Quel est le point commun entre Ayatola, Marie-Laure, Ruth Thondey, Gbazé Thérèse… ils sont artistes, oui, mais encore? Pour ceux d’entre eux qui ne sont pas morts de maladie faute d’argent pour se soigner, les autres sont malades et ne peuvent pas se soigner!
Pourtant ils ont un travail, on les connait tous justement à cause de leur travail. Ce sont des artistes. Comédiens pour les uns, chanteurs pour les autres et encore, c’est sans citer ces dizaines d’anonymes du monde culturel ivoirien qui ne font pas la une des journaux mais dont le sort n’est pas différent de celui des premiers : nos artistes vivent dans la misère et à ce rythme, on aura bientôt plus d’artistes, de vrais.
Le plus étonnant c’est que tout le monde sait pourquoi. C’est un « secret de polichinelle ». Il n’y a qu’à faire un tour dans les bibliothèques des uns et des autres, sur les ordinateurs, les disques durs pour se rendre compte de l’ampleur. On veut regarder « Ma famille », mais on ne veut pas payer pour ça. On veut écouter « Magic System » ou « Espoir 2000 » mais on refuse de payer pour ça. Le CD original est trop cher dira-t-on. D’un côté, le consommateur qui trouve le produit inaccessible, de l’autre les producteurs des œuvres qui ont besoin de recettes pour continuer à produire et au milieu, les pirates.
Le point sensible et déterminant de cette relation triangulaire est le prix des œuvres, l’argent. Sociologiquement, le consommateur a intégré une donnée définitive, l’ordre de prix : pour un CD, il est prêt à concéder 1000 FCFA voire à la rigueur 1500 à 2000 FCFA. Mais au-delà, il faut oublier. Le raisonnement est simple voire simpliste. Si les pirates vendent à ce prix, les artistes le peuvent aussi! On aura beau disserter sur le comment du pourquoi, 10 ans d’habitudes avec en plus une baisse du pouvoir d’achat ont figé la situation. Le consommateur final ne changera pas de comportement du jour au lendemain.
Progressivement peut-être, mais pas demain. Les artistes, à travers leurs producteurs et distributeurs doivent donc s’adapter. C’est une règle économique fondamentale, l’offre comble un besoin, si le besoin est comblé par un moyen alternatif, il faut adapter l’offre. On peut refuser, faire la sourde oreille, s’entêter, ce sont les pirates qui se frotteront les mains. Et quand il n’y aura plus de production artistique en Côte d’Ivoire, il restera le très prolifique Burkina ou le Nigeria. Le consommateur, lui, s’adapte et prend ce qu’on lui donne.
L’impératif est alors à deux niveaux pour les artistes et leurs producteurs: diversifier les sources de revenus et adapter l’offre de produits dérivés. Une série-télé, un clip de musique et toute production audiovisuelle en général est destinée à être diffusée à la télé. Avec une télé sans concurrents en Côte d’Ivoire qui impose les prix à ses « partenaires », il n’y a pas grande illusion à se faire, ce n’est pas de là que viendra la fortune. Et il ne faut pas trop compter sur une prochaine libéralisation. Alors en attendant, il faut se tourner vers l’étranger. Il faut vendre à d’autres télévisions africaines. Certains l’ont d’ailleurs déjà très bien compris. Un feuilleton comme « Ma famille » est très largement diffusé en Afrique francophones. L’équipe confiait même lors de rencontre avec le public au Sénégal que l’essentiel de leurs revenus dépendait presqu’exclusivement de l’extérieur de leur propre pays.
La politique de la terre brulée
Toutefois la fuite vers l’extérieur n’est pas une solution de long terme, et elle ne règle pas le problème. Dans l’esprit du téléspectateur et client ivoirien, le produit est trop cher. Calcul simple basé sur le modèle des cités universitaires : le paquet de 10 CDs vierges vaut entre 1000 et 2000 francs selon sa qualité sur le marché. Avec un ordinateur portable et quelques graveurs externes, on fait facilement une dizaine de CDs en une heure. Donc main d’œuvre et charges comprises, le cout de production d’un CD gravé doit revenir à 500 maximum 600 francs, or le CD original (même pas un DVD) est vendu au bas mot à 5000 francs. Les producteurs ont largement les moyens de vendre à un prix plus bas, ils n’ont même pas le choix. Ils sont en guerre, et dans cette guerre, l’arme la plus rapide à mettre en place et qui serait d’une efficacité certaine, c’est la politique de la terre brulée. Après eux, personne ne passe. Comme on dit chez nous, c’est fer qui coupe fer! La stratégie? Les compagnies de distributions achètent les CDs vierges en gros, ce qui leur permettra de baisser encore le cout à l’unité. Elles les gravent à la chaine et inondent ensuite le marché de disques à bas coûts. Évidemment il faut utiliser le même réseau de distribution que les pirates voire mieux. C’est-à-dire un partenariat ou tout le monde gagne : les artistes et le Burida ont un pourcentage sur le prix de chaque article, les maisons de distribution pareil et le revendeur touche sa commission sur chaque CD vendu. À prix identique, on peut espérer qu’une campagne de sensibilisation du Burida inversera à moyen terme le comportement des consommateurs.
L’attaque frontale
Étape suivante, l’État joue son rôle. Les autorités actuelles semblent avoir très peu de dispositions favorables pour les contrefacteurs, alors la traque à la fraude doit s’intensifier. Dans la ligne de mire : les petits revendeurs à la sauvette. C’est le chainon essentiel de l’organisation mafieuse des pirates. Mais avant, il faut faire le ménage dans les rangs. Actuellement, un revendeur qui se fait prendre fait amende de sa recette du jour et il peut continuer son activité le lendemain. Les témoignages évoquent même un tarif standard de 50'000 francs qui vont directement dans la poche de l’agent du Burida. Nul besoin de dire que si sa maison est sale, on ne va pas balayer chez les autres! Les revendeurs donc. La police doit faire son travail et mener des enquêtes de fonds sur les filières d’approvisionnement de ces disquaires improvisés. Pourquoi pas la création d’une « brigade spéciale de lutte contre la contrefaçon et la contrebande » qui pourrait d’ailleurs être active dans un champ beaucoup plus large que celui des artistes. Une unité policière spécialisée, efficace et crédible. L’idée ne devrait pas déplaire au ministre de l’intérieur en plus. Un corps d’élite intervenant pour toutes les contrefaçons alimentaire, de médicaments, de biens de consommation courante… car tous ces domaines ont aussi besoin d’être assainis. Les industriels locaux ne bouderont assurément pas cette idée qui ne nécessite pas des masses de moyens supplémentaires, juste de la formation.
Nos artistes pour leur part (re)gagneront des revenus décents. On ne verra plus de vidéo sur Youtube d’artiste agonisant, humilié et sans le sou. Ils nous serviront de la meilleure qualité et comme ça, tout le monde sera content. L’ivoirien moyen en premier.
Agnima Sika
Correspondant particulier à Morteau, France
Pourtant ils ont un travail, on les connait tous justement à cause de leur travail. Ce sont des artistes. Comédiens pour les uns, chanteurs pour les autres et encore, c’est sans citer ces dizaines d’anonymes du monde culturel ivoirien qui ne font pas la une des journaux mais dont le sort n’est pas différent de celui des premiers : nos artistes vivent dans la misère et à ce rythme, on aura bientôt plus d’artistes, de vrais.
Le plus étonnant c’est que tout le monde sait pourquoi. C’est un « secret de polichinelle ». Il n’y a qu’à faire un tour dans les bibliothèques des uns et des autres, sur les ordinateurs, les disques durs pour se rendre compte de l’ampleur. On veut regarder « Ma famille », mais on ne veut pas payer pour ça. On veut écouter « Magic System » ou « Espoir 2000 » mais on refuse de payer pour ça. Le CD original est trop cher dira-t-on. D’un côté, le consommateur qui trouve le produit inaccessible, de l’autre les producteurs des œuvres qui ont besoin de recettes pour continuer à produire et au milieu, les pirates.
Le point sensible et déterminant de cette relation triangulaire est le prix des œuvres, l’argent. Sociologiquement, le consommateur a intégré une donnée définitive, l’ordre de prix : pour un CD, il est prêt à concéder 1000 FCFA voire à la rigueur 1500 à 2000 FCFA. Mais au-delà, il faut oublier. Le raisonnement est simple voire simpliste. Si les pirates vendent à ce prix, les artistes le peuvent aussi! On aura beau disserter sur le comment du pourquoi, 10 ans d’habitudes avec en plus une baisse du pouvoir d’achat ont figé la situation. Le consommateur final ne changera pas de comportement du jour au lendemain.
Progressivement peut-être, mais pas demain. Les artistes, à travers leurs producteurs et distributeurs doivent donc s’adapter. C’est une règle économique fondamentale, l’offre comble un besoin, si le besoin est comblé par un moyen alternatif, il faut adapter l’offre. On peut refuser, faire la sourde oreille, s’entêter, ce sont les pirates qui se frotteront les mains. Et quand il n’y aura plus de production artistique en Côte d’Ivoire, il restera le très prolifique Burkina ou le Nigeria. Le consommateur, lui, s’adapte et prend ce qu’on lui donne.
L’impératif est alors à deux niveaux pour les artistes et leurs producteurs: diversifier les sources de revenus et adapter l’offre de produits dérivés. Une série-télé, un clip de musique et toute production audiovisuelle en général est destinée à être diffusée à la télé. Avec une télé sans concurrents en Côte d’Ivoire qui impose les prix à ses « partenaires », il n’y a pas grande illusion à se faire, ce n’est pas de là que viendra la fortune. Et il ne faut pas trop compter sur une prochaine libéralisation. Alors en attendant, il faut se tourner vers l’étranger. Il faut vendre à d’autres télévisions africaines. Certains l’ont d’ailleurs déjà très bien compris. Un feuilleton comme « Ma famille » est très largement diffusé en Afrique francophones. L’équipe confiait même lors de rencontre avec le public au Sénégal que l’essentiel de leurs revenus dépendait presqu’exclusivement de l’extérieur de leur propre pays.
La politique de la terre brulée
Toutefois la fuite vers l’extérieur n’est pas une solution de long terme, et elle ne règle pas le problème. Dans l’esprit du téléspectateur et client ivoirien, le produit est trop cher. Calcul simple basé sur le modèle des cités universitaires : le paquet de 10 CDs vierges vaut entre 1000 et 2000 francs selon sa qualité sur le marché. Avec un ordinateur portable et quelques graveurs externes, on fait facilement une dizaine de CDs en une heure. Donc main d’œuvre et charges comprises, le cout de production d’un CD gravé doit revenir à 500 maximum 600 francs, or le CD original (même pas un DVD) est vendu au bas mot à 5000 francs. Les producteurs ont largement les moyens de vendre à un prix plus bas, ils n’ont même pas le choix. Ils sont en guerre, et dans cette guerre, l’arme la plus rapide à mettre en place et qui serait d’une efficacité certaine, c’est la politique de la terre brulée. Après eux, personne ne passe. Comme on dit chez nous, c’est fer qui coupe fer! La stratégie? Les compagnies de distributions achètent les CDs vierges en gros, ce qui leur permettra de baisser encore le cout à l’unité. Elles les gravent à la chaine et inondent ensuite le marché de disques à bas coûts. Évidemment il faut utiliser le même réseau de distribution que les pirates voire mieux. C’est-à-dire un partenariat ou tout le monde gagne : les artistes et le Burida ont un pourcentage sur le prix de chaque article, les maisons de distribution pareil et le revendeur touche sa commission sur chaque CD vendu. À prix identique, on peut espérer qu’une campagne de sensibilisation du Burida inversera à moyen terme le comportement des consommateurs.
L’attaque frontale
Étape suivante, l’État joue son rôle. Les autorités actuelles semblent avoir très peu de dispositions favorables pour les contrefacteurs, alors la traque à la fraude doit s’intensifier. Dans la ligne de mire : les petits revendeurs à la sauvette. C’est le chainon essentiel de l’organisation mafieuse des pirates. Mais avant, il faut faire le ménage dans les rangs. Actuellement, un revendeur qui se fait prendre fait amende de sa recette du jour et il peut continuer son activité le lendemain. Les témoignages évoquent même un tarif standard de 50'000 francs qui vont directement dans la poche de l’agent du Burida. Nul besoin de dire que si sa maison est sale, on ne va pas balayer chez les autres! Les revendeurs donc. La police doit faire son travail et mener des enquêtes de fonds sur les filières d’approvisionnement de ces disquaires improvisés. Pourquoi pas la création d’une « brigade spéciale de lutte contre la contrefaçon et la contrebande » qui pourrait d’ailleurs être active dans un champ beaucoup plus large que celui des artistes. Une unité policière spécialisée, efficace et crédible. L’idée ne devrait pas déplaire au ministre de l’intérieur en plus. Un corps d’élite intervenant pour toutes les contrefaçons alimentaire, de médicaments, de biens de consommation courante… car tous ces domaines ont aussi besoin d’être assainis. Les industriels locaux ne bouderont assurément pas cette idée qui ne nécessite pas des masses de moyens supplémentaires, juste de la formation.
Nos artistes pour leur part (re)gagneront des revenus décents. On ne verra plus de vidéo sur Youtube d’artiste agonisant, humilié et sans le sou. Ils nous serviront de la meilleure qualité et comme ça, tout le monde sera content. L’ivoirien moyen en premier.
Agnima Sika
Correspondant particulier à Morteau, France