Du1er au 4 décembre 2011, s’est tenu à Abidjan, au Goethe Institut, le festival international Ciné Droit Libre, avec pour thème : « Démocratie, violence et réconciliation en Afrique ». Scrib magazine a eu le plaisir de rencontrer à cette occasion Roland Okito Lumumba, fils de Patrick Lumumba, qui est venu soutenir le film de Thomas Giefer intitulé : « Lumumba : une mort de style colonial ».
Scrib magazine : Ce n’est pas la première fois que votre nom est associé à ce festival. Pourquoi cet engagement ?
Roland Lumumba : Il y a deux ans, j’ai été invité par l’association Semfilms à Ouagadougou pour soutenir le film de Thomas Giefer : « Lumumba : une mort de style colonial ». J’ai beaucoup aimé le principe de ce festival qui donne au cinéma une autre stature : un film, un sujet, un débat. A cette occasion, le film avait été diffusé à l’université et dans les quartiers populaires de Ouagadougou. Cette approche est très intéressante car elle permet de conscientiser les peuples à tous les niveaux.
Scrib magazine : Fils d’un personnage aussi illustre qui, malgré le temps, reste toujours vivant dans le cœur des Africains, que ressentez-vous lorsque vous voyez toutes ces productions cinématographiques ou littéraires sur Lumumba ?
Roland Lumumba : Au-delà de la fierté et de l’émotion, je suis très impressionné par la soif des jeunes de comprendre pourquoi et comment il a été tué. Cette recherche de la vérité chez notre jeunesse est formidable et c’est cela qui peut faire avancer les choses.
Scrib magazine : Vous parlez de la jeunesse burkinabé ou de la jeunesse ivoirienne ?
Roland Lumumba : Les jeunes burkinabés sont plus habitués au cinéma. Il y a là-bas une véritable culture du cinéma que l’on retrouve à une moindre échelle à Abidjan. Ici, le public était moins nombreux, mais il était de belle qualité. La qualité du public et le niveau élevé des interventions ont pallié le manque d’audience.
Scrib magazine : Quelle genre de questions vous a-t-on posé ?
Roland Lumumba : On m’a posé beaucoup de questions sur l’époque où mon père vivait et, bien sûr, sur le transfèrement de Laurent Gbagbo à la cour pénale internationale. Je leur ai expliqué que mon père faisait partie de ce qui était appelé à l’époque « les évolués ». C’étaient des Congolais instruits qui avaient presque les mêmes droits que les Blancs ; ils avaient le droit de vivre en ville comme les Blancs, tandis que les non évolués vivaient dans la cité. A cette époque, les Blancs avaient le droit de rentrer dans un magasin tandis que les Congolais devaient aller dans l’arrière cour et se faire servir par la fenêtre, car ils n’avaient pas le droit d’être vus devant le magasin et, encore moins, d’entrer dans le magasin. Après 18 heures, un Congolais non évolué n’avait pas le droit de se trouver en ville ; il devait avoir une autorisation. C’était le cas des boys, des gardiens, etc. Lumumba faisait donc partie de ces évolués. Ils étaient environ deux cents mais, malgré tous ces privilèges, Lumumba s’est battu pour son peuple et pour les moins nantis.
Scrib magazine : Au cours des débats, on vous a aussi parlé du transfèrement du Président Laurent Gbagbo la Haye…
Roland Lumumba : J’essaie de ne pas m’immiscer dans les affaires politiques d’un pays. Je connais personnellement Laurent Gbagbo. Je dis clairement que je ne veux pas me mêler dans les affaires internes des Ivoiriens mais, en tant qu’intellectuel, j’aurais préféré qu’il soit jugé par des Africains. Dans quel siècle un Européen pourra-t-il être jugé par un tribunal africain ? C’est juste un principe de réciprocité. La question est : « Après cinquante ans, sommes-nous vraiment indépendants ? »
Scrib magazine : Considérez-vous que les intellectuels ont échoué ?
Roland Lumumba : Que met-on dans le mot intellectuel ? Quel est le pourcentage d’intellectuels dans nos pays ? Il y a dans nos pays un problème d’éducation. On se bat pour avoir la démocratie : un homme, une voix. Avec plus de 60% d’analphabètes, que peut-on leur expliquer ? Les gens ne connaissent pas leur droit, ils ne connaissent pas le rôle d’un député, à quoi il sert. Alors, peut-on réellement parler de démocratie ?
Scrib magazine : Vous voulez dire que la démocratie, dans ces conditions, est un leurre en Afrique ?
Roland Lumumba : Je vous donne un exemple : dans certains villages, si on n’a pas voté pour le pouvoir en place, ces villages ne seront pas électrifiés. C’est pire qu’aux temps des colons car, à cette époque, la chicotte était individuelle. Une seule personne désobéissante recevait les coups. Mais avec nos pseudos démocraties, c’est toute la collectivité qui subit les foudres du pouvoir. C’est un problème de conscience collective, un problème de gouvernance.
Scrib magazine : Vous semblez bien pessimiste. Avez-vous baissé les bras ? Vous étiez annoncé pour les présidentielles en RDC.
Roland Lumumba : Non ! je n’ai pas baissé les bras, je n’ai pas le droit de renoncer. J’ai un nom qui peut aider les autres et qui donne de l’espoir. Je n’ai pas le droit de renoncer. Dans mon pays, contrairement à la Côte d’Ivoire, il n’y a pas de réseau routier. Certains Kinois mettent des années avant de retourner dans leur village. Pour sillonner le pays, il faut avoir un avion. Pour faire une campagne présidentielle digne de ce nom, il faut au minimum deux avions. Je n’ai pas ces moyens. Je préfère, avec mes faibles moyens, aider les gens au quotidien.
Scrib magazine : Vous avez renoncé à vous présenter aux élections présidentielles !
Roland Lumumba : Non, pas du tout. Dans cinq ans, je serai candidat. Mais, il faut casser avec le régime de l’argent. On n’a pas besoin de dépenser autant pour une campagne. Je ferai une campagne à la Hugo Chavez ou à la Yayi Boni qui, pendant deux ans, chaque week-end, se rendait dans un village et, au bout de cinq ans, tous les villages du Bénin le connaissaient et avaient entendu parler de lui.
Scrib magazine : Pour finir, un mot sur nos intellectuels et notre jeunesse en mal d’idéal ?
Roland Lumumba : Il faut que les Africains sachent et comprennent que personne ne peut résoudre nos problèmes à notre place. Lorsqu’un Belge ou un Français nous proposent une solution à nos problèmes, c’est que la solution est faite dans son intérêt et pour son intérêt. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, je peux dire que c’est un problème de famille. Dans toutes les familles, il y a des problèmes. Mais, à un moment donné, il y a un membre de la famille qui essaie d’arrondir les angles pour trouver un moyen de renouer le dialogue. Il y a des liens qu’on ne doit pas briser. Les Africains doivent comprendre que notre salut réside dans l’union. Nos maîtres d’hier, nos colonisateurs, ont trouvé leur salut dans l’union (Union Européenne). La France et l’Allemagne, malgré la seconde Guerre Mondiale et les millions de morts, ont surmonté leurs désaccords et leurs ressentiments pour marcher la main dans la main et faire l’impossible pour consolider l’union.
Propos recueillis par Flore Hazoumé
Scrib magazine : Ce n’est pas la première fois que votre nom est associé à ce festival. Pourquoi cet engagement ?
Roland Lumumba : Il y a deux ans, j’ai été invité par l’association Semfilms à Ouagadougou pour soutenir le film de Thomas Giefer : « Lumumba : une mort de style colonial ». J’ai beaucoup aimé le principe de ce festival qui donne au cinéma une autre stature : un film, un sujet, un débat. A cette occasion, le film avait été diffusé à l’université et dans les quartiers populaires de Ouagadougou. Cette approche est très intéressante car elle permet de conscientiser les peuples à tous les niveaux.
Scrib magazine : Fils d’un personnage aussi illustre qui, malgré le temps, reste toujours vivant dans le cœur des Africains, que ressentez-vous lorsque vous voyez toutes ces productions cinématographiques ou littéraires sur Lumumba ?
Roland Lumumba : Au-delà de la fierté et de l’émotion, je suis très impressionné par la soif des jeunes de comprendre pourquoi et comment il a été tué. Cette recherche de la vérité chez notre jeunesse est formidable et c’est cela qui peut faire avancer les choses.
Scrib magazine : Vous parlez de la jeunesse burkinabé ou de la jeunesse ivoirienne ?
Roland Lumumba : Les jeunes burkinabés sont plus habitués au cinéma. Il y a là-bas une véritable culture du cinéma que l’on retrouve à une moindre échelle à Abidjan. Ici, le public était moins nombreux, mais il était de belle qualité. La qualité du public et le niveau élevé des interventions ont pallié le manque d’audience.
Scrib magazine : Quelle genre de questions vous a-t-on posé ?
Roland Lumumba : On m’a posé beaucoup de questions sur l’époque où mon père vivait et, bien sûr, sur le transfèrement de Laurent Gbagbo à la cour pénale internationale. Je leur ai expliqué que mon père faisait partie de ce qui était appelé à l’époque « les évolués ». C’étaient des Congolais instruits qui avaient presque les mêmes droits que les Blancs ; ils avaient le droit de vivre en ville comme les Blancs, tandis que les non évolués vivaient dans la cité. A cette époque, les Blancs avaient le droit de rentrer dans un magasin tandis que les Congolais devaient aller dans l’arrière cour et se faire servir par la fenêtre, car ils n’avaient pas le droit d’être vus devant le magasin et, encore moins, d’entrer dans le magasin. Après 18 heures, un Congolais non évolué n’avait pas le droit de se trouver en ville ; il devait avoir une autorisation. C’était le cas des boys, des gardiens, etc. Lumumba faisait donc partie de ces évolués. Ils étaient environ deux cents mais, malgré tous ces privilèges, Lumumba s’est battu pour son peuple et pour les moins nantis.
Scrib magazine : Au cours des débats, on vous a aussi parlé du transfèrement du Président Laurent Gbagbo la Haye…
Roland Lumumba : J’essaie de ne pas m’immiscer dans les affaires politiques d’un pays. Je connais personnellement Laurent Gbagbo. Je dis clairement que je ne veux pas me mêler dans les affaires internes des Ivoiriens mais, en tant qu’intellectuel, j’aurais préféré qu’il soit jugé par des Africains. Dans quel siècle un Européen pourra-t-il être jugé par un tribunal africain ? C’est juste un principe de réciprocité. La question est : « Après cinquante ans, sommes-nous vraiment indépendants ? »
Scrib magazine : Considérez-vous que les intellectuels ont échoué ?
Roland Lumumba : Que met-on dans le mot intellectuel ? Quel est le pourcentage d’intellectuels dans nos pays ? Il y a dans nos pays un problème d’éducation. On se bat pour avoir la démocratie : un homme, une voix. Avec plus de 60% d’analphabètes, que peut-on leur expliquer ? Les gens ne connaissent pas leur droit, ils ne connaissent pas le rôle d’un député, à quoi il sert. Alors, peut-on réellement parler de démocratie ?
Scrib magazine : Vous voulez dire que la démocratie, dans ces conditions, est un leurre en Afrique ?
Roland Lumumba : Je vous donne un exemple : dans certains villages, si on n’a pas voté pour le pouvoir en place, ces villages ne seront pas électrifiés. C’est pire qu’aux temps des colons car, à cette époque, la chicotte était individuelle. Une seule personne désobéissante recevait les coups. Mais avec nos pseudos démocraties, c’est toute la collectivité qui subit les foudres du pouvoir. C’est un problème de conscience collective, un problème de gouvernance.
Scrib magazine : Vous semblez bien pessimiste. Avez-vous baissé les bras ? Vous étiez annoncé pour les présidentielles en RDC.
Roland Lumumba : Non ! je n’ai pas baissé les bras, je n’ai pas le droit de renoncer. J’ai un nom qui peut aider les autres et qui donne de l’espoir. Je n’ai pas le droit de renoncer. Dans mon pays, contrairement à la Côte d’Ivoire, il n’y a pas de réseau routier. Certains Kinois mettent des années avant de retourner dans leur village. Pour sillonner le pays, il faut avoir un avion. Pour faire une campagne présidentielle digne de ce nom, il faut au minimum deux avions. Je n’ai pas ces moyens. Je préfère, avec mes faibles moyens, aider les gens au quotidien.
Scrib magazine : Vous avez renoncé à vous présenter aux élections présidentielles !
Roland Lumumba : Non, pas du tout. Dans cinq ans, je serai candidat. Mais, il faut casser avec le régime de l’argent. On n’a pas besoin de dépenser autant pour une campagne. Je ferai une campagne à la Hugo Chavez ou à la Yayi Boni qui, pendant deux ans, chaque week-end, se rendait dans un village et, au bout de cinq ans, tous les villages du Bénin le connaissaient et avaient entendu parler de lui.
Scrib magazine : Pour finir, un mot sur nos intellectuels et notre jeunesse en mal d’idéal ?
Roland Lumumba : Il faut que les Africains sachent et comprennent que personne ne peut résoudre nos problèmes à notre place. Lorsqu’un Belge ou un Français nous proposent une solution à nos problèmes, c’est que la solution est faite dans son intérêt et pour son intérêt. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, je peux dire que c’est un problème de famille. Dans toutes les familles, il y a des problèmes. Mais, à un moment donné, il y a un membre de la famille qui essaie d’arrondir les angles pour trouver un moyen de renouer le dialogue. Il y a des liens qu’on ne doit pas briser. Les Africains doivent comprendre que notre salut réside dans l’union. Nos maîtres d’hier, nos colonisateurs, ont trouvé leur salut dans l’union (Union Européenne). La France et l’Allemagne, malgré la seconde Guerre Mondiale et les millions de morts, ont surmonté leurs désaccords et leurs ressentiments pour marcher la main dans la main et faire l’impossible pour consolider l’union.
Propos recueillis par Flore Hazoumé