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International Publié le lundi 23 janvier 2012 | Nord-Sud

Libreville (Gabon) Matitis, la laideur de la beauté librevilloise

Libreville, capitale gabonaise, paradis des touristes, recèle aussi des Matitis, les bas quartiers. Face à la cherté de la vie, les populations ouest-africaines qui continuent d’accourir dans ce petit «eldorado» de l’Afrique centrale pour chercher la pitance, vivent dans des maisons en bois.


Derrière ses belles avenues et ses quartiers huppés tels La Sablière, Louis, Montagne Sainte, etc., la capitale gabonaise offre ses bas-quartiers dans toute leur laideur. Végétation de con­tre-plaqués, planches et tôles rouillées où vivent des vieillards livrés à eux-mêmes et où chômage, violence, alcoolisme, drogue ou encore analphabétisme sont le lot de la vie quo­ti­dienne. Tel peut être résumé l’univers des Matitis ou bas-quartiers gabonais. pourtant lorsqu’on perçoit en ville des immeubles parfois entièrement en marbre, les grands hôtels (Méridien Ré-Ndama, le Gamba, l’Okoumé Palace intercontinental, l’Hibiscus), le centre commercial M’Bolo avec ses galeries, les Terrasses de l’Estuaire, la Cité de la démocratie, les palais et châteaux des nababs gabonais, il est difficile de ne pas penser que Libreville (au coucher du soleil) n’est pas le « Miami d’Afrique », comme le chante avec conviction l’artiste gabonais Makaya Madingo. Malheureusement, en regardant la réalité, telle qu’elle s’impose, tout le monde reconnaît que ce jugement est très (trop) partiel. A l’instar de nombreuses villes africaines, Libreville présente deux visages. Le Libreville splendide et paradisiaque s’arrête net dans les beaux quartiers, les beaux lieux et les élégants édifices. Pour le reste, lorsqu’on va plus loin, on découvre que Libreville n’est plus moderne, splendide, encore moins paradisiaque. On découvre simplement les Matitis. Pour faire plus simple, on dira que ce sont des villages en pleine ville. Et comme si les Gabonais en avaient honte, les Matitis n’ont jamais de place lorsqu’il s’agit de dresser le portrait de leur capitale. Ce jeudi matin, Libreville a encore froid. La forte pluie de la veille ne s’est arrêtée qu’au petit matin. Nous avons rendez-vous avec un Ivoirien qui vit à Libreville depuis … 1999. Son nom ? Ange Nemlin, originaire de San-Pedro. Parti à l’aventure en décembre 99, il rêvait d’Italie. Mais son rêve a pris fin (brutalement) à l’aéroport de Rome par son rapatriement à Lomé pour faux papiers. C’est donc à l’aéroport de Lomé qu’il a sympathisé avec un Gabonais qui était dans la même galère. Nemlin se souvient comme hier de la belle fête que sa famille avait organisée en son honneur avant son départ et ne s’imaginait pas retourner le lendemain avec la honte. Depuis, alors que ses parents le croient en Italie, il vit à Libreville dans un Matiti. Et s’il y a quelqu’un qui est mieux placé pour nous faire visiter le coin, c’est bien lui. Père de trois enfants et vivant avec une Gabonaise, Ange Nemlin a, sans surprise, l’accent du pays d’Ali Ben Bongo. Il connaît aussi désormais parfaitement le Gabon qu’il se permet de se hasarder dehors sans ses papiers (pas sûr qu’il en possède) au moment où les rafles font beaucoup de victimes chez les Ouest-africains. Et si nous vous disons que Nemlin parle couramment le Fang, nous croirez-vous ? Première escale à son domicile. Un Matiti situé dans le quartier Cocotiers. Pour y parvenir, il faut dévaler une petite colline avec tout ce que cela comporte comme risques. Devant nous, un paysage de maisons en bois ou en tôle ayant déjà (suffisamment) supporté les caprices du temps. A les voir, on a la nette impression que ces Matitis cèderont au moindre orage… Et pourtant ! Ange Nemlin jure qu’il y vit depuis une dizaine d’années. Une larme tombe de nos yeux lorsque nous apercevons cette végétation de bicoques, de gourbis, de taudis qui se cachent derrière de beaux bâtiments. La pauvreté est sans nom. Lorsqu’on s’enfonce dans ce Matiti, on est pris de pitié. Et à en croire notre guide, on en retrouve aussi bien à Alibadeng, Belle-vue, camp de boy alias CDB, Cocotiers, Kinguélé, les « Etats-Unis d’Akébé », N’Zeng-Ayong, Niger, etc. Certains Matitis riment carrément avec une appartenance ethnique à l’exemple de l’ethnie Massongo ou encore Bakota. Pour ceux qui connaissent bien Abidjan, les Matitis, c’est le bidonville « Gobelet », à Cocody, en pire. Ils sont essentiellement Gabonais au chômage et Ouest-africains et Sao-Toméens à vivre ici. Cordonniers, aiguiseurs ambulants, « Arranger-arranger (tailleurs), maçons, prostituées, etc. constituent essentiellement la population des Matitis. Les tarifs des maisons en location oscillent entre 10.000 et 30.000 franc Cfa s. Ange Nemlin, beau parleur et grand dragueur devant l’Eternel, nous affirme qu’il loue son Matiti à 80.000 francs Cfa. Nous ne le croyons pas. « A la fin du mois de février, j’irai vivre à Akébé où j’ai déjà réservé une maison de 300.000 francs Cfa, le mois », poursuit-il. Nous ne le croyons toujours pas. Ce mec-là , certainement parti de son pays natal depuis une éternité, vit de chasse et de cueillette, mais n’a rien perdu de son humour. C’est l’essentiel !


Guy-Florentin Yaméogo, envoyé spécial à Libreville
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