu’il n’a pas connu ici le même succès que « L’Africain », « Françafrique » ou « Coup de gueule », mais cela s’explique par le fait qu’on n’a pas eu assez de temps de faire la promotion de l’œuvre. J’avoue que je n’ai pas eu le temps de m’occuper de cela. Dès que l’album est sorti, je suis parti en tournée. Si l’album a été apprécié un peu partout dans le monde, en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique latine, il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas apprécié chez moi-même. Les gens ont juste besoin de savoir que l’album existe. Je ne pense pas que ce soit un échec. C’est peut-être l’album le moins connu des Ivoiriens, mais c’est une œuvre qui m’a permis de faire le tour du monde, d’arriver en tout cas là où je n’étais jamais encore arrivé.
L.P : Dans cet album, on sent le registre de Tiken varié, avec une forte influence de nouvelles mélodies…
TKJ : Effectivement, c’est une œuvre différente de celles que j’avais jusque-là faites. Vous savez, je suis assez démocrate dans la vie et le travail. Quand je travaille avec des gens, j’aime écouter, apprécier. J’avais envie d’essayer quelque chose. Je devais travailler avec des Anglais. Je leur ai dit que je voulais arriver à un certain niveau, j’ai chanté et ils ont apporté leur feeling. J’ai trouvé que c’était bien. La musique de cet album m’a permis de chanter autrement. Quand tu écoutes la voix, tu sens que j’ai monté les gammes, j’ai vraiment cherché des mélodies que je n’avais pas eues. Je ne regrette pas du tout d’avoir fait cet album. J’avais envie de surprendre mes fans, je l’ai fait. Le succès est positif au niveau de l’Occident et même en Guinée où l’album a eu un franc succès. Dans la carrière d’un artiste, il y a plusieurs étapes, et moi je suis arrivé à une étape où j’avais envie d’essayer autre chose. Pour moi, en tant que Tiken Jah Fakoly, artiste, le bilan est positif.
L.P : Allez-vous vous inscrire résolument dans cette nouvelle démarche musicale au risque de dérouter vos fans ivoiriens ?
TKJ : Moi, je suis toujours à la recherche de sons reggae originaux, propres à l’Afrique. On ne peut pas copier les Jamaïcains. Le reggae vient d’Afrique, les Jamaïcains qui l’ont créé viennent aussi d’Afrique. Nous sommes donc comme les papas et les mamans du reggae. Donc, il est important que quand nous faisons cette musique, d’y apporter une couleur originale africaine. Je ne dirai pas que c’est une expérience que je vais forcément reprendre, mais je continuerai mes recherches pour faire rêver mes fans.
L.P : Le 25 janvier prochain, vous mettrez sur le marché un maxi single de deux titres. Quelle est l’opportunité de cette œuvre ?
TKJ : Je suis un artiste qui aime s’exprimer. Si je fais un meeting, on dira que j’aime faire de la politique. Et donc, la meilleure manière pour moi de m’exprimer c’est à travers mon art. La crise post-électorale en Côte d’Ivoire a fait beaucoup de morts et de dégâts, tout simplement parce que quelqu’un, qui a fait deux mandats, avait envie d’en faire un troisième, alors qu’il n’en avait pas le droit. Tout simplement, parce qu’il y avait autour de lui, des gens qui lui répétaient sans cesse que sans lui, on est mort. Pourtant, la réalité est là, sans l’ex-président on vit, même mieux qu’avant. Avec cet album, c’est essayer d’ouvrir une porte de sortie aux dirigeants africains. A traves cet opus, qui s’appelle « Alerte », je veux rendre hommage à tous ceux qui ont cédé le pouvoir : Jerry Rawlings, John Kuffuor, Abdou Diouf, Léopold Sédar Senghor, Amadou Toumani Touré, Nelson Mandela, le président du Cap-Vert. Tous ceux qui ont fait leur mandat et sont partis sans faire de morts, salir l’image de leur pays. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui et qui ont l’intention de changer la constitution de leur pays, il faut absolument qu’on leur montre la porte de sortie. Dans ce titre, je dis simplement : « Amadou Toumani Touré a fait ça. Et si Amadou Toumani Touré a fait ça, c’est parce que Jerry Rawlings a fait ça, Abdou Diouf a fait ça, John Kuffuor a fait ça, Nelson Mandela a fait ça ». Et qu’en définitive, c’est la démocratie qui a gagné. Ça veut dire que Blazo, suivez-mon regard, Wado, Ado et Alpha Condé peuvent faire ça. Très souvent, les Chefs d’Etat ont envie de lâcher le pouvoir, mais c’est l’entourage qui s’y oppose. Cet album c’est pour leur dire que leur entourage va les amener à faire des erreurs comme celui de Laurent Gbagbo l’a poussé à le faire. Aujourd’hui, tout le monde se cherche, alors que s’ils avaient, par amour pour la Côte d’Ivoire, accepté de céder pacifiquement le pouvoir, ils seraient aujourd’hui tous tranquilles. Cet album, c’est vraiment une mission pour dire aux chefs d’Etat africains qu’ils ne sont pas obligés de foutre la m… dans leur pays. Ils peuvent partir tranquillement du pouvoir comme certains l’ont fait avant eux. Comme cette année, nous aurons beaucoup d’élections, au Mali au Sénégal, je sors cette œuvre pour dire qu’on ne veut plus de tension, d’exactions. La démocratie ne doit plus être sanglante. Il ne sert à rien que les gens s’accrochent au pouvoir. Il est essentiel de prévenir. Il y a eu un incendie chez moi. Et je vois que ce même incendie menace le voisin. Je dois donc m’exprimer.
L.P : Selon vous, quelle est justement la solution pour éviter que le Sénégal ne bascule dans la violence ?
TKJ : Elle est claire. Je souhaite que le président Wade soit sage et arbitre les élections au Sénégal. Après ses deux mandats, il y a un résultat. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que le président Wade n’a rien fait. J’ai été interdit de séjour au Sénégal en 2007 et en 2010 quand j’y suis retourné, j’ai vu plein d’infrastructures, des routes, des écoles… Le président Wade a beaucoup fait, mais je fais partie des Africains qui pensent qu’il devrait arbitrer ces élections et laisser les Sénégalais choisir leur président. Comme il ne veut pas le faire, j’essaie de prévenir pour éviter qu’il y ait des morts et des dégâts. C’est une tension inutile. Le président Wade a près de 85 ans, donc il a une position où il aurait pu arbitrer ces joutes électorales. Ma mission, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait plus de tension au Sénégal, en Guinée et dans tout autre pays africain. Je précise que l’album, en plus des deux titres, comportera des dubs de « Missiri », « Tonton America »... Sans oublier un featuring avec Wesley un Haïtien, et un autre avec le Français Tom Frazier. Il y aura au total huit titres. L’album a été enregistré dans mon studio «H » Camara à Bamako et le mastering est en train d’être fait au Canada.
L.P : Que devient votre projet « Un concert, une école » ? Apparemment, c’est le silence…
TKJ : Ah non ! Il continue. Pour preuve, j’ai construit une école de quatre classes, avec une cantine et des toilettes au Burkina Faso, dans la région de Horodara dans le village de Nialé. Je l’ai fait en partenariat avec la mairie d’Amans en France. J’ai aussi construit une école à Odienné, avec l’ONG Save The Children. Nous allons faire l’ouverture bientôt. Aujourd’hui, deux écoles sont en attente d’être inaugurées. Mieux, les enfants ont même commencé à aller dans ces deux écoles. Quand j’ai fait Bercy en juin 2010. J’ai prélevé un euro sur chaque ticket pour la réhabilitation d’une école en Guinée-Conakry. L’argent est dans un compte à Paris et j’attends d’être libre pour aller en Guinée repérer l’école et engager un entrepreneur pour la réhabilitation.
L.P : La Côte d’Ivoire est aujourd’hui dirigée par un nouveau pouvoir. Quel bilan faites-vous en toute objectivité des six mois de gouvernance du président Alassane Ouattara ?
TKJ : Je n’ai pas peur. Je n’ai pas honte et je ne dois à personne. Lorsqu’il y a eu les élections et cette crise post-électorale, j’ai donné ma position. Les Ivoiriens n’avaient aucune raison de reconduire Laurent Gbagbo, parce qu’il a fait dix ans au pouvoir et tout le monde connaît le résultat de sa gestion. Très souvent, les gens disent qu’il n’a pas eu le temps. Mais, il avait 40 % du territoire ivoirien, et la rébellion 60%. Mais sur les 40% de Laurent Gbagbo, il avait la partie qui avait les deux ports d’Abidjan et de San-Pedro, qui produisait le café et le cacao. Qu’a-t-il fait avec tout cet argent ? Pas de route, pas d’école, pas d’usine, rien. Un peuple normal ne pouvait donc pas reconduire un président de ce type.
L.P : Vous attendiez-vous à ce que Laurent Gbagbo confisque le pouvoir ?
TKJ : Quand on dit : « on gagne ou on gagne ». Ça veut tout dire. Soit on gagne par les urnes, soit on gagne par les armes. L’argent qui a été utilisé pour acheter des armes aurait pu construire une usine dans la région d’Odienné, une ou deux autres dans celle de Korhogo, quelques routes ou écoles à Bouaké… Ces milliards auraient pu servir à construire des usines et créer des emplois. Avec un tel bilan, même les gens d’Odienné et de Korhogo auraient voté pour lui. Malheureusement, on n’a pas vu ça et il a fallu que le monde entier se mobilise pour dire qu’en démocratie, soit on gagne par la voix urnes, soit on quitte le pouvoir. C’est ce qui s’est passé. Et donc le résultat est là.
L.P : Et le bilan du pouvoir Ouattara?
TKJ : En toute objectivité, et tous les Ivoiriens en sont témoins, il y a une rigueur dans la gestion de l’Etat. Avant, on voyait le cortège présidentiel passer vers 11h ou des fois midi. Aujourd’hui, il passe à 7h30 ou à 8h au plus tard. On dit que le poisson pourrit par la tête. Si le chef d’Etat se lève tôt, les ministres sont obligés de se lever tôt. Et puis, il y a des signes qui ne trompent pas. Partout à Abidjan, on aperçoit des tracteurs et des routes sont en train d’être faites. A Bouaké, Odienné et Korhogo, c’est le même constat. Du coup, on a le sentiment que le président actuel a fait plus en six mois que celui qui a fait dix ans au pouvoir. Il y a beaucoup d’espoir …
LP : N’empêche. La vie est toujours chère, l’eau manque dans beaucoup de quartiers d’Abidjan…
TKJ : C’est des choses qu’il faut continuer à exiger. Il faut continuer à interpeller le gouvernement et le Président de la République. Je me souviens qu’il y a quelques mois, j’ai dénoncé, à travers une interview, le fait que les médecins affectés à Odienné n’étaient pas trop coopératifs. Je pense qu’il faut continuer à dénoncer ce qui ne va pas. La rigueur qui est en place, veut dire qu’il y a une volonté politique de travailler, mais si nous ne faisons pas savoir au gouvernement notre envie de voir les choses avancer, les gens vont aller selon leur rythme. Le nouveau président n’a pas attendu d’arriver au pouvoir pour avoir de l’argent. Il y a donc une volonté de bien faire. Si les routes sont bien faites, les tracasseries routières jugulées, cela aura forcément des répercussions sur les prix des denrées alimentaires. Je pense que le gouvernement de M. Ouattara doit continuer à faire des routes. Ce que les gens doivent savoir, c’est que les Ivoiriens sont mûrs politiquement. Si le résultat n’est pas positif dans cinq ans, ils voteront quelqu’un d’autre. Ils attendent des résultats. S’il y a des résultats concrets et visibles, il n’y a pas de raison que les Ivoiriens ne reconduisent pas Alassane Ouattara dans cinq ans.
L.P : L’autre chantier prioritaire de la Côte d’Ivoire, c’est la réconciliation avec notamment la mise en place d’une Commission Dialogue Vérité Réconciliation (CDVR). Pensez-vous que cette réconciliation est vraiment possible actuellement ?
TKJ : On doit se réconcilier. C’est dans la réconciliation que les dirigeants pourront penser au développement, nos enfants pourront aller tranquillement à l’école, que les routes seront faites. Donc, les Ivoiriens n’ont pas le choix. Si on continue à se taper dessus. On verra le résultat. On a déjà vu la différence entre la Côte d’Ivoire tranquille sous Houphouët-Boigny et la Côte d’Ivoire qui a connu des troubles. Oui, la réconciliation est possible. Il faut que la CDVR fasse son travail comme il faut.
L.P : Justement, on lui reproche de traîner les pas. Que doit-elle faire pour amener les Ivoiriens à se réconcilier ?
TKJ : Il faut qu’elle continue à aller vers les populations, qu’elle organise notre tournée de réconciliation. Nous les artistes sommes en attente. Après la Coupe d’Afrique, que nous allons remporter…
L.P : Qu’est-ce qui fonde tant votre optimisme pour cette coupe d’Afrique ?
TKJ : Jusqu’à présent, toutes mes visions ont été presque réalisées. J’ai foi parce qu’on a une bonne équipe. J’ai foi aussi parce que les Eléphants n’ont pas envie de se laisser perturber par les querelles politiques en Côte d’Ivoire. J’ai foi également parce que les équipes qui auraient pu nous déranger ne sont pas là. Et puis pour gagner une compétition, il faut y aller en étant confiant. C’est pourquoi, je dis que nous allons remporter cette coupe. J’ai foi que cette coupe viendra consolider la réconciliation. Juste après, nous allons initier notre tournée de la réconciliation.
L.P : L’an dernier, votre réconciliation avec Alpha Blondy avait surpris plus d’un. D’ailleurs, d’aucuns pensent qu’elle n’est pas sincère…
TKJ : Je vous rassure tout de suite. Elle est bel et bien sincère. Nous ne sommes pas amis, car c’est mon aîné. Nous ne sommes pas de la même génération. On ne se balade pas ensemble, mais on s’appelle quand c’est nécessaire. D’ailleurs, au moment où je fais cette interview (ndlr : vendredi 13 décembre), j’ai rendez-vous avec lui à 21h. Nous devons discuter de la caravane pour la réconciliation.
L.P : Alpha Blondy refusait, semble t-il, de vous adresser la parole, même de vous prendre au téléphone. Comment cette paix des « braves » a-t-elle été possible à Paris ?
TKJ : C’est simple. Nous nous sommes rencontrés à Paris dans son hôtel, par l’entremise d’un ami commun. Tout s’est bien passé. Les échanges ont été cordiaux et Alpha Blondy a réalisé que je n’étais pas celui dont on lui avait parlé. Il fallait simplement rencontrer l’homme et discuter avec lui. Ce jour-là, il a rencontré un petit « dioula », poli, qui connaît les règles de la « Kôrôcratie ». Tout se passe bien entre nous. On s’est même appelé en fin d’année pour se souhaiter les vœux. C’est sincère. Car, nous avons le devoir de donner l’exemple.
L.P : Pour matérialiser cet « accord parfait » entre vous, vous avez même enregistré une chanson ensemble. Quand sortira-t-elle ?
TKJ : Elle est dans la main d’Alpha. Je ne sais même pas le titre. Je lui ai dit néanmoins que je souhaiterais qu’elle sorte avant la caravane pour la réconciliation qui aura lieu au mois de mars, parce que tous les artistes sont disponibles à cette période. Elle devrait durer un mois et demi.
L.P : Que pensez-vous de la décision de la justice ivoirienne de transférer Laurent Gbagbo à la CPI ?
TKJ : Les élections se sont passées au Congo. Avez-vous entendu qu’il y a eu des milliers de morts ? Non ! C’est la preuve que le transfèrement de Laurent Gbagbo à la CPI est une décision courageuse et historique. Pour cela, je félicite la justice ivoirienne et le Président Ouattara. Aujourd’hui, si les dirigeants africains savent qu’ils peuvent être eux-mêmes punis, ils vont réfléchir plusieurs jours avant de tirer sur les gens. Cette décision va faire réfléchir plusieurs chefs d’Etat du continent. Et il y aura moins de morts maintenant après les élections en Afrique parce que l’on sait qu’il y a une justice pour tous. C’est une leçon pour les dictateurs africains et un bon remède pour le processus démocratique en Afrique. Si on commence à toucher ceux qui pensent être intouchables, cela va faire réfléchir les gens parce qu’il y a une prison maintenant pour les présidents.
L.P : Mais le fait que Gbagbo est à La Haye ne va-t-il pas être une entrave à la réconciliation surtout qu’on sait qu’il a quand même eu 46% des suffrages à la présidentielle?
TKJ : Non, non. Personne n’est indispensable à la Côte d’Ivoire. J’avais lu dans un journal que si Laurent Gbagbo est transféré, la Côte d’Ivoire va s’arrêter, mais le pays vit aujourd’hui à 100 à l’heure. Même si M. Ouattara n’est pas là demain, la Côte d’Ivoire vivra et bien. Personne n’est indispensable à la continuité et au développement de la Côte d’Ivoire. Tous ceux qui le disent se trompent. La Côte d’Ivoire est peuplée par plusieurs populations qui sont condamnées à vivre ensemble. Il n’y a pas de raison qu’elle s’arrête parce qu’une personne est en prison. Les Ivoiriens vont se réconcilier quand le nouveau pouvoir va poser des actes concrets. Lorsque la jeunesse ivoirienne va avoir du boulot, les routes seront construites, la vie deviendra moins chère, les gens vont oublier Gbagbo. Le monde ne s’arrête pas à un homme.
L.P : Une partie de l’opinion ivoirienne reproche à l’actuel pouvoir d’avoir « vendu » la Côte d’Ivoire à l’Occident singulièrement la France. Qu’en pensez-vous ?
TKJ : Quand Ouattara a dit que j’ai des solutions pour les emplois, il n’a pas dit qu’elles seront obtenues dans un combat contre Sarkozy ou Obama ? C’est vrai que nous avons besoin d’une révolution en Afrique, mais personne ne fera une révolution avec le ventre creux. Les Ivoiriens feront leur révolution lorsqu’ils auront du travail, des infrastructures routières, lorsqu’on sera rassasié. Je suis l’artiste qui a le plus combattu la France avec l’album « Françafrique ». Les preuves sont là. Mais la révolution que nous devons d’abord mener, c’est la révolution économique. Ensuite, nous pourrons passer à la révolution politique. Si Ouattara a pour ami Sarkozy, doit-on lui en vouloir pour cela ? Assurément non. C’est un faux débat de faire croire que la Côte d’Ivoire est en train d’être vendue. Nous avons donné un mandat de 5 ans, à M. Ouattara. Si son bilan n’est pas positif, nous allons placer notre confiance en quelqu’un d’autre. C’est cela le vrai débat.
L.P : La paix est revenue en Côte d’Ivoire. A quand le retour définitif de Tiken au pays ?
TKJ : Je suis en train de me préparer à retourner en Côte d’Ivoire au mois de juin prochain. Mais, il faut que je demande la permission au peuple malien. Il m’a accueilli et me montre chaque jour que je suis chez moi.
Réalisée par Y. Sangaré & Zana Coulibaly
Le Patriote : Il y a environ un an et demi que l’album « African Revolution » est sorti. Quel bilan faîtes-vous de son parcours sur le marché musical ?
Tiken Jah Fakoly : Pour moi, le bilan est positif. C’est un album certes différent des autres, mais qui m’a permis de faire le tour du monde. Je n’étais jamais allé aux Etats-Unis. Récemment, j’y étais. J’ai même joué à Central Park, devant près de 25 000 personnes. Là, je m’apprête à repartir au Canada, ensuite aux Etats-Unis. L’Amérique latine me réclame. J’irai me produire en Bolivie, en Colombie.
L.P : Mais, il n’a pas connu le succès escompté en Côte d’Ivoire…
TKJ : C’est vrai qu’il n’a pas connu ici le même succès que « L’Africain », « Françafrique » ou « Coup de gueule », mais cela s’explique par le fait qu’on n’a pas eu assez de temps de faire la promotion de l’œuvre. J’avoue que je n’ai pas eu le temps de m’occuper de cela. Dès que l’album est sorti, je suis parti en tournée. Si l’album a été apprécié un peu partout dans le monde, en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique latine, il n’y a pas de raison qu’il ne soit pas apprécié chez moi-même. Les gens ont juste besoin de savoir que l’album existe. Je ne pense pas que ce soit un échec. C’est peut-être l’album le moins connu des Ivoiriens, mais c’est une œuvre qui m’a permis de faire le tour du monde, d’arriver en tout cas là où je n’étais jamais encore arrivé.
L.P : Dans cet album, on sent le registre de Tiken varié, avec une forte influence de nouvelles mélodies…
TKJ : Effectivement, c’est une œuvre différente de celles que j’avais jusque-là faites. Vous savez, je suis assez démocrate dans la vie et le travail. Quand je travaille avec des gens, j’aime écouter, apprécier. J’avais envie d’essayer quelque chose. Je devais travailler avec des Anglais. Je leur ai dit que je voulais arriver à un certain niveau, j’ai chanté et ils ont apporté leur feeling. J’ai trouvé que c’était bien. La musique de cet album m’a permis de chanter autrement. Quand tu écoutes la voix, tu sens que j’ai monté les gammes, j’ai vraiment cherché des mélodies que je n’avais pas eues. Je ne regrette pas du tout d’avoir fait cet album. J’avais envie de surprendre mes fans, je l’ai fait. Le succès est positif au niveau de l’Occident et même en Guinée où l’album a eu un franc succès. Dans la carrière d’un artiste, il y a plusieurs étapes, et moi je suis arrivé à une étape où j’avais envie d’essayer autre chose. Pour moi, en tant que Tiken Jah Fakoly, artiste, le bilan est positif.
L.P : Allez-vous vous inscrire résolument dans cette nouvelle démarche musicale au risque de dérouter vos fans ivoiriens ?
TKJ : Moi, je suis toujours à la recherche de sons reggae originaux, propres à l’Afrique. On ne peut pas copier les Jamaïcains. Le reggae vient d’Afrique, les Jamaïcains qui l’ont créé viennent aussi d’Afrique. Nous sommes donc comme les papas et les mamans du reggae. Donc, il est important que quand nous faisons cette musique, d’y apporter une couleur originale africaine. Je ne dirai pas que c’est une expérience que je vais forcément reprendre, mais je continuerai mes recherches pour faire rêver mes fans.
L.P : Le 25 janvier prochain, vous mettrez sur le marché un maxi single de deux titres. Quelle est l’opportunité de cette œuvre ?
TKJ : Je suis un artiste qui aime s’exprimer. Si je fais un meeting, on dira que j’aime faire de la politique. Et donc, la meilleure manière pour moi de m’exprimer c’est à travers mon art. La crise post-électorale en Côte d’Ivoire a fait beaucoup de morts et de dégâts, tout simplement parce que quelqu’un, qui a fait deux mandats, avait envie d’en faire un troisième, alors qu’il n’en avait pas le droit. Tout simplement, parce qu’il y avait autour de lui, des gens qui lui répétaient sans cesse que sans lui, on est mort. Pourtant, la réalité est là, sans l’ex-président on vit, même mieux qu’avant. Avec cet album, c’est essayer d’ouvrir une porte de sortie aux dirigeants africains. A traves cet opus, qui s’appelle « Alerte », je veux rendre hommage à tous ceux qui ont cédé le pouvoir : Jerry Rawlings, John Kuffuor, Abdou Diouf, Léopold Sédar Senghor, Amadou Toumani Touré, Nelson Mandela, le président du Cap-Vert. Tous ceux qui ont fait leur mandat et sont partis sans faire de morts, salir l’image de leur pays. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui et qui ont l’intention de changer la constitution de leur pays, il faut absolument qu’on leur montre la porte de sortie. Dans ce titre, je dis simplement : « Amadou Toumani Touré a fait ça. Et si Amadou Toumani Touré a fait ça, c’est parce que Jerry Rawlings a fait ça, Abdou Diouf a fait ça, John Kuffuor a fait ça, Nelson Mandela a fait ça ». Et qu’en définitive, c’est la démocratie qui a gagné. Ça veut dire que Blazo, suivez-mon regard, Wado, Ado et Alpha Condé peuvent faire ça. Très souvent, les Chefs d’Etat ont envie de lâcher le pouvoir, mais c’est l’entourage qui s’y oppose. Cet album c’est pour leur dire que leur entourage va les amener à faire des erreurs comme celui de Laurent Gbagbo l’a poussé à le faire. Aujourd’hui, tout le monde se cherche, alors que s’ils avaient, par amour pour la Côte d’Ivoire, accepté de céder pacifiquement le pouvoir, ils seraient aujourd’hui tous tranquilles. Cet album, c’est vraiment une mission pour dire aux chefs d’Etat africains qu’ils ne sont pas obligés de foutre la m… dans leur pays. Ils peuvent partir tranquillement du pouvoir comme certains l’ont fait avant eux. Comme cette année, nous aurons beaucoup d’élections, au Mali au Sénégal, je sors cette œuvre pour dire qu’on ne veut plus de tension, d’exactions. La démocratie ne doit plus être sanglante. Il ne sert à rien que les gens s’accrochent au pouvoir. Il est essentiel de prévenir. Il y a eu un incendie chez moi. Et je vois que ce même incendie menace le voisin. Je dois donc m’exprimer.
L.P : Selon vous, quelle est justement la solution pour éviter que le Sénégal ne bascule dans la violence ?
TKJ : Elle est claire. Je souhaite que le président Wade soit sage et arbitre les élections au Sénégal. Après ses deux mandats, il y a un résultat. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que le président Wade n’a rien fait. J’ai été interdit de séjour au Sénégal en 2007 et en 2010 quand j’y suis retourné, j’ai vu plein d’infrastructures, des routes, des écoles… Le président Wade a beaucoup fait, mais je fais partie des Africains qui pensent qu’il devrait arbitrer ces élections et laisser les Sénégalais choisir leur président. Comme il ne veut pas le faire, j’essaie de prévenir pour éviter qu’il y ait des morts et des dégâts. C’est une tension inutile. Le président Wade a près de 85 ans, donc il a une position où il aurait pu arbitrer ces joutes électorales. Ma mission, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait plus de tension au Sénégal, en Guinée et dans tout autre pays africain. Je précise que l’album, en plus des deux titres, comportera des dubs de « Missiri », « Tonton America »... Sans oublier un featuring avec Wesley un Haïtien, et un autre avec le Français Tom Frazier. Il y aura au total huit titres. L’album a été enregistré dans mon studio «H » Camara à Bamako et le mastering est en train d’être fait au Canada.
L.P : Que devient votre projet « Un concert, une école » ? Apparemment, c’est le silence…
TKJ : Ah non ! Il continue. Pour preuve, j’ai construit une école de quatre classes, avec une cantine et des toilettes au Burkina Faso, dans la région de Horodara dans le village de Nialé. Je l’ai fait en partenariat avec la mairie d’Amans en France. J’ai aussi construit une école à Odienné, avec l’ONG Save The Children. Nous allons faire l’ouverture bientôt. Aujourd’hui, deux écoles sont en attente d’être inaugurées. Mieux, les enfants ont même commencé à aller dans ces deux écoles. Quand j’ai fait Bercy en juin 2010. J’ai prélevé un euro sur chaque ticket pour la réhabilitation d’une école en Guinée-Conakry. L’argent est dans un compte à Paris et j’attends d’être libre pour aller en Guinée repérer l’école et engager un entrepreneur pour la réhabilitation.
L.P : La Côte d’Ivoire est aujourd’hui dirigée par un nouveau pouvoir. Quel bilan faites-vous en toute objectivité des six mois de gouvernance du président Alassane Ouattara ?
TKJ : Je n’ai pas peur. Je n’ai pas honte et je ne dois à personne. Lorsqu’il y a eu les élections et cette crise post-électorale, j’ai donné ma position. Les Ivoiriens n’avaient aucune raison de reconduire Laurent Gbagbo, parce qu’il a fait dix ans au pouvoir et tout le monde connaît le résultat de sa gestion. Très souvent, les gens disent qu’il n’a pas eu le temps. Mais, il avait 40 % du territoire ivoirien, et la rébellion 60%. Mais sur les 40% de Laurent Gbagbo, il avait la partie qui avait les deux ports d’Abidjan et de San-Pedro, qui produisait le café et le cacao. Qu’a-t-il fait avec tout cet argent ? Pas de route, pas d’école, pas d’usine, rien. Un peuple normal ne pouvait donc pas reconduire un président de ce type.
L.P : Vous attendiez-vous à ce que Laurent Gbagbo confisque le pouvoir ?
TKJ : Quand on dit : « on gagne ou on gagne ». Ça veut tout dire. Soit on gagne par les urnes, soit on gagne par les armes. L’argent qui a été utilisé pour acheter des armes aurait pu construire une usine dans la région d’Odienné, une ou deux autres dans celle de Korhogo, quelques routes ou écoles à Bouaké… Ces milliards auraient pu servir à construire des usines et créer des emplois. Avec un tel bilan, même les gens d’Odienné et de Korhogo auraient voté pour lui. Malheureusement, on n’a pas vu ça et il a fallu que le monde entier se mobilise pour dire qu’en démocratie, soit on gagne par la voix urnes, soit on quitte le pouvoir. C’est ce qui s’est passé. Et donc le résultat est là.
L.P : Et le bilan du pouvoir Ouattara?
TKJ : En toute objectivité, et tous les Ivoiriens en sont témoins, il y a une rigueur dans la gestion de l’Etat. Avant, on voyait le cortège présidentiel passer vers 11h ou des fois midi. Aujourd’hui, il passe à 7h30 ou à 8h au plus tard. On dit que le poisson pourrit par la tête. Si le chef d’Etat se lève tôt, les ministres sont obligés de se lever tôt. Et puis, il y a des signes qui ne trompent pas. Partout à Abidjan, on aperçoit des tracteurs et des routes sont en train d’être faites. A Bouaké, Odienné et Korhogo, c’est le même constat. Du coup, on a le sentiment que le président actuel a fait plus en six mois que celui qui a fait dix ans au pouvoir. Il y a beaucoup d’espoir …
LP : N’empêche. La vie est toujours chère, l’eau manque dans beaucoup de quartiers d’Abidjan…
TKJ : C’est des choses qu’il faut continuer à exiger. Il faut continuer à interpeller le gouvernement et le Président de la République. Je me souviens qu’il y a quelques mois, j’ai dénoncé, à travers une interview, le fait que les médecins affectés à Odienné n’étaient pas trop coopératifs. Je pense qu’il faut continuer à dénoncer ce qui ne va pas. La rigueur qui est en place, veut dire qu’il y a une volonté politique de travailler, mais si nous ne faisons pas savoir au gouvernement notre envie de voir les choses avancer, les gens vont aller selon leur rythme. Le nouveau président n’a pas attendu d’arriver au pouvoir pour avoir de l’argent. Il y a donc une volonté de bien faire. Si les routes sont bien faites, les tracasseries routières jugulées, cela aura forcément des répercussions sur les prix des denrées alimentaires. Je pense que le gouvernement de M. Ouattara doit continuer à faire des routes. Ce que les gens doivent savoir, c’est que les Ivoiriens sont mûrs politiquement. Si le résultat n’est pas positif dans cinq ans, ils voteront quelqu’un d’autre. Ils attendent des résultats. S’il y a des résultats concrets et visibles, il n’y a pas de raison que les Ivoiriens ne reconduisent pas Alassane Ouattara dans cinq ans.
L.P : L’autre chantier prioritaire de la Côte d’Ivoire, c’est la réconciliation avec notamment la mise en place d’une Commission Dialogue Vérité Réconciliation (CDVR). Pensez-vous que cette réconciliation est vraiment possible actuellement ?
TKJ : On doit se réconcilier. C’est dans la réconciliation que les dirigeants pourront penser au développement, nos enfants pourront aller tranquillement à l’école, que les routes seront faites. Donc, les Ivoiriens n’ont pas le choix. Si on continue à se taper dessus. On verra le résultat. On a déjà vu la différence entre la Côte d’Ivoire tranquille sous Houphouët-Boigny et la Côte d’Ivoire qui a connu des troubles. Oui, la réconciliation est possible. Il faut que la CDVR fasse son travail comme il faut.
L.P : Justement, on lui reproche de traîner les pas. Que doit-elle faire pour amener les Ivoiriens à se réconcilier ?
TKJ : Il faut qu’elle continue à aller vers les populations, qu’elle organise notre tournée de réconciliation. Nous les artistes sommes en attente. Après la Coupe d’Afrique, que nous allons remporter…
L.P : Qu’est-ce qui fonde tant votre optimisme pour cette coupe d’Afrique ?
TKJ : Jusqu’à présent, toutes mes visions ont été presque réalisées. J’ai foi parce qu’on a une bonne équipe. J’ai foi aussi parce que les Eléphants n’ont pas envie de se laisser perturber par les querelles politiques en Côte d’Ivoire. J’ai foi également parce que les équipes qui auraient pu nous déranger ne sont pas là. Et puis pour gagner une compétition, il faut y aller en étant confiant. C’est pourquoi, je dis que nous allons remporter cette coupe. J’ai foi que cette coupe viendra consolider la réconciliation. Juste après, nous allons initier notre tournée de la réconciliation.
L.P : L’an dernier, votre réconciliation avec Alpha Blondy avait surpris plus d’un. D’ailleurs, d’aucuns pensent qu’elle n’est pas sincère…
TKJ : Je vous rassure tout de suite. Elle est bel et bien sincère. Nous ne sommes pas amis, car c’est mon aîné. Nous ne sommes pas de la même génération. On ne se balade pas ensemble, mais on s’appelle quand c’est nécessaire. D’ailleurs, au moment où je fais cette interview (ndlr : vendredi 13 décembre), j’ai rendez-vous avec lui à 21h. Nous devons discuter de la caravane pour la réconciliation.
L.P : Alpha Blondy refusait, semble t-il, de vous adresser la parole, même de vous prendre au téléphone. Comment cette paix des « braves » a-t-elle été possible à Paris ?
TKJ : C’est simple. Nous nous sommes rencontrés à Paris dans son hôtel, par l’entremise d’un ami commun. Tout s’est bien passé. Les échanges ont été cordiaux et Alpha Blondy a réalisé que je n’étais pas celui dont on lui avait parlé. Il fallait simplement rencontrer l’homme et discuter avec lui. Ce jour-là, il a rencontré un petit « dioula », poli, qui connaît les règles de la « Kôrôcratie ». Tout se passe bien entre nous. On s’est même appelé en fin d’année pour se souhaiter les vœux. C’est sincère. Car, nous avons le devoir de donner l’exemple.
L.P : Pour matérialiser cet « accord parfait » entre vous, vous avez même enregistré une chanson ensemble. Quand sortira-t-elle ?
TKJ : Elle est dans la main d’Alpha. Je ne sais même pas le titre. Je lui ai dit néanmoins que je souhaiterais qu’elle sorte avant la caravane pour la réconciliation qui aura lieu au mois de mars, parce que tous les artistes sont disponibles à cette période. Elle devrait durer un mois et demi.
L.P : Que pensez-vous de la décision de la justice ivoirienne de transférer Laurent Gbagbo à la CPI ?
TKJ : Les élections se sont passées au Congo. Avez-vous entendu qu’il y a eu des milliers de morts ? Non ! C’est la preuve que le transfèrement de Laurent Gbagbo à la CPI est une décision courageuse et historique. Pour cela, je félicite la justice ivoirienne et le Président Ouattara. Aujourd’hui, si les dirigeants africains savent qu’ils peuvent être eux-mêmes punis, ils vont réfléchir plusieurs jours avant de tirer sur les gens. Cette décision va faire réfléchir plusieurs chefs d’Etat du continent. Et il y aura moins de morts maintenant après les élections en Afrique parce que l’on sait qu’il y a une justice pour tous. C’est une leçon pour les dictateurs africains et un bon remède pour le processus démocratique en Afrique. Si on commence à toucher ceux qui pensent être intouchables, cela va faire réfléchir les gens parce qu’il y a une prison maintenant pour les présidents.
L.P : Mais le fait que Gbagbo est à La Haye ne va-t-il pas être une entrave à la réconciliation surtout qu’on sait qu’il a quand même eu 46% des suffrages à la présidentielle?
TKJ : Non, non. Personne n’est indispensable à la Côte d’Ivoire. J’avais lu dans un journal que si Laurent Gbagbo est transféré, la Côte d’Ivoire va s’arrêter, mais le pays vit aujourd’hui à 100 à l’heure. Même si M. Ouattara n’est pas là demain, la Côte d’Ivoire vivra et bien. Personne n’est indispensable à la continuité et au développement de la Côte d’Ivoire. Tous ceux qui le disent se trompent. La Côte d’Ivoire est peuplée par plusieurs populations qui sont condamnées à vivre ensemble. Il n’y a pas de raison qu’elle s’arrête parce qu’une personne est en prison. Les Ivoiriens vont se réconcilier quand le nouveau pouvoir va poser des actes concrets. Lorsque la jeunesse ivoirienne va avoir du boulot, les routes seront construites, la vie deviendra moins chère, les gens vont oublier Gbagbo. Le monde ne s’arrête pas à un homme.
L.P : Une partie de l’opinion ivoirienne reproche à l’actuel pouvoir d’avoir « vendu » la Côte d’Ivoire à l’Occident singulièrement la France. Qu’en pensez-vous ?
TKJ : Quand Ouattara a dit que j’ai des solutions pour les emplois, il n’a pas dit qu’elles seront obtenues dans un combat contre Sarkozy ou Obama ? C’est vrai que nous avons besoin d’une révolution en Afrique, mais personne ne fera une révolution avec le ventre creux. Les Ivoiriens feront leur révolution lorsqu’ils auront du travail, des infrastructures routières, lorsqu’on sera rassasié. Je suis l’artiste qui a le plus combattu la France avec l’album « Françafrique ». Les preuves sont là. Mais la révolution que nous devons d’abord mener, c’est la révolution économique. Ensuite, nous pourrons passer à la révolution politique. Si Ouattara a pour ami Sarkozy, doit-on lui en vouloir pour cela ? Assurément non. C’est un faux débat de faire croire que la Côte d’Ivoire est en train d’être vendue. Nous avons donné un mandat de 5 ans, à M. Ouattara. Si son bilan n’est pas positif, nous allons placer notre confiance en quelqu’un d’autre. C’est cela le vrai débat.
L.P : La paix est revenue en Côte d’Ivoire. A quand le retour définitif de Tiken au pays ?
TKJ : Je suis en train de me préparer à retourner en Côte d’Ivoire au mois de juin prochain. Mais, il faut que je demande la permission au peuple malien. Il m’a accueilli et me montre chaque jour que je suis chez moi.
Réalisée par Y. Sangaré & Zana Coulibaly